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Full text of "L'ordre des Trinitaires pour le rachat des captifs"

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L'ORDRE 


DBS    TRINITAIBB8 


POUR   LE   RACHAT  DES  CAPTIFS 


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L'ORDRE 

DES 

TRINITAIRES 

POUR 

LE    RACHAT   DES    CAPTIFS 

Paul    DESLANSRES 

Attaché  à  la  Bibliothèque  de  l'Arsenul. 


TOME   PREMIER 


EDOUARD   PRIVAT 

MHUAlUK-flDlTKl'Et 

14,    Hue   des    A  ris,   14. 


PARIS 

PLON,  NOURRIT  ET  O* 

8,  Rue  GaranCLcre,  8. 


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AVANT-PROPOS 


Au  mois  de  février  1898,  les  religieux  Trinitaires 
Déchaussés,  dernière  branche  subsistante  d'un  ordre 
qui  eul  sa  grandeur,  ont  célébré  à  Rome  le  septième 
centenaire  de  leur  fondation.  Rien  ne  manqua  à  la 
beauté  de  ces  fêtes  :  imposantes  cérémonies,  assis- 
tants nombreux,  sermons  éloquents;  les  Pères  de  ta 
Merci,  précédemment  rivaux  des  Trinitaires,  vinrent 
célébrer  la  messe  aux  nombreux  autels  de  la  basi- 
lique de  Saint-Chrysogone.  Le  chapitre  de  Saint- 
Pierre  choisit  cette  excellente  occasion  pour  mettre 
fin  à  une  très  ancienne  querelle.  Tout  était  à  la  joie, 
à  l'espérance;  pour  trois  jours,  on  eut  cru  que  l'or- 
dre de  la  Trinité,  nouveau  phénix,  renaissait  de  ses 
cendres. 

Au  mois  de  juin  suivant,  la  vallée  de  Barcelon- 
nette,  en  France,  fut  le  théâtre  d'une  fête  populaire, 
qui  dut  une  grande  partie  de  son  succès  au  pané- 
gyrique provençal  prononcé  par  un  Prémontré,  le 
P.  Xavier  de  Fourrières,  en  l'honneur  du  fondateur 


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AVANT-PROPOS. 


de  l'ordre  des  Trinitaires,  un  enfant  de  cette  vallée 
de  Barcel  on  nette,  une  des  gloires  de  la  Provence 
entière,  saint  Jean  de  Malba. 

Deux  ans  après,  ce  couvent  trinilaire,  le  seul  de 
France,  restitué  à  l'ordre  quarante  ans  auparavant, 
grâce  au  zèle  du  P.  Calixte,  n'était  plus;  une  expul- 
sion imprévue  avait  mis  fin  à  l'existence  si  inoffen- 
sive des  Trinitaires  dans  la  patrie  de  leur  fondateur. 
Ils  trouvèrent  une  patrie  adoplive  et  plus  hospitalière 
à  Vienne,  en  Autriche,  où  l'ordre  avait  eu  un  cou- 
vent deux  siècles  auparavant.  —  Des  religieuses, 
agrégées  à  l'ordre  des  Trinitaires,  vinrent  remplacer 
ceux-ci  à  Faucon  au  mois  de  septembre  1900. 

Plusieurs  siècles  de  dévouement  désintéressé  et 
d'héroïsme  tranquille  méritaient  mieux  qu'une 
fin  si  rapide.  J'espère,  dans  cette  étude  détaillée, 
contribuer  à  faire  connaître,  selon  l'expression  de 
Léon  XIII,  dans  son  bref  du  i4  juillet  1894,  «  une 
congrégation  qui  avait  si  bien  mérité  de  l'Eglise  et 
de  la  société  ». 

Est-ce  à  dire  qu'il  n'y  ait  point  une  seule  ombre  à 
ce  tableau?  Nos  religieux  ne  se  laissèrent-ils  jamais 
emporter  par  la  rancune  plus  qu'il  n'aurait  convenu  ? 
A  première  vue,  plus  d'un  détail  nous  étonnera  dans 
l'histoire  de  tout  ordre  religieux;  à  la  réflexion  seule- 
ment, nous  devenons  moins  sévères  et  nous  sentons 
que  nous  cherchions  chez  nos  héros  une  perfection 
impossible.  Les  religieux  ne  sont  pas  de  purs  esprits, 
comme  les  Nuées  d'Aristophane  qui  pouvaient  vivre 


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AVANT-PROPOS.  III 

de  la  fumée  des  sacrifices.  Certaines  passions  humai- 
nes étant  incompatibles  avec  l'état  monastique,  d'au- 
tres, comme  l'esprit  processif,  ont  tendance  à  se 
donner  libre  carrière.  Pour  les  religieux  qui  sont 
propriétaires  ruraux,  il  y  a  nécessité  absolue  de  se 
faire  payer  leurs  fermages  :  d'où  des  procès.  Plus 
leurs  revenus  leur  sont  nécessaires,  moins  les  reli- 
gieux aiment  à  voir  s'établir  à  côté  d'eux  des  rivaux 
et  des  concurrents  :  d'où  des  factums.  Il  faut  bien  le 
dire,  ces  procès,  ces  pamphlets,  ces  enquêtes,  où  sont 
parfois  révélés  des  faits  étranges,  sont  la  partie  la 
plus  curieuse  des  archives  des  ordres  religieux  en 
général  ;  alors  ils  sont  vraiment  peints  par  eux- 
mêmes  :  à  part  ces  témoignages,  leur  vie  intérieure 
nous  échappe  presque  toujours.  Le  souci,  légitime 
d'ailleurs,  d'accroître  leurs  ressources,  conduisit 
souvent  les  religieux  à  rechercher  minutieusement 
leurs  titres  anciens,  à  les  réunir  méthodiquement  en 
liasses  et  à  en  tirer  des  conclusions;  en  cela,  ils  ont 
fait  vraiment  œuvre  d'archivistes  soigneux.  Mais 
presque  partout,  à  Saint-Martial  de  Limoges,  dont 
notre  confrère,  M.  Charles  de  Lasteyrie,  nous  a  si 
impartialement  retracé  l'histoire,  comme  à  Saint- 
Mathurin  de  Paris,  on  n'eut  en  vue  que  les  docu- 
ments utiles.  Rarement  le  souci  du  document  histo- 
rique apparut.  Nous  sommes  donc  moins  portés  à 
regretter  ces  polémiques  révélatrices  de  bien  des  faits 
qui,  sans  elles,  nous  seraient  restés  inconnus. 
En  considérant  avec   précision  ces  rivalités  avec 


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AVANT-PROPOS. 


l'évêque  diocésain  ou  avec  un  autre  ordre,  nous 
voyons  bien  vite  que  ces  faits  regrettables  ne  sont 
l'œuvre  exclusive  ni  des  Trinitaires,  ni  des  Pères  de 
la  Merci,  pour  ne  citer  que  ceux-ci,  mais  que  chaque 
ordre  en  porte  sa  responsabilité.  Ces  dissensions  ne 
sont  d'ailleurs  nullement  spéciales  à  une  époque  ou 
à  une  nation;  elles  sont  de  tous  les  temps  et  de  tous 
les  pays.  Les  Trinitaires  ne  furent  pas  tous  des 
saints,  mais  quelques-uns  le  furent;  cela  suffit  am- 
plement à  la  gloire  de  leur  ordre. 

Au  terme  d'une  série  d'études  de  plusieurs  an- 
nées, ce  m'est  un  agréable  devoir  de  témoigner 
au  P.  Xavier  de  l'Immaculée-Conception,  un  fils 
de  l'Alsace,  supérieur  du  nouveau  couvent  trinitaire 
de  Vienne,  en  Autriche,  ma  vive  reconnaissance 
pour  le  grand  secours  qu'il  m'a  fourni.  Non  content 
de  me  donner  oralement  de  précieux  renseigne- 
ments, il  a  poussé  la  complaisance  jusqu'à  m'en- 
voyer,  tant  de  Rome  que  de  Vienne,  des  livres  impri- 
més et  des  manuscrits  précieux  que  seuls  des  Trini- 
taires peuvent  posséder.  Le  Général  de  l'ordre  de  la 
Trinité,  le  P.  Grégoire  de  Jésus  et  Marie,  résidant  à 
Saint-Chrysogone,  à  Rome,  a  maintes  fois  aussi 
daigné  encourager  ce  travail. 

Les  archivistes  départementaux  de  France,  les 
archivistes  de  l'Etat  en  Belgique,  en  Luxembourg, 
en  Lorraine,  les  bibliothécaires  de  Rome  et  de 
Vienne,  el  les  Trinitaires  de  San  Carlino,  à  Rome, 


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AVANT-PROPOS. 


ont  mis  tous  leurs  trésors  à  ma  disposition  avec 
autant  de  complaisance  que  de  courtoisie,  me  don- 
nant toutes  les  facilités  de  travail  possible.  Ne  pou- 
vant les  nommer  tous,  je  les  prie  de  recevoir  en  bloc 
l'expression  de  ma  gratitude. 

J'ai  donné  à  ce  travail  le  litre  de  L'Ordre  français 
des  Trinïtaires ,  parce  que  je  ne  l'étudié  qu'en 
France;  les  provinces  étrangères  d'Espagne  et  d'Ita- 
lie n'intervenant  qu'en  tant  qu'elles  ont  eu  des  rela- 
tions avec  celles  de  France,  ou  qu'elles  fournissent 
des  faits  dont  nous  ne  trouvons  pas  les  analogues 
chez  les  Trinilaires  français. 


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BIBLIOGRAPHIE 

DE   L'HISTOIRE  GÉNÉRALE   DE  L'ORDRE'. 


La  Bibliographie  de  l'ordre  des  Trinitaires  a  été  présentée 
d'une  façon  très  méthodique  dans  le  Serapeam,  t.  XXXI 
(1870),  pp.  85,  92  el  suivantes.  L'ordre  analogue  de  ta  Merci 
a  eu  ses  sources  établies  de  la  même  manière.  Cette  biblio- 
graphie est  aussi  complète  que  pouvait  la  faire  son  auteur, 
M.  Gmelin,  qui,  selon  son  propre  aveu,  n'a  pas  poussé  ses 
recherches  en  France  et  en  Italie;  il  s'est  contenté  de  l'Alle- 
magne. Au  moins  a-t-il  eu  la  précaution  d'indiquer  dans 
quelle  bibliothèque  allemande  se  trouvent  les  ouvrages  cités, 
précieux  renseignements  pour  qui  ne  connaît  que  les  biblio- 
thèques de  France.  —  Les  pays  germaniques  n'ayant  eu 
que  tardivement  des  couvents  trinitaires,  les  sources  indi- 
quées par  le  bibliographe  sont,  pour  la  plupart,  des  livres 
imprimés  dans  ces  pays  aux  dix-septième  et  dix-huitième  siè- 
cles, par  conséquent  de  peu  d'importance  pour  l'étude  des 
Trinitaires  de  France,  but  exclusif  de  cet  ouvrage. 

1.  La  Bibliographie  spéciale  de  la  Rédemption  de»  captijs  sera  donnée 
en  lêle  de  cette  partie  de  l'ouvrage. 


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VIII  BIBLIOGRAPHIE. 

Gmelin  n'a  d'ailleurs  point  ignoré  les  ouvrages  écrits  en 
français,  qu'il  a  souvent  empruntés  au  P.  Lelong,  et,  même 
en  ce  qui  concerne  les  historiens  trinitaires  de  notre  pays,  sa 
bibliographie  est  assez  étudiée  pour  qu'il  me  paraisse  enlière- 
menl  inutile  de  donner  une  liste  des  ouvrages,  au  nombre  de 
plusieurs  centaines,  que  j'ai  du  consulter.  Je  me  bornerai, 
dans  ce  chapitre,  à  signaler  en  détail  les  plus  intéressants 
d'entre  eux. 

Malgré  toutes  les  précautions  prises  par  le  bibliographe,  il 
n'a  point  échappé  à  la  tendance  d'enfler  un  peu  sa  liste.  Il  n'a 
cité  certains  noms  d'historiens  trinitaires  que  d'après  d'autres 
auteurs  de  cet  ordre,  sans  avoir  jamais  vu  leurs  ouvrages. 
Cela  est  toujours  imprudent  en  bibliographie,  spécialement 
quand  il  s'agit  des  Trinitaires,  qui  ont  parfois  donné  des 
références  fantaisistes  à  propos  de  faits  qu'ils  ne  pouvaient 
établir  avec  certitude.  Voici,  par  exemple,  un  prétendu  écri- 
vain écossais,  George  Innés.  Après  avoir  reproduit  l'opinion 
que  l'on  prête  à  cet  auteur  sur  la  taille  gigantesque  de 
saint  Jean  de  Matha,  un  bon  juge  en  ces  matières,  le  pape 
Benoît  XIV,  ajoute  :  «  Si  tant  est  que  ce  George  Innés  ail 
jamais  existé,  car  mon  ami,  le  procureur  général  de  l'ordre  de 
la  Merci,  m'a  dit  qu'il  n'existe  nulle  part  de  cet  auteur  ni  ma- 
nuscrit ni  imprimé,  quoiqu'on  le  cite  parfois  en  spécifiant  le 
chapitre.  »  Ce  cas  est  malheureusement  loin  d'être  isolé  dans 
l'historiographie  trinitaire.  Un  bon  historien  de  cet  ordre,  le 
P.  Calvo,  auteur  du  Resumen  de  /os  privilégias,  avoue  qu'il 
emprunte  certains  détails  concernant  le  treizième  siècle  au 
faussaire  Lupian  Zapala,  tout  en  s'excusant  de  les  rapporter; 
de  la  contradiction  peut,  en  effet,  jaillir  la  vérité. 

L'histoire  de  l'ordre  est  donc  difficile  à  écrire,  d'abord 
parce  que  ses  religieux  l'ont  rarement  traitée,  et  que,  quand 


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BIBLIOGRAPHIE.  IX 

ils  l'ont  fait,  ils  ont  reproduit  des  fables  traditionnelles,  aux- 
quelles ils  n'auraient  pu  renoncer  sans  avouer  leur  totale 
ignorance.  Il  n'existe  aucune  grande  Histoire  des  Trinitaires, 
ni  en  français  ni  en  une  autre  langue ,  analogue  à  celle 
qu'ont  publiée  en  1691  leurs  rivaux,  les  Pères  de  la  Merci, 
fondés  aussi  pour  le  rachat  des  captifs.  Celte  similitude  de 
bul  a  causé  des  confusions.  Beaucoup  d'historiens  savent  à 
peine  qu'il  a  existé  et  qu'il  existe  encore  un  ordre  de  la  Tri- 
nité, ou  bien  ils  le  confondent  avec  l'ordre  fondé  par  saint 
Pierre  Nolasque.  Ce  dernier  a  eu  l'honneur  d'un  panégyrique 
prononcé  à  Paris  par  Bossuet,  qui  paraît  ignorer  l'antériorité 
de  saint  Jean  de  Matha.  Il  faut  donc,  pour  écrire  l'histoire 
des  Trinitaires,  recourir  d'abord  à  leurs  archives. 

1,  —  Archives  des  Trinitaires. 

Des  le  quinzième  siècle,  Gaguin,  leur  plus  ancien  chroni- 
queur, avoue  qu'il  n'a  rien  trouvé  sur  certains  grands-minis- 
tres, ses  prédécesseurs.  Deux  siècles  après,  Bonavcnture 
Baron,  Franciscain  et  annaliste  des  Trinitaires,  écrit  :  Sancta 
vetustas  maluit  praestare  magna  et  conscire  sibi  quant  scri- 
bere.  Un  ministre  de  Lyon  écrivait  de  même  au  P.  Ignace 
de  Saint-Antoine  :  «  Je  prie  le  bon  Dieu  qu'il  bénisse  votre 
travail  touchant  les  chroniques  de  l'ordre;  c'est  une  chose 
épouvantable  que  de  voir  la  négligence  de  nos  anciens.  » 

Sur  leur  fondation  même,  les  Trinitaires  ont  commis 
d'étranges  erreurs.  M.  Labande  a  relevé  sur  le  manuscrit 
200,2  de  la  Bibliothèque  d'Avignon  une  mention  attribuant  la 
fondation  de  l'ordre  militaire  à  Honorius  IV,  pape  de  1285 
à  1 287,  au  lieu  de  la  date  réelle  de  1 198.  La  grave  confusion 
s'explique   un   peu  par  ce    fait  qu'Honorius   III,   successeur 


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X  HIRLrOGRÀPHÏE. 

d'Innocent  III,  donna  de  si  grands  privilèges  a  l'ordre  qu'il 
en  fui  regardé"  comme  un  second  fondateur.  Le  récit  en  vers 
d'un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  Nationale  attribue  aussi  à 
un  pape  du  nom  d'Honorius  la  fondation  des  Trinilaires. 

Un  Rédempteur  distingué,  le  P.  Héron,  écrivait  en  1660, 
dans  le  Miroir  de  la  Charité,  que  son  ordre  avait  été  fondé 
en  France  sous  le  règne  de  saint  Louis.  En  réalité,  l'ordre 
existait  depuis  dix-sept  ans  lors  de  la  naissance  de  ce  roi, 
mais  il  en  fut  l'insigne  bienfaiteur. 

Les  Trinilaires  n'avaient  même  pas  la  possibilité  de  bien 
écrire  l'histoire  de  leur  ordre,  tant  ils  manquaient  de  soin 
pour  la  garde  de  leurs  archives.  Faute  d'une  pièce,  plus  d'un 
procès  fut  perdu  par  eux  à  Faucon,  à  Vitry.  Même  pour  la 
confirmation  de  leurs  indulgences,  cependant  si  importante, 
ils  se  trouvèrent  parfois  dans  l'embarras.  Le  général  de  l'or- 
dre, Pierre  Mercier,  recommandait  en  ce  cas  un  expédient  un 
peu  simpliste  (vers  1670)  :  a  Je  vous  ai  déjà  mandé  que,  si 
l'on  vous  parle  de  nos  indulgences,  il  faut  toujours  dire  que 
la  confirmation  en  a  été  obtenue  de  Sa  Sainteté  et  que  l'on 
en  attend  les  bu/les.  " 

Les  archives  n'avaient  de  place  fixe  dans  aucun  couvent.  A 
Cerfroid,  chef  d'ordre,  elles  étaient  dans  un  tiroir,  et  l'on  en 
remplit  cinq  sacs  de  papier,  qui  furent  vendus  en  1790.  —  A 
Mcaux,  Nicole  Navarre,  ministre  de  la  Maison-Dieu,  les  gar- 
dait dans  sa  chambre  et  avec  si  peu  d'ordre  que  ses  religieux 
ne  pouvaient  retrouver  les  noms  de  leurs  fermiers.  —  Le  livre 
des  actes  de  Pontoise  se  trouvait,  en  1737,  dans  la  chambre 
d'un  religieux  absent  qui  en  avait  emporté  la  clef.  —  Une 
supplique  à  l'intendant  de  Provence  dul  être  récrite  avant 
d'être  envoyée,  à  cause  de  pièces  retrouvées  à  l'împroviste.  — 
De  ce  désordre  naît  l'intérêt  de  ces  archives,  encore  peu  clas- 


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BIBLIOGRAPHIE. 


sées  dans  les  différents  dépôts  qui  les  conservent  aujourd'hui. 

Elles  sont,  d'ailleurs,  Fort  incomplètes.  Il  faut  reconnaître 
qu'un  très  grand  nombre  de  couvents,  parmi  lesquels  Cas- 
tres, Toulouse,  Montpellier,  ont  subi  des  dévastations  par 
suite  des  guerres  de  religion.  Tous  les  ordres  religieux  ont 
certes  souffert  de  ces  calamités  et  ont  pu  s'en  relever;  mais 
pour  un  ordre  pauvre  et  peu  doué  pour  l'histoire,  en  France 
du  moins,  de  semblables  catastrophes  étaient  particulièrement 
funestes. 

Ordre  pratique  entre  tous  les  autres,  les  Trînitaires  n'envi- 
sagèrent leurs  archives  qu'au  point  de  vue  utilitaire.  Quel 
plaisir  n'ont-ils  pas  à  prendre  leurs  créanciers  en  défaut  : 
«  Cette  rente  ne  se  paie  plus,  le  chapitre  de  Notre-Dame  l'a 
laissé  prescrire  t  »  Cette  mention  est  au  dos  d'une  pièce  con- 
servée dans  les  Archives  des  Mathurins  de  Paris  (c'est  ainsi 
qu'on  appelait  les  Trînitaires  dans  cette  ville).  Les  titres  de 
propriété  sont,  bien  entendu,  intacts;  mais  les  pièces  d'un 
intérêt  historique  ne  figurent  malheureusement  que  par  leur 
analyse  ou  par  un  extrait. 

La  tentative  d'un  Tri  ni  ta  ire  du  Midi,  dont  il  sera  souvent 
question,  le  P.  Ignace  de  Saint-Antoine,  pour  rassembler  des 
documents  sur  l'histoire  de  l'ordre,  secoua  un  peu  la  torpeur 
des  hommes  du  Nord.  Le  couvent  de  Paris  centralisa  les 
Archives,  ou  du  moins,  les  Cartulaires  et  les  copies  de  pièces 
de  quelques  petites  maisons  du  nord  ou  de  l'ouest  de  la 
France  (Bar-sur-Seine,  Cheiles,  Dinan,  Dinard,  Pontarmé, 
Taillebourg)  ;  ces  documents  forment  deux  cartons  des  Archi- 
ves Nationales.  On  se  demande  d'ailleurs  pourquoi  les  Mathu- 
rins avaient  fait  prendre  ces  copies;  ce  n'était  ni  pour  les 
communiquer  ni  pour  s'en  servir.  Ayant  à  fournir  une  notice 
sur  le  couvent  de  Dinan,  fondé  en  i36o,  Us  disent  simple- 


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XII  BIBLIOGRAPHIE. 

ment  qu'il  date  du  quatorzième  siècle,  sans  regarder  te  titre 
de  fondation  qu'ils  ont  sous  la  main  ! 

Plusieurs  supérieurs  ou  ministres  de  couvent  qui  feuilletè- 
rent leurs  archives  ne  surent  point  en  voir  l'intérêt.  Le  minis- 
tre de  Silvelle  (Seine-et-Marne)  mit  dans  une  liasse  particu- 
lière, comme  pièces  inutiles,  les  écritures  d'un  procès  en  resti- 
tution du  couvent,  qui  avait  été  donné  en  bail  à  un  laïque 
pendant  quelques  années.  Le  ministre  de  Troyes  ayant  confié 
ses  bulles  a  déchiffrer  à  un  notaire,  celui-ci  renonça  à  les 
transcrire  «  parce  qu'elles  n'avaient  rien  d'intéressant  pour  la 
maison  et  qu'elles  portaient  ou  sur  des  indulgences  périmées 
ou  sur  des  droits  qui  nb  pouvaient  plus  exister  ». 

Ce  n'est  qu'au  dix-septième  siècle,  et  dans  le  Midi,  que  l'on 
eut  des  idées  plus  larges.  Les  Trinitaires  Déchaussés,  fondés 
vers  1620  en  France,  décidèrent  que  tous  les  privilèges  obte- 
nus en  cour  de  Rome  par  le  procureur  général  de  la  congré- 
gation seraient  déposés  en  copie  dans  chacun  de  leurs  cou- 
vents et  à  leurs  frais.  Ils  avaient  un  exemple  chez  leurs 
voisins  et  rivaux,  les  Trinitaires  de  Marseille,  qui  avaient  été 
réformés  en  1610.  Leurs  archives,  conservées  à  la  Préfecture 
des  Bouches-du-Rhône ,  forment  un  ensemble  de  cent  vingt 
liasses  et  registres.  Il  y  en  a  autant  pour  les  Trinitaires 
d'Arles,  dont  l'histoire  a  été  successivement  écrite  par  les 
PP.  Guillaume  Commandeur  et  François  Porchier.  L'histoire 
de  tous  les  couvents  trinitaires  du  Midi  peut  s'y  lire  en 
abrégé,  grâce  aux  copies  faites  au  début  du  dix-huitième  siè- 
cle par  un  provincial,  le  P.  Paul  Giraud,  auteur  d'un  Journal 
de  la  peste  de  Marseille  ;  ce  Père  mit  des  analyses  au  dos  de 
la  plupart  des  pièces. 

En  quoi  les  Trinitaires  de  Marseille  excellent  le  plus,  c'est 
à  former  des  dossiers  accablants,  notamment  contre  les  Reli- 


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BIBLIOGRAPHIE. 


gieux  Déchaussés  d'Aix  qui  ont  quitté  l'habit  de  l'ordre  et  ont 
refusé  de  se  soumettre  à  leur  visite.  On  en  vient  .à  regretter 
que  les  Trinitaircs  n'aient  pas  eu  encore  plus  d'occasions  de 
mettre  en  lumière  ce  que  contenaient  les  Archives.  La  polé- 
mique était  si  bien  un  stimulant  qu'il  a  fallu,  pour  leur  faire 
montrer  les  actes  des  chapitres  généraux,  que  leurs  privilèges 
fussent  battus  en  brèche  par  les  provinces  étrangères.  Sans 
cela,  ces  chapitres  auraient  été  perdus  pour  nous. 

Au  premier  rang  des  Cartulaires  se  trouve  celui  de  Tou- 
louse, composé,  en  1692,  par  Grégoire  Revnès,  syndic  et 
organiste  du  couvent  :  c'est  une  histoire  abrégée,  où  sont 
intercalés  les  dispositifs  des  actes  fondamentaux,  et  ou  sont 
discutés  d'intéressants  points  de  droit  canonique.  Elle  a  été 
fort  utilisée  par  les  rédacteurs  de  la  nouvelle  Histoire  de  Lan- 
guedoc. 

Au  nord  de  la  France,  on  peut  citer  le  grand  Cartulaire 
in-folio,  en  trois  volumes  (Archives  Nationales,  LL  i545  à 
i547)>  du  P.  de  Massac,  général  des  Trinitaires  de  1716  à 
1748,  excellent  résumé  de  l'histoire  des  Mathurins  de  Paris, 
qui  gouvernaient  en  réalité  tout  l'ordre.  Il  n'a  fait  que  conti- 
nuer le  Cartulaire  rédigé  à  la  lin  du  quinzième  siècle  par  le 
célèbre  Gaguin.  Massac  avait  eu  la  précaution  de  laisser  des 
feuillets  blancs  pour  que  son  œuvre  fût  continuée  :  elle  ne  le 
fut  pas. 

Plusieurs  livres  d'actes  capitulaires  existent  pour  les  cou- 
vents de  Paris  (depuis  1708  seulement),  de  Pontoise,  de  Mar- 
seille, de  Montpellier,  depuis  le  début  du  dix-septième  siècle. 
L'Inventaire  de  Châlons-sur-Marne  contient  des  analyses  de 
pièces  d'un  intérêt  plus  que  local.  Les  Trinitaires  de  ce  cou- 
vent ont  été  très  laborieux. 

Aux  Cartulaires  doivent  se  joindre  les  Obitaaires.  Le  plus 


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XIV  BIBLIOGRAPHIE. 

connu  est  celui  des  Mathurins  de  Paris,  écrit  par  Gaguin  à  la 
fin  du  quinzième  siècle.  Il  en  existe  encore  pour  les  couvents 
d'Avignon,  de  Châlons,  de  Fontainebleau  (conservé  à  Paris), 
de  Châteaubriant  (conservé  à  Nantes).  Ce  dernier  offre  la 
double  particularité  de  provenir  originairement  d'un  couvent 
situé  près  de  Chelles  et  d'avoir  été  surtout  rédigé  au  seizième 
siècle,  au  temps  des  guerres  de  religion. 

Les  registres  de  visite  sont  les  documents  les  plus  inté- 
ressants pour  connaître  la  situation  réelle  des  couvents  :  le 
visiteur,  n'écrivant  que  pour  lui,  n'a  rien  à  cacher.  Il  n'en 
existe  qu'a  partir  du  seizième  siècle;  encore  n'y  a-t-il  d'abord 
que  des  copies  éparses.  Ils  n'ont  été  tenus  régulièrement  que 
dans  le  Midi,  et  seulement  depuis  le  dix-septième  siècle.  Nous 
avons  cependant,  pour  le  Nord,  l'enquête  du  cardinal  de  La 
Rochefoucauld,  chargé  en  i635  de  réformer  l'ordre  de  la  Tri- 
nité; Il  interrogea  ou  fit  interroger  les  ministres  et  leurs  reli- 
gieux. 

La  Commission  des  Réguliers  de  1767  provoqua  une  en- 
quête analogue,  qui  aboutit  à  la  suppression  ou  du  moins  à 
la  condamnation  de  plusieurs  couvents  trinitaires. 

Mais  il  ne  faut  point  nous  borner  à  notre  pays  pour  étu- 
dier les  Trinitaires.  Les  Archives  de  l'histoire  de  France 
de  MM.  Langlois  et  Slein  ne  faisaient  prévoir  qu'une  partie 
des  richesses  que  renferment  les  Archives  du  royaume,  à 
Bruxelles,  maintenant  plus  accessibles  depuis  la  publication 
de  nombreux  répertoires  de  séries.  Le  plus  important  est  celui 
de  la  Caisse  de  Religion,  qui  hérita  des  biens  des  corpora- 
tions supprimées.  II  ne  faut  point  faire  fi  de  ces  documents 
de  la  fin  du  dix-huitième  siècle,  qui  parfois  même  se  conti- 
nuent pendant  toute  la  période  de  la  Révolution  française. 
Souvent  il  est  question  de  pièces  anciennes,  dont  la  copie  est 


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BIBLIOGRAPHIE,  XV 

rapportée,  à  l'occasion  de  services  religieux  dûs  par  le  cou- 
vent supprimé,  en  vertu  de  sa  charte  de  fondation.  Les  dos- 
siers formés  a  ce  sujet  tant  à  Bruxelles  qu'à  Luxembourg  sont 
des  plus  instructifs. 

Le  fonds  belge  des  Cartulaires  a  subi  un  important  démem- 
brement, au  milieu  de  l'année  1900,  par  une  décentralisation 
an  profit  des  provinces  dont  faisait  partie  le  couvent.  Ainsi, 
le  Gartulaire  de  Lois  est  passé  de  Bruxelles  à  Mons. 

IL  —  Ouvrages  imprimés  composes  par  les  Trinitaires. 

La  plus  usuelle  des  sources  de  l'histoire  trinitaire  est  la 
Chronique  des  Ministres  Généraux,  publiée  dans  Gallia 
Chrîstiana,  au  tome  VIII  (col.  1 734-1 756).  Elle  est  l'œuvre 
de  trois  auteurs  successifs,  Gaguin,  Bourgeois  et  Massac. 

Robert  Gaguin,  vingt-deuxième  ministre  général  de  l'ordre, 
écrivit  en  1492  son  De  mirabili  hu/'us  sacri  ordinis  institu- 
tione,  à  la  demande  d'André  de  Sedano,  minisire  de  Burgos 
et  provincial  de  Castille.  Il  y  joignit  une  liste  des  ministres 
généraux  jusqu'à  1 4?3-  On  ne  sait  où  en  était  conservé  le 
manuscrit.  Jacques  Bourgeois,  provincial  de  Picardie,  écrivit 
une  continuation  dans  le  même  esprit,  s'étendant  de  ityZ  à 
1570.  L'œuvre  de  Claude  de  Massac  est  d'un  genre  tout 
différent. 

Les  deux  premières  parties,  éditées  pour  la  première  fois 
à  Douai  en  i586,  et  ensuite  dans  le  Gallia  Ckristiana  des 
Frères  Sainte-Marthe,  se  distinguent  par  une  naïveté  un  peu 
cherchée,  qui  va  se  rencontrer  chez  presque  tous  les  histo- 
riens trinitaires.  Ainsi  Gaguin  raconte,  sans  le  moindre 
étonnement,  que  le  quinzième  supérieur  de  Tordre,  Thierry 
Valerand,    mourut  mystérieusement  en  Italie,  et  que  trois 


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XVI  BIBLIOGRAPHIE. 

ministres  furent  soupçonnés  de   s'être    partagé   son   argent! 

Comme  son  titre  l'indique,  celte  Chronique  est  un  Cata- 
logue des  ministres  généraux,  d'abord  appelés  grands-minis- 
tres. Pour  la  plupart  d'entre  eux,  nous  n'en  savons  pas  plus 
que  Gagum  n'en  a  dît,  et  c'est  peu.  Il  paraît  d'ailleurs  avoir 
rédigé  ses  notices  avec  une  grande  rapidité.  Ainsi,  dans  la 
grande  bulle  du  18  juin  1209,  au  lieu  de  Porte  Gallice  (Porte 
de  France,  à  Marseille),  il  lit  :  Portugalliae  et  interprèle 
«  domus  Portugalliae,  id  est  Lusilaniae  » .  De  même  la  maison 
de  Castro  Novo  n'est  pas  Newcastle  en  Grande-Bretagne, 
mais  Châteauneuf,  près  Martigues;  Pons  Reginae  n'est  pas 
Puente  la  Reyna,  en  Navarre  (cette  ville  n'était  pas  encore 
fondée  à  celle  époque),  mais  Le  Bourget,  près  Paris. 

Ce  ne  sont  là  que  de  petites  taches,  qui  ne  peuvent  nous 
faire  oublier  la  reconnaissance  due  au  plus  ancien  historien 
des  Trinitaires,  qui  fut  aussi  leur  personnage  le  plus  remar- 
quable. Gaguin  a  raconté  avec  détails  la  grande  crise  que 
traversa  son  ordre  entre  i£i5  et  i4ai.  Il  a  parlé  de  son 
cursus  honorum  jusqu'à  i^-ji  en  des  termes  qui  ont  parfois 
passé  inaperçus,  même  pour  des  historiens  sérieux. 

Jacques  Bourgeois,  continuateur  de  Gaguin,  était  né  en  r5a5. 
A  l'âge  de  vingt  ans,  il  écrivit  un  grand  poème  sur  la  fonda- 
tion de  l'ordre.  Étudiant  en  théologie  à  Paris  en  i55o,  il 
était  présent  aux  travaux  faits  dans  l'église  des  Mathurins, 
au  cours  desquels  fut  exhumé  le  corps  de  Gaguin,  mort  en 
iooi.  Il  demanda  au  général,  Thibaut  Musnier,  la  permis- 
sion de  prendre  la  léte  de  ce  grand  homme,  et  il  l'emporta 
avec  lui  pour  la  bibliothèque  du  couvent  de  Douai.  Promu 
par  Charles-Quint  ministre  du  petit  couvent  de  Covorde.  sur 
la  Lys,  il  brûla  bien  vite  du  désir  d'en  sortir,  car  ce  séjour  à 
la  campagne  étail  pour  lui  plein  de  dangers.  En    i568,  pré- 


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BIBLIOGRAPHIE. 


sent  à  l'élection  du  grand-ministre,  il  s'opposa  au  vote  par 
scrutin  secret  prescrit  par  le  concile  de  Trente.  Bernard  Do- 
minici  ayant  été  néanmoins  élu,  il  se  fit  charger  de  la  rédac- 
tion d'uue  Formule  de  rèformatton  qui  fut  adoptée  par  les 
chapitres  généraux  de  1573  et  de  1576.  Il  y  préconisa  le  vote 
au  scrutin  secret,  et  il  demanda  en  même  temps  la  suppres- 
sion du  convent  de  Cororde,  spirituel  moyen  de  se  faire  don- 
ner de  l'avancement.  Il  le  reçut  enfin,  en  devenant  ministre 
de  Douai  et  provincial  de  Picardie.  Sa  versatilité  s'explique 
par  la  situation  de  sa  province,  divisée  entre  la  France  et 
l'Espagne.  11  traita  à  la  fois  en  vers  latins  et  en  français,  à 
cinquante  ans  de  distance,  la  vie  de  saint  Jean  de  Matha.  Un 
passage  de  sa  chronique  nous  fera  juger  de  sa  prétendue 
candeur.  A  l'entendre,  Nicolas  Musnier  aurait  déplacé  les  Tri- 
nitaires  de  la  Maison-Dieu  de  Meaux  à  cause  de  leurs  fré- 
quentations trop  suivies  avec  les  religieuses.  Les  rédacteurs  de 
GalUa  Ckristiana  ont  justement  relevé  que  nos  religieux 
furent  expulsés  par  arrêt  du  Parlement  de  Paris,  plutôt  pour 
dilapidation  et  négligence  que  pour  mœurs  légères. 

Enfin,  Claude  de  Massac  résuma  la  partie  la  plus  ingrate 
(1570-1716)  de  l'histoire  des  Trinitaires,  caractérisée  par  des. 
conflits  avec  les  religieux  du  midi  de  la  France  et  de  l'étran- 
ger, parfois  soutenus  par  le  pape.  Venant  à  la  fin  de  toutes 
ces  querelles  et  ayant,  non  sans  peine,  ramené  la  paix  dans 
son  ordre,  Massac  nous  donne  de  ces  faits  une  version  de 
juste  milieu.  Il  ne  prend  qu'avec  restrictions  le  parti  des  Tri- 
nitaires du  Nord,  qu'on  appelait  «  les  quatre  Provinces  »  et 
dont  l'intransigeance  était  très  grande.  Mais  il  a  donné  libre 
cours  à  ses  rancunes  en  feignant  d'ignorer  le  nom  du  fon- 
dateur de  la  Congrégation  Déchaussée,  Jean-Baptiste  de  la 
Conception,  et  en  ne  citant  pas  le  cardinal  de  La  Rochefou- 


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XVIII  BIBLIOGRAPHIE. 

cauld ,  qui  humilia  en  i638  le  couvent  des  Malhurins  de 
Paris. 

11  est  regrettable  qu'aucun  Trinitaire  ne  se  soit  rencontré 
pour  continuer  cette  chronique  dans  le  dix-huitième  siècle,  qui 
se  trouve  ainsi  dépourvu  de  sources  narratives  autant  que  le 
dix-septième  en  déborde.  Nous  n'avons  alors  que  les  mentions 
du  Nécrologe  des  Mathurins. 

Les  autres  ouvrages  des  Trinitaires  de  France  ne  sont,  à 
quelques  exceptions  près,  que  des  Recueils  d'indulgences  à 
l'usage  des  confrères  de  la  Rédemption  ;  ces  livrets  utiles  sont 
tes  seuls  que  la  pauvreté  de  l'ordre  lui  permit  de  faire  impri- 
mer. Pour  n'en  citer  que  deux,  les  meilleurs  sont  L'institution 
et  la  fondation  de  VOrdre  par  Barthélémy  de  Puille,  publié 
à  Douai  en  i635,  et  La  sainte  Confrérie  sous  le  Titre  du 
Rédempteur  de  Claude  Ralle,  dont  la  quatrième  édition  fut 
donnée  à  Paris  en  i665. 

Quant  au  plus  notable  historien  des  Trinitaires,  le  P.  Pierre 
Dan,  îl  ne  nous  intéresse  ici  que  par  la  dernière  partie  de 
l'Histoire  de  Barbarie,  consacrée  à  son  ordre,  et  par  son 
Trésor  des  merveilles  de  Fontainebleau,  publié  en  1660,  et 
011  sont  mentionnés  très  souvent  les  religieux  de  la  Trinité, 
chapelains  de  ce  château. 

Il  faut  passer  les  Pyrénées  et  les  Alpes  pour  trouver  d'au- 
tres ouvrages  généraux. 

C'est  à  Lisbonne  que  parut,  en  1624,  YEpitome  geuera- 
lium  redemptionum  captivorum  du  P.  Bernardin  de  Saint- 
Antoine.  L'ouvrage  tient  même  plus  que  ne  promet  son  titre, 
car  le  premier  livre  traite  de  l'institution  de  l'ordre  des  Trini- 
taires et  de  sa  règle,  le  second  de  la  rédemption  des  captifs; 
le  troisième  est  un  véritable  bullaire,  comprenant  :  i°  tout 


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BIBLIOGRAPHIE. 


l'ordre;  a°  l'Espagne;  3"  le  Portugal  jusqu'à  1620.  Dans  ce 
classement,  il  a  interverti  quelques  bulles,  ce  qui  n'ôte  cepen- 
dant rien  au  très  réel  mérite  de  son  ouvrage. 

Désormais,  nous  entrons  dans  la  légende.  En  16H7  parut  à 
Ségovie  la  première  partie  de  la  Chronique  générale  de 
l'Ordre  de  la  Sainte-Trinité,  en  espagnol.  L'auteur  de  cet 
immense  in-folio  est  le  P.  Pedro  Lopez  de  Altuna.  Il  est  le 
porte-parole  des  Trinitaircs  espagnols,  hostiles  à  ceux  de 
France  qui  régissaient  son  ordre  ;  aussi  a-t-il  déparé  son  tra- 
vail par  des  affirmations  tendancieuses.  Il  a  parlé  longuement 
d'un  prétendu  ordre  militaire  de  la  Trinité. 

Il  en  est  de  même  du  Chronicon  Ordinis  S.  Trinitatis  de 
Figueras  Carpi,  religieux  de  Valence,  publié  à  Vérone  en 
i645.  D'après  YArbor  chronologica,  bibliographie  des  auteurs 
trinitaires  sous  forme  de  dictionnaire,  publiée  à  Rome  en 
1894,  Figueras  aurait  exploré  les  archives  trinitaires  d'Es- 
pagne, de  France,  d'Allemagne  (?),  d'Italie  (?),  de  Grande- 
Bretagne  (?),  et  il  aurait  écrit,  du  4  novembre  i633  à  septem- 
bre i634,  quatre  volumes  manuscrits,  dont  il  tira  la  quintes- 
sence. Il  est  plus  probable  qu'il  ne  consulta  que  son  imagi- 
nation et  ses  rancunes. 

Ce  livre  prétend  être  un  abrégé  de  l'histoire  des  Trinitaires 
jusqu'à  l'époque  de  l'auteur;  il  est  ainsi  divisé  :  Bibliographie 
très  étendue,  —  Histoire  de  l'ordre  par  généraux ,  à  chacun 
desquels  est  suspendue  une  grappe  d'illustrations  trinitaires, 
—  Traité  du  rachat  des  captifs,  —  Pièces  justificatives  :  quel- 
ques-unes étaient  insérées  dans  le  texte,  dont  elles  ne  se  dis- 
tinguaient pas  suffisamment,  —  Eclaircissement  sur  l'ordre 
de  la  Merci.  L'ouvrage  a  625  pages. 

L'étendue  seule  de  la  période  embrassée  par  Figueras  eût 
pu  rendre   sa  chronique  précieuse  s'il  avait  eu  de  la  critique 


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XX  BIBLIOGRAPHIE. 

et  de  l'impartialité.  C'est  un  Trinilaire  Chaussé  espagnol, 
comme  Lopez  de  Altuna,  mécontent  de  voir  son  ordre  gou- 
verné par  les  provinces  de  France.  Venu  à  Paris,  il  y  a  été 
bien  reçu;  il  n'en  garde  pas  moins  sa  liberté  d'appréciation; 
il  dédie  son  livre  au  ministre  général  Louis  Petit,  dont  il  juge 
sévèrement  la  conduite  (p.  278).  Il  a  sur  le  cœur  la  condam- 
nation contre  ses  ouvrages  votée  «  d'avance  »  par  le  chapitre 
général  de  i635.  Quoique  les  Trinitaires  Déchaussés  soient 
fondés  depuis  1599,  il  paraît,  lui  aussi,  ignorer  complètement 
leur  existence. 

Figueras  s'est  bien  des  fois  contenté  de  copier  la  Chronique 
des  Ministres  Généraux,  de  Gaguin,  en  y  introduisant  quel- 
ques corrections  tendancieuses,  notamment  l'histoire  de 
l'Ecossais  Pierre  de  Aberdeen,  qui  aurait  gouverné  l'ordre 
de  1347  à  1357.  Il  a  déjà  cette  exagération  que  les  Trinitaires 
de  nos  jours  avouent  être  la  caractéristique  de  leurs  devan- 
ciers. Qu'est-ce  que. ces  cent  quarante  couvents  trinitaires  de 
Palestine  pour  lesquels  il  ne  peut  citer  qu'une  bulle,  adressée 
aux  Trinitaires  hospitaliers,  et  que  le  Bullaire  de  1692  n'a 
même  pas  osé  recueillir?  Qu'est-ce  que  cette  bulle  de  Gré- 
goire XI  ordonnant  de  tenir  le  chapitre  une  fois  en  deçà,  une 
fois  au  delà  des  Alpes,  qui  arrive  si  à  propos  pour  condamner 
les  prétentions  des  Trinitaires  de  France?  Ces  faux  sont  un 
acte  de  polémique  indigne  d'un  historien  sérieux. 

Il  faut  cependant  savoir  gré  à  Figueras  de  n'avoir  rien  dit 
de  la  naissance  royale  de  saint  Félix  de  Valois,  le  second  fon- 
dateur légendaire  des  Trinitaires,  ni  de  Constance  et  de  San- 
che  d'Aragon,  qui  seraient  entrés  au  treizième  siècle  dans 
l'ordre  de  la  Trinité. 

Entre  1666  et  1679  se  sont  déroulées  les  étapes  de  la  canoni- 
sation de  saint  Jean  de  Malha  et  de  saint  Félix  de  Valois. 


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BIBLIOGRAPHIE. 


L'ardeur  des  Trinitaires  ne  connaît  plus  d'obstacle.  A  la  fin 
du  dix-septième  siècle  se  produit  le  seul  mouvement  historique 
sérieux  de  l'ordre  de  la  Sainte-Trinité  ;  il  se  résume  dans  le 
nom  d'un  Trînitaire  provençal,  Ignace  de  Saint-Antoine,  dont 
un  Franciscain,  Bonaventure  Baron,  a  injustement  confisqué 
la  gloire. 

Le  P.  Calixte  a  écrit,  dans  la  préface  de  sa  Vie  de  saint 
Félix  de  Valois  :  «  Le  P.  Bonaventure  Baron  n'est  que  l'édi- 
teur des  Annales  mises  sous  son  nom  ;  le  véritable  auteur  est 
le  P.  Ignace  de  Saint-Antoine.  »  Il  y  a,  en  effet,  entre  l'im- 
primé de  Baron  et  les  manuscrits  du  P.  Ignace,  conservés  à 
Marseille,  des  similitudes  complètes1. 

Bonaventure  Baron,  né  à  Cloyne  en  i6i5,  était  Irlandais 
et  neveu  du  célèbre  chroniqueur  Luc  Wadding,  qui  parle  de 
lui  à  la  page  84  de  ses  Scriptores  ordînts  Minorum.  Il  était 
lecteur  au  collège  franciscain  de  Saint-Isidore  à  Rome.  Son 
portrait  figure  en  tête  des  Annales  du  premier  siècle  de  l'ordre, 
de  la  Trinité,  publiées  en  latin  à  Borne  (i684);  il  y  a  mis 
partout  sa  griffe,  il  ne  manque  pas  de  dire  :  Noster  sera- 
phicus  ordo  S.  Franctsci,  il  cite  lui-même  son  propre  nom, 
par  un  véritable  jeu  de  mots  (à  la  p.  186);  les  censeurs  de 
l'ouvrage  proclament  que  l'auteur  des  Annales  est  a  Reue- 
rendas  admodam  Pater  Bonaventura  Baro,  ex  illuttri  fami- 
lia  infide  Catholîea  Constantin. 

Le  P-  Ignace  de  Saint-Antoine  était  né  en  1 635  à  Se yne  (Bas- 
ses-Alpes). Ministre  des  Trinitaires  Déchaussés  de  Saint-Denis 
de  Rome  et  procureur  de  cette  Congrégation,  il  fit  des  recher- 


i.  Cf.  Carlulairc  d'Avingaoia,  Baron,  p.  i5î;  manuscrit  de  Marseille 
n">  1317,  p-  376.  —  Trinitaires  de  Val/irdolid,  Baron,  p.  an  ;  manuscrit 
n°  1217,  p.  43-44-  —  Trînitaire*  d'Oxford,  Baron,  p.  287;  manuscrit 
n»  iai5,  f»  6  vo. 


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XXII  BIBLIOGRAPHIE. 

ches  très  approfondies,  notamment  chez  les  Franciscains  de 
Saint-Isidore  à  Rome;  certains  livres,  dont  il  copia  des  extraits, 
se  trouvaient  dans  leur  bibliothèque  ;  il  y  rencontra  Bonavcu- 
ture  Baron.  Le  vieux  Franciscain,  dont  l'ordre  avait  plus  de 
ressources  que  celui  des  Trinitaires,  tira  parti  des  matériaux 
réunis  surtout  par  le  jeune  Trinitaire,  et  y  mil  son  nom  seul, 
ce  qui  brouilla  les  deux  collaborateurs.  Baron  ne  nomme 
nulle  part  le  P.  Ignace;  ce  dernier,  parlant  de  l'ouvrage  signé 
par  Baron,  l'appelle  :  le  tome  I"  des  Annales  de  l'ordre. 

Ces  Annales  sont  dédiées  à  Louis  XIV,  peut-être  converti  à 
l'opinion  de  la  naissance  royale  de  saint  Félix  de  Valois.  Pour 
chaque  année,  l'auteur  note  les  fondations  de  couvents,  bulles 
de  pape,  synchronismes,  trop  développés;  certaines  années  ne 
contiennent  rien  sur  les  Trinitaires,  mais  seulement  des 
«  incidences  ».  Les  notices  sur  l'histoire  de  chaque  couvent, 
à  propos  de  sa  fondation,  prolongent  les  Annales  bien  au 
delà  du  premier  siècle  de  l'ordre  et  en  détruisent  l'économie. 

Baron  répète  deux  fois  le  même  document,  coupe  arbitrai- 
rement une  pièce  en  deux,  ignore  la  géographie  de  la  France, 
au  point  de  croire  que  Compendium  est  le  nom  latin  de  Ver- 
berîe  (p.  225),  se  contredit  fréquemment  pour  les  dates  de 
fondation  et  fait  mourir  un  de  ses  personnages  en  ia65  et  en 
1272.  Il  faudrait  cependant  choisir.  Son  style  est  hérissé  de 
mots  grecs.  Malgré  ces  graves  défauts,  nul  n'est  plus  Trini- 
taire que  ce  Franciscain;  déjà  un  de  ses  confrères,  Macedo, 
avait  écrit  la  Vie  de  saint  Jean  de  Matha.  Baron  parait  avoir 
épousé  toutes  les  rancunes  de  son  collaborateur  contre  les 
Trinitaires  du  Nord,  mais  aussi  avoir  gâché,  par  une  publica- 
tion prématurée  et  sans  critique,  la  belle  besogne  qu'avait  pré- 
parée le  P.  Ignace  de  Saint-Antoine. 

Celui-ci  travailla  jusqu'à  la  fin  de  sa  longue  vie.  Ses  nom- 


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BIBLIOGRAPHIE-  XXIII 

breux  correspondants  le  considèrent  comme  l'unique  auteur 
des  Annales;  certains  regrettent  que  le  prix  trop  élevé  de 
celle  publication  ne  leur  permette  pas  d'en  faire  la  dépense 
(lettre  du  i5  juin  1703).  Au  contraire,  les  ministres  de  Bas- 
togne  et  de  Vîanden  demandent  ce  volume  par  l'intermédiaire 
de  leur  confrère  de  Châlons. 

Le  reste  ne  fut  pas  publié,  malgré  tous  les  encouragements 
platoniques  que  reçut  le  P.  Ignace.  A  la  fin  du  mois  de  novem- 
bre 1700,  il  fit  voir  au  procureur  des  Déchaussés  d'Espagne, 
lu  P.  Michel  de  Saint-Joseph,  la  «  continuation  des  Annales  »  ; 
celui-cil  promit  d'en  écrire  à  Home,  à  son  Père  Général,  pour 
contribuer  à  leur  impression1.  Sans  doute  cette  démarche 
n'eut  pas  de  succès,  car,  deux  ans  après,  le  fidèle  P.  André 
Marin,  ministre  de  Châlons,  souhaite  que  le  P.  Ignace  fasse 
imprimer  les  autres  tomes,  «  mais  comme  la  dépense  en  est 
fort  grande,  dit-il,  vous  ne  sauriez  y  subvenir  si  vous  n'êtes 
assisté  de  l'ordre,  ce  qu'on  devrait  faire,  puisque  c'est  un 
ouvrage  qui  fera  honneur  à  tout  VOrdre.  »  (3  octo- 
bre  1707). 

Cette  Continuatio  Annalium,  que  le  P.  Lelong  dit  exister 
en  quatre  volumes  au  couvent  d'Aix,  ne  saurait  être  les  ma- 
nuscrits 1212,  i2i3,  1216,  1217;  l'ouvrage  ne  dut  jamais  être 
rédigé.  Nous  savons  seulement  que  le  P.  Ignace  devait  suivre 
la  méthode  annalistique,  et  qu'il  pensait,  par  exemple,  mettre 
l'histoire  du  couvent  de  Montmorency  à  1601,  date  de  sa 
fondation.  —  Nous  n'avons  donc  que  les  précieuses  notes  du 
P.  Ignace  de  Saint-Antoine,  conservées,  comme  il  a  été-  dit,  à 
la  Bibliothèque  de  Marseille,  qui  est  ainsi  le  vrai  centre  de 
l'hisloriographie  trinitaire.  —  Il  n'en  a  lire  que  le  Necrolo- 

1.  Bibliothèque  de  Marseille,  manuscrit  1217,  p.  569. 


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BIBLIOGRAPHIE. 


ffium  Ulustrium  Religiosorum  ordinîs  SS.  Trtnt'tatis,  publié 
à  Aix  en  1707,  où  les  religieux  sont  rangés  d'après  le  jour  de 
leur  mort.  Ces  biographies  sont  brèves,  mais  précises  et  im- 
partiales, et  permettent  de  contrôler  les  renseignements  don- 
nés par  Massac  sur  le  dix-septième  siècle. 

L'œuvre  inédite  du  P.  Ignace  se  compose  d'Extraits  de 
divers  historiens  et  de  sa  propre  Correspondance.  Il  a 
d'abord  copié  ou  fait  copier  dans  plus  de  cent  vingt  auteurs 
ce  qu'ils  ont  dit  des  Trinitaires.  Beaucoup  de  ces  auteurs  sont 
usuels,  comme  Du  Boulay  et  le  P.  Dan;  d'autres  sont  insi- 
gnifiants. Somme  toute,  il  est  utile  de  voir  réunies  en  quel- 
ques pages  des  mentions  éparses  dans  un  grand  nombre  de 
volumes  aux  exemplaires  rares  ou  aux  tables  insuffisantes. 
Beaucoup  d'extraits  sont  en  espagnol  (manuscrit  iai3),  et 
d'autres  en  italien  (manuscrit  iai4).  Peu  de  couvents  de 
France,  d'Espagne  et  d'Italie  ont  échappé  à  la  vigilance  du 
P.  Ignace;  sur  les  villes  mêmes  où  existaient  ces  couvents,  il 
a  consulté  les  monographies  les  plus  connues;  il  a  même 
relevé  des  détails  curieux,  souvent  à  côté  du  sujet,  comme,  à 
propos  de  Messine,  la  prétendue  lettre  de  la  Vierge  aux  habi- 
tants de  cette  ville. 

Dans  sa  louable  impartialité,  le  P.  Ignace  a  fait  des  em- 
prunts aux  écrivains  de  l'ordre  rival  de  la  Merci,  ce  qui  devient 
une  critique  voilée  de  la  négligence  historique  des  Trinitaires. 
Donc,  quand  il  y  eut  des  conflits  entre  ces  deux  ordres,  le 
savant  érudit  a  exposé  les  arguments  des  deux  parties. 

Le  plus  beau  titre  de  gloire  du  P.  Ignace,  c'est  l'enquête 
personnelle  sur  tous  les  couvents  de  son  ordre.  D'Aïx  et  de 
Marseille,  i!  se  fit  renseigner  par  les  ministres  de  France  et  de 
l'étranger,  auxquels  il  demanda  notamment  leurs  titres  de  fon- 
dation. Quel  que  fût  leur  embarras,  tous  envoyèrent  quelque 


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BIBLIOGRAPHIE.  XXV 

chose,  sauf  les  Mathurins  de  Paris,  peu  commumcatifs  comme 
à  leur  ordinaire;  d'ailleurs  le  P.  Léonard  de  Sainte-Cathe- 
rine de  Sienne,  Augustin  Déchaussé,  écrivait  alors  au  jour  le 
jour  l'histoire  de  ce  couvent.  Les  réponses  des  correspon- 
dants du  P.  Ignace  de  Saint-Antoine,  échelonnées  entre  1672 
et  171 1,  remplissent  le  manuscrit  1216  de  la  Bibliothèque  de 
Marseille,  qui  a  800  pages. 

Le  marquis  de  Galard-Terraube,  envoyant  l'acte  de  fonda- 
tion du  couvent  trinîtaire  par  un  de  ses  ancêtres,  y  joint 
l'érection  de  sa  terre  en  marquisat.  —  Le  P.  Gabriel  Lefèvre1, 
procureur  général  des  esclaves  dans  la  congrégation  réformée, 
envoie,  en  six  pages,  la  liste  des  hommes  illustres  de  l'ordre, 
en  s'accordant  une  page  et  demie  pour  lui-même.  Enfin,  par- 
dessus tous,  le  P.  André  Marin  envoya  infatigablement  tout 
ce  qui  concernait  les  couvents  de  Champagne.  Quelques  cor- 
respondants demandent  en  échange  des  reliques,  des  livres, 
voire  même  des  graines  de  pastèque,  le  moyen  de  bien  dormir 
ou  d'avoir  de  beaux  œillets.  C'était  flatter  par  son  côté  sen- 
sible l'auteur  du  «  Remède  contre  toute  sorte  de  peste3  ». 

Ces  lettres  permettent  de  rectifier  le  P.  Ignace  lui-même; 
ainsi  il  donne  quelque  part  la  liste  traditionnelle  de  dix  cardi- 
naux Trinitaires;  un  de  ses  correspondants  lui  ayant  écrit 
qu'il  n'y  en  a  qu'un,  il  l'admet.  —  II  arrive  à  révoquer  en 
doute  les  œuvres  attribuées  à  saint  Jean  de  Matha,  parce 
qu'elles  ne  sont  mentionnées  par  aucun  auteur  plus  ancien  que 
l'Espagnol  Altuna,  fort  sujet  à  caution,  comme  il  a  été  dit. 

Ne  faudrait-il  pas  chercher  dans  cette  évolution  de  l'esprit 


1.  Il  avait  été  choisi  par  le  chapitre  des  réformés  de  Cerfroid  pour 
recueillir  tout  ce  qu'il  trouverait  sur  l'histoire  de  l'ordre  (Manuscrit  1216, 
p.  208).  On  ne  sait  s'il  s'acquitta  de  ce  travail. 

2.  Bilil.  de  Marseille,  manuscrit  z65  (au  déhut). 


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XXVI  BIBLIOGRAPHIE. 

du  P.  Ignace  la  cause  décisive  de  l'interruption  de  la  publi- 
cation des  Annales  après  le  premier  siècle  de  l'ordre?  L'érudit 
Trinitaîre,  d'abord  persuadé  de  ia  véracité  de  ses  opinions,  les 
laissa  exprimer  par  son  collaborateur,  puis,  voyant  qu'il  s'était 
trompé,  il  aima  mieux  se  taire  que  brûler  publiquement  ce 
qu'il  avait  adoré. 

II. nous  apparaît  comme  un  érudit  consciencieux,  impartial, 
curieux  de  science  (il  nous  décrit,  le  12  mai  1706,  une  éclipse 
de  soleil)  et  par-dessus  tout  épistolier  infatigable,  véritable 
providence  de  tous  ceux  que  l'histoire  des  Trinïtaires  pour- 
rait tenter. 

Pendant  que  le  P.  Ignace  travaillait  en  Provence,  un  autre 
Déchaussé,  Joseph  a  Je.su  Maria,  publiait  à  Madrid,  en  1692, 
un  Bullaire  de  plus  de  600  pages.  Les  textes  sont  soigneu- 
sement collationnés  et  accompagnés  de  précieux  éclaircis- 
sements d'histoire  ou  de  droit  canonique.  Par  malheur,  à 
partir  de  la  fondation  des  Déchaussés,  le  Bullaire  devient  spé- 
cial à  celte  congrégation. 

Passons  sur  l'extravagante  Noticia  de  las  très  Jtorentlssi- 
mas  provinctas...  Inglaterra,  Escocia  y  Hibernia,  publiée 
en  1714»  à  Madrid,  par  Domingo  Lopez.  Figueras  est  encore 
dépassé  1  Malgré  ces  impardonnables  fantaisies,  l'auteur  est 
digne  de  foi  pour  la  seule  période  où  il  a  vécu. 

Le  dix-huitième  siècle  finît  par  une  œuvre  trinitaire  tout  a 
fait  digne  d'intérêt  :  Resamen  de  los  prwileffios  de  la  orden... 
par  le  P.  Silvestre  Calvo,  publiée  à  Pampelune  en  1791.  Si 
l'auteur  nous  expose  toutes  les  idées  traditionnelles  de  l'ordre, 
il  laisse  voir  qu'il  ne  les  partage  pas  aveuglément.  Surtout,  il 
nous  a  donné  l'analyse  de  la  plupart  des  bulles  adressées 
à  l'ordre  eu  général  au  cours  des  dix-septième  et  dix-hui- 
tième siècles. 


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BIBLIOGRAPHIE.  XXVII 

Il  n'a  été  écril  aucune  histoire  générale  de  l'ordre  par  d'au- 
tres que  les  Trinitaires.  Les  chapitres  du  P.  Hélyot  (t.  III, 
pp.  3io-34o)  sont  bons,  quoique  l'auteur  semble  adopter  la 
prétention  de  nos  religieux  à  se  considérer  comme  soumis  à 
la  règle  de  saint  Augustin.  L'abbé  Migne,  dans  son  Diction- 
naire (t.  III,  col.  706-736),  a  ajouté  au  travail  du  P.  Hélyot 
quelques  réflexions  très  vives  sur  la  suppression  de  l'ordre. 

De  tous  les  historiens  locaux,  qui  seront  cités,  s'il  y  a 
lieu,  à  l'occasion  de  chaque  couvent,  il  ne  faut  retenir  ici  que 
Ibm  Toussaint»  Duplessis.  L'historien  de  l'Eglise  de  Meaax 
a  été  trompé  parfois,  «  mais  l'amour  de  la  vérité  l'emporta 
toujours  dans  son  cœur  sur  toute  autre  considération'  u. 
L'Hôtel-Dieu  de  Meaux  et  Cerfroid,  chef-d'ordre  des  Trini- 
taires, fournirent  au  savant  Bénédictin  de  nombreuses  occa- 
sions de  parler  de  nos  religieux  ;  ses  pièces  justificatives  ont 
maintenant,  pour  nous,  la  valeur  d'originaux. 

1.  Lettre  un  chanoine  Thomé,  Bibl.  Nat.,  LK*  336. 


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PREMIERE  PARTIE 


Discipline    intérieure. 


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CHAPITRE  PREMIER. 


Les  sources  de  la  vie  de  saint  Jean  de  Matha. 


Le  peu  que  l'on  sait  avec  certitude  de  la  vie  du  fondateur 
de  l'ordre  des  Trinitaires  tiendrait  en  quelques  lignes.  II  est 
donc  possible  de  rappeler  ce  que  Y  Histoire  de  Languedoc 
dit  de  son  contemporain  et  émule  saint  Pierre  Nolasque, 
fondateur  de  l'ordre  de  la  Merci  :  «  On  n'a  aucune  vie  ori- 
ginale de  ce  saint,  et  tout  ce  qu'on  en  rapporte  n'est  fondé 
que  sur  le  témoignage  de  divers  historiens  de  cet  ordre,  les- 
quels ont  écrit  dans  des  temps  fort  postérieurs.  »  De  même, 
notre  saint  Jean  de  Matha  est  mort  en  iai3,  et  le  premier 
historien  qui  ait  raconté  sa  vie  avec  quelques  détails,  Gaguin, 
a  vécu  prés  de  trois  siècles  plus  tard.  C'est  en  1/(97  que  fut 
imprimée,  dans  le  Compendium  de  Gestis  Francorum,  la 
première  mention  détaillée  de  la  fondation  de  l'ordre  des 
Trinitaires  par  Jean  de  Matha  et  par  Félix,  anachorètes  du 
pays  de  Valois.  Ce  qu'a  écrit  Gaguin  devint  le  type  sur  lequel 
brodèrent  tous  les  historiens  postérieurs.  De  quelques  pages 
à  l'origine,  la  biographie  s'enfla  peu  à  peu,  jusqu'à  devenir  un 
fort  volume,  et  il  serait  opportun  de  la  ramener  à  une  conte- 
nance plus  modeste. 

Jacques  Bourgeois,  pour  ne  parler  encore  que  des  textes 
imprimés,  publia  à  Douai  un  abrégé  français  de  la  Vie  de 


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2  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRIBUTAIRES. 

saint  Jean  de  Malha,  qui  est  remarquable  par  son  étrange 
naïveté  et  surtout  par  la  dissemblance  de  cette  histoire  offi- 
cielle avec  le  conte  original  qu'il  écrivit  pour  lui-même  et  dont 
il  sera  question  plus  tard.  C'est  Gaguin  et  Bourgeois  qu'ont 
suivis  les  Trinitaires  du  nord  de  la  France,  jusque  dans  l'édi- 
tion de  leurs  Statuts  publiés  en  1719,  et  ceux  qui  ont  écrit 
à  Paris,  car  chaque  région  de  l'ordre,  pour  ainsi  dire,  eut 
son  histoire  spéciale  de  saint  Jean  de  Matha.  Ainsi,  le  P.  Cai- 
gnet,  prêtre  de  Fourvière,  auteur  de  la  Sainte  confrérie  sous 
te  titre  dit  Rédempteur,  donne  la  prééminence  au  fondateur 
provençal  de  l'ordre,  comme  il  est  d'ailleurs  de  toute  justice 
de  la  lui  accorder.  «  Ce  n'est  pas  étonnant,  dit  l'annaliste  de 
Meaux,  Janvier,  puisque  Caignet  est  un  auteur  méridional  I  » 
Ce  dernier  attribue  le  plus  d'importance  à  Félix  de  Valois, 
qui  aurait  eu  le  premier  l'idée  de  la  fondation  de  l'ordre 
rédempteur.  Malingre,  dans  ses  Antiquités  de  Paris,  a  émis 
aussi  cette  opinion.  Quelque  idée  que  l'on  ait  du  rôle  de  saint 
Félix  de  Valois,  il  n'en  reste  pas  moins  que  le  fait  le  plus 
probable  de  son  histoire  est  son  séjour  à  Cerfroid,  berceau 
et  centre  de  l'ordre.  Ce  seul  souvenir  fui  cause  de  la  très 
grande  influence  qu'il  exerça  même  après  sa  mort  sur  les 
destinées  trinitaires. 

Au  contraire,  les  auteurs  de  la  version  espagnole,  dont  il 
y  a  lieu  de  s'occuper  maintenant,  ont  donné  la  prééminence  à 
saint  Jean  de  Matha,  non  sans  des  détails  fantaisistes  qui,  à 
juste  raison,  choquèrent  les  Trinitaires  du  Nord.  Quoi  qu'on 
puisse  penser  de  la  négligence  et  de  l'abstention  de  ceux-ci, 
il  faut  au  moins  leur  reconnaître  le  mérite  de  la  franchise  ; 
ils  ont  avoué  leur  ignorance  sur  la  vie  de  leur  illustre  fonda- 
teur. II  est  utile  d'appuyer  sur  la  condamnation  que  les  Fran- 
çais ont  prononcée  de  tout  temps  contre  la  version  espagnole 


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LES    SOURCES    DE    LA    VIE    DE    SAINT   JEAN    DE    MATHA.  i 

de  l'histoire  de  saint  Jean  de  Matha,  a  la  place  de  laquelle 
pourtant  ils  n'avaient  rien  à  mettre.  Après  avoir  détruit  cette 
version,  qui  est  partout  en  vigueur  aujourd'hui,  j'essaierai, 
avec  le  peu  de  documents  inédits  et  les  seuls  textes  certains 
qui  existent,  de  restituer  une  vie  vraiment  française  du  grand 
Saint  rédempteur. 

La  version  espagnole  tient  en  quatre  noms  :  Gil  Gonzalez 
de  Àvila,  Espagnol,  l'auteur  responsable  de  tout  le  mal,  tra- 
duit en  français  par  le  P.  Aioès,  Trinitaire  du  midi  de  la 
France,  en  i634;  —  François  Macedo,  Franciscain  (1660);  — 
Bonaventure  Baron,  Franciscain  (i6S4),  imité  par  Andrada 
{1691),  Jésuite,  et  par  Ignace  Dilloud  (1695),  Trinilaïre  Ré- 
formé ,  c'est-à-dire  d'une  congrégation  hostile  aux  Trini- 
taires  du  nord  de  la  France;  —  enfin  le  P.  Calixle,  qui  a  tout 
résumé  en  1875,  non  sans  ajouter  de  son  chef  quelques 
erreurs  '.  C'était  un  Trinitaire  Déchaussé,  par  suite  ennemi  de 
l'historiographie  trinitaire  française.  On  remarquera  que  les 
deux  derniers  noms  seuls  de  celle  liste  sont  français  d'ori- 
gine. Je  n'ai  point  compris  dans  cette  énumération,  à  dessein, 
la  Vie  de  saint  Jean  de  Matha,  par  l'abbé  Prat,  publiée  en 
i846,  où  il  y  a  beaucoup  plus  de  critique  que  dans  les  autres, 
et  une  fort  utile  collection  de  pièces  justificatives;  la  mé- 
thode de  t'abbé  Prat  est  la  seule  à  suivre. 

D'ailleurs,  pour  simplifier,  je  n'ai  parlé  ici  que  de  la  Vie 
de  saint  Jean  de  Matha  ;  mais  les  auteurs  cités  tout  à  l'heure 
ont  écrit  aussi  la  Vie  de  saint  Félix,  compagnon  de  saint  Jean, 
sur  lequel  on  est  encore  bien  moins  renseigné.  Par  suite, 
les  remarques  relatives  à  la  vie  de  saint  Jean  de  Matha  s'ap- 

1.  Dans  son  excellente  traduction  italienne  du  livre  du  P.  Calixte,  le 
P.  Xavier  de  l'Im maculée-Conception  a  corrigé  bien  des  bévues  de  l'au- 
teur original  {Rome,   i8g/(). 


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4  l'ordre   FRANÇAIS   DES   TRIBUTAIRES. 

pliquenl,  avec  bien  plus  de  rigueur  encore,  à  celle  de  saint 
Félix. 

Donc,  en  i63&,  il  arriva  d'Espagne  des  nouvelles  extraor- 
dinaires, des  cosas  de  Espafia  pourrait-on  dire,  si  le  sujet 
n'était  pas  très  sérieux.  Les  Français  étaient  vraiment  des 
niais  de  n'avoir  rien  su  dire  sur  le  fondateur  des  Trinitaires; 
ils  allaient  bien  voir  que  du  Midi  venait  la  lumière.  Saint  Jean 
de  Matha  n'était  connu  que  par  ses  voyages  de  rédemption 
et  sa  mort  à  Rome.  Voici  ses  autres  titres  à  la  gloire  :  il  avait 
été  ami  d'Innocent  III  à  la  Faculté  de  théologie  de  Paris, 
légat  du  pape,  apôtre  de  Dalmatie  où  un  concile  se  célébra  en 
119g.  Si  cela  l'empêche  d'aller  au  Maroc  en  1199,  eh  bienl  il 
ira  l'année  suivante.  Qu'importe?  On  ne  sait  rien  de  ce  qu'il 
fit  dans  les  dix  dernières  années  de  sa  vie;  la  tradition  la 
plus  croyable  le  fait  rester  à  Rome,  dans  son  hôpital  du  mont 
Célius.  Pourquoi  ne  serait-il  pas  venu  en  Espagne  (n'ou- 
blions pas  que  c'est  un  Espagnol  qui  écrit)?  nous  avons 
alors  cette  foule  de  donations  espagnoles,  dont  sont  émaillés 
Lopez  de  Altuna,  Figue-ras  Carpi  et  Bonaventure  Baron,  C'est 
ainsi  que  fut  remplie,  tant  bien  que  mal  et  plutôt  mal  que 
bien,  la  vie  du  fondateur.  Les  auteurs  espagnols  n'eurent 
garde  de  s'arrêter  en  si  beau  chemin  et  donnèrent  toute  une 
suite  à  l'histoire  trinitaire  espagnole,  plus  pour  déplaire  aux 
Pères  de  la  Merci,  qui  n'avaient  été  fondés  qu'en  1228,  et 
pour  vexer  les  Trinitaires  de  France  que  pour  honorer  vrai- 
ment saint  Jean  de  Matha. 

Mais  ne  parlons  que  de  la  Vie  traduite  en  français  par  le 
P.  François  Aloès  en  i634-  J'ai  dît  que  cette  date  était  capi- 
tale dans  l'historiographie  trinitaire;  en  effet,  dans  le  Nord,  les 
Trinitaires  Réformés,  hostiles  aux  quatre  provinces  ancien- 
nes, entrèrent  cette  année  même  à  Cerfroid.  Depuis  lors,  on 


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SAINT    JEAN    DE    MATIIA,    LE    CERF    ET   |LA    TRINITÉ. 
(BlbUotliiq»  nationale,  BuUmpei  :  PortnlU  Ûtê  Suinta,  séria  Bd  13,  fol.  13.) 


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LES    SOURCES    DE    LA    VIE    DE    SAINT    JEAN    DE    MATHA.  .') 

fit,  dans  les  archives  du  couvent  chef  d'ordre,  des  décou- 
vertes merveilleuses  sur  la  naissance  royale  de  saint  Félix  de 
Valois,  ce  fait  capital  auquel  Gaguin  et  Bourgeois  auraient 
cru,  et  cependant,  tant  ils  étaient  modestes  pour  leur  ordre, 
sans  en  parler,  mais  que  Gil  Gonzalez  d'Avila,  ordinairement 
historiographe  diligent  et  digne  de  foi,  avait  inventé  contre 
toute  vraisemblance.  Comme  cette  confirmation  française  du 
texte  espagnol  arrivait  à  propos! 

Que  firent  donc  les  Trinitaires  de  France?  Ils  n'essayèrent 
pas  d'établir  la  vraie  histoire  de  saint  Jean  de  Matha;  ils 
n'en  croyaient  pas  pouvoir  prouver  plus  que  n'en  avaient  dit 
Gaguîn  et  Bourgeois.  Ils  se  bornèrent  à  repousser  vivement 
les  faussetés  espagnoles.  Ils  y  étaient  bien  forcés,  car,  lors 
des  conflits  qui  se  produisirent  entre  eux  et  les  Pères  de  la 
Merci,  ces  derniers  ne  manquèrent  pas  de  les  chicaner  sur 
certains  totaux  de  captifs  rachetés,  quoique  ces  listes  fussent 
peu  de  chose  en  comparaison  de  celles  qu'on  imagine  aujour- 
d'hui. Aussi  Louis  Petit,  général  des  Trinitaires,  se  crut-il 
obligé  de  déclarer  que  ces  renseignements  venaient  de  l'Espa- 
gnol Gil  Gonzalez  d'Avila  et  que  sa  nation  était  bien  portée 
à  exagérer. 

Le  P.  Aloès  et  Figueras  reçurent  un  démenti  plus  officiel. 
Le  promoteur  de  l'ordre,  vrai  ministère  public,  au  nom  du 
chapitre  général  de  i635,  requit  Hin  blâme  sévère  contre  la 
Vie  traduite  par  le  P.  Aloès,  la  déclarant  pleine  de  faussetés 
el  de  mensonges.  Se  rangeant  à  cet  avis,  le  chapitre  générai 
(où  siégeaient  cependant  des  Trinitaires  Réformés)  décida  de 
supprimer  ce  livre  et  fit  défense  à  tous  les  religieux  de  la  pro- 
vince de  Gaslille,  notamment  à  Jean  Figueras  Carpi,  de  faire 
imprimer  de  livre  sans  la  permission  du  général.  Cette  défense 
resta  malheureusement  lettre  morte  et,  en  face  du  silence  des 


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6  l'ordre  français  des  tributaires. 

Trinîlaires  français,  ceux  de  l'Espagne  accumulèrent  leurs 

erreurs. 

Au  dix-huitième  siècle  d'ailleurs,  Dom  Toussaint  du  Pies- 
sis,  quoique  ayant  consulté  les  archives  sophistiquées  de  Cer- 
froid,  ne  croit  pas  à  la  naissance  royale  de  saint  Félix  de  Va- 
lois, ni  à  la  mission  de  saint  Jean  de  Matha  en  Dalmatie.  Ces 
opinions  furent  toujours  repoussées  par  la  partie  saine  des 
Trinitaires  de  France;  il  est  facile  de  s'en  assurer  en  ouvrant 
l'édition  des  statuts,  donnée  en  1719,  où  il  n'est  fait  mention 
de  Félix  que  comme  d'un  anachorète  et  de  Jean  que  comme 
administrateur  de  l'hôpital  romain  de  Saint-Thomas  au  mont 
Célius.  C'est  donc  là  le  dernier  état  de  la  tradition  française. 

Il  y  a  cependant,  sur  les  fondateurs  de  l'ordre  trinitaire, 
quelques  textes  inédits  restés  inconnus  aux  Bollandîstes.  Très 
sagement,  les  rédacteurs  des  Acta  Sanctorum  ont  remis  à 
l'époque  où  leur  collection  sera  parvenue  au  20  novembre, 
date  de  la  fête  de  saint  Félix  de  Valois,  ia  solution  des  diffi- 
cultés qui  se  rattachent  aux  deux  saints.  Ces  textes  sont  au 
nombre  de  trois  : 

i°  Un  court  récit  en  prose; 

2*  Un  récit  d'environ  cent  vingt  vers,  tous  deux  anonymes 
et  conservés  dans  le  manuscrit  latin  9753  de  la  Bibliothèque 
Nationale  ; 

3°  Un  poème  latin  développé,  d'environ  cinq  cents  vers, 
inséré  dans  le  manuscrit  7725  de  la  Bibliothèque  de  Bruxel- 
les, et  dont  l'auteur  est  Jacques  Bourgeois  (i545). 

Les  deux  premiers  récits  sont  de  la  première  moitié  du 
quinzième  siècle  et  de  ia  main  de  copistes.  Le  récit  en  vers 
porte  un  nom,  mais  le  contexte  nous  donne  à  penser  que 
nous  sommes  en  présence  d'un  pensum  qui  a  pour  auteur  un 


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i    DE    LA    VIE    DE    SAINT   JEAN    DE   HATHA.  7 

religieux  du  couvent  des  Trinitaires  de  Châlons.  Voici  ¥e&- 
plicit  : 

Ainsi  dit  fut  prins  à  Chalon 

Par  frère  Pierres  Muguet 

Frire  de  ceste  maison 

L'an  XL1III  mil  CCCC 

Par  luy  fut  escrîpt  et  mis  seans 

Dieu  lu v  pardoïnt  son  mal  fait  (aie) 

Qui  de  chacun  congrioist  te  fait. 

Comme  c'est  suivi  d'un  Pater,  peccaui,  etc.,  je  crois  qu'il 
n'y  faut  attacher  que  l'importance  qu'on  donne  à  un  devoir 
d'écolier.  11  est  bon  de  remarquer  cependant  que  ce  petit 
poème  latin  est  d'accord  avec  la  tradition  recueillie  par  Ga- 
guin,  une  cinquantaine  d'années  plus  tard,  puisque  ce  chroni- 
queur parait  bien  avoir  écrit  son  récit  en  1493. 

Le  petit  texte  en  prose  qui  n'est  pas  signé  a,  au  contraire, 
une  très  grande  importance,  parce  qu'il  a  directement  inspiré 
le  poème  développé  de  Jacques  Bourgeois,  avec  lequel  il  se 
rencontre  sur  un  point  important,  la  résistance  du  pape  aux 
premières  instances  des  saints  anachorètes.  Le  récit  en  prose 
contient  de  curieux  détails  sur  les  études  de  saint  Jean  de 
Matha,  et  il  parait  devoir  être  notre  source  préférée  pour 
l'histoire  de  celle  vie.  Malheureusement  très  bref,  mais  infini- 
ment raisonnable,  ce  qui  est  un  mérite  bien  rare  pour  une 
Vie  de  Saint,  il  n'a  point  les  gentillesses  qu'y  ajouta  Jac- 
ques Bourgeois,  cet  enfant  terrible,  naïf  à  vingt  ans,  naïf  à 
soixante-quinze. 

On  dira  que  suivre  le  récit  inédit  c'est  contredire  Gaguin 
et  que  Jacques  Bourgeois  a  lui-même,  dans  son  imprimé 
de  1597,  désavoué  les  fantaisies  de  sa  jeunesse.  Il  serait  facile 


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S  T.  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES. 

de  relever  toutes  les  erreurs  de  Gaguin ,  principalement  pour 
l'histoire  du  treizième  siècle.  Ii  ne  serait  pas  difficile,  pour 
Jacques  Bourgeois,  de  signaler  des  contradictions  entre  le 
langage  de  l'homme  privé  et  celui  du  réformateur  de  son 
ordre.  Il  a  écrit  pour  lui  tout  un  poème  tellement  bien  caché 
que  je  ne  l'ai  encore  vu  signalé  nulle  part  :  il  ne  pouvait 
tout  dire  dans  un  livre  destiné  au  public.  Croyons-en  donc 
plutôt  le  manuscrit. 


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La  vie  de  saint  Jean  de  Matha. 


Nous  ne  connaissons  avec  précision  ni  la  date  de  naissance 
du  saint  ni  le  nom  de  ses  parents.  La  date  généralement 
adoptée  est  it6o,  le  il\  juin,  à  cause  de  ta  fête  de  saint  Jean- 
Baptiste;  on  trouve  aussi  la  date  de  ri  54.  Jacques  Bourgeois 
dit  que  Jean  était  vieux  quand  il  arriva  à  Rome  en  i  ig8. 

Le  pape  l'appelle  frater  Joannes  tout  court.  Les  transac- 
tions où  il  paraît  avec  certitude,  son  épitaplie  à  Rome  portent 
aussi  frater  Joannes.  Des  actes  espagnols,  cités  par  Baron, 
portent  Joannes  de  Matha  ou  de  Mataplana,  nom  d'une 
famille  très  connue  en  Catalogne.  La  première  appellation  a 
donné  en  français  Jean  de  Matha,  qui  est  usuel.  Les  biogra- 
phes français  les  plus  anciens  l'appellent  Jean  de  la  Malte.  Ce 
mot  de  «  matte  »  fournit  une  élymologie,  car  il  veut  dire  en 
provençal  «  aspre  montaigne  et  buisson,  vrai  présage  de  la 
solitude  qu'il  devait  suivre  i»  (Bourgeois).  Le  nom  de  Matha  est 
véritablement  provençal,  car  il  est  porté  par  un  chanoine 
d'Embrun,  Guillaume  de  Matha,  qui  parait  dans  un  acte  de 
1327,  signalé  par  l'Inventaire  des  archives  des  Hautes-Alpes 
de  M.  l'abbé  Guillaume. 

Jean  de  Matha  était  certainement  Provençal,  le  récit  en 
prose  l'appelle  Joannes  Provincialis.  Bourgeois  peut  dire  qu'à 


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10  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRIMTAJRES. 

Paris  Jean  de  Matha  est  un  «  étranger»,  car  la  Provence 
appartenait  alors  à  la  maison  d'Aragon.  Si  Albéric  des  Trois- 
Fontaines  appelle  notre  saint  magister  Joannes  de  Francia, 
c'est  à  cause  des  études  de  théologie  qu'il  vint  faire  à  Paris. 

Il  naquit,  dit-on,  à  Faucon.  Sur  ce  nom,  tout  le  monde  est 
d'accord;  seul  Jacques  Bourgeois  le  Tait  naître  par  erreur  à 
Arles,  sans  doute  parce  qu'il  y  fonda  un  de  ses  premiers 
couvents.  En  réalité,  Faucon  a  pour  lui  plutôt  l'absence  d'une 
tradition  contraire  que  des  preuves  formelles.  Mais  où  est 
Faucon  ? 

Citons  pour  mémoire  l'opinion  du  P.  Sainz  de  Baranda 
qui,  à  la  page  453  de  sa  Clave  de  YEspana  sagrada,  a  résumé 
inexactement  les  idées  de  Florez  sur  ce  point,  en  faisant  naître 
Jean  de  Matha  à  Faucon  en  Cerdagne;  il  ne  présente  d'ail- 
leurs ce  fait  que  comme  une  hypothèse. 

En  réalité,  Faucon  est  en  Provence.  Mais  est-ce  le  village 
situé  près  de  La  Motte  du  Caire  (Hautes-Alpes)  ou  le  petit 
bourg  de  la  vallée  de  l'Ubaye  (Basses-Alpes),  non  loin  de  la 
petite  ville  de  Barcelon nette,  fondée  en  i23i  ?  Tout  en  hési- 
tant entre  les  deux,  Bouche,  dans  son  Histoire  de  Provence 
(t.  II,  p.  189),  se  déclare  finalement  pour  le  second,  dont  la 
cause  lui  parait  gagnée,  surtout  depuis  l'établissement  des 
Trinitaires  Déchaussés  à  Faucon  de  Barcelonnetle  «  pour  que 
la  règle  de  saint  Jean  de  Matha  fut  observée  au  lieu  même  où 
son  auteur  avait  pris  naissance  ».  Ce  sont  les  expressions 
mêmes  du  duc  de  Savoie  dans  ses  lettres  patentes  du  3  oc- 
tobre 1661,  favorables  à  la  requête  des  religieux.  La  vallée 
de  l'Ubaye  avait  été  envahie,  en  i388,  par  le  duc  de  Savoie 
Amédée  VIII;  après  bien  des  vicissitudes,  elle  ne  devait  être 
rendue  à  lu  France  qu'en  1713,  nous  donnant  ainsi  nos 
limites  naturelles  de  ce  ci>té.  Cela  ne  nous  empêche  pas  de 


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'.    DE    SAINT   JEAN    DE    MATH  A. 


revendiquer  saint  Jean  de  Matha  comme  un  saint  français, 
puisqu'il  plaça  dans  notre  pays  le  chef-lieu  de  son  ordre. 

D'après  la  tradition,  qu'il  n'y  a  pas  plus  de  raison  de  re- 
jeter que  d'adopter,  les  parents  de  Jean  étaient  Euphême  (ou 
Eugène),  baron  de  Matha,  et  Marthe  (ou  Marte)  de  Fenouil! et, 
celle-ci  d'une  famille  marseillaise.  Le  jeune  homme  vint  sans 
doute  bien  souvent  dans  cette  ville  maritime;  il  put  y  appren- 
dre les  maux  que  les  pirates  sarrasins  faisaient  éprouver  aux 
chrétiens,  il  put  y  voir  les  esclaves  musulmans  que  les  chré- 
tiens capturaient  par  réciprocité.  Il  entendit  parler  notam- 
ment du  grand  sac  de  Toulon  en  1162,  qui  devait  être  suivi 
de  celui  de  1198.  Dès  son  adolescence  sans  doute,  Jean  voua 
sa  vie  à  cette  lâche  extraordinaire  du  rachat  ou,  mieux 
encore,  de  l'échange  entre  les  captifs  des  deux  rives  méditer- 
ranéennes, œuvre  qui  devait  profiter  à  une  ville  aussi  com- 
merçante que  Marseille. 

Mais,  pour  accomplir  une  si  grande  tâche,  il  fallait  deux 
choses  :  appartenir  à  l'Église  et  acquérir  la  science  qui  com- 
munique la  foi.  Paris  devait  donner  l'un  et  l'autre  au  noble 
jeune  homme.  L'Université  de  Paris  commençait  à  devenir  le 
centre  intellectuel  de  l'Europe,  et  la  France  était  le  pays  des 
croisades.  Jean  de  Matha  vint  donc  étudier  la  théologie  à 
Paris.  Sur  les  études  qu'il  aurait  faites  à  Aix,  de  même  que 
sur  son  séjour  à  la  Sainte-Baume,  on  ne  sait  rien  de  po- 
sitif. 

On  devine  l'ardeur  que  le  jeune  homme  apporta  à  ses  étu- 
des, au  point,  dit  le  récit  en  prose,  de  provoquer  la  risée  de 
ses  camarades  moins  studieux,  détail  très  vraisemblable.  Le 
nom  de  son  maître  est  inconnu,  de  même  que  celui  de  ses 
compagnons  d'étude,  au  nombre  desquels  aurait  été  le  futur 
Innocent  III.  Reçu  docteur  en  théologie,  il  professa  quelque 


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I  2  L  ORDRE    FRANÇAIS   DES    TRINITAIRES. 

temps  (sans  doute  il  lut  le  Livre  des  sentences  de  Pierre  Lom- 
bard). Voilà  pourquoi  Albéric  des  Trois-Fontaines,  parlant 
de  Joannes  de  Francia,  l'appelle  magister. 

Lorsque  Jean  fut  ordonné  prêtre,  une  colonne  de  feu  aurait 
paru  sur  sa  Lète.  Sa  première  messe  aurait  été  marquée  par 
un  prodige  non  moins  étonnant,  appelé  la  première  révéla- 
tion de  l'ordre  :  la  vision  d'un  ange  vêtu  de  blanc,  portant  sur 
la  poitrine  une  croix  rouge  et  bleue,  les  mains  croisées  sur 
deux  captifs,  l'un  noir,  l'autre  blanc,  comme  pour  les  échan- 
ger, «  touchant  symbole  de  la  charité  chrétienne,  qui  répartit 
ses  faveurs  entre  tous  ceux  qui  souffrent,  sans  distinction  de 
race  ni  de  religion  '.  » 

Jean  raconta  sa  vision,  ou  plutôt  son  pieux  projet,  à  Mau- 
rice de  Sully  et  à  l'abbé  de  Sainl-Victor,  Robert,  dont  la 
haute  estime  pour  lui  est  attestée  par  la  bulle  de  fondation 
de  l'ordre  :  ceux-ci  l'engagèrent  à  partir  pour  Rome  et  à  s'en 
remettre  à  la  décision  du  pape. 

Par  humilité  et  sans  doute  aussi  par  désir  de  mûrir  davan- 
tage un  si  grand  dessein,  il  alla  dans  une  solitude  illustrée 
cinq  siècles  auparavant  par  saint  Fiacre,  prince  d'Ecosse; 
puis  il  apprit  que  non  loin  de  là,  toujours  dans  le  diocèse  de 
Meaux,  vivait  un  pieux  ermite,  auquel  la  tradition  donne  le 
nom  de  Félix.  H  faut  bien  que  Jean  soit  venu  exprès  dans  ce 
pays,  car  la  région  de  La  Ferté-Milon  n'était  pas  le  chemin 
direct  pour  aller  de  Paris  à  Rome.  Ce  Félix  était  vieux  et 
même  aveugle,  au  dire  de  Jacques  Bourgeois.  Les  deux  ana- 
chorètes vécurent  tous  deux  dans  la  plus  austère  pénitence  et 
réunirent  quelques  compagnons  dans  le  lieu  de  leur  ermitage 
appelé  Cer/redum,  en  français  Cerfroy s  ;  ce  nom  fut  retraduit 

i.  Bonst-Mavkv,  Rtvne  des  Deux-Mondes  du  i5  août  i8cj6. 

a.  Commune  de  Monligny-l'Allier,  cantou  de  Neuilly-Saint-Front  (Aisne). 


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(Blbllothtqua  nmtlonnle.  BiUmpei  :  PortnlU  fles  Suint 


(igUizeciDv  G00gle 


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LA    VIE    DE    SAINT   JEAN    DE    HATHA.  l3 

en  latin  Cerous  Frigidat,  sous  l'influence  d'une  pieuse  lé- 
gende, ce  qui  a  donné  l'orthographe  française  moderne  Cer- 
froid . 

On  a  écrit  bien  des  subtilités  sur  ce  nom  de  Cerfroid  sans 
parvenir  à  lui  trouver  une  étymologie  sortable.  La  Martinière, 
dans  son  Dictionnaire  géographique,  dit  qu'un  cerf  y  serait 
mort  de  froid  !  Le  P.  Calixte  y  voit  un  hypallage  (Cervus 
frigidus  =  Ceruus  refrigeratas),  car,  si  le,  cerf  venait  se  bai- 
gner, c'est  qu'il  n'avait  pas  froid  !  Dans  le  poème  de  Jacques 
Bourgeois,  le  cerf  fait  jaillir  une  source  sous  ses  pieds  ;  dans 
le  livre  de  Macedo  (1660),  le  cerf  apporte  sa  nourriture  à 
saint  Félix  (c'est  sans  doute  une  confusion  avec  le  corbeau 
qui  nourrissait  saint  Meinrad  :  ceruus  a  été  mis  pour  corvus). 

Un  jour,  les  deux  solitaires  auraient  vu  leur  cerf  blanc 
familier  portant,  sur  sa  tête,  la  même  croix  rouge  et  bleue  que 
Jean  de  Matha  aurait  vue  sur  la  poitrine  de  l'Ange.  Cette 
apparition  (qui  est  la  seconde  révélation  de  l'ordre)  aurait 
déterminé  nos  saints  à  presser  leur  voyage  à  Rome.  Telle  est 
la  tradition. 

Plus  près  de  la  vérité  doit  être  le  récit  du  manuscrit  de  la 
Bibliothèque  nationale,  supprimant  ces  trois  années  de"  soli- 
tude, étonnantes  après  tout  de  la  part  de  cet  homme  d'action 
que  paraît  être  le  fondateur  des  Trinitaires.  Jean  de  Matha, 
allant  à  Rome,  passa  par  un  endroit  appelé  Cerfroid,  où 
habitaient  quatre  ermites,  qui  lui  demandèrent  où  il  allait. 
Apprenant  son  dessein,  ils  se  déclarèrent  prêts  à  entrer  dans 
le  nouvel  ordre  dès  qu'il  serait  confirmé.  Leur  chef  devait 
être  ce  Félix,  ermite  du  pays  de  Valois  (anachoreta  Vale- 
siensis),  auquel  ce  nom  a  fait  prêter  une  illustre  origine. 

S'il  m'était  permis  d'aller  plus  loin,  je  dirais  que  ce  pre- 
mier passage  à  Cerfroid  est  tout  à  fait  douteux  et  que  ce  fut 


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l4  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIftES. 

seulement  après  la  donation  de  ce  lieu  illustré  par  une  lé- 
gende que  l'on  songea  à  en  faire  le  séjour  primitif  de  l'un 
des  fondateurs  de  l'ordre, 

Jean  de  Matha  (accompagné  par  Félix  de  Valois,  selon  la 
tradition)  arriva  à  Rome  au  début  de  1 198.  En  fils  respec- 
tueux, il  était  passé  à  Faucon,  où  ses  parents  vivaient  encore. 
J'omets  à  dessein  toute  discussion  inutile  sur  la  date  précise 
de  cette  arrivée  a  Rome.  Il  me  suffit  d'indiquer  brièvement 
pourquoi  ce  ne  peut  être  le  28  janvier  1198  que  l'ordre  fut 
institué  ;  quoique  cette  tradition  se  rencontre  dès  le  quinzième 
siècle,  elle  n'en  est  pas  moins  erronée.  A  cette  date,  Inno- 
cent III,  qui  venait  d'être  élu  pape,  n'était  pas  encore  prêtre 
et  ne  pouvait,  par  conséquent,  célébrer  la  messe1.  L'argu- 
ment principal  des  ïrinitaires,  pour  justifier  cette  date,  a  été 
qu'on  célébrait  toujours  cette  fêle  dans  l'ordre  au  38  janvier, 
ce  qui  est  un  cercle  vicieux.  Avouons  tout  simplement  que 
nous  ignorons  cette  date  précise  :  l'ordre  des  Trinitaires  ne 
perdra  rien  à  être  de  quelques  mois  plus  jeune. 

Jean  de  Matha  et  Félix  (que  le  cerf  suivait  toujours,  rap- 
porte le  poème  de  Jacques  Bourgeois)  furent  introduits  auprès 
du  pape  Innocent  III,  dont  on  connaît  le  zèle  pour  la  croi- 
sade. Le  récit  en  prose  nous  apprend  que  le  pape  aurait  reçu 
très  froidement  nos  saints  et  les  aurait  même  traités  de  vision- 
naires {pi'o  stultis  eos  repataoit).  Jacques  Bourgeois  enchérit 
encore  et  dit  que  les  lettres  de  Paris  apportées  par  Jean 
furent  traitées  de  radotages.  Nos  ermites  partirent  donc  tout 
consternés;  mais,  averti  par  l'ange,  le  pape  les  fit  chercher 
pour  les  rappeler  :  ils  étaient  déjà  à  Florence.  Ils  consen- 
tirent a  revenir.  Enfin  un  nouveau  prodige,  ce  qu'on  appelle 

1 .  On  o  voulu  loul  concilier  en  expliquant  divina  celebrare  par  assister 
à  In  messe.  Les  Trinitaires  ont  repoussé  celle  interprétation  avec  vigueur. 


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LA    VIE    DE    SAINT    JEAN    DE    KATHA.  l5 

la  révélation  de  Latran,  c'est-à-dire  l'apparition  de  l'ange  à 
la  croix  bicolore  pendant  ta  messe  d'Innocent  III,  aurait 
amené  le  pape  à  donner  aux  ermites  le  costume  blanc  de 
l'ange.  Si  l'on  se  rappelle  que  l'élection  d'Innocent  III  est  du 
8  janvier  1198,  on  comprendra  sans  peine  qu'il  Fallut  plus  de 
vingt  jours  pour  l'accomplissement  de  tous  ces  événements. 
Mais  le  pape,  peu  partisan  de  la  multiplication  des  ordres 
religieux,  renvoya  Jean,  après  qu'il  lui  eut  donné  l'habit',  à 
l'évéque  de  Paris  et  à  l'abbé  de  Saint-Victor,  ses  amis  de  lon- 
gue date,  pour  recevoir  d'eux  la  règle  du  nouvel  institut.  Ce 
n'est  jamais  le  pape  qui  compose  la  règle  d'un  ordre  reli- 
gieux :  il  ne  fait  que  la  confirmer.  Innocent  III,  comme  dit 
Albérîc,  ne  fut  que  le  coopéraleur  de  saint  Jean  de  Matha. 
D'accord  avec  le  fondateur,  Eudes  de  Sully  et  Absalon,  abbé 
de  Saint-Victor,  rédigèrent  la  règle ,  peut-être  déjà  ébauchée 
avant  le  premier  voyage  de  Jean  à  Rome.  Celui-ci  revint  la 
même  année,  cette  fois  tout  seul,  la  soumettre  au  pape,  qui 
l'inséra  dans  sa  grande  bulle  du  17  décembre  1198. 

C'est  véritablement  ia  date  à  laquelle  l'ordre  des  Trinitaires 
a  commencé  d'exister.  Elle  se  lit,  d'ailleurs,  sur  l'épitaphe  de 
saint  Jean  de  Matha,  à  Home,  restée  incompréhensible  pour 
tous  les  Trinitaires  jusqu'à  la  fin  du  dix-septième  siècle.  Elle 
porte  que  l'ordre  de  la  Trinité  fui  institué  par  le  Frère  Jean, 
divinement  inspiré  «  le  i5  des  calendes  de  janvier  1197  ».  Les 
Trinitaires  n'en  voulaient  rien  croire,  puisqu'ils  prétendaient 
avoir  été  institués  le  38  janvier,  jour  de  l'octave  de  sainte 
Agnès,  qui  aurait  divisé  ses  biens  en  trois  parties3.  Le  Bul- 
laire  de    1692  rectifie   déjà  la  lecture  de   l'inscription.   Le 

1.  Le  3  février  1198,  selon  la  tradition  triaitaîre. 

1.  C'était  là  un  présage  allégorique  de  l'article  fondamental  de  la  règle 


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10  L ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRB9. 

P.  Anlonin  de  l'Assomption ,  qui  m'a  gracieusement  fait 
envoyer  son  Arbor  Ghronologica,  publié  à  Rome  en  1894, 
raconte  (p.  168)  qu'un  Jésuite  a  rétabli  la  vraie  date  de  la 
fondation  :  AY[/»]  Cal.  Jan.  anno  M0 OLXXXX VI '/[/•>], 
16  des  calendes  de  janvier  1 198,  c'est-à-dire  17  décembre  r  1981, 
date  précise  de  la  bulle.  Si  l'on  observe  qu'Innocent  III  fit 
lui-même  graver  l'épitaphe,  celte  date  ne  paraîtra  point  dou- 
teuse; elle  permet  même  l'existence  de  la  révélation  deLatran, 
à  la  date  du  28  janvier  ou  à  toute  autre. 

Moins  de  trois  mois  après  la  bulle,  partirent  les  premiers 
rédempteurs,  avec  une  lettre  du  pape  pour  le  souverain  de 
Maroc,  le  «  miramolin  »,  datée  du  8  mars  1199.  «  Des  hom- 
mes divinement  inspirés,  dit  le  -pape,  viennent  racheter  les 
chrétiens  captifs  détenus  dans  votre  empire,  soit  à  prix  d'ar- 
gent, soit  par  échange  avec  ceux  de  votre  pays  que  les  chré- 
tiens détiennent.  »  Qui  ne  voit  que  ces  paroles  ont  servi  de 
thème  à  l'attitude  de  l'ange  révélateur?  Le  pape  ne  nomme 
pas  ces  premiers  rédempteurs.  Malgré  la  tradition  trinitaire, 
dont  on  verra  tout  à  l'heure  le  peu  de  fondement,  j'ai  peine 
à  croire  que  Jean  de  Matha  ait  laissé  même  à  ses  plus  chers 
disciples  la  gloire  du  premier  voyage  de  rédemption  ou  que  le 
pape  lui  ah  imposé  un  tel  sacrifice. 

L'ordre  naissant  avait  déjà  reçu,  en  France,  quelques  dona- 
tions et  fait  des  recrues  importantes  à  Paris.  Innocent  III  lui 
donna  à  Rome,  sur  le  Mont  Célius,  le  couvent  de  Saint- 
Thomas  de  Formis,  ainsi  appelé  à  cause  d'un  ancien  aque- 
duc, où  se  voit  encore  la  mosaïque  exécutée  par  les  frères 
Cosmati  au  treizième  siècle  et  représentant  Noire-Seigneur 

1.  Même  conclusion  dans  le  manuscrit  83i3  de  la  Bibliothèque  de 
Bruxelles  :  Dubio  topra  la  révélations  dell'Ordt'ne  delta  S.  Trinitâ 
(p.  8g). 


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LA   VIE    DE    SAINT   JEAN    DE    MATHA.  17 

en  Trinitaire,  entre  deux  captifs,  l'un  noir,  l'autre  blanc.  Cette 
mosaïque  a  été  reproduite  dans  le  grand  recueil  de  M.  de 
Rossi . 

Cette  fondation  fut  considérée  comme  les  prémices  du  nou- 
veau pontificat.  «  Et  haec  propter  mortem  Caetestini  papae 
et  istius  Innocenta  consecrationem'  »,  s'écrie  un  chroniqueur" 
de  Saint-Martin  de  Tours. 

A  part  les  bulles  qui  lui  sont  adressées  et  les  transactions 
d'Arles  et  de  Marseille  (nov.-déc.  iao3)  auxquelles  Jean  de 
Matha  est  présent,  nous  ne  savons  rien  de  plus  sur  lui  après 
la  fondation  de  son  ordre.  Bien  des  actes  espagnols,  cités  par 
Baron  comme  passés  en  sa  présence,  sont  tout  au  moins  in- 
terpolés et  ne  peuvent  faire  foi.  Depuis  longtemps,  les  Trini- 
taires  se  sont  aperçus  qu'ils  ne  savaient  rien  sur  la  vie  de 
saint  Jean  de  Matha.  Ils  ont  plus  ou  moins  bien  rempli  l'in- 
tervalle de  quinze  ans  qui  s'était  écoulé  entre  les  deux  dates 
certaines  de  la  fondation  de  l'ordre  et  de  la  mort  du  fonda- 
teur. S'il  y  avait  quelque  action  qu'on  put  lui  attribuer,  c'était 
la  rédemption  de  captifs  au  Maroc  en  iiqq.  Cependant,  par 
un  sentiment  d'orgueil  mal  entendu,  les  Trinitaires  ont  refusé 
cette  gloire  à  saint  Jean  de  Matha,  se  contentant  de  l'envoyer 
à  Tunis  en  1200.  Pourquoi?  C'est  qu'au  même  moment  ils  le 
députent  en  Dalmatie. 

Il  s'est  tenu,  en  1 199,  un  concile  À  Dioclia,  à  la  demande  du 
roi  Vulcan  {melior  moribus  quant  nomine,  observe  Macedo), 
sous  la  présidence  de  deux  envoyés  du  pape  ainsi  désignés  : 
Joannes  capellanus  et  Simon  subdtaconus.  Ce  Joannes  capel- 
lanus  n'étant  pas  très  connu,  rien  n'empêcha  un  auteur  tri- 
nitaire de  prétendre  que  c'était  saint  Jean  de  Matha.  Comme 

1.  Monumentu  Germaniae  Scriplore»,  t.  XXV],  p.  (4- 


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IO  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    '«UNITAIRES. 

on  le  voit,  le  procédé  est  simple.  Il  est  à  croire,  d'ailleurs, 
que  ce  légat  du  pape  était  Jean  de  Casemario,  futur  cardinal. 
On  n'a  jamais  vu  que  saint  Jean  de  Matha  ait  été  chapelain 
du  pape.  Et  ce  Simon,  sous-diacre,  qui  était-il?  C'était  un 
religieux  de  notre  ordre,  disent  les  Trinitaîres,  car  on  ne 
'concevrait  pas  que  le  pape  ail  donné  à  saint  Jean  un  compa- 
gnon qui  ne  fut  pas  Trinitaire.  Y  a-t-il  au  moins,  dans  ce 
concile,  une  justification  de  la  présence  du  saint  rédempteur? 
Simplement  un  petit  article  qui  défend  de  réduire  les  Latins 
en  servitude. 

Laissant  de  coté  les  légendaires  détails  sur  les  rédemptions 
opérées  par  saint  Jean  de  Matha  à  Tunis  et  à  Valence  (leur 
nombre  et  leur  date  sont  ignorés),  arrivons  à  sa  mort,  qui  eut 
lieu  le  17  décembre  iai3.  Il  fut  enterré  à  Rome  dans  son 
hôpital  de  Saint-Thomas  de  Formis,  où  il  avait  résidé  les 
dernières  années  de  sa  vie,  le  21  décembre  i2i3,  comme  le 
constate  la  célèbre  épitaphe  qui,  soit  dit  sans  ironie,  est  la 
pièce  la  plus  authentique  sur  le  fondateur  des  Trinitaires. 
Comme  nous  le  verrons  dans  la  suite,  saint  Jean  de  Matha 
fut  bien  plus  célèbre  après  sa  mort  que  pendant  sa  vie.  S'il 
ne  chercha  qu'à  s'effacer  lui-même  et  à  accomplir  simplement 
une  belle  œuvre,  on  peut  dire  que  ces  deux  buts  furent  supé- 
rieurement remplis.  L'obscurité  oit  îl  se  confina  ne  doit  pas 
nous  rendre  injustes  pour  sa  mémoire. 

S'il  fut  surtout  célèbre  après  sa  mort,  il  ne  le  devint  ce- 
pendant pas  tout  de  suite.  Honteux  de  voir  que  le  culte  de 
leur  fondateur  s'était  totalement  perdu,  les  Trinitaires  du 
dix-septième  siècle,  par  un  pieux  remords,  imaginèrent  une 
bulle  de  canonisation  du  4  octobre  1263,  qui  ne  se  serait 
d'ailleurs  pas  retrouvée  dans  les  Archives.  Quelque  négligents 
qu'aient  été  les  Trinitaires,  une  pareille  perle  serait  inconce- 


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LA    VIE    DE    SAINT    JEAN    DE    MATHA.  I  Ç| 

vable  de  leur  part.  Cette  bulle  n'a  jamais  existé.  On  peut 
même  penser  que  lorsque,  pour  ta  première  fois,  au  milieu 
du  dix-septième  siècle,  il  s'agit  de  la  canonisation  de  saint 
Jean  de  Matha,  la  cour  de  Rome  ne  se  montra  pas  rigou- 
reuse au  point  de  vue  des-  preuves  du  culte  immémorial.  Ne 
le  soyons  donc  pas  plus  qu'elle  et  n'accordons  pas  moins  d'es- 
time è  saint  Jean  de  Matha  parce  qu'il  n'a  été  canonisé  que 
quatre  siècles  et  demi  après  sa  mort. 


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CHAPITRE  III. 


La  Règle  Trinitaire  et  ses  modifications. 


Quand  je  dis  la  règle,  il  vaudrait  peut-être  mieux  dire  les 
règles,  car  l'oeuvre  de  saint  Jean  de  Matha  ne  subsista  pas 
longtemps  dans  son  intégralité.  Dès  1217,  Honorius  III  y 
introduisit  des  modifications.  En  1263,  elle  fut  h  mitigée  » 
par  Urbain  IV  et  observée  par  l'ordre  tout  entier  dans  ce 
nouvel  état. 

Avec  le  temps,  les  Trinitaires  de  France  étaient  quelque 
peu  dégénérés  de  l'observance  stricte  de  la  règle.  En  1578, 
une  congrégation,  fondée  à  Ponloise,  revint  à  la  minutieuse 
pratique  de  la  règle  de  1  a63  et  se  déclara  Réformée.  Il  con- 
vient de  remarquer  dès  à  présent  qu'il  n'y  a  pas  de  différence 
essentielle  entre  les  Trinitaires  de  France,  dits  Grands  Trini- 
taires, et  les  Réformés. 

En  1599,  des  religieux  espagnols  d'Andalousie,  sous  la  di- 
rection de  Jean-Baptiste  de  la  Conception,  adoptèrent  franche- 
ment la  règle  primitive,  en  y  ajoutant  même  l'austère  habitude 
de  marcher  pieds  nus,  ce  qui  les  fit  appeler  Déchaussés.  Ils  se 
répandirent  dans  le  midi  de  la  France,  l'Italie,  l'Autriche  et 
ta  Pologne,  au  cours  du  dix-septième  siècle. 

L'ordre  Trinitaire  se  trouva  donc  divisé  en  trois  congréga- 
tions, souvent  ennemies,  jusqu'au  chapitre  national  de  Paris, 


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I Bibliothèque  Mrarlne,  mi.  lies,  toi.  I.) 


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LA    RÈGLE    TRINITÀIRE    ET    SES    MODIFICATIONS.  21 

en  1768,  qui  fondit  les  religieux  de  France  en  une  seule, 
qu'on  appela  Chanoines  Réguliers  de  la  Trinité  ;  les  Réformés 
et  les  Déchaussés  de  France  n'existèrent  plus  isolément.  Les 
Chaussés  d'Espagne  et  les  Déchaussés  des  pays  hors  de  France 
continuèrent  d'avoir  un  régime  spécial. 
Il  y  a  donc  cinq  états  de  la  règle  : 

i°  Règle  primitive  de  1198,  donnée  par  saint  Jean  de 
Malha  ; 

20  Règle  mitigée  de  1263; 

3*  Règle  observée  par  les  Réformés  de  la  Provence  et  de  la 
France  du  nord; 

4"  Règle  des  Trinitaires  Déchaussés,  qui  est  la  première, 
corrigée; 

5°  Règle  des  chanoines  réguliers  de  France  (1771). 

La  première  et  la  seconde  édition,  seules  intéressantes  pour 
l'instant,  sont  imprimées  notamment  dans  Bernardin  de  Saint- 
Antoine.  Elles  sont  malaisées  à  comparer,  la  première  étant 
communément  divisée  en  trente-cinq  articles  et  la  seconde  en 
dix  chapitres.  Une  bonne  analyse  de  la  règle  primitive  a  été 
donnée  an  tome  XIII  des  Auteurs  sacrés  de  Dom  Ccillier.  Je 
me  borne  ici  à  la  reprendre  (en  supprimant  les  articles  sans 
intérêt). 

1.  L'ordre  nouveau  sera  consacré  à  la  Sainte-Trinité. 

2.  Le  supérieur  de  chaque  couvent  s'appellera  ministre. 

3.  Tous  ses  revenus  seront  divisés  en  trois  parties  égales  ; 
les  deux  tiers  seront  pour  le  couvent  et  pour  l'exercice  de 
l'hospitalité,  le  dernier  tiers  pour  le  rachat  des  captifs.  Celte 
division  s'opérera  ainsi  à  moins  que  le  bienfaiteur  n'en  dis- 
pose autrement.  Les  églises  seront  simples  (plani  operis)  et 
dédiées  à  la  Trinité. 


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22  L ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES. 

4-  Il  y  aura  trots  clercs  et  trois  laïques  par  couvent,  plus  le 
ministre 
6.  Leurs  vêtements  seront  en  laine  et  blancs. 

8.  Il  y  aura  un  signe  (une  croix)  sur  leur  chape. 

9.  Ils  prendront  peu  de  vin. 

11.  Us  jeûneront,  du  i3  septembre  à  Pâques,  les  lundis, 
mercredis,  vendredis,  samedis. 

12.  Ils  ne  pourront  faire  gras  que  le  dimanche,  de  Pâques 
à  l'Avent,  de  Noël  à  la  Septuagésime,  ainsi  que  les  jours  de 
Noël,  de  l'Epiphanie,  de  l'Ascension,  de  l'Assomption,  de  la 
Chandeleur  et  de  la  Toussaint. 

i3.  Ils  ne  pourront  jamais  manger  de  poisson  qu'en 
voyage.  Lorsqu'ils  partiront  pour  la  rédemption,  ils  ne  pour- 
ront loger  qu'à  leurs  couvents,  s'il  en  existe  dans  la  ville  où 
ils  descendent,  et  tout  au  plus  boire  de  l'eau  dans  les  maisons 
honnêtes. 

i5.  Il  y  aura  dans  chaque  couvent  une  infirmerie. 

16.  Les  hôtes  seront  bien  reçus,  et  cependant  invités  à  se 
contenter  de  l'ordinaire  du  couvent. 

18.  Les  religieux  observeront  le  silence. 

20.  Tous  les  dimanches,  le  ministre  tiendra  le  chapitre 
avec  ses  religieux. 

ai.  Le  chapitre  général  aura  lieu,  tous  les  ans',  à  l'octave 
de  la  Pentecôte. 

a3.  Le  ministre  de  chaque  couvent  sera  élu  parmi  les  prê- 
tres et  par  le  suffrage  de  tous  les  frères. 

a5.  Une  fois  élu,  il  ne  pourra  être  déposé  que  par  le  grand- 
ministre  et  trois  ou  quatre  ministres.  Le  grand-ministre  ne 
pourra  être  déposé  que  par  quatre  ou  cinq  ministres  des 

1 .  La  règle  ne  spécifie  pas  où  le  chapitre  général  devra  se  tenir. 


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LA    RÈGLE    TRINITAIRE    ET    SES    MODIFICATIONS.  a3 

plus  religieux,    choisis  à  cet   effet   par  le   chapitre   général. 

26.  Le  postulant,  avant  d'entrer  dans  l'ordre,  devra  faire 
un  an  de  noviciat  à  ses  frais,  sauf  pour  la  nourriture. 

27.  Il  ne  pourra  être  reçu  avant  l'âge  de  vingt  ans. 

3i.  Le  malade  sera  confessé  le  jour  de  son  entrée  à  l'hô- 
pital. 

33.  Tous  les  soirs,  au  moins  dans  les  hôpitaux,  on  priera 
devant  les  pauvres  pour  l'Église  romaine  et  pour  toute  la 
chrétienté. 

34-  Les  heures  régulières  seront  dites  selon  les  rites  de 
l'abbaye  de  Saint-Victor  de  Paris. 

35.  Les  usages  de  Saint-Victor  seront  aussi  suivis  pour  la  - 
barbe  :  les  frères  lais  seuls  la  laisseront  pousser. 

J'ai  tenu  à  analyser  en  détail  cette  règle,  pour  en  faire  voir 
le  défaut  de  composition,  ainsi  que  les  nombreuses  lacunes, 
dont  quelques-unes  ne  seront  même  jamais  comblées. 

Cette  règle,  dit  Petit-Rade) ,  est  le  seul  titre  de  saint  Jean 
de  Math»  à  figurer  dans  l'Histoire  littéraire.  On  ne  sait,  en 
effet,  quelle  fut  la  part  de  l'évêque  de  Paris  dans  la  rédac- 
tion ;  celle  de  t'abbé  de  Saint-Victor  peut  se  réduire  aux  deux 
derniers  articles.  Le  pape  Innocent  III  ne  fit  probablement 
aucune  correction  a  ce  texte. 

Pourquoi  l'ordre  est-il  placé  sous  le  vocable  de  la  Sainte- 
Trinité  ?  On  n'a  jamais  donné  de  ce  nom  une  explication  satis- 
faisante. En  latin ,  les  religieux  s'appellent  fratres  ordinis 
Sanctae  Trinilatîs,  à  quoi  s'ajoute  et  captiuorum,  ou  mieux 
et  redemptionis  captiuorum,  en  raison  de  leur  but  spécial.  Les 
historiens  français  les  appellent  souvent  Pères  de  la  Rédemp- 
tion, ce  qui  peut  s'appliquer  aussi  à  leurs  rivaux  les  Pères  de 
la  Merci. 

On    trouve  aussi  les  expressions  de   :  fratres  de  Asinis, 


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24  l'ordre   FRANÇAIS    DES   tributaires'. 

ordo  Asinorum',  à  cause  de  leur  moulure  primitive,  —  en 
français  «  frères  aux  ânes  m.  Le  satirique  Rulebeuf  a  dît  à 
leur  sujet  : 

D'asne  ont  fait  roncin  (cheval). 

Le  pape  voulut  peut-être  rappeler  qu'en  Orient  cette  mon- 
ture est  habituelle,  ou  bien  se  conformer  à  l'esprit  d'humi- 
lité dont  est  empreinte  la  règle  primitive. 

Le  couvent  de  Paris  étant  dédié  à  saint  Mathurin,  ses  reli- 
gieux reçurent  le  nom  de  Mathurins,  qui  se  communiqua  à 
tous  les  Trinitaires  du  Nord,  surtout  à  ceux  qui  ne  furent 
jamais  réformés.  Le  peuple  les  appela  Mateliru*. 

Le  supérieur  d'un  couvent  trinitaire  s'appelle  ministre. 
Cette  acception  ne  se  trouve  pas  dans  Du  Gange.  Nos  reli- 
gieux racontent  que  les  rédacteurs  de  la  règle,  ne  sachant 
comment  désigner  le  supérieur,  auraient  quitté  ie  travail  en 
laissant  le  mot  en  blanc3;  à  leur  retour,  le  lendemain,  ils 
lurent  sur  le  papier  :  minister  vocabitur.  Ce  n'est  point  là  une 
explication.  Ce  terme  fait  songer  à  la  suscription  de  certains 
évêques  (faits  ecclesiae  minister  indignas),  de  certains  curés 
(comme  celui  de  Fontenay-lès-Louvres  en  1326)  et  d'abbés 
(minister  abbatie  de  SavigneÀo,  1236).  Le  ministre  est,  étymo- 
logiquement,  celui  qui  sert  les  autres;  cet  a  humble  nom  » 
indique  le  dévouement  que  le  supérieur  doit  montrer  à 
l'égard  de  ses  subordonnés.  Le  mot  ministratus,  en  français 
«  ministre  rie  »,  désigne  parfois  un  couvent  trinitaire. 

A  l'exemple  de  notre  ordre,  les  Frères  Mineurs  ont  donné 


1.  D'AcHEnv,  Spicilegium,  I,  492. 

2.  C'est  l'expression  dont  se  sert  Villon. 

3.  Mime  légende  dans  Jacques  de  Voragine  au  sujet  de  Bèdc  le  Véné- 


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LA   RÈGLE    TRINITAIRE    ET    SES    MODIFICATIONS.  a  5 

le  titre  de  ministre  au  général  et  au  provincial,  mais  le  supé- 
rieur d'un  couvent  s'appelle  gardien. 

Les  religieux  devaient  porter  une  chape,  avec  un  signe  dis- 
tinctif  :  c'était  une  croix.  L'archevêque  d'Arles  parle  en  iao3 
des  Trinitaires  qui  portent  cracem  s'en  habitum  domas.  Sur  sa 
signification,  aucun  doute,  la  croix  étant  le  symbole  par  excel- 
lence de  la  rédemption.  Mais  sa  couleur  et  sa  forme  primi- 
tives sont  toutes  deux  controversées,  la  première  règle  n'en 
ayant  rien  dit. 

La  seconde  règle  seulement  spécifie  que  la  croix  a  le  mon- 
tant rouge  et  la  traverse  bleue.  A-t-elle  élé  toujours  ainsi  ? 
Jacques  de  Vitry,  qui  parle  avec  compétence  des  Trinitaires, 
dit  que  la  croix  est  noire  et  rouge.  L'auteur  du  récit  en  vers 
de  la  Bibliothèque  Nationale  la  dépeint  fauve  et  rouge.  Il  est 
peu  croyable  cependant  que  la  croix  ait  jamais  été  autrement 
que  ronge  et  bleue. 

Nous  sommes  habitués  à  voir  la  croix  pattée  au  frontispice 
des  ouvrages  trinitaires,  maïs  les  plus  anciens  Statuts  ne  par- 
lent point  de- sa  forme.  Ceux  de  i4ag  ordonnent  que  l'extré- 
mité de  chaque  bras  aura  trois  pouces  de  largeur,  le  centre 
n'en  ayant  que  deux.  Ailleurs,  les  proportions  respectives 
sont  du  double  au  simple. 

Cette  croix  pattée  est  elle-même  à  huit  pointes  (1),  comme 
sur  un  livret  d'indulgences  publié  à  Rome  en  1 588,  —  ou 
arrondie  comme  une  croix  de  Malte  (II);  c'est  sa  forme  la 
plus  gracieuse  et  la. plus  ordinaire.  —  Le  sculpteur  de  la  sta- 
tue de  saint  Jean  de  Matha,  au  Panthéon,  a  fait  une  croix 
hybride  (III),  -  appelée  .croix  de  Saint-Benoit  à  Saint-Benotl- 
sur-Loire,  qui  se  rapproche  de  la  croix  droite  adoptée  par  les 
Déchaussés  espagnols  (IV).  C'était,  de  la  part  de  ces  derniers 
religieux  et  des  Réformés  du  midi  de  la  France  qui  les  ont 


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26  L'ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAtRES. 

suivis,  une  simple  et  puérile  manifestation  d'indépendance. 
Comme  les  prolestants  du  seizième  siècle,  ils  la  déguisaient 
sous  un  prétendu  retour  à  la  simplicité  antique.  Le  plus 
curieux,  c'est  que,  sur  ia  mosaïque  de  Saint-Thomas-de-For- 
mis,  comme  le  rapporte  Ftgueras  ',  la  croix  pattée  fut  grattée 
el  remplacée  par  une  croix  droite.  Dans  un  chapitre  embar- 
rassé qui  contraste  avec  sa  franchise  ordinaire,  Jean-Baptiste 
de  la  Conception  a  essayé  de  justifier  cette  prétendue  restitu- 
tion archéologique.  Selon  la  congrégation  a  laquelle  appar- 

+  T  T  T 

i  h  m  iv 


tient  l'historien,  il  applique  aux  fondaleurs  de  l'ordre  la  croix 
de  son  idée.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  le  général  des  Tri- 
nitaires,  Louis  Petit,  au  début  du  dix-septième  siècle,  fit  son 
possible  pour  faire  quitter  aux  Réformés  l'usage  de  la  croix 
droite. 

L'habit  des  Trinitaires  était  blanc.  Avec  la  croix  d'étoffe 
rouge  et  bleue,  cela  fit  les  trois  couleurs  symboliques  de  la 
Trinité  :  le  blanc,  couleur  parfaite,  figurant  le  Père;  le  bleu, 
le  Fils,  à  cause  des  souffrances  de  la  Passion,  et  le  rouge,  le 
Saint-Esprit.  Ces  explications  sont  mises  par  Gaguin  dans  la 
bouche  du  pape  Innocent  III,  qui  n'en  peut  mais.  —  Or,  en 
i56o,  les  Espagnols  reçurent  de  Pie  IV  la  permission  d'avoir 
des  chapes  brunes  ou,  pour  mieux  dire,  de  couleur  buriel  ou 

i.  Chronicon,  p.  6o5. 


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LA    RÈGLE    TRINITAIRE    ET    SES    MODIFICATIONS.  27 

fauve,  ce  qui  détruirait  ce  symbolisme  prétendu.  Il  leur  fut 
cependant  défendu,  le  8  février  1666,  d'user  de  la  chape  noire 
et  du  capuchon  noir  qui  les  rendaient  trop  semblables  aux 
Frères  Prêcheurs1.  Les  Trinitaires  de  France  protestèrent 
vivement  contre  cette  atteinte  donnée  à  la  couleur  du  costume 
de  l'ordre,  car  il  est  peu  de  choses  auxquelles  les  Religieux 
tiennent  plus  qu'à  ces  subtilités,  dont  les  profanes  ne  saisis- 
sent pas  l'importance. 

MODIFICATIONS    DE    LA    RÈGLE    EN    I2I7. 

Dès  le  o  février  1217,  le  pape  Honorius  III  fit  cinq  modifi- 
cations à  la  règle  primitive.  Le  grand  Bullaire3  de  1692  est 
seul  à  les  avoir  relevées. 

i"  Au  lieu  du  consentement  postérieur  à  la  donation  du 
bienfaiteur  pour  la  non-séparation  du  tiers  des  captifs,  il  est 
dit  que,  de  lui-même  et  tout  de  suite,  le  donateur  pourra  tout 
donner  pour  les  usages  de  la  maison,  par  lui  ou  par  un  pro- 
cureur, en  interdisant  de  séparer  le  tiers. 

2*  Il  ne  devait  y  avoir  primitivement  que  trois  clercs,  trois 
laïques  et  le  ministre,  donc  sept  frères  en  tout  par  couvent. 
Désormais  les  religieux,  tant  clercs  que  laïques,  pourront  être 
aussi  nombreux  que  le  service  de  chaque  maison  le  compor- 
tera. 

3°  L'humble  monture  des  ânes  empêchait  des  gens  de  haute  _ 
naissance  d'entrer  dans  l'ordre  des  Trinitaires.  La  défense  de 


1.  La  ressemblance  des  Trinitaires  de  France  avec  les  Frères  Prêcheurs 
était  assez  grande  pour  que  ceux-ci,  après  l'assassinat  de  Henri  III,  n'aient 
eu  qu'a  endosser  le  scapulaire  des  Trinitaires  pour  éviter  In  fureur  des  roya- 
listes {Extrait  rapporté  par  le  P.  Içnace  de  Saint-Antoine). 

1.  Bullaire,  p.  10. 


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a8  l'ordre  français  des  trinitaires. 

monter  à  cheval,  hors  le  cas  de  nécessité  urgente,  est  main- 
tenue, mais  ils  peuvent  acheter  et  louer  des  mules. 

4°  Le  jeûne  est  adouci  entre  Pâques  et  la  Toussaint.  Les 
malades  et  les  voyageurs  peuvent  faire  gras.  Originairement, 
ils  ne  pouvaient  en  cours  de  route  acheter  que  du  vin  et  du 
poisson  ;  maintenant,  si  quelque  chose  leur  est  donné,  ils  peu- 
vent tout  accepter. 

5°  Le  ministre,  au  lieu  d'être  un  clerc  apte  à  recevoir  les 
ordres,  doit  déjà  avoir  fait  profession. 

Quant  aux  suppressions  de  l'article  du  Dépôt  cl  de  l'Exhor- 
tation aux  domestiques1,  cela  peut  n'être  qu'une  inadvertance 
du  scribe  de  1217,  qui  sera  d'ailleurs  répétée  en  1263. 

L'atténuation  ne  s'arrête  point  dés  lors.  Le  i5  septem- 
bre 1220,  dans  une  bulle  spéciale,  Honorius  111  permit  aux 
Trinitaires  de  monter  à  mulet  en  cas  de  nécessité;  Alexan- 
dre IV,  le  6  mars  1256,  autorisa  les  ministres,  en  tournée  de 
visite  ou  en  voyage  de  rédemption,  à  monter  à  cheval  s'ils  ne 
trouvaient  pas  de  mulet. 

Ainsi  plusieurs  modifications  importantes  se  trouvaient  réa- 
lisées dés  avant  la  publication  de  la  seconde  régie,  qui  ne  fait 
guère  que  consacrer  des  dérogations  apportées  à  la  première. 

Le  11  décembre  1262,  Urbain  IV  chargea  Renaud,  évêque 
de  Paris,  Robert,  abbé  de  Saint-Victor,  et  Thibaut,  abbé 
de  Sainte  Geneviève  (ce  personnage  apparaît  pour  la  pre- 
mière fois  lors  de  la  rédaction  de  la  seconde  règle),  de  reviser 
avec  attention  la  règle  primitive.  Les  rédacteurs  consacrèrent 
les  modifications  acquises  et  ajoutèrent  quelques  articles,  né- 
cessaires à  la  clarté  ou  mieux  en  rapport  avec  le  grand  déve- 

1.  Ces  articles  sont  si  insignifiants  que  je  n'en  ai  rien  dit  dans  l'analyse 
de  la  règle. 


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LA    SAINTE-TRINITÉ,    pur   Kibera. 

(Jîi.bsc  Un  Frvle,  i  Uwlrld.) 


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LA    RÈGLE  TRINITAIRE    Et    SES    MODIFICATIONS.  29 

Ioppement  pris  par  l'ordre  des  Trinitaires  par  suite  de  la  pro- 
tection de  saint  Louis  (mai  ia63).  Le  pape  Clément  IV 
confirma  cette  règle  le  7  décembre  1267. 

Les  chevaux  sont  permis  en  tous  temps  à  tous  les  Trini- 
taires, pourvu  qu'ils  ne  soient  pas  trop  grands  (dum  non  ■ 
nimis  notabites  existant).  Plus  généreux  encore,  les  Statuts 
de  1429  devaient  en  accorder  deux  à  chaque  religieux.  Par 
esprit  de  mortification,  les  Déchaussés  espagnols  reviendront 
aux  ânes  en  1600. 

Quand  le  donateur  d'un  hôpital1  l'exigera,  comme  l'avaient 
fait  Thibaut  de  Champagne  à  Troyes  et  le  comte  Henri  à 
Vianden  (Luxembourg) ,  il  n'y  aura  pas  de  prélèvement  du 
tiers  des  captifs. 

Les  Trinitaires  attachés  à  la  cour  d'un  évêque,  d'un  roi  ou 
d'un  seigneur  seront  dispensés,  lorsqu'ils  arriveront  dans 
une  ville  où  leur  ordre  a  un  couvent,  de  passer  la  nuit  chez 
leurs  confrères,  et  pourront  même  n'être  pas  tenus  à  dire 
leurs  heures  régulières. 

La  viande,  même  achetée  (ils  n'en  pouvaient  primitivement 
manger  que  si  on  la  leur  donnait),"  esl  permise  en  voyage, 
mais  l'abstinence  au  réfectoire  est  maintenue. 

D'aulres  articles  spécifient  la  couleur  de  la  croix,  les  pou- 
voirs du  vicaire  général,  des  correcteurs  el  définiteurs,  du 
visiteur  provincial.  Néanmoins,  il  n'est  point  dit  qui  élit  le 
grand-ministre. 

Quand  les  religieux  recevront  une  église  dont  le  nom  était 
consacré  (comme  celui  de  saint  Malhurin,  à  Paris),  ils  ne 
changeront  point  ce  vocable;  les  seules  églises  qu'ils  bâtiront 
eux-mêmes  seront  dédiées  à  la  Trinité. 

1.  11  n'était  d'abord  question  de  non- sépara  lion  que  pour  le  don  d'une  rente. 


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3u  l'ordre  français  des  tributaires. 

Si  une  maison  tombe  eu  ruines,  on  pourra  momentanément 
consacrer  tous  ses  biens  à  sa  réédification. 

Enfin,  le  chapitre  général,  qui  se  tenait  primitivement  le 
dimanche  après  la  Pentecôte  (dimanche  de  la  Trinité),  se  tien- 
dra désormais  le  quatrième  dimanche  après  Pâques  (dit  de 
Cantate),  à  la  même  date  que  celui  de  saint  Victor.  Cepen- 
dant, la  récitation  de  l'office  a  la  manière  viclorine  est  adoucie 
parce  que  les  religieux  ne  peuvent  faire  autant  de  pauses  dans 
le  chant  à  cause  de  leur  petit  nombre.  Telles  sont  les  princi- 
pales innovations  de  la  règle  modifiée1. 

i.  La  barbe  des  Frères  devra  être  semblable  à  celle  des  couvera  Tem- 


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CHAPITRE  IV. 


Statuts  et  constitutions  des  Trinitaires'. 


Pour  détaillée  que  fût  la  règle  de  ia63,  elle  était  loin 
d'avoir  prévu  toutes  les  difficultés  qui  pouvaient  se  présenter 
dans  le  gouvernement  d'un  ordre  religieux.  Elle  était  même 
à  ce  point  insuffisante  que  les  Trinitaires  y  ont,  sans  doute 
de  bonne  foi,  cru  lire  des  articles  qui  ne  s'y  trouvent  point 
en  réalité;  ainsi,  pour  donner  plus  d'autorité  à  certaines  de 
leurs  constitutions,  notamment  a  celles  qui  étaient  relatives  au 
chapitre  provincial,  ils  prétendirent  les  avoir  extraites  de  la 
règle  mitigée,  où  il  n'est  cependant  pas  question  du  chapitre 
provincial.  Il  suffit  de  supposer  qu'ils  négligèrent  de  se  repor- 
ter à  ce  texte. 

Souvent,  les  grands-ministres  promulguèrent,  dans  un  cha- 
pitre général  ou  dans  un  chapitre  provincial,  des  règlements 
obligatoires,  soit  pour  tous  les  religieux  de  l'ordre,  soit  pour 
ceux  d'une  seule  province.  Ces  Statuts  sont  aussi  nombreux 
et  peu  connus  que  la  règle  est  brève  et  répandue;  plus  de  la 
moitié  sont  en  effet  inédits.  En  voici  rénumération  : 

■°  Statuts  sans  date,  placés  dans  le  manuscrit  9  7-53  de  la 

i.  Ce  chapitre  est  un  simple  relevé  chronologique  des  Statuts  les  plus 
importants  qui  ont  régi  l'ordre  des  Trinitaires.  Il  n'y  faut  donc  point  cher- 
cher une  analyse  détaillée,  qui  viendra  selon  l'ordre  des  matières. 


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32  l'ordre  français  des  trinitaires. 

Bibliothèque  nationale  à  la  suite  de  la  règle  mitigée1.  Il  y  est 
question  de  i'us<tge  des  chevaux,  des  Trinitaires  aumôniers  de 
rois  et  de  princes,  des  pèlerinages  en  Terre-Sainte,  ce  qui 
ne  peut  se  rapporter  qu'au  treizième  siècle.  Ils  portent  une 
marque  de  raideur  qui  convient  encore  aux  temps  héroïques, 
à  «  l'ancienne  rigueur  »  de  l'ordre,  sans  être  cependant  les 
premiers  de  tous  ;  ils  font  en  effet  allusion  à  «  d'antiques 
coutumes  »,  celles  de  saint  Jean  de  Matha  sans  doute,  sur 
lesquelles  il  a  été  fait  bien  des  conjectures,  mais  dont  il  ne 
nous  est  rien  parvenu.  Comme  aucune  rubrique  ne  sépare  ces 
Statuts  de  la  règle  modifiée  en  t  a63  par  l'évéque  de  Paris,  les 
abbés  de  Saint-Victor  et  de  Sainte-Geneviève,  on  ne  se  trom- 
perait sans  doute  pas  en  les  considérant  comme  des  additions 
à  la  règle  dues  aux  correcteurs  de  celle-ci. 

3°  Statuts  de  i3iq,  dressés  en  chapitre  général,  à  Cep- 
froid*,  sous  la  présidence  du  grand-ministre  Bertaud,  omis 
par  Gaguin  dans  sa  liste,  et  qui  prend  place  par  cette  rédac- 
tion parmi  les  supérieurs  réformateurs  de  l'ordre  des  Trini- 
nitaires.  Beaucoup  de  pénalités  sont  édictées  contré  les  mi- 
nistres absents  du  chapitre  général  sans  excuse  valable,  mais 
déjà  la  sévérité  décroît  pour  les  autres  délits. 

3°  Statuts  de  1429,  publiés  en  chapitre  général  à  Cerfroid 
par  le  grand-ministre  Jean  de  Troyes.  Leurs  prescriptions  sont 
utiles  pour  l'époque,  dit  Gaguin,  qui  ne  paraît  pas  en  faire 
grand  cas;  ils  ont  eu  cependant  les  honneurs  de  l'impres- 
sion en  i586.  Les  articles  les  plus  notables  sont  relatifs  aux 
apostats,  aux  conspirateurs  et  aux  appels  en  cour  de  Rome. 

Dans    le   courant  du    quinzième  siècle,  Jean   de   Burgos, 


.  Pièce  q°  38. 

.  Même  manuscrit,  folio 


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STATUTS    ET    CONSTITUTIONS    DES   TH  INI  TA.»  ES.  33 

ministre  de  Séville,  en  fit  faire  une  copie,  avec  beaucoup  d'ad- 
ditions, pour  les  provinces  d'Espagne. 

4"  Statuts  de  Robert  Gaguin  (a5  août  i477-3o  août  i497) 
relatifs  à  l'Espagne  ;  mais  comme  le  conjecture  avec  vrai- 
semblance M.  de  Vaissière  dans  son  ouvrage  sur  Gaguin, 
certaines  de  ces  prescriptions  devaient  concerner  l'ordre  tout 
entier  :  elles  furent  en  effet  pratiquement  appliquées,  dans 
la  suite,  à  plus  d'une  province  de  l'ordre. 

5°  Statuts  de  1576,  dont  le  titre  est  un  peu  long  :  «  For- 
mata Heformationts  ad  prescrîptum  régule...  extrada  ex 
variis  sacrorum  conciliorum  decretis  et  sanctorum  Patrum.  » 
L'auteur,  Jacques  Bourgeois,  a  fait  sous  ce  titre  un  commen- 
taire précis  de  la  règle  mitigée  ;  on  s'en  était  déjà  écarté  sur 
plus  d'un  point,  comme  l'annalité  du  chapitre  général;  le  ré- 
formateur voudrait  voir  la  règle  intégralement  observée  selon 
les  prescriptions  du  Concile  de  Trente.  On  y  remarque  l'intro- 
duction de  l'usage  du  scrutin  secret  et  une  grande  place 
donnée  à  l'instruction  des  religieux.  Une  Université  venait 
en  effet  d'être  fondée  à  Douai.  C'est  dans  cette  même  ville 
que  la  «  Formule  »,  acceptée  par  le  chapitre  général  de  1676, 
fut  imprimée  en  i586,  chez  Simon  Bogard,  venu  de  Louvain 
pour  être  libraire  de  l'Université.  Les  Statuts  de  Jean  de 
Troyes  précèdent  ceux  de  Jacques  Bourgeois,  auquel  il  faut 
rapporter  l'honneur  de  la  rédaction,  et  non  à  Bernard  de 
Metz,  ou  Bernard  Dominici,  général  de  l'ordre,  qui  présida 
simplement  le  chapitre. 

On  peut  considérer  ces  Statuts  comme  ayant  fait  loi  pen- 
dant deux  siècles  pour  le  nord  de  la  France,  c'est-à-dire  pour 
les  quatre  provinces  :  Ile-de-France,  Champagne,  Picardie, 
Normandie. 

Les  religieux  de  Provence  qui  se  piquèrent  de  se  réformer 


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34  l'ordre  FRANÇAIS  des  trikitaires. 

au  dix-septième  siècle  y  introduisirent  quelques  aggravations, 

également  acceptées  par  les  Réformés  de  l' Ile-de-France  '. 

Les  religieux  de  Languedoc,  qui  formaient  la  sixième 
province  française,  et  avaient  été  agités  par  des  velléités  de 
réforme,  reçurent  en  1660  une  certaine  autonomie  du  général 
de  l'ordre,  Pierre  Mercier. 

6e  En  i65i  ,  le  chapitre  général  décida  de  réunir  les 
anciens  Statuts.  On  peut  s'étonner  de  ne  rencontrer  aucune 
trace  de  constitutions  imprimées  en  1661  et  en  1684,  au  dire 
de  Claude  de  Massac.  Ce  devaient  être  des  Statuts  épars  au 
milieu  des  comptes  rendus  des  chapitres  généraux.  Le  cha- 
pitre de  1696  renouvela  les  prescriptions  de  celui  de  (65i. 
Enfin,  un  arrêt  du  Conseil  d'Etat,  le  Roi  y  étant,  le  a4  sep- 
tembre 1711,  provoqua  la  revision  des  Statuts  des  Trinitai- 
res;  comme  ils  ne  furent  point  trouvés  en  règle,  un  nouvel 
arrêt,  le  3  mai  1713,  ordonna  la  refonte  des  Statuts  concer- 
nant les  provinces,  anciennes,  avec  le  concours  de  deux  délé- 
gués de  chaque  province.  Cette  fois,  il  fallut  bien  s'exécuter. 
Claude  de  Massac,  vicaire  général,  puis  général  de  l'ordre, 
consulta  tous  les  supérieurs  (18  juillet  1 7 1 2  )  et  fit  examiner 
les  nouveaux  statuts  dans  les  chapitres  provinciaux  de  1717 
et  de  1718  qu'il  présida  lui-même.  De  là  provient  l'édition 
donnée  en  17191,  à  Douai,  comme  celle  de  t586.  C'est  la 
sixième  modification  de  ces  Statuts.  La  partie  la  plus  cu- 
rieuse de  ce  recueil  est  l'analyse  de  nombreuses  décisions  de 
divers  chapitres  généraux,  dont  nous  ne  possédons  point  les 
actes  originaux. 

7°  Les  Trinitaires  de  France  ayant  été,  à  l'époque  de  la 

1.  Bïbl.  tint.,  H  17769,  feuille  intercalaire. 

a.  Coté  Ld  **  ig  à  la  Bibliothèque  nationale.  La  réception  solennelle  des 
Statuts  eut  lieu  le  ao  juin  1719. 


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STATUTS    ET    CONSTITUTIONS    DES    TRINITAIRES.  35 

Commission  des  Réguliers,  déclarés  chanoines  réguliers,  re- 
çurent en  ryyi  de  nouvelles  Constitutions  applicables  à  la 
France  entière,  mais  à  la  France  seule. 

En  effet,  les  Trinitaires  espagnols,  quoique  vivant  sous  le 
même  général  que  les  français,  n'observaient  pas  les  mêmes 
constitutions.  Pour  être  complets,  même  dans  cette  énumé- 
ration  forcément  brève,  il  faut  citer,  pour  mémoire,  le  Re- 
formatorîum  provinciae  Aragoniae  (i563),  dû  à  un  ministre 
de  cette  province,  Michel  Borrel  ;  les  Constitutions  revisées  en 
1601  à  Saint-Mathurin  par  François  Petit  ',  et  surtout  les 
Constitutions  dites  d'Alexandre  VII,  faites  en  i65y,  à  Rome, 
dans  un  chapitre  général  auquel  les  Trinitaires  de  France  ne 
se  trouvèrent  pas2.  Après  une  longue  résistance  de  la  part 
des  quatre  provinces,  une  faible  partie  de  ces  Constitutions 
fut  imposée  à  la  France,  principalement  en  ce  qui  concerne 
le  chapitre  général,  mais  les  Français  parvinrent  le  plus  sou- 
vent à  en  éluder  l'exécution. 

Encore  n'a-t-il  été  question  jusqu'ici  que  des  Trinitaires 
Chaussés.  Il  y  eut  aussi  des  Trinitaires  Déchaussés  qui,  à 
partir  du  dix-septième  siècle,  revinrent  à  l'austérité  de  la 
règle  primitive.  La  Congrégation  Déchaussée,  tant  de  France 
que  d'Espagne,  d'Italie  et  d'Autriche,  vécut  sous  des  consti- 
tutions spéciales,  dont  la  dernière  édition  a  été  donnée  a 
Rome  en  i85i.  La  Congrégation  de  France,  supprimée  en 
1771,  avait  eu  des  Constitutions,  restées  manuscrites  et  con- 
servées aux  Archives  nationales  (LL  i55a). 

1.  Bibliothèque  Mazarine,  manuscrit  1768. 

1.  Elles  ont  été  rééditées  à  Madrid  en   1731.  Ce  volume  se  trouve  à  la 
bibliothèque  du  couvent  de  Cerfroid  (Aisne). 


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CHAPITRE  V. 
Le  grand-ministre  et  ses  subordonnés  directs. 


L'ordre  des  Trinitaires  a  pour  chef  un  grand-ministre, 
contrôlé  par  un  chapitre  général,  qui  se  réunît  tous  les  ans. 
Le  supérieur  de  l'ordre,  remplacé  au  besoin  par  un  vicaire 
général,  s'appelle  officiellement  major  minister,  parfois  ma- 
jor et  greneralîs  minister,  et,  par  abréviation,  generaUs  mi- 
nister. On  dit  aujourd'hui  «  ministre  général  ». 

Cependant,  on  le  voit  parfois  appelé  maître.  On  peut  sup- 
poser une  distraction  de  Joinville  qui  appelle  le  même  person- 
nage tour  à  tour  menistreet  maistre.  Parfois  aussi,  on  a  mis 
à  dessein  maître  pour  rappeler  le  grade  universitaire  qu'a- 
vait notamment  le  «  maitre  des  Mathurins  »,  célèbre  au  début 
du  quinzième  siècle.  —  On  a  dû  encore  faire  des  confusions 
avec  l'ordre  rival  de  la  Merci,  dont  le  supérieur  s'appelle 
a  maitre  général  ». 

Le  grand-ministre  est  élu  à  vie  dans  la  réunion  du  chapitre 
générai.  Par  un  singulier  oubli,  la  règle  et  les  constitutions 
ne  disent  rien  des  électeurs  du  grand-ministre,  ni  du  cérémo- 
nial de  cette  élection.  Nous  verrons  plus  loin  qui  avait  le 
droit  d'assister  à  la  réunion  du  chapitre  général.  Quant  au 
cérémonial  de  l'élection,  un  registre,  dont  des  extraits  sont 
transcrits  dans  le  manuscrit  français  15697  ^e  'a  Bibliothèque 
nationale,  fournit  quelques  renseignements. 


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LE    GRAND-MINISTRE    ET   3E6   SUBORDONNÉS   DIRECTS.  3j 

Le  chapitre  général  d'élection  s'étant  réuni,  le  custos  ou 
gardien,  c'est-à-dire  l'administrateur  intérimaire,  demande  à 
l'assemblée  quel  est  le  mode  d'élection  qui  lui  est  le  plus 
agréable  ;  elle  répond  d'ordinaire  que  c'est  la  voie  du  Saint- 
Esprit,  l'inspiration.  Alors  un  ministre,  sans  doute  le  plus 
ancien,  ayant  baisé  le  crucifix,  se  lève  et  nomme  celui  à  qui 
il  donne  sa  voix.  Les  autres,  par  acclamation,  donnent  leur 
adhésion  à  ce  choix,  prennent  l'élu  sur  leurs  épaules  et  le 
portent  en  procession  à  l'église.  Un  fait  parait  bien  prouver 
que  primitivement  ces  élections  étaient  convenues  à  l'avance  : 
Guy  Musnier,  en  i5o8,  se  nomma  lui-même  '  1 

Lorsque  le  concile  de  Trente  eut  établi  le  scrutin  secret, 
qui  en  1570  avait  soulevé  des  protestations,  le  grand-ministre 
fui  élu  à  la  majorité  absolue,  parfois  très  considérable.  Les 
électeurs  ayant  voulu,  en  1686,  faire  une  grande  manifesta- 
tion de  solidarité,  l'élu  eut  cinquante-deux  voix  sur  cinquante- 
six  votants.  On  ne  saurait  dire  s'il  y  avait  des  déclarations  de 
candidature.  L'élu  était  souvent  presque  désigné  d'avance  par 
son  prédécesseur,  qui  lui  conférait  la  charge  de  vicaire  gé- 
néral. 

Il  n'y  eut  aucun  général  de  Provence  avant  le  dix-septième 
siècle.  Plusieurs  étaient  de  Flandre,  comme  Alard,  Thierry 
Valerand,  Gaguin.  Deux  portent  le  nom  de  leur  maison  de 
profession  :  Jean  de  Troyes  et  Bernard  de  Metz1. 

Quant  au  couvent  dont  ils  étaient  ministres  avant  d'être 
élus,  il  faut  citer  Meaux  pour  Jean  de  La  Marche  et  Nicolas 
Musnier,    Clermont  pour  Renaud  de  La  Marche,  Verberie 


1.  Pièce  n«>  228. 

2.  Les  personnages  les  plus  émiûents  de  ('ordre,  après  les  génért 
comme  Jacques  Bourgeois,  étaient  de  Flandre,  ou,  comme  les  Basire  et 
Michelin,  de  la  province  de  Champagne.  Très  peu  étaient  de  Normandie 


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38  l'ordre  français  des  trinitaires. 

pour  Thomas  Loquet,  Étampes  pour  Claude  de  Massac, 
Hondschoote  pour  Thierry  Valerand,  Chàlons  pour  Jean  Thi- 
baud,  Fontainebleau  pour  Eustache  Teissïer  et  Grégoire  de 
La  Forge,  Mortagne  pour  Jean  de  Troyes.  Pierre  Chandote 
seul  fut  prieur  de  Cerfroid  avant  d'être  élu  grand-ministre.  A 
partir  de  Gaguin,  à  peu  d'exceptions  près,  presque  tous  les 
futurs  généraux  étaient  d'abord  ministres  des  Mathurins  avant 
d'être  élus  à  la  charge  suprême  de  l'ordre. 

Le  futur  général  n'est  désigné  au  choix  des  électeurs  par 
aucune  recommandation  du  Saint-Siège,  quoique  l'ordre  lui 
sotl  directement  rattaché  depuis  i3oo.  Plutôt  que  d'accepter 
un  élu  du  pape,  l'ordre  en  appelle  au  Parlement  en  i4i5  et 
en  i546. 

Aucune  condition  d'âge  n'est  imposée  primitivement  pour 
l'éligibilité.  Les  premiers  successeurs  de  saint  Jean  de  Matha 
étant  morts  à  des  intervalles  très  rapprochés,  on  peut  pré- 
sumer qu'ils  étaient  fort  âgés  à  l'époque  de  leur  élection. 
Pour  le  quinzième  siècle,  nous  connaissons  les  âges  de  quel- 
ques grands-ministres  nouveaux  élus  :  Raoul  Duvivier,  en 
i46o,  était  âgé  de  trente-sept  ans;  Gaguin,  le  fils  adopttf  de 
l'ordre,  ne  fut  élu  qu'après  avoir  administré  les  couvents  de 
Grandpré,  de  Verberie,  de  Tours  et  de  Paris'  ;  il  avait  alors 
quarante  ans.  C'est  cet  âge  minimum1  qu'imposa  le  pape 
Alexandre  VII  dans  des  Constitutions  faites  à  Rome  en  1657 
et  que  les  Trinitaires  n'acceptèrent  pas,  sauf  pour  ce  point 
qui  était  d'une  pratique  courante. 

L'élu  doit  être  déjà  ministre  d'un  couvent.  Il  n'y  a  aucun 
exemple  d'un  simple  frère  nommé  grand-ministre.  Les  mînis- 

1.  Arbor  chranologica,  p.  179. 

1.  Les  Déchausses  l'ont  fixé  k  quarante-quatre  ans.  (Régala  primilioa, 
Rome,  i85i,  p.  108.) 


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LE     GRAND-MINISTRE    ET   SES    SUBORDONNÉS    DIRECTS.  39 

très  des  quatre  provinces  (Ile-de-France,  Champagne,  Picar- 
die, Normandie)  étant  parvenus  à  s'attribuer  le  droit  de 
séance  au  chapitre  et  par  suite  l'éligibilité,  le  grand-ministre 
fut  toujours  un  Français.  De  nombreuses  garanties  en- 
touraient donc  son  élection,  et  la  réunion  annuelle  du 
chapitre  général  permettait  de  contrôler  sans  cesse  sa 
gestion. 

Élu  à  vie,  le  grand-ministre  ne  pouvait  être  déposé  que  par 
trois  ou  quatre  ministres  {règle  de  1 198)  ou  par  trois  ou  qua- 
tre frères  des  plus  religieux  (règle  de  1263)  :  ce  cas  ne  s'est 
jamais  présenté.  Il  lui  était  interdit  de  se  démettre,  dans  la 
crainte  que  sa  résignation  n'eût  été  obtenue  par  quelque 
moyen  frauduleux. 

Aucune  résidence  n'était  prescrite  au  grand-ministre.  De  ce 
que  Jean  de  Matha  et  son  successeur  moururent  à  Rome,  il 
ne  faut  pas  conclure  qu'ils  y  aient  continuellement  demeuré. 
Les  voyages  de  rédemption  et  la  visite  de  l'ordre  étant 
effectués  au  treizième  siècle  par  les  grands-ministres  eux- 
mêmes,  H  leur  arrivait  très  souvent  de  mourir  hors  de 
France. 

De  la  fin  du  treizième  au  milieu  du  quinzième  siècle,  le 
grand-ministre  résida  à  Cerfroid,  chef-d'ordre  consacré  par 
l'ermitage  de  Félix  de  Valois.  Ii  vint  ensuite  demeurer  à  Paris, 
dont  il  garda  la  ministrerie,  qu'il  occupait  presque  toujours 
avant  d'être  élu,  comme  il  a  été  dit.  C'étaient  les  seuls  revenus 
qu'il  eût  à  sa  disposition. 

Bernard    Dominici,    plaidant,   en    1570,   contre    François 
Petit,  ministre  des  Mathurins,  a  ainsi  énuméré  les  devoirs 
d'un  général  d'ordre  : 
i°  Visitation; 
20  Réformation; 


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£o  l'ordre  français  des  TRIBUTAIRES. 

3°  Confirmation  des  bénéfices  électifs*  et  collation  des 
bénéfices  collati/s  ; 

4°  Maintien  des  privilèges  de  tordre. 

Il  n'a  pas  cité  le  rachat  des  captifs  parce  que  dans  un  ordre 
si  vaste  les  fonctions  du  général  sont  trop  absorbantes,  rien 
qu'en  France,  pour  lui  permettre  de  se  transporter  dans 
l'Afrique  du  Nord,  en  vue  du  long  et  périlleux  voyage  de  ré- 
demption. Mais  c'est  le  général  qui,  en  chapilre,  ordonne  la 
rédemption  et  donne  un  passeport  aux  rédempteurs. 

i°  Quant  à  la  visite,  le  droit  du  général  de  pénétrer  dans 
n'importe  quel  couvent  de  l'ordre  reste  entier  et  n'exclut  pas 
la  visite  ordinaire  du  provincial.  Cette  réception  devînt,  avec 
le  temps,  fort  solennelle.  Un  exemple  en  est  la  visite  du 
P.  Grégoire  de  La  Forge  à  Marseille,  à  son  retour  de  Rome, 
en  i6g5,  dont  la  relation,  écrite  par  le  P.  Michel  Trossier", 
visiteur  de  la  province,  fut  conservée  dans  les  archives  «  pour 
servir  d'instruction  en  pareilles  occasions  m. 

Athanase  Coudoulet,  lecteur  en  théologie,  monte  dans  la 
chaire  du  chapitre,  à  côté  de  l'Évangile,  et  adresse  au  général 
une  harangue  en  latin.  Le  ministre  quitte  le  pluvial  et  l'étole, 
se  met  à  genoux  devant  le  P.  de  La  Forge  et  lui  baise  la  main. 
Le  P.  Gandolphe,  assistant  du  ministre,  chante  un  cantique 
en  son  honneur  ;  on  fait  une  décharge  de  trois  douzaines  de 
bottes.  Le  général  prend  au  couvent  un  repos  bien  gagné  ;  les 
consuls  de  Marseille  lui  rendent  visite  en  chaperon  et  lui  font 
le  cadeau  habituel  de  dix  écus.  Il  reçoit  encore  le  grand-vicaire 


e  voïl  pas  que  le  grand-mi  nislre  se  donne  la   peine  de  confirmer 
is  particuliers.  La  confirmai  ion  apparaîtra  pour  le  provincial. 
2.    Visite  à  Marseille  de  deux  Ministres  généraux  de  l'ordre  de  la 
Sainte-Trinité,  i85<).  Bibl.  nai.,   LK',  47n.  Cf.  Méry  ct  Glundon,  Actes 
de  la  commune  de  Marseille,  lome  V,  p.  4t3. 


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LE    GRAND-MINISTRE    ET    SES    SUBORDONNÉS    DIRECTS.  /(  I 

de  la  cathédrale,  les  supérieurs  de  tous  les  couvents  de  la  ville 
et  les  prieurs  des  Confréries  de  pénitents.  Le  lendemain,  il 
rend  ces  visites  et  en  fait  aux  Trinitaîres  Déchaussés.  Deux 
jours  après,  il  repart  pour  Arles,  où  il  devait  recevoir  un 
semblable  accueil.  C'était  là  plutôt  un  voyage  politique 
qu'une  tournée  de  visite.  L'importance  du  couvent  visité  était 
l'explication  de  cette  magnifique,  réception  :  ailleurs,  c'était 
plus  simple. 

Ordinairement,  le  grand-ministre  prévient  le  ministre  par- 
ticulier '  du  jour  de  son  arrivée.  Les  religieux,  revêtus  du  sur- 
plis et  de  l'aube,  ont  préparé  les  lapis  ;  au  son  des  cloches,  le 
grand-ministre  descend  de  cheval;  le  ministre  lui  baise  la 
main,  l'encense  trois  fois  et  lui  fait  un  discours  de  félicita- 
tions en  tatîn. 

Lorsque  Nicolas  Musnier  arrive  en  i535  à  Taillcbourg, 
avec  son  secrétaire,  l'accueil  qu'il  reçoit  de  son  frère  Thibaul, 
ministre,  et  de  ses  deux  moines  est  moins  cérémonieux  que 
cordial*.  Le  premier  jour,  il  visite  les  ornetnenls  de  l'église 
et  la  sacristie,  le  second  jour,  les  chambres  des  religieux; 
dans  l'une  sont  conservés  les  titres  de  propriété  (il  n'y  en  avait 
guère  à  Taillebourg).  Le  grand-ministre  inspecte  soigneuse- 
ment les  comptes;  il  se  préoccupe  avec  soin  de  faire  payer  les 
dettes  du  minisire  ou  des  religieux.  Il  rédige  les  actes  de  sa 
visite  d'après  tout  ce  qu'il  a  remarqué  de  bon  ou  de  mauvais, 
sous  forme  d'articles,  qui  seront  observés  comme  une  ordon- 
nance, il  laisse  une  copie  du  procès-verbal  et  fait  une  exhorta- 
tion  aux   religieux3.   Telle  est  la  coutume,  mais  il  est  clair 


i.    Les   frais  des  vigiles  étaient  payés  par  la  province  visitée,  au  prorata 
■les  ressources  île  chaque  couvent. 

z.  M.  Torlst  a  publié  cette  pièce  dans  la  /iront  de  Saintonge  en  nov.  inoi. 
3.   Le  procès-verbal  relatif  à  Taillebourg,  en  i53i,  est  encore  en  latin.  Au 


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Ifl  I:  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRIMTAIB.ES. 

qu'elle  subit  des  modifications.  Le  gTand-mînistre  se  bornait 
à  visiter  le  nord  de  la  France,  déléguant  son  vicaire  géné- 
ral dans  les  couvents  où  il  ne  pouvait  se  rendre.  Quand  l'or- 
dre compta  plusieurs  branches,  il  dut  prendre  avec  lui  ou  dé- 
léguer, en  cas  qu'il  fût  absent,  un  religieux  de  la  province 
qu'il  allait  visiter1. 

Il  semble  qu'il  y  avait  des  formalités  particulières  pour 
la  visite  des  provinces  d'Espagne.  Thibaut  Musnier  doit 
demander  un  passeport  à  l'ambassadeur  de  Charles-Quint3 
(10  avril  t  548)  ;  les  généraux  du  dix-septième  siècle,  pour 
visiter  ce  même  pays,  prirent  la  précaution  de  se  faire  délé- 
guer par  le  pape  en  qualité  de  visiteurs  apostoliques,  ce  qui 
ne  leur  évita  pas  tous  les  ennuis. 

Le  grand-ministre  est.  en  correspondance  particulière  avec 
les  provinciaux  et  aussi  avec  les  princes  étrangers  pour  faire 
proléger  les  couvents  de  l'ordre. 

Il  doit,  en  principe,  ratifier  tous  les  actes  de  vente  ou 
d'échange  faits  par  un  ministre,  même  les  actes  les  plus  sim- 
ples. Au  quinzième  siècle  cependant,  ce  soin  était  dévolu  au 
provincial.  Seul,  il  permet  aux  religieux  victimes  d'un  sinistre 
de  prêcher  pour  réparer  leur  église.  II  est  présent  lui-même 
aux  conventions  les  plus  importantes  ;  ainsi  Alard  vient  à 
Marseille,  en  1370,  lors  du  renouvellement  de  la  transaction 
avec  l'évêque  et  le  chapitre.  L'assentiment  du  grand-ministre 
est  toujours  mentionné,  quand  bien  même  il  n'est  pas  pré- 


dix-septième  siècle  les  visites  sont  rédigées  en  français;  celles  du  couvent 
de  Faucon,  qui  appartenait  aux  Déchaussés  d'Italie,  sont  en  italien. 

t.  Le  chapitre  provincial  réformé  d'Arles  donna  i5  pistoles  à  Grégoire 
de  La  Forge  pour  les  cinq  maisons  déjà  visitées.  (Registre  i3  des  Triiii- 
laires  de  Marseille,  p.  7g.) 

3.  Il  y  a  une  copie  du  passeport  dans  les  Archives  des  Trinitaires  de  Cha- 
tons, 4fc  liasse. 


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LE    GRAND-MINISTRE    ET    SES    SUBORDONNES    DIRECTS.  !\'S 

sent  à  la  signature  de  l'acte;  c'est  ce  que  l'on  remarque 
dans  une  convention  entre  les  Trinitaires  et  le  curé  du  Fay  ' 
(Oise). 

Le  grand-ministre  lève  sur  chacun  des  ministres  une  con- 
tribution annuelle  :  «  Item  oportet,  dit  Giraud,  ministre  de 
Marseille  en  i36o,  tradere  et  soluere  XXX  solidos  ad  pro- 
visionem  majoris  ministri.  »  Pour  les  premiers  siècles,  le 
budget  de  l'ordre  nous  est  fort  peu  connu.  A  part  ce  droit 
annuel,  qui  était  de  3  livres  au  dix-septième  siècle,  le  gé- 
néral n'avait  point  de  traitement  fixe;  il  ne  possédait  que 
les  revenus  de  Cerfroid  et,  plus  tard,  ceux  des  Mathurins  de 
Paris.  Parfois,  on  donne  au  général  les  revenus  d'un  petit 
couvent  alors  désert  pour  accroître  ses  ressources,  qui  ne 
furent  jamais  bien  considérables.  C'est  tellement  vrai  que, 
toutes  les  fois  qu'il  y  a  un  procès  à  soutenir  ou  un  grand 
voyage  à  faire  dans  l'intérêt  de  l'ordre,  même  pour  une 
dépense  régulière  comme  l'entretien  du  procureur  général  en 
cour  de  Rome  *,  à  plus  forte  raison  pour  payer  les  dettes 
d'un  prédécesseur,  le  général  doit  imposer  une  cotisation  sur 
tous  les  couvents,  tout  au  moins  sur  ceux  de  France  qu'il  régit 
plus  directement. 

20  Le  devoir  de  réformation  indiqué  par  Bernard  Domi- 
nici  fut  transformé  quelque  peu  par  l'ambition  des  généraux 
en  une  correction  sur  les  ministres,  souvent  punis  arbitraire- 
ment. Il  serait  cependant  injuste  de  ne  pas  rappeler  que  les 
statuts  mentionnés  au  chapitre  iv  ont  été  tous,  sinon  rédi- 
gés, au  moins  promulgués  par  le  général,  et  que  deux  d'entre 


i.  Dana  nne  pièce  de  1226,  on  voit  que  si  le  grand-ministre  est  absent 
les  religieux  promettent  de  Taire  approuver  par  lui  la  transaction  le  plua 
M  possible. 

I.  Pièce  no  277. 


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l\k  [/ORDRE    FRANÇAIS   DES    TRINITAIRES. 

eux,  Jean  de  Troyes  et  Gaguin,  prirent  à  leur  exécution  une 
part  personnelle. 

Mais  il  ne  se  présentait  que  raremenl  des  cas  de  réforma- 
tion  proprement  dits,  et  l'on  a  peut-être  un  peu  abusé  de  ce 
mot  au  dix-septième  siècle  pour  prétendre  arracher  au  géné- 
ral Louis  Petit,  sinon  sa  démission,  au  moins  son  effacement 
devant  le  cardinal  de  La  Rochefoucauld,  qu'un  bref  avait 
chargé  de  la  réforme  de  l'ordre.  Il  fut  bien  établi,  en  droit, 
que  le  général  seul  avait  le  droit  de  réformer  son  ordre; 
celui-ci  le  prouva,  en  publiant,  seul,  des  statuts  pour  les 
Mathurins  de  Paris.  Pierre  Mercier,  l'un  de  ses  successeurs, 
edicta,  mot  a  proprio,  des  statuts  pour  la  province  de  Lan- 
guedoc. 

Quand  le  général  n'est  pas  présent  aux  délibérations  des 
chapitres  provinciaux,  il  peut  au  moins  en  fixer  les  sujets. 

Le  droit  de  correction  sur  les  ministres  était  indispensable 
au  général,  puisqu'ils  étaient  élus  à  vie.  Seul,  il  peut  les  ab- 
soudre, s'ils  ont  aliéné  ou  engagé  les  biens  de  la  communauté; 
il  peut  même  les  déposer  sans  prendre  conseil  de  personne. 
Jean  Garuelle,  ministre  de  Troyes,  est  privé  de  son  bénéfice 
par  Pierre  de  Bourry,  qui  lui  substitue  son  neveu  Robert1. 
Louis  Petit  suspend  le  ministre  de  La  Marche  jusqu'à  ce  qu'il 
ail  comparu  devant  lui  pour  répondre  aux  accusations  du 
promoteur  (162a);  il  fallait  que  l'affaire  fût  particulièrement 
grave.  Ordinairement,  le  général  délègue  deux  ministres  pour 
instruire  un  procès  criminel  contre  un  de  leurs  confrères;  le 
cas  de  Bernard  Dominici,  contraint  d'ordonner  une  enquête 
contre  Jean   Morel  qu'il   avait  précédemment  soutenu  dans 


1 .  Cariulaire  des  Trinitaires  de  Troyes,  p.  692  (Archives  départemen- 
tales de  l'Aube). 


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LE    GRAND-MINISTRE    ET    SES    SUBORDONNÉS    DIRECTS.  45 

une  revendication  contre  François  Petit,  est  assez  singulier  ' . 

Le  contrôle  du  général  sur  les  ministres  à  vie  était  donc 
nécessaire,  mais  le  népotisme  et  les  dissentiments  causés  par 
la  politique  pouvaient  conduire  un  général  à  abuser  de  ce 
pouvoir.  Ainsi  Pierre  Chandote,  prieur  de  Cerfroid,  élu  géné- 
ral en  i4i6,  casse  l'élection  du  ministre  des  Mathurins,  dé- 
clarant qu'elle  a  été  faite  sans  son  consentement,  et  la  consi- 
dère comme  à  lui  dévolue1.  Cet  acte  est  exorbitant,  aussi  bien 
que  celui  de  Louis  Petit  excluant  de  toute  charge,  d'avance, 
au  moyen  de  l'excommunication,  les  religieux  qui  lui  déplai- 
saient et  qui  auraient  pu  être  élus  ministres.  Ce  qui  est  licite 
au  général,  c'est  la  nomination  d'un  administrateur  provi- 
soire quand  le  ministre  est  notoirement  au-dessous  de  sa  lâche 3. 

3°  Au  sujet  de  l'élection  du  ministre,  la  règle  dit  positive- 
ment qu'il  doit  être  élu  par  tous  les  frères.  II  n'y  a  pas  jus- 
qu'au seizième  siècle  d'exemple  de  ministre  choisi  par  le 
grand-ministre,  ce  qui  n'empêche  pas  le  P.  Pichault,  général 
trinitaire  de  la  fin  du  dix-huitième  siècle,  de  déclarer  la  col- 
lation par  le  général  immémoriale.  Bernard  Dominici  récla- 
mait avec  raison  la  confirmation  des  bénéfices  électifs,  ce  qui 
était  absolument  de  droit. 

Au  seizième  siècle,  la  nomination  du  ministre  par  le  général 
apparaît  en  cas  de  fondation  d'un  couvent.  En  i535,  Nicolas 
Musnier,  dotant  une  nouvelle  maison  trinitaire  à  Meaux,  se 
réserve  le  droit  d'en  choisir  lui-même  le  ministre*.  Il  faut 
interpréter  de  même  l'acte  du  chapitre  général  de  i56o,  où 


t.  Ce  pouvoir  de  prescrire  une  enquête  est  exercé,  en  cas  d 
içé néralat,  par  le  vicaire  général. 
a.  Archives  nationales,  registre  LL,  i545,  p.  i. 
3.  Voir  la  Monographie  du  couvent  de  Lena. 
4-  Archives  nationales,  S  41G7.  —  lien  était  de  même  pour  D 


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46  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINJTAIRES. 

Thibaud  Musnier  rattache  à  sa  propre  autorité  le  couvent 
nouveau  de  Naples  '.  Ce  droit  de  nomination  est  exceptionnel 
en  stricte  justice. 

En  1 55o ,  c'est  le  provincial  de  Languedoc  qui  nomme 
ministre  de  Montpellier  Arnaud  Raynal,  présenté,  c'est-à-dire 
gradué  en  théologie,  par  suite  de  la  résignation  de  Jean 
Maur  en  chapitre  provincial. 

Lors  du  procès  entre  Jean  Morel,  se  prétendant  élu  minis- 
tre des  Mathurins  par  les  religieux,  et  François  Petit,  se 
disant  pourvu  de  cette  charge  par  le  roi ,  il  n'est  nullement 
question  du  droit  d'élection  prétendu  par  le  général. 

Cependant,  en  i5q3,  Bernard  Dominici,  choisissant  comme 
vicaire  général  en  Normandie  Jean  Rihouey,  lui  donne  le  pou- 
voir de  collation  sur  les  maisons  de  cette  province.  Evidem- 
ment, le  général  de  l'ordre  pensait  avoir  ce  pouvoir,  puisqu'il 
le  délègue  à  son  subordonné  *  :  il  avait  donc  changé  d'avis 
depuis  1570.  On  voit  Guillaume  Basire,  seul  profès  de  Châlons, 
élu  en   1611  ministre  de  ce  couvent   par  François  Petit3. 

Beaucoup  de  couvents  du  nord  de  la  France  ayant  été 
abandonnés,  le  titre  était  conservé  pour  faire  nombre  en  face 
des  provinces  étrangères;  mais  le  grand-ministre  donnait  a 
des  religieux  qui  lui  plaisaient  le  titre  et  le  revenu,  sans  obli- 
gation de  résidence4,  parce  qu'il  n'y  avait  pas  toujours  de  quoi 
nourrir  le  bénéficiaire. 

Dans  les  couvents  qui   avaient  conservé  leur  droit  d'élec- 

1.  Bibl.  de  Marseille,  manuscrit  I2i5,  p.4&. —  Saus  doute,  la  mention  : 
domus  de  Icognc  «  exempta  »  dans  la  liste  des  couvents  anglais  a  la  même 
signification. 

a.  Archives  de  Meta,  H  3774. 

3.  Bibliothèque  de  Châlons,  manuscrit  58,  p.  114. 

4-  Lefebvre  défend  en  1753  son  droit  de  collation  contre  Borin,  curé  de 
Communay,  qui  s'est  tait  pourvoir  d'un  prieuré  triniuire  par  une  bulle  du 
vice-légat.  (Bibl.  nal-,  F".  a«3a6.) 


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LE   GRAND-MINISTRE   ET   SES   SUBORDONNÉS   DIRECTS.  4/ 

lion,  le  général  nommait  un  commissaire  pour  y  assister. 
Cette  pratique  était  mal  vue  par  le  Conseil  de  Brabant,  hos- 
tile a  un  général  d'ordre  français,  qui  pouvait  ainsi  acquérir 
quelque  influence  au  Pays-Bas. 

Tout  au  moins  les  élections  subsistaient-elles  pendant  la 
vacance  du  généralat.  En  i685,  François  Leprestre,  ministre 
d'Hondschoote,  démissionne  entre  les  mains  de  Guillaume 
Basîre,  vicaire  général;  deux  scrutateurs  sont  établis;  les  reli- 
gieux votent  au  scrutin  secret,  et  Jean-Baptiste  Bultrel  est  élu 
par  six  voix  sur  huit  ' . 

On  peut  alléguer  que,  dans  la  Picardie,  voisine  des  Pays- 
Bas  espagnols,  et  dont  quelques  couvents  étaient  en  terri- 
toire étranger  ou  même  ennemi,  le  général  français  n'avait 
pu  asseoir  aussi  solidement  son  autorité.  Une  tentative  de 
Grégoire  de  La  Forge  pour  désigner  d'office  un  de  ses  pro- 
tégés, vers  1698,  rencontra  beaucoup  de  résistance. 

De  même,  l'institution  des  Trinitaires  Réformés,  qui  élu- 
rent triennalement  leur  ministre,  fut,  dans  beaucoup  de  cou- 
vents, une  barrière  à  l'ambition  dominatrice  du  général. 

Tous  les  résultats  de  cette  ingérence  du  chef  suprême  de 
l'ordre  ne  furent  cependant  pas  mauvais.  Dans  la  discipline 
primitive,  le  ministre  était  perpétuel;  il  ne  quittait  son  cou- 
vent que  pour  se  rendre  au  chapitre  général;  il  ne  connais- 
sait rien  des  autres  provinces  de  l'ordre.  Au  dix-septième 
siècle,  on  changea  tout  cela;  très  fréquemment,  François 
Petit,  Louis  Petit  et  leurs  successeurs  envoyèrent  des  reli- 
gieux du  Nord  dans  le  Midi  et  réciproquement,  pour  faire 
sentir  la  solidarité  qui  unissait  tous  les  couvents  de  France. 
Ainsi,  le  P.  Toéry  fut  successivement  ministre  de  Fontaine- 


1.   Archives  des  Trinitaires  de  ChAlons,  pièce 


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48  l'ordre  français  des  tributaires. 

bleau  et  de  Toulouse.  Il  De  faut  pas  croire  que  ces  déplace- 
ments fussent  une  disgrâce.  Guillaume  Basire  était  infiniment 
apprécié  dans  son  couvent,  quand  il  fut  envoyé  pour  trois 
ans  à  Morlagne1,  où  il  n'alla  que  pour  remplir  un  devoir 
d'obéissance. 

C'est  ainsi  que  la  confirmation  des  ministres  devint  de  plus 
en  plus  une  vraie  collation  pour  le  général,  qui  fut  le  vrai 
maître  de  son  ordre  en  fait  et  en  droit. 

Le  dernier  devoir  du  général,  te  maintien  des  privilèges  de 
l'ordre,  fut  exercé  au  moyen  du  procureur  général  en  cour  de 
Rome,  dont  il  sera  question  plus  lard. 

Il  partage  avec  l'évéque  le  pouvoir  d'instituer  les  prieurs- 
curés. 

Il  doit  enfin,  en  cas  d'absence  ou  de  maladie,  se  constituer 
un  vicaire  général. 

VICAIRE    GÉNÉRAL. 

Celui-ci  a  le  même  pouvoir  que  le  grand-ministre  malade 
ou  absent.  En  cas  de  mort  du  général,  il  porte  le  nom  de 
cuslos  ou  gardien. 

Pendant  la  croisade  d'Egypte,  où  le  grand-ministre  Nicolas 
figure  avec  saint  Louis,  Simon,  ministre  des  Mathurins  de 
Paris,  porte  le  titre  de  vice-ministre  de  l'ordre2.  La  termino- 
logie n'était  pas  alors  bien  fixée.  On  peut  constater,  dans  l'acte 
où  Simon  accepte  la  donation  de  l'hôpital  de  Saint-Quentin  en 
1 257,  que  ce  religieux  éminent  avait  gardé  le  titre  même  après 
!e  retour  du  grand-ministre.  Peut-être  à  cette  date  le  siège 
était-il  devenu  vacant? 

1.  Bibliothèque  «le  ChAlons,   manuscrit  58.  (A   la  fin   :   notice  sur  les 
a,  Sceaux  des  Archives  nationales,  n»  fl8i3. 


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LE    GRAND-MINISTRE    ET    SES    SUBORDONNES    DIRECTS.  flu 

La  constitution  d'an  vicaire  général  était,  pour  le  grand- 
ministre,  un  moyen  commode  de  désigner  son  successeur  au 
choix  des  électeurs.  Raoul  du  Vivier  et  Gaguin  commencèrent 
par  être  les  coadju leurs  de  leurs  prédécesseurs.  Sans  doute, 
Claude  -Raile  n'eut  pas  ce  titre,  mais  il  fut,  pendant  quarante 
ans,  secrétaire  de  son  général,  Louis  Petit,  ce  qui  fait  que 
Pierre  Mercier  dit,  dans  le  discours  d'usage  qui  précède  toute 
élection  :  Aon  eligendus  qaippe  qui  jam  sit  electus1.  San 
doute,  Pierre  Mercier  nomma  vicaire  général  Guillaume  Ba- 
aîre,  ministre  de  Châlons,  et,  cependant,  ne  lui  assura  pas  sa 
succession".  C'est  que,  les  circonstances  étant  graves,  Guil- 
laume Basire  déclara  qu'il  fallait  remettre  la  direction  de  l'or- 
dre à  une  main  plus  jeune. 

Pierre  Mercier  s'étant  rendu  en  Espagne,  Nazare  Anroux, 
vicaire  général,  nomma  un  religieux  à  la  ministrerie  de  Mor- 
tagne.  Un  opposant  à  cette  collation  fut  débouté  par  un  arrêt 
du  Conseil,  qui  ordonna  à  tout  religieux  de  reconnaître 
comme  son  supérieur  celui  que  le  général  aurait  délégué  pour 
gouverner  l'ordre  en  son  absence3. 

Les  provinces  étrangères  et  celles  qui  dépendaient  moins 
étroitement  du  général  avaient  aussi  à  leur  tête  des  vicaires 
généraux,  dont  l'action  était  plus  étendue  que  celle  du  pro- 
vincial. Thibaut  Musnier  nomme,  par  exemple,  Jean  Hurtado 
de  Mendoza,  vicaire  général  en  <.'-.:  stîJIe,  Andalousie  et  Na- 
varre4.  Ce   litre  pouvait  n'être  que  temporaire5.  Il  n'en  est 


i.   Oratio...   Pétri  Mercier ,  i5  décembre  i652.  (Bihl.  de  l'Arsenal, 

jurisprudence,  no  1492,  în-:a.) 

2.  Archives  de  Metz,  H  3773,  no  6. 

3.  Ibid.  H  3773,  no  5. 

h.   Le  9  mai   i548.  (Archives  des  Trinitaires  de  Chatons,  liasse  46.) 
5.   En   1765,  la  cour  d'Espagne  voulut  avoir  un  vicaire  général  indépen- 
dant du  général  pour  les  provinces  d'Espagne.  Le  roi  de  France  s'y  opposa. 


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5o  L'ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES. 

pas  de  même  de  la  charge  confirmée  par  Pierre  Mercier, 
en  j655,  à  Jean  Naurias,  ministre  d'Avignon,  qui  était  celle 
de  vicaire  général  des  provinces  de  Provence  et  de  Langue- 
doc1 :  il  était  un  vérilable  vicaire  général  pour  le  Midi. 
Fallait-il  donc  un  renouvelle  ment  à  chaque  changement  de 
général  ? 

On  voit  que  ce  terme  de  vicaire  général  a  eu  chez  les  Tri- 
nitaircs  des  acceptions  un  peu  variées. 


Le  vicaire  général  pouvait  demeurer  en  fonctions  plusieurs 
années,  tandis  que  le  custos  était  intérimaire.  Anciennement, 
.  le  chapitre  général  se  réunissait  tous  les  ans.  Si  le  général 
venait  à  mourir  peu  de  temps  après  une  réunion  ordinaire 
du  chapitre  général,  il  eut  été  incommode  que  l'ordre  fut 
privé  de  chef  pendant  près  d'un  an;  alors  on  procédait  à 
l'élection  d'un  custos  ou  gardien.  C'est  par  l'histoire  seule 
que  l'existence  du  custos  est  connue,  tes  Statuts  n'ayant  pas 
plus  parlé  du  custos  que  du  vicaire  général. 

Dom  Toussaint  du  Plessis  croit  savoir1  que  primitivement 
le  prieur  de  Cerfroid  était  custos  de  plein  droit  j  et  il  ajoute 
que,  de  son  temps,  on  élit  le  custos  comme  le  général.  Nous 
le  verrons  plus  loin,  il  a  fait  une  double  erreur.  Si  le  prieur 
de  Cerfroid  fut  custos  primitivement,  ce  ne  fut  pas  longtemps, 
car,  dès  1^74,  Jean  de  La  Marche,  ministre  de  Meaux,  est 
revêtu  de  cette  dignité. 

Le   grand-ministre  étant   mort,    le  visiteur   provincial    de 


■ .  Pièce  nu  200. 

■2.  Histoire  de  l'église  de  Meaux,  I 


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LE    GRAND-MINISTRE    ET    SES    SUBORDONNES    DIRECTS.  DI 

l'Ile-de-France  en  convoque  les  ministres  pour  l'élection  du 
custos.  Etienne  du  Mesnîi  aurait  été  élu  castos,  en  i4i4,  par 
les  quatre  «  correcteurs  »  du  chapitre  général.  On  était  dans 
une  époque  si  troublée  qu'on  dérogea  à  la  régie.  Il  ne  pa- 
raît pas  y  avoir  de  lieu  fixé  pour  celte  élection.  Le  P.  Mis- 
sier  fut  élu  castos  a  Meaux  (26  octobre  i5oi);  mais  il  est  à 
croire  que  l'élection  se  faisait  de  préférence  à  Paris,  au  moins 
dans  les  derniers  siècles  de  l'ordre,  comme  le  porte,  en  i685, 
la  convocation  adressée  par  le  P.  De  Launay. 

Le  castos  a  '  pendant  quelques  mois  tous  les  pouvoirs  du 
grand-ministre.  Ainsi,  le  P.  Missier  confirme  l'élection  de 
Guy  Musnier  comme  ministre  des  Mathurins  de  Paris,  mal- 
gré la  protestation  de  Guillaume  Maliault". 

Quand  l'ordre,  réuni  en  chapitre  général,  ne  peut  tomber 
d'accord  sur  la  désignation  du  grand-ministre,  la  durée  des 
fonctions  du  castos  peut  être  prolongée  d'une  année.  Cet 
honneur  fut  fait  pour  la  première  fois  à  Guillaume  Manouny, 
prieur  de  Cerfroid  (1068-1570).  Je  ne  puis,  en  effet,  croire 
avec  Gaguin  que  le  célèbre  Etienne  du  Mesnil-Fouchard  fui 
continué  dans  ses  fonctions  de  castos,  en  1/41Î),  car,  la  seconde 
année  de  la  vacance  du  généralat,  Roger  Toleval  figure,  dans 
un  acte  que  Gaguin  n'a  pas  connu,  avec  ce  titre,  qu'il  porte 
encore  lors  de  l'élection  du  général. 

Le  custos  préside  le  chapitre  général  où  va  être  élu  le 
grand-ministre  ;  il  est  parfois  élu  lui-même  à  celle  dignité, 
comme  Jean  de  La  Marche  en  1374,  Gaguin  en  il\ji,  Bernard 
Dominici  en  1570  et  presque  tous  ses  sucesseurs. 

Le  chapitre  général  de  170$  décida  que,  à  la  mort  du 


.  Archives  de  Metz,  H  37î3,  5. 
.  Archives  nationales,  LL  i545,  f°  1 


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5a  l'ordre  français  des  trimtaires. 

général,  le  provincial  de  France  serait  custos  de  plein  droit. 
Le  premier  exemple  fut  celui  du  P.  Darde,  qui  était  Agé  de 
quatre-vingts  ans;  pour  le  surveiller,  on  jugea  à  propos  de 
lui  adjoindre  quatre  conseillers,  pris  parmi  les  ministres  de 
la  province  de  France. 


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CHAPITRE  VI. 
Le  chapitre  général. 


Le  plus  haut  tribunal  de  l'ordre,  auquel  on  en  appelle  des 
sentences  du  grand-ministre,  n'a  qu'une  influence  tempo- 
raire, en  raison  de  la  courte  durée  de  sa  session  qui.  primi- 
tivement annuelle,  devient  triennale,  cetle  périodicité  «'affai- 
blissant de  plus  en  plus  A  mesure  que  le  pouvoir  du  grand- 
ministre  se  développe. 

Une  question  fort  agitée  au  dix-septième  siècle  fut  celle-ci  : 
où  se  tenait  à  l'origine  le  chapitre  général  des  Trinitaires? 
Albérîc  des  T rois-Fontaines  répond  nettement  :   à  Cerfroid. 

Au  contraire,  Jacques  de  Vitry  dit  que  le  chef  d'ordre 
trinitaire  est  au  couvent  de  Marseille,  ce  que  le  P.  Xavier, 
traducteur  de  la  Vie  de  saint  Jean  de  Mai  ha  en  italien,  inter- 
prète en  ce  sens  que,  du  vivant  du  fondateur,  le  chapitre 
général  se  tenait  à  Marseille.  Avec  celle  restriction,  l'inter- 
prétation de  Jacques  de  Vitry  serait  admissible  à  la  rigueur. 

Il  faut  cependant  donner  raison  à  Albéric.  Le  premier 
chapitre  général  dont  nous  ayons  un  acte  est  tenu  à  Cerfroid 
en  i23o;  Roger,  grand-ministre,  y  accepte  la  donation  du 
couvent  de  Saint-Mathurin  de  Paris.  A  Cerfroid  se  tient  aussi 
le  chapitre  de  i23a;  Nicolas,  qui  vient  d'y  être  élu,  accorde 
à    Marguerite    de   Rourgogne,    fondatrice    du   couvent,   une 


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54  l'ordre  français  des  tributaires. 

«  association  spirituelle  '  ».  Des  actes  de  laiS  et  ia5a  prou- 
vent que  la  tenue  du  chapitre  à  Cerfroid  était  absolument 
régulière,  puisque  60  sous  de  Provins,  pour  sa  pitance,  et  un 
muid  de  blé,  pour  son  pain,  lui  sont  conférés  par  de  généreux 
bienfaiteurs3.  —  Une  bulle  du  26  janvier  1256  prescrivit  de 
tenir  annuellement  et  perpétuellement  le  chapitre  générât  à 
Cerfroid.  Les  termes  en  furent  altérés  dans  la  suite,  mais  le 
fait  est  certain,  la  bulle  authentique  ayant  été  publiée  par 
Baron3,  qui  essaie  seulement  (et  bien  à  tor()  de  prouver 
qu'avant  cette  bulle  le  chapitre  se  tenait  ailleurs. 

La  guerre  anglaise  amena  une  dérogation  en  1421  ;  il  y  en 
eut  une  aussi  en  i655,  pour  l'élection  du  général.  C'est  encore 
à  Paris  que  le  chapitre  national  se  tint  en  1768,  à  propos  de 
l'adoption  de  nouvelles  constitutions.  Ce  sont  les  seules 
exceptions  connues. 

L'aimalité  de  la  session,  exigée  par  Thibaud  V  de  Cham- 
pagne comme  condition  de  la  délivrance  d'une  rente  de 
100  livres,  fut  interrompue  dès  le  quatorzième  siècle.  En 
effet,  eu  i36q,  un  procès  des  Trinitaîres  de  Cerfroid  avec 
l'évéque  de  Meaux  autorise  des  doutes  sur  la  tenue  régulière 
du  chapitre  général.  En  1429,  Jean  de  Troyes  exprime  le 
souhait  que,  malgré  le  malheur  des  temps,  un  chapitre  se 
tienne  l'an  suivant  à  Cerfroid ,  et  il  prie  les  ministres  d'y 
apporter  leurs  comptes4.  Au  seizième  siècle,  en  fait  et  bien- 
tôt en  droit,  le  chapitre  général  ne  se  tient  plus  que  tous  les 
trois  ans.  Les  troubles  de  ta  guerre  étrangère  et  de  la  guerre 


1 .  Voir  la  Monographie  de  Cerfroid. 

2.  Dans  Toussaint  du  Plessts,  pièces  36a  et  399,  copie  Arcb.  nal.,  L  g4? 
ei  K  i85,  n°  190. 

3.  Pièce  no  22g. 

4-  Statuts  de  Jean  lie  Troyes,  édition  df  i586,  p.  76. 


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LE    CHAPITRE    GÉNÉRAL.  55 

civile  joints  à  ceux  de  l'ordre,  empêchèrent  la  réunion  du 
chapitre  entre  i635  et  i()5u;  enfin,  le  chapitre  général  en 
arriva  à  ne  plus  se  réunir  au  dix-huitième  siècle  que  pour 
l'élection  du  général. 

La  date  primitive  de  cette  réunion  est  celle  des  octaves  de 
la  Pentecôte  (dimanche  de  la  Trinité).  A  partir  de  ia63. 
ce  fui  le  quatrième  dimanche  après  Pâques  (dimanche  de 
Cantate),  la  même  date  que  celle  du  chapitre  général  de  Saint- 
Victor'.  Cette  date  s'observe  encore  actuellement  chez  les 
Trinitaires  Déchaussés  de  Rome;  on  n'y  dérogea  qu'excep- 
tionnellement, notamment  en  i655  et  en  1686,  pour  prévenir 
les  intrigues  des  provinces  étrangères,  qui,  n'assistant  pas  au 
chapitre  français,  voulaient  qu'il  se  tint  ailleurs. 

Le  droit  d'assistance  au  chapitre  général  a  donné  lieu  à 
une  controverse  de  près  d'un  siècle.  La  Règle  n'en  dit  rien. 
Elle  ne  spécifie  pas  de  différence  entre  les  chapitres  généraux, 
qu'il  y  ait  ou  non  a  élire  un  général.  Quand  elle  parle  de 
l'élection  du  ministre  par  le  conseil  commun  des  frères,  elle 
ne  peut  évidemment  avoir  en  vue  que  le  ministre  particulier. 
II  eût  été  absurde  de  faire  élire  le  grand-ministre  par  le  suf- 
frage universel.  Il  est  probable  que  théoriquement  tous  les 
ministres  avaient  droit  de  séance  au  chapitre  général.  A  la 
suite  de  démêlés  assez  obscurs  entre  les  grands-ministres  et 
les  provinces  étrangères  dans  le  cours  du  treizième  siècle, 
l'usage  s'introduisit  de  n'y  convoquer  que  les  ministres  des 
quatre  provinces  du  nord  de  la  France  (Ile-de-France,  Cham- 
pagne, Picardie,  Normandie),  seules  mentionnées  dans  les 
plus  anciens  Statuts  des  Trinitaires.  —  Les  provinces  étran- 

1.   E.  Vwtavlt,  danst  Positions  des  Thèses  de  l'Ecole  des  Charles,   1867- 
1868,  p.  65. 


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56  L'ORDRE    FRANÇAIS    DES    TR1NITAIRES. 

gères  tinrent  leurs  chapitres,  chaque  année,  dans  des  cou- 
vents désignés  par  les  correcteurs  ou  définiteurs,  qui  diri- 
geaient les  délibérations.  —  Cette  spécialisation  avait  une 
raison  de  fait  :  Cerfroid  élait  trop  éloigné  du  Midi,  de 
l'Espagne  surtout,  pour  qu'on  pût  y  faire  venir  annuelle- 
ment les  ministres  non  français.  Ce  qui  était  un  fait  parut 
aux  Trinilaires  du  Nord  un  droit,  quoiqu'il  ne  fût  écrit  nulle 
part;  les  «  quatre  provinces  »  prirent  l'habitude  de  se  réunir 
seules  en  chapitre  général  et  prétendirent  représenter  tout 
le  reste  de  l'ordre. 

Contre  la  réclamation  des  étrangers  au  dix-septième  siè- 
cle, les  Trinilaires  du  Nord  formèrent  un  grand  dossier  qu'ils 
eurent  la  naïveté  de  croire  concluant. 

La  thèse  de  l'exclusion  systématique  des  étrangers  pour  le 
chapitre  général  est  insoutenable.  Suspects  aussi  sont  les 
nombreux  chapitres  généraux  tenus  hors  de  France  ou  dans 
notre  Midi,  trop  facilemment  admis  par  Bonavcnture  Baron, 
qui  se  fait  l'écho  des  prétentions  des  Trinilaires  espagnols. 
Suspecte  la  version  de  la  bulle  de  1 256,  copiée  dans  un  ma- 
nuscrit de  la  Bibliothèque  nationale,  une  des  plus  singulières 
falsifications  de  cette  époque  du  dix-septième  siècle,  si  fertile 
en  faux  de  tout  genre. 

Dans  le  dossier,  même  interpolé,  des  Trinilaires  du  Nord, 
nous  avons  de  quoi  les  prendre  en  flagrant  délit  d'erreur. 
C'est  dans  les  extraits  des  chapitres  généraux,  auxquels  la 
cour  de  Rome  ne  voulut  jamais  ajouler  foi,  et  dans  lesquels 
on  peut  avoir  confiance,  quoiqu'on  n'ait  jamais  vu  les  actes 
originaux,  par  suite  de  celle  déplorable  fatalité  qui  s'attache 
aux  litres  primordiaux  des  Trinilaires.  L'assistance  d'étran- 
gers aux  chapitres  français  se  prouve  en  droit  et  en  fait. 

Les   Statuts  de   1429,  comme   il  a  été   di(,   complétés  par 


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SERAI,.  57 

Jean  de  Burgos,  provincial  de  Castille,  portent  expressément 
que,  tous  les  cinq  ans,  l'Espagne  enverra  des  députés  au  cha- 
pitre général.  C'était  d'autant  plus  facile  qu'il  y  avait  conti- 
nuellement a  -Paris  des  religieux  de  provinces  étrangères, 
attirés  par  leurs  éludes  ou  par  les  affaires  de  leurs  provinces  : 
le  Chartularium  du  1*.  Denifle  mentionne  parfois  des  Tri- 
nitaires  espagnols  dans  notre  Université.  Admettons  comme 
vraies  les  protestations  des  Trinitaires  contre  le  droit  des 
provinces  du  Midi  et  de  l'Espagne  à  se  faire  représenter 
dans  les  chapitres  de  l'élection  du  général,  on  constate  la 
présence  non  accidentelle  de  religieux  de  Languedoc  et  d'Es- 
pagne aux  chapitres  généraux  de  147Ï  et  de  i5o8  ',  ainsi  que 
le  droit  de 'vote  qui  leur  fut  accordé  pour  cette  fois. 

Mais  voici  qui  est  plus  grave  et  qui  me  parait  anéantir 
totalement  la  thèse  française,  c'est  la  lettre  si  intéressante 
écrite  par  Thibaud  Musnîer  aux  ministres  de  Valladolid  et 
de  Séville,  au  mois  de  mai  i548,  et  conservée  dans  les  Archi- 
ves de  Chàlons-sur-Marns1.  Le  nouveau  général  dit  qu'il  avait 
formellement  convoqué  les  ministres  d'Espagne  à  se  rendre 
au  chapitre  et  qu'il  regrette  leur  absence. 

Sans  empiéter  sur  les  faits  de  l'histoire  générale  de  l'ordre, 
il  faut  signaler  la  solution  de  cette  question  de  droit.  Jus- 
qu'à la  fin  du  seizième  siècle,  les  étrangers  ne  furent  pas 
très  ardents  à  réclamer  le  droit  de  siéger  au  chapitre  d'élec- 
tion. 11  fallut  la  fondation  des  Déchaussés  d'Espagne,  qui  eu- 
rent bientôt  un  général  à  eux  seuls,  pour  leur  faire  regretter 
celte  abstention.  On  comprend  alors  les  instances  des  Chaus- 
sés d'Espagne,  des  Réformés  du  midi  comme  du  nord  de  la 


1.   Pièce  23o. 


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58  l'ordre  français  des  TRIBUTAIRES. 

France,  qui  fièrent  partie  ensemble  afin  d'être  admis  au  cha- 
pitre de  Cerfroid.  Le  pouvoir  royal  y  fit  admettre  les  Réfor- 
més de  l'Ile-de-France.  Ceux  de  Provence  n'y  furent  appelés 
qu'en  1693,  les  Espagnols  en  demeurant  toujours  exclus.  La 
France  entière  fut  donc  unie  contre  les  prétentions  des  Espa- 
gnols, soutenus  par  le  pape  avec  réserve;  plusieurs  chapi- 
tres se  tinrent  à  Rome  sans  la  participation  de  la  France. 
En  1703,  l'Espagne  et  l'Italie  purent  se  faire  représenter  au 
chapitre  général ,  toujours  tenu  à  Cerfroid ,  mais  les  Trini- 
taires  de  France  rendirent  cette  victoire  inutile  en  ne  se  réu- 
nissant plus  que  pour  l'élection  du  général.  Ils  gardèrent 
jusqu'au  bout  la  majorité;  les  Espagnols  se  découragèrent 
et  ne  tirèrent  aucun  parti  de  leur  succès.  Telle  fut  l'évolu- 
tion des  assistants  au  chapitre  général. 

Le  chapitre  général  est  présidé  par  le  grand-ministre  et, 
si  la  charge  est  vacante,  par  le  custos.  En  cas  de  maladie,  le 
grand-ministre  constitue  des  procureurs  pour  la  durée  du 
chapitre  :  ceux-ci,  au  nombre  de  quatre  en  i33o,  sont  indé- 
pendants des  fonctionnaires  du  chapitre. 

Un  promoteur,  élu  par  les  «  capitulants  »,  remplit  le  rôle 
de  ministère  public,  sollicite  les  châtiments  contre  les  minis- 
tres négligents,  accorde  ou  refuse  le  droit  de  session. 

Le  secrétaire  du  chapitre  parait  être  élu  à  vie.  Dans  les 
dernières  années  du  seizième  siècle,  nous  voyons  un  reli- 
gieux, nommé  Cosse,  toujours  pourvu  de  ce  titre.  Au  début 
du  siècle  suivant,  Claude  Ralle  est  à  la  fois  secrétaire  du 
généra],  Louis  Petit,  et  secrétaire  du  chapitre  général. 

Les  correcteurs  ou  définiteurs  sont  ainsi  nommés  parce 
qu'ils  doivent  corriger  le  grand-ministre  et  définir  les  points 
obscurs  de  la  règle.  Ils  peuvent  «  constituer,  destituer,  modi- 
fier, ajouter,  retrancher,  imposer  à  tous  leur  autorité  et  régie- 


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LE    CHAPITRE    GÉNÉRAL.  5û 

menter  à  perpétuité1  m.  —  «  En  eux,  di(  Du  Cange  (Diction- 
naire, II,  777),  réside  toute  la  puissance  du  chapitre...  pour 
les  décisions  en  matière  de  discipline,  m 

Les  définiteurs  (cette  appellation  prévalut  bientôt)  semblent 
n'être  que  trois  en  raoj1;  mais  peut-être  une  des  quatre  pro- 
vinces était-elle  insuffisamment  représentée  i  ce  chapitre. 
Ensuite  ils  sont  toujours  quatre.  Contrairement  à  ce  que  l'on 
pourrait  penser,  il  n'y  en  avait  pas  toujours  un  par  province. 
Il  y  a  en  i3i 9  deux  définiteurs  de  l'Ile-de-France,  les  minis- 
tres de  Fontainebleau  et  de  Paris,  et  en  i38o  deux  de  la  pro- 
vince de  Champagne,  ceux  de  Châlons  et  de  Troyes.  Voici 
deux  listes  régulières  de  ministres,  comme  toutes  le  furent 
par  la  suite  : 

i33o,  les  ministres  d'Elampes  (France). 

—  de  Douai  (Picardie). 

—  de  Lamarche  (Champagne). 

—  de  Morlagne  (Normandie). 
1 38o,  les  ministres  de  Mitry  (France). 

—  d'Arras  (Picardie). 

—  de  Châlons  (Champagne). 

—  de  Rieux  (Normandie). 

L'admission  des  Trinitaires  Réformés,  en  1696,  fit  qu'il  y 
eut  six  définiteurs;  l'accession  des  provinces  étrangères  au 
début  du  dix-huitième  siècle  éleva  leur  nombre  à  neuf,-  dont 
cinq  pour  la  France,  un  pour  l'Italie,  un  pour  le  Portugal  et 
deux  pour  l'Espagne. 

La  réunion  officielle  est  fixée  au  dimanche,    mais  le  cha- 


1.  La  P.  B*lme,  Cartulairede  saint  Dominique,  l.  1,  p.   ifl3. 
s.  Don  Toussaint  du  Plessis,  oavr.  cité,  l.  H,  p.  439- 


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6û  L'ORDRE    FRANÇAIS    DBS    TRINITAIRE8. 

pitre  commence  au  moins  deux  jours  avant.  C'est  pour  le  ven- 
dredi que  les  statuts  anonymes  convoquent  les  provinces  du 
royaume  de  France  et  de  ('Empire  (sans  doute  la  Flandre  on 
Germanie  inférieure)  pour  traiter  des  affaires  de  l'ordre  avec 
le  grand-ministre  ou  le  vicaire  général,  de  concert  avec  les 
déiiniteurs  de  l'année  précédente.  Si  quelque  simple  frère, 
porteur  d'une  procuration  ',  vient  au  chapitre,  il  ne  peut  être 
reçu  à  Cerfroid  que  le  samedi.  —  Le  chapitre  durant  plusieurs 
jours3,  des  legs  spéciaux  avaient  été  faits  pour  parer  à  ces 
dépenses  qui  eussent  été  trop  onéreuses  pour  le  couvent  de 
Cerfroid,  situé  dans  un  pays  sans  ressources.  Comme  par- 
tout, on  délibérait  par  provinces  {itum  est  ad  prooincias,  dit 
Bourgeois  en  1&73). 

Le  chapitre  général  nomme  et  révoque  les  écoliers,  choisît 
également,  par  province,  les  ministres  députés  au  rachat  des 
captifs,  accorde  aux  bienfaiteurs  de  l'ordre  «  l'association 
spirituelle  »  ou  les  prières.  En  12ÎH,  Simon,  vicaire  du 
grand-ministre  Nicolas,  ayant  appris  la  mort  de  Guillaume, 
fils  de  la  comtesse  de  Flandre,  fait  célébrer  des  messes  en 
chapitre  général  et  ordonne  à  chaque  prêtre  de  l'ordre  d'en 
dire  deux  à  cette  intention3.  En  ia56,  le  chapitre  confère  à 
saint  Louis  l'association  spirituelle*. 

Il  règle  le  spirituel  (fêles  de  l'ordre)  comme  le  temporel. 
Si  un  couvent  n'a  plus  assez  de  fonds  pour  nourrir  ses  reli- 


i .  Hors  ce  cas,  un  simple  frère  ne  pcul  élre  reçu  ru  chapitre,  nuque! 
les  ministres  seuls  oui  te  droit  ainsi  qui:  le  devoir  strict  d'assister.  Les 
Déchaussés  frappent  d'uue  amende  de  100  livres  les  ministres  absents  sans 
motif  légitime. 

2.  (I  est  interdit  de  le  faire  durer  plus  de  quinze  jours.  {Constitutions 
éditées  à  Madrid  en  173 1,  p.  ïi5.) 

3.  Inventaire  i/e  lit  Chamlire  des  comptes  de  Lille,  i8ô5,  p.  folf. 
i.  Layettes  du  Trésor  des  Charte»,  III,  ^58. 


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LE   CjlIAPITRE    GÉNÉRAL. 
(BIN.  ïuriH,  nu.  t1S5,  fol.  1U.) 


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LE    CHAPITRE    GENERAL.  01 

gieux,  il  en  prescrit  la  réunion  à  un  aulre  couvent  plus  floris- 
sant, c'est  la  redactio;  des  revenus  du  couvent  supprimé,  on 
fait  deux  parts,  l'une  sert  à  acquitter  les  fondations,  l'autre 
est  consacrée  à  des  créations  de  bourses  pour  des  écoliers  de 
l'ordre.  —  Le  chapitre  fait  les  confirmations  générales  des 
biens  des  couvents,  car  chaque  ministre  y  apporte  ses  inven- 
taires. Si  Thomas  Loquet,  en  i353,  souscrit  seul  ta  confir- 
mation des  biens  du  couvent  de  Mitry  ',  ailleurs  on  voit  les 
correcteurs  ou  définiteurs  procéder  seuls  à  cette  opération. 

Le  chapitre  s'occupe  de  l'historiographie  de  l'ordre  et 
nomme  au  besoin  un  chronographe2 . 

Le  chapitre  général  accorde  aussi  des  secours  de  toute 
nature  aux  minisires  dont  le  couvent  a  été  éprouvé  par 
quelque  catastrophe;  ainsi,  le  20  mai  ^76,  5oo  livres  sont 
allouées  à  Elie  Mannourry  pour  rebâtir  l'église  de  Gerfroid. 
Le  ministre  de  Châlons,  dont  l'église  a  été  incendiée,  reçut 
la  permission  d'aliéner  des  biens  jusqu'à  concurrence  de 
5oo  livres. 

L'histoire  financière  du  chapitre  général  est  assez  bien 
connue  depuis  le  dix-septième  siècle.  On  voit  qu'en  i635 
chaque  ministre  (sauf  les  officiers  du  chapitre)  dut  donner 
4o  sous  pour  les  serviteurs. 

Le  voyage  des  députés  de  chaque  province  était  à  la  charge 
des  couvents  :  c'était  une  raison  pour  ne  pas  trop  multiplier 
ces  réunions.  D'autres  dépenses  étaient  imposées  aux  minis- 
tres à  l'occasion  du  chapitre.  En  170$'  et  en  17491  le  pape 
ayant  accordé  une  indulgence  plénière  pour  le  jour  de  l'ou- 
verture du  chapitre,  chaque  ministre  fut  taxé  à  12  sous  pour 

1.   Bibl.  nat.,  Collection  de  Champagne  i53,  n«  43- 
a.  II  y  en  a  un  exemple  même  en  1781 
3.  Bibl.  ont.,  Ld  «,  no  7,  p.  3a. 


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6a  l'ordre  français  des  tributaires. 

le  port  de  la  bulle  et  À  r8  pour  les  exemplaires  à  faire  affi- 
cher '  dans  les  villes  où  l'ordre  avait  des  couvents. 

Les  chapitres  particulièrement  intéressants  furent  ceux  de 
i635  et  de  i65r,  lors  de»  grandes  dissensions  intestines  de 
l'ordre,  et  celui  de  1696,  où  parurent,  pour  la  première  fois, 
les  provinces  de  Provence  et  de  Languedoc. 

Tous  les  actes  importants  du  chapitre  général  étaient  passés 
en  latin;  les  discours1  étaient  prononcés  dans  cette  langue. 
Seulement,  lorsqu'on  voulut  faire  des  politesses  aux  étran- 
gers, on  les  laissa  parler  leur  langue;  il  y  eut,  en  1704.  des 
discours  italiens  et  espagnols3.  Gaguin  remarque  qu'Etienne 
du  Mesnil  parla  français  en  i4i5,  contre  l'habitude.  En  1781 
encore,  les  discours  et  le  compte  rendu  du  chapitre  furent 
écrits  en  latin. 

Dans  divers  actes  solennels,  comme  ceux  qui  sont  relatifs 
au  couvent  du  Bourgel  (i33o,  1370,  i38o),  la  date  com- 
prend aussi  l'année  du  pontificat  et,  au  bas  de  chaque  acte, 
figure  le  visa  du  notaire  apostolique. 

Dans  le  courant  du  quinzième  siècle,  les  petits  actes  de 
confirmation  générale  cessèrent  d'être  rédigés  eu  latin.  Le 
premier  acte  que  j'aie  rencontré  en  français  (26  avril  i483) 
est  relatif  au  temporel  de  La  Villeneuve,  près  Chelles*.  Le 
latin  persista  plus  longtemps  dans  les  registres  de  visite  : 


1.  Bibl.  de  Lyon,  manuscrit  281,  fonds  Coste,  a"  i5. 

2.  L'honneur  de  prononcer  le  discours  préliminaire  à  l'élection  devait 
être  fort  recherché,  parce  qu'il  fournissait  parfois  h  l'orateur  l'oc 
poser  sa  candidature.  Gaguin  pnrla  si  bien  des  devoirs  du  grand-n 
qu'on  jugea  que  personne  n'élait  plus  digne  que  lui  d'être  élevé  à  celi 
dignité.  (1*.  de  Vajssièhk,  De  Robert i  Gagitiai  vita  el  operibnx...  p.  6.) 

3.  Registre  i3  des  Trinitaires  de  Marseille,  p.  88. 


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LE    CHAPITRE    GÉNÉRAL.  63 

en  i53i,  à  Taillebourg,  il  était  encore  employé,  comme  nous 
l'avons  vu. 

Il  n'y  avait  pas  seulement  des  personnages  de  l'ordre  des 
Trinilaires  dans  le  chapitre  général.  Dès  i4i5,  un  huissier 
force  Etienne  du  Mesnil  à  quitter  la  présidence;  en  i546, 
un  envoyé  de  la  cour  interdit  toule  élection.  Au  dix-sep- 
lième  siècle,  des  conseillers  au  Parlement  de  Paris  furent 
délégués  par  le  roi  comme  assistants.  On  y  trouva  même, 
en  i635,  des  huissiers  pour  surveiller  de  près  les  Trinilaires 
non  Réformés.  Le  roi  tenait  à  ce  qu'on  ne  traitât  point  de 
sujets  contraires  aux  statuts,  témoin  une  lettre  du  cardinal 
de  Fleury  ■  aux  Réformés  en  1737.  Cet  usage  persista,  car, 
dans  le  dernier  chapitre  général  (1781),  il  y  avait  quatre 
envoyés  royaux  3  :  l'intendant  Berlier,  Mignot  et  Martigny, 
de  l'Académie  des  sciences,  et  Le  Monier,  commissaire  des 
guerres. 

On  donnait  aussi  le  nom  de  chapitre  général  aux  réunions 
d'ensemble  de  la  congrégation  réformée,  établie  à  la  fin  du 
seizième  siècle.  Lorsque  la  paix  eut  été  raffermie  entre  cette 
congrégation  et  le  général,  celui-ci  vint  parfois  présider  lui- 
même  ou  tout  au  moins  nomma  un  président,  comme  pour 
les  chapitres  provinciaux  ordinaires.  La  présence  d'un  délégué 
du  général  n'excluait  pas  celle  de  l'évéque  que  le  roi  leur 
donnait  comme  président  dans  des  circonstances  importantes. 

1.  Pièce  285. 

1.  Recueil  sur  la  Rédemption  lies  Captifs.  Bibl.  de  lu  ville  de  Paris, 
no  283ï4,  in-4°. 


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CHAPITRE  VII. 
Le  provincial  et  le  chapitre  provincial. 


Dès  1226,  on  voit  un  vicaire  provincial  assister  à  1»  dona- 
tion de  l'hôpital  de  Beaûcaire  à  son  ordre  par  l'archevêque 
d'Arles.  En  1273,  Vincent  de  Fontainet  es!  nommé,  par  le 
grand-minislre  Jean,  provincial  dans  les  diocèses  d'Albi,  de 
Vienne  et  de  Toulouse'.  A  l'autorisation  de  venle  de  l'hôpital 
de  Saint-Martin  de  Marseille,  le  16  mars  1277,  il  est  qualifié 
de  ministre  provincial  des  Tri  ni  ta  ires  de  Toulouse.  Probable- 
ment, la  Provence  el  le  Languedoc  n'eurent  parfois  qu'un 
seul  et  même  provincial,  mais  ce  n'est  pas  absolument  sur. 
En  France,  le  provincial  est  à  la  nomination  du  général.  Il 
est,  pour  sa  province,  ce  que  le  général  est  pour  l'ordre 
entier.  II  doit  sans  doute  être  confirmé  par  chaque  nouveau 
général.  Il  a  autorité  sur  une  douzaine  de  couvents;  telle  est 
la  moyenne  en  France  (dans  la  province  de  Caslille  il  y  avait 
vingt-deux  couvents). 

II  est  le  correspondant  du  général.  C'est  le  provincial  d'An- 
gleterre que  Gaçuin3  charge,  en  son  nom,  de  recouvrer  la 
chapelle  de  la  Sainte-Trinité  d'Oxford,  qui  avait  été  aliénée. 


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LE    PROVINCIAL    ET    LE   CHAPITRE    PROVINCIAL.  65 

Le  provincial,  institué  en  France  par  le  grand-ministre,  est 
souvent  le  ministre  du  couvent  le  plus  important  de  la  pro- 
vince1; ainsi  le  ministre  de  Troyes  est  fréquemment  provin- 
cial de  Champagne.  De  même  Simon  de  Camargo,  en  1/481 , 
et  Diego  de  Gayangos,  en  i5i8,  sont  à  la  fois  provinciaux 
de  Castille  et  ministres  de  Burgos1.  Mais  l'Espagne  a  des 
usages  particuliers  qui  vont  être  détaillés. 

Le  provincial  doit  être  nommé  à  l'unanimité  par  les  minis- 
tres de  la  province,  faute  de  quoi  le  grand-ministre  le  choisit. 
II  est  élu  pour  un  temps,  en  Espagne,  à  dater  de  1 477 ,  et 
fait  ainsi  la  première  brèche  à  la  perpétuité  des  fonctions. 
Gaguin  se  plaignant,  à  cause  de  l'éloignement,  de  n'avoir  que 
tardivement  connaissance  de  la  mort  des  provinciaux,  or- 
donne la  triennalité  de  ces  fonctions.  A  la  mort  du  ministre 
provincial  actuel  de  Castille  et  de  Léon,  le  ministre  conven- 
tuel le  plus  proche  ou,  à  son  défaut,  le  plus  ancien,  recevra 
la  garde  de  la  province,  qu'il  conservera  jusqu'à  ce  que  l'élu 
des  ministres  ait  été  confirmé  par  le  général.  Le  provincial,  à 
sa  troisième  année,  fixera  le  lieu  de  la  future  élection,  pré- 
sidée par  le  plus  proche  ministre  conventuel  qui  aura  le  titre 
de  cuslos,  ensuite  de  président  de  la  province  (1477J. 
Vingt  ans  plus  tard,  Gaguin  permit  que  le  provincial,  réélu3 
immédiatement,  se  passât  de  la  confirmation  du  grand- 
ministre,  et  que,  non  réélu,  il  confirmât  son  sucesseur  «  per 
osculam  pacis  ».  Le  provincial  meurt-il  avant  les  trois  ans, 
c'est   au   plus  ancien  ministre  que  l'on  jurera  obéissance4. 

1.  Le  sceau  da  provincial  est  celui  du  couvent  dont  il  est  ministre. 

2.  Alexandre  VII  interdit  aux  provinciaux  d'Espagne  de  cumuler  cet 
office  avec  celui  de  ministre  conventuel  (Statuts,  édition  de  1 73 1 ,  p.  261). 

3.  D'après  une  bulle  du  10  octobre  i544,  le  provincial  ne  put  être  réélu 
qu'au  bout  de  six  ans  (Bullaïre  de  1691,  pp.  269-273). 

4.  P.  de  Vaissière,  oiwr.  cité,  pp.  23  et  4q. 


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66  l'ordre  français  des  trinitaires. 

La  confirmation  du  général  était  encore  exigée  au  milieu 
du  dix-septième  siècle  '. 

La  même  règle  existait  pour  la  province  de  Portugal.  Le 
provincial  récemment  élu,  décide  le  nonce  en  i585,  sera 
confirmé  par  son  prédécesseur  ou  par  le  visiteur  provincial, 
(ici  appelé  commissaire  général)  ou  par  le  président  de  la 
province,  et  il  devra,  dans  les  deux  mois,  demander  sa  con- 
firmation au  ministre  général1. 

Le  provincial  devait  être  originaire  de  sa  province;  ainsi 
en  est-il  décidé,  le  4  mai  1 53 1 ,  pour  le  provincial  d'Aragon; 
toutefois,  d'accord  avec  le  ministre  général,  le  chapitre  pro- 
vincial peut  accepter  un  étranger3. 

Le  provincial  était  spécialement  chargé  de  faire  des  enquê- 
tes. Paschal,  ministre  d'Orival,  vicaire  général  dans  les  Pays- 
Bas,  avec  placet  royal,  est  chargé  d'aller  constater  les  dégâts 
causés  dans  le  couvent  de  Lens4  (i5  novembre  i64o).  Eu 
1718,  Mathieu  Duxio,  provincial  des  Réformés,  vient  constater 
la  ruine  de  la  clôture  du  couvent  de  Pontoise3. 

Il  ne  parait  pas  y  avoir  de  différences  essentielles  entre  le 
rôle  du  provincial  et  celui  du  visiteur  ;  au  dix-septième  siècle, 
les  Réformés  parlent  du  visiteur  provincial.  Peut-être  cepen- 
dant le  visiteur  élail-il  parfois  un  subordonné  occasionnel  du 
provincial?  Ainsi  Simon  de  Roxas,  confesseur  de  la  reine 
d'Espagne  Elisabeth,  ne  pouvait  quitter  la  cour  pour  faire  ses 
visites,  qu'il  devait  accomplir  personnellement,   comme   pro- 


1,   Vatican,  ras.  Ottolioni  1123,  fu  97. 
1.  Bullairc,  pp.  3[Ç-3ai. 

S.   Ibid.,  p.  a5o.  Chaque  province  espagnole  en  effet  était  ïndépeudaute 
l'une  de  l'autre  au  point  de  vue  de  la  visite. 
4.  Archives  de  l'Etal,  à  Mons.  Liasse  :  Lens, 
ô.  Registre  capîlulairc  (Bibl.  de  Ponloise),  f»  l4. 


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LE    PROVINCIAL    ET    LE    CHAPITRE    PROVINCIAL.  67 

vîncial;  avec  l'agrément  de  Louis  Petit,  il  garda  le  titre  et 
délégua  deux  visiteurs  à  sa  place  '. 

La  visite  habituelle  de  couvents  déterminés  paraît  avoir  été 
confiée  souvent  à  des  ministres,  toujours  les  mêmes.  En 
Angleterre,  à  Walknoll,  près  Newcastle,  le  ministre  de  Saint- 
Robert  de  Knaresborough  faisait  sa  visite  annuellement  le 
jour  de  la  Trinité'. 

Quelque  puissant  que  fut  le  provincial,  il  pouvait  être  sou- 
mis à  des  visiteurs  apostoliques.  En  i656.  Jérôme  Vêlez  de 
Matute,  ministre  de  Valladolid,  est  choisi,  comme  visiteur 
apostolique  de  Castille,  par  la  Congrégation  des  Evéques  et 
Réguliers.  Pendant  le  cours  de  sa  visite,  il  reçut  beaucoup 
de  plaintes  contre  le  provincial,  le  P.  Francisco  de  Arcos. 
Avant  interrogé  un  grand  nombre  de  témoins,  Jérôme  Vêlez 
dressa  une  liste  de  trente-quatre  griefs,  qu'il  communiqua  au 
provincial;  huit  jours  après,  ce  dernier  fournit  de  longues  et 
fi  ères  réponses.  Voici  les  principaux  reproches  qui  lui  étaient 
adressés  : 

II  n'était  pas  légitimement  élu  provincial,  n'ayant  pas  été 
confirmé  par  le  général  de  l'ordre  et  ayant  bénéficié  de  la 
pression  du  nonce  sur  les  électeurs. 

II  avait  mal  rempli  son  office,  puisqu'il  ne  s'était  mis  en 
route  que  six  mois  après  son  élection  et  avait  laissé  de  côté 
cinq  couvents,  et  une  autre  fois,  douze  (il  devait,  en  effet, 
faire  deux  tournées  pendant  son  trienne). 

Dans  la  visite  de  Madrid,  il  était  resté  cinq  mois  pour  y 
faire  élire  ministre  une  de  ses  créatures,  le  P.  Manzano3. 

t.   Gili.io  Coreara,  Hiiratto  délia  uiia...,  pp.  63-64- 
3.  Dugdale  Afonafticnm  anglicannm,  (.  VIII,  col.  i55i. 
3.   Le  P.  Manzano  est  cité  à  la  page  i5g  lie  l'Arbnr  Chronologica  comme 
définiteur  de  Castille  el  éditeur  de  sentences  Urées  dos  ouvrages  de  Simon 

de  Roms. 


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68  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES. 

Il  avait  donné  des  postes  de  ministre,  de  prédicateu 
général  à  sa  fantaisie;  il  demeurait  souvent  hors  du  couvent, 
ou,  quand  il  s'y  trouvait,  il  s'était  dispensé  des  offices  et  du 
réfectoire.  Il  avait  même  fait  mourir  un  religieux  par  ses 
mauvais  procédés  ;  il  avait  soumis  au  Conseil  du  roi  d'Espa- 
gne des  mémoires  contre  ses  religieux  et  engagé  sa  province 
dans  des  procès  ruineux. 

Ayant  entendu  sur  tous  les  points  la  défense  de  l'accusé, 
Jérôme  Vêlez  rend  sa  sentence  (4  avril  i656). 

Le  provincial  est  déposé  et  privé,  pour  sept  ans,  de  voix 
active  et  passive  au  chapitre  provincial,  auquel  il  ne  pourra 
assister  que  s'il  y  est  appelé  par  les  défini teurs  '.  Cette  con- 
damnation était  si  exagérée  que  le  P.  Francisco  de  Arcos 
obtint  sa  réhabilitation;  il  figura  en  effet  comme  provincial 
lors  de  la  convocation  d'un  chapitre  à  Rome,  où  il  fut  d'ail- 
leurs empêché  par  une  épidémie  de  se  rendre;  une  pénitence 
fut  sans  doute  trouvée  suffisante. 

Il  y  eut  encore  en  Espagne,  en  1662,  un  visiteur  aposto- 
lique, dont  Pierre  Mercier,  général,  dut  subir  les  conditions 
pour  exercer  son  droit  de  visite. 

En  cas  d'absence,  le  provincial  était  remplacé  par  un 
commissaire  général.  Pierre  Mercier  donne  ce  dernier  titre  à 
Antoine  Dachier,  ministre  de  Lens,  tant  que  François  de 
Bélhencourl,  provincial  cl  ministre  de  Douai,  sera  procureur 
général  en  cour  de  Rome"  (10  janvier  1672). 

Le  chapitre  provincial  est  fort  ma)  connu  avant  le  dix- 
septième  siècle.  Il  est  à  présumer  cependant  qu'il  subit  les 
mêmes  vicissitudes  que  le  chapilre  général.  D'après  la  feuille 


1.  Bibl.  du  Vatican,  ms.  Oiioboui  1  n3,  P>*  86-1 
3.  Arch.  de  l'Etat  belge  à  Mans.  Liasse  ;  Leos, 


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LE   PROVINCIAL    ET    LE    CHAPITRE    PROVINCIAL.  69 

de  dépenses  du  ministre  de  Marseille,  en  i36o,  il  se  tenait 
annuellement  en  Provence.  Plus  tard,  il  ne  se  tint  plus  que 
tous  les  trois  ans. 

Dans  le  Midi,  qui  eut  son  régime  à  part  au  dix-septième 
siècle,  on  y  procédait  parfois  à  l'élection  des  ministres  con- 
ventuels. Nous  avons  la  série  complète  des  chapitres  provin- 
ciaux qui  se  tinrent  dans  la  Congrégation  des  Réformés  de 
Provence'.  On  peut  voir  par  ces  registres  qu'il  y  avait,  hors 
le  temps  du  chapitre,  une  réunion  plus  restreinte,  appelée 
assemblée  des  cinq  Pères,  composée  sans  doute  du  provincial 
et  des  défi  ni  leurs,  car  le  chapitre  provincial  avait  ses  défini- 
leurs,  comme  le  chapitre  général. 

On  rencontre  souvent  à  celte  époque  le  dèjinitoire,  qui  se 
composait  du  président  du  chapitre,  du  provincial  élu,  des 
anciens  provinciaux  ou  Pires  de  province  et  des  quatre  défi- 
niteurs.  Ce  définitoire  élit  en  17001  les  ministres  particuliers 
de  Portugal. 

Dans  le  Nord,  nous  avons  quelques  notions  sur  le  chapitre 
provincial  de  Champagne.  Claude  de  Massac  le  présida  lui- 
même,  à  Troyes,  en  1718.  Le  général  nomme  un  président 
en  cas  d'empêchement.  La  date  est  toujours  (sauf  rares  excep- 
tions) le  quatrième  dimanche  après  Pâques.  Il  est  successi- 
vement reculé  de  1759  à  1762,  pour  cause  de  maladie  du 
général,  le  P.  Lefebvre,  qui  tenait  à  le  présider  person- 
nellement3. L'assiduité  y  était  d'autant  plus  requise  que  les 
ministres  de  chaque  province  étaient  moins  nombreux. 


1.  Areh.  des  Grands  Trinitaires  de  Marseille,  registre  i3. 

a.  Analectajarit pontifcii,  XIV,  186. 

3.  Arch.  de  Metz,  H  'AyjZ,  5;  H  377/1,  4-  Quant  au  lieu  où  il  se  tenait,  il 
devait  être  fixé  par  le  général  de  façon  qu'on  put  s'y  rendre  de  toute  la  pro- 
vince avec  le  moins  de  frais  possible  (Statuts  de  ijiq,  p.  54). 


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70  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES. 

Dans  les  Pays-Bas,  au  dix-huitième  siècle,  le  conseil  de 
Brabant  essaya  de  fonder  une  sort*  de  chapitre  provincial 
pour  les  seuls  couvents  restés  sous  la  domination  de  l'Au- 
triche. L'essai  ne  dura  point  assez  pour  donner  des  résultats 
appréciables. 


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CHAPITRE  VIII. 


Les  ministres  particuliers 


Nous  avons  dit  que  le  supérieur  trinitaire  s'appelait  minis- 
tre, et  que  le  couvent  prenait  parfois  le  nom  de  ministrerie. 
On  voit  aussi  le  terme  de  ministérîat  :  par  exemple,  la  cha- 
pelle de  Saint-Jean  de  Grandpré  est  ainsi  désignée  dans  un 
pouillé  du  dix-huitième  siècle1. 

Le  titre  de  prieur  est  donné  à  quelques  supérieurs,  notam- 
ment à  celui  de  Cerfroid.  Dom  Toussaints  du  Plessis,  qui 
avait  d'abord  cru  que  ce  titre  était  réservé  au  chef  d'ordre, 
l'explique  fort  bien  ensuite  par  la  raison  que,  le  grand- 
ministre  étant  ipso  facto  ministre  de  Cerfroid,  celui  qui  vient 
après  lui  s'appelle  prieur;  des  bulles  sont  en  effet  adressées, 
au  début  du  treizième  siècle,  majori  ministro  et  aliis  fratri- 
bus  Ceroi  Frigidi.  Le  grand-ministre  et  le  prieur  de  Cer- 
froid sont  deux  personnages  différents.  Jean  de  Châtillon 
parle,  en  i344,  du  ministre  de  Cerfroid  :  c'est  du  grand- 
ministre  Thomas  Loquet,  ami  particulier  de  sa  famille,  qu'il 
s'agît.  Le  prieur  devint  le  premier  à  Cerfroid  quand  le  général 
n'y  résida  plus. 

Parfois,   les  petits  couvents  n'avaient  à  leur  tète  qu'un 

i.    Varin.  Archives  administrative*  de  Reims,  I,  1098  a. 


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72  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINIT  AIRES. 

prieur,  à  Dinard,  par  exemple.  A  Dinan,  au  contraire,  et  à 
Tours',  le  supérieur  s'appelle  prieur-ministre.  Les  prieurs- 
curés  étaient  appelés  ministres  non  conventuels. 

Le  ministre,  primitivement  élu  par  tous  les  frères,  ne  l'est 
plus  ensuite  que  par  les  seuls  religieux.  Bien  vaine  est  la 
controverse  sur  les  textes  des  deux  règles  :  «  ille  qui  eligit 
sacerdos  sit  »,  ou  :  «  ille  qui  eligitur.  »  Après  qu'il  a  été 
dit  :  electio  fiai  pev  commune  consitium  fratrum  clericorum, 
il  est  inutile  de  répéter  que  les  laïques  ne  sont  plus  électeurs. 
La  correction  eligit  a  cependant  été  faite  dans  un  manuscrit 
de  la  Bibliothèque  Mazarine,  annoté  par  Gaguin.  Les  Dé- 
chaussés crurent  nécessaire  de  provoquer  la  bulle  du  10  octo- 
bre i663  pour  exclure  formellement  les  Iniques  du  droit 
électoral. 

Le  ministre  pouvait  être  élu  sans  condition  d'âge.  Ce  n'est 
qu'au  seizième  siècle,  en  vertu  des  décisions  du  concile  de 
Trente,  que  l'âge  de  trente  ans  fut  imposé,  sauf  pour  les 
gradués. 

L'élection  ne  se  faisait  pas  par  les  frères,  quand  le  couvent 
était  dépendant.  Le  prieur  de  Dinard,  à  la  nomination  du 
ministre  des  Mathurins  de  Paris,  lui  payait  un  droit  de 
provision. 

Le  ministre  de  Cordes  devait  être  nommé,  dans  les  six  mois, 
par  le  ministre  de  Toulouse. 

Or,  le  27  août  i4o8,  Durand  d'Estève  est  nommé  ministre 
de  l'hôpital  de  Cordes,  et,  le  12  novembre,  il  y  est  reçu 
comme  simple  frère.  Voici  pourquoi.  Le  minisire  de  Toulouse 
avait  laissé  passer  un  semestre  sans  faire  connaître  son  choix 
au  provincial,  Ignace   Caudati,  ministre  d'Avignon.   Celui-ci 

1.  Arcb.  d'Indro-el-Loire.  Inventaire,  H  739. 


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LES   MINISTRES    PARTICULIERS.  "]3 

jugea  que  le  droit  de  nomination  lui  était  dévolu  et  choisit, 
le  5  octobre,  Hugues  de  Mandagot.  A  cette  date,  il  n'avait 
pas  encore  reçu  de  lettres  du  ministre  de  Toulouse.  Hugues 
arriva  à  Cordes  et  trouva  son  rival  installé  depuis  deux  mois. 
Devant  le  sénéchal  de  Toulouse,  l'élu  du  ministre  céda  la 
place  à  l'élu  du  provincial  ;  deux  jours  après,  Hugues,  mi- 
nistre, nomma  Durand  d'Estève  son  procureur  pour  faire  les 
quêtes1. 

Primitivement,  le  ministre  était  électif,  mais  nous  avons 
vu  qu'à  la  fin  du  seizième  siècle  le  général  a  accaparé  peu  à 
peu  le  droit  de  nommer  les  ministres.  Il  y  eut  cependant  des 
couvents  privilégiés  : 

i°  Celui  des  Mathurins  de  Paris,  qui  eut  une  existence  à 
part  et  garda  le  pouvoir  d'élire  son  ministre.  On  convoquait 
à  celte  élection  tous  les  profès,  quand  bien  même  ils  étaient 
ministres  en  d'autres  couvents. 

2°  Les  couvents  dépendants  d'un  seigneur,  comme  ceux  de 
Rieux  et  de  Terraube  :  le  seigneur  de  Rieux  votait  avec  les 
frères  pour  l'élection  du  ministre,  et  celui  de  Terraube  le 
nommait,  lui  tout  seul.  Le  P.  Miraloup,  provincial  de  Lan- 
guedoc, ayant  voulu  se  soustraire  à  cette  sujétion,  le  marquis 
de  Galard-Terraube  lui  écrivit,  en  1670,  une  lettre  très  ferme 
pour  maintenir  son  droit1. 

3°  Les  couvents  triniiaires  de  Provence  et  de  Languedoc, 
fort  indépendants  du  général,  les  premiers  surtout,  lorsque 
le  Midi  eut  embrassé  ia  Réforme  au  début  du  dix-septième 
siècle.  Celte  évolution  coïncida  avec  l'établissement  de  la 
triennalité,  dont  il  sera  question  plus  loin. 


1 .  Pièce  8g. 
i.  Pièce  31  S. 


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74  l'ordre  français  des  trinitaires. 

4°  Les  couvents  situés  aux  Pays-Bas  espagnols,  dont  le 
régime  était  particulier.  On  voit,  en  r 55 1 ,  Charles-Quint 
pourvoir  Jacques  Bourgeois  de  la  maison  de  Convorde,  en 
vertu  d'un  induit  général  du  pape1.  D'autres  couvents,  comme 
celui  d'Orival,  avaient  gardé  leur  droit  d'élection,  auquel  le 
P.  Grégoire  de  La  Forge  n'aurait  pu  faire  obstacle  sans  le 
concours  que  lui  prêta  la  politique. 

Primitivement,  le  minisire  était  élu  à  vie,  comme  le  fait 
bien  voir  l'article  de  la  règle  concernant  sa  déposition.  Les 
Statuts  de  1 4^9  défendent  à  un  ministre  de  résigner,  s'il  laisse 
des  dettes  ;  ne  peut-il  les  acquitter,  il  sera  mis  en  prison 
jusqu'à  complète  restitution.  Le  ministre  résignant  ne  pourra 
être  élu,  de  plusieurs  années,  ministre  dans  un  autre  couvent. 

—  Nous  trouvons,  nonobstant  ces  défenses,  plusieurs  cas  de 
résignation.  En  i548,  Gaspard  Ferrandin,  ministre  de  Mar- 
seille, démissionne  en  faveur  de  Raphaël  Boyer,  avec  l'agré- 
ment de  la  majeure  partie  de  la  communauté1.  Mais,  en 
i55o,  le  ministre  de  Montpellier  ayant  déposé  sa  charge  en 
chapitre  provincial,   le  provincial  lui  donne  un  successeur3. 

—  En  1705,  Alhanase  des  Lions,  ministre  de  Pontoise,  se 
retire,  à  cause  des  ennuis  qu'il  éprouve  de  la  part  de  ses 
religieux  :  l'assemblée  des  cinq  Pères  lui  substitue  Michel  de 
Pellevé4. 

Le  triennalat  s'introduisit,  au  début  du  dix-septième  siècle, 
dans  tous  les  couvents  où  était  observée  la  Réforme  (en 
Espagne,  cette  coutume  existait  depuis  un  demi-siècle  envi- 
ron). C'est  ainsi  que,  Cerfroid  étant  occupé  en  i634  par  'es 

1.  Pièce  1». 

a.  Pièce  120. 

3.  Arch.  municipales  de  Montpellier,  série  GG  Trinitaires. 

4-  RtgUtre  capitutaire  rit  Pontoise,  f*  i5-ifi. 


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LES    MINISTRES    PARTICULIERS.  75 

Réformés,  le  prieur  y  devint  triennal.  Les  écrivains  de  cette 
congrégation  cherchèrent  en  vain  à  prouver  que  la  triennalité 
était,  au  fond,  une  très  ancienne  coutume  :  c'était  le  même 
raisonnement  que  pour  ta  forme  de  la  croix. 

Ces  élections  du  Midi  devaient  être  confirmées  par  le  cha- 
pitre provincial.  Sous  prétexte  qu'en  1680  la  convocation  des 
vocaux  de  Montpellier  (on  appelait  vocaux  les  religieux  qui 
avaient  trois  ans  de  profession1)  avait  été  trop  tardive  pour 
que  l 'ex-provincial  pût  venir  donner  son  suffrage,  le  commis- 
saire général  du  chapitre,  Nicolas  Campaigne,  annula  l'élec- 
tion. Jean  Cazeneuve,  qui  avait  eu  six  voix  contre  une, 
adressa  au  général  une  requête  dont  nous  ignorons  l'effet*. 

Quand  un  courent  avait  négligé  d'envoyer  son  ministre 
au  chapitre,  on  le  faisait  rétrograder  au  rang  d'hospice, 
c'est-à-dire  qu'on  lui  enlevait  pour  trois  ans  le  droit  élec- 
toral, et  le  chapitre  provincial  nommait  le  ministre. 

Lorsque  les  Réformés  acquéraient  une  maison  ancienne, 
c'est-à-dire  non  réformée,  ils  permettaient  au  ministre  per- 
pétuel de  garder  ce  titre  sa  vie  durant  et  de  prendre  le  pas 
sur  le  ministre  triennal.  Or  cette  triennalité,  à  laquelle  se 
plia  le  seigneur  colla  teur  de  Terraube,  creusa  un  véritable 
fossé  entre  les  disciplines  des  Trinitaïres  du  Nord  et  du  Midi. 

On  peut  choisir  comme  ministre  n'importe  quel  religieux  de 
l'ordre.  Guillaume  Watten,  profès  de  Douai,  fut  prieur  de 
Convorde,  puis  ministre  de  Lens. 

Le  ministre  ne  peut  être  déposé  que  par  le  chapitre  provin- 
cial (depuis  1429)1  et  à  la  majorité  des  voix,  pour  les  motifs 
suivants  :  ivresse  fréquente  et  publique  (ce  grief  apparaît  au 


.  Ailleurs  on  exigeait  cinq  ans. 

.  Arch.  départementales  de  l'Hérault,  Trinitaîres  (non  coté). 


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76  L'ORDRE    FRANÇAIS    DBS    TR1NITAIRES. 

dix-septième  siècle),  dilapidation,  négligence.  Il  esl  envoyé  en 
pénitence,  en  attendant  la  décision  prise  sur  son  sort;  après 
sa  déposition,  il  peut  revenir  dans  les  huit,  jours  à  sa  maison 
de  profession  '. 

Il  est  étroitement  soumis  au  grand-mmisire  et  A  son  vicaire 
général,  dont  il  doit  exécuter  sur-le-champ  tous  les  ordres. 
Même  non  conventuel,  il  doit  rendre  des  comptes  tous  les 
ans  au  chapitre  général  ;  il  doit  payer  le  tiers  des  captifs  à  des 
collecteurs  spéciaux  (Statuts  de  1429).  Une  fois  par  an,  il 
doit  visiter  les  chambres  des  religieux,  sans  préjudice  de  l'in- 
spection quotidienne  et  extérieure.  Il  ne  peut  vendre  les  orne- 
ments sacrés,  même  pour  le  rachat  des  captifs.  Jean  de  Bliecqz, 
ministre  de  Lens,  fut  blâmé  pour  avoir  mis  un  calice  en  dépôt 
afin  de  subvenir  aux  frais  d'un  procès.  S'il  aliène  simplement 
ou  viagèrement  une  possession  fondamentale  de  la  maison, 
cette  aliénation  sera  annulée  par  le  provincial.  Le  ministre  ne 
peut  recevoir  de  novices  que  quand  il  a  avec  lui  deux  frères 
profès;  il  ne  peut  conserver,  dans  son  couvent,  aucun  reli- 
gieux de  sa  famille  (cette  règle  parait  avoir  été  souvent  éludée). 
Il  ne  peut  quitter  son  poste,  même  pour  un  pèlerinage  à  Rome 
ou  en  Terre-Sainte3  sans  une  autorisation  formelle. 

Des  pénalités  étranges  frappaient  originairement  le  ministre 
négligent  :  s'il  retenait  les  moines  déplacés,  il  recevait  chaque 
jour  des  coups  (de  discipline,  sans  doute);  s'il  ne  confisquait 
pas  les  armes  prohibées,  il  devait  manger  trois  jours  à  terre 
el  était  privé  de  vin3! 

1.  Statuts,  édition  de  i588,  pp.  42,  58  cl  60. 

a.  C'est  ainsi  que  le  diacre  Guillaume  Wallen  recul  de  Jacques  Bourgeois, 
provincial,  une  obédience  pour  aller,  le  11  août  1&99,  à  Rome,  au  jubilé, 
avec  Pierre  de  Fresnes,  pour  recevoir  les  ordres  (Archives  de  l'Eut,  à 
Hons). 

3.  Statuts  anonymes,  ard  38  el  19. 


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LES    MINISTRES    PARTICULIERS.  77 

Il  conserve,  par  contre,  son  autorité  sur  tous  les  moines 
profès  de  son  couvent.  Il  a  d'abord  exclusivement  les  droits 
de  quête,  il  garda  toujours  les  charges  de  visiteur  et  de  ré- 
dempteur. Il  peut  et  doit  assister  au  chapitre  général,  sous 
peine  de  paver  les  amendes  fixées  par  les  Statuts  (en  i3iû, 
reddition  du  sceau  de  la  maison;  en  1^29,  amende  de  60  sous 
au  provincial).  Jugeant  ces  pénalités  insuffisantes,  Jacques 
Bourgeois  demanda,  en  i5j3,  que  l'absent  sans  excuse  fût 
excommunié  jusqu'au  chapitre  suivant. 

Parfois,  le  ministre  porte  deux  litres  :  celui  de  Douai  est 
aussi  prieur  de  Convorde;  le  ministre  de  Beauvoir-sur-Mer  est 
prieur  de  Saint-Thomas  de  la  Garnache.  Ces  prieurés  étaient  de 
simples  annexes  du  couvent. 

D'après  les  carlulaires ,  nous  voyons  que  les  ministres 
pouvaient  sortir  de  leurs  couvents  s'ils  étaient  élus  supérieurs 
dans  un  autre.  De  beaux  cursus  honorum  sont  ceux  de 
Gaguin,  ministre  de  Grandpré,  de  Verberie,  de  Tours,  puis  de 
Paris,  enfin  grand-ministre  ;  d'Auguste  Rairribault,  ministre  de 
Lens,  puis  de  Douai,  ensuite  commissaire  général  de  Picardie, 
ce  qui  équivaut  à  provincial'.  La  permutation  devait  être 
autorisée  par  le  général.  Pierre  Mercier  ne  fit  citer  devant  le 
Grand-Conseil,  en  1671,  Michel  de  Laval  et  Pierre  d'Autel, 
qui  avaient  permuté  les  couvents  de  La  Veuve  et  de  Sylvelle, 
que  parce  qu'il  n'avait  pas  été  consulté.  En  effet,  les  supé- 
rieurs de  Châlons-sur-Marne  et  de  Notre-Dame  de  Limon  ne 
furent  pas  inquiétés  pour  s'être  garanti,  après  permutation, 
le  paiement  réciproque  de  leurs  dettes;  ils  s'étaient  mis  d'ac- 
cord, sans  doute,  avec  le  chef  de  l'ordre1.   Cet  acte  de  1702 


.   Cartultttre  de  Lens  (Archives  de  Mous),  pastim. 
.  Pièce  a5i. 


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78  l'ordre  français  des  trinitaires. 

prouve  que,  dans  un  couvent  pauvre,  le  ministre  devait  beau- 
coup payer  de  sa  personne. 

Dans  un  petit  couvent,  le  ministre  porte  lui-même  le  titre 
de  procureur  (au  Midi,  le  procureur  prend  le  nom  d'économe 
ou  de  syndic).  Dès  qu'il  a  cinq  frères  profès,  il  doit  se  choisir 
un  prieur'. 

Les  Statuts  ne  fournissent  rien  d'original  sur  les  officiers 
du  monastère,  ce  qui  se  comprend,  vu  le  peu  de  population 
des  couvents  trinitaires. 

Le  ministre  doit  tenir  le  chapitre  particulier  le  dimanche; 
il  n'est  point  de  petit  bail  où  ne  soit  mentionné  l'assentiment 
des  religieux  capitulants  ou  de  la  plus  saine  partie  du  cou- 
vent. Certains  actes  importants,  comme  celui  des  religieux  de 
Pontoise  cherchant,  en  1610,  à  s'unir  avec  les  Déchaussés, 
exigent  la  présence  d'un  notaire.  Il  y  a  un  secrétaire  du  cha- 
pitre dans  les  grands  couvents. 

Hors  du  chapitre,  le  ministre  traite  des  affaires  du  cou- 
vent avec  les  religiosiores  fratres,  appelés  au  dix-septième 
siècle  assistants,  discrets  (parfois  conseillers,  comme  chez  les 
Trinitaires  Déchaussés  de  Faucon1).  Dès  1661,  à  Marseille, 
deux  discrets  signent  les  comptes  avec  le  ministre  et  le  vicaire. 
Un  minisire,  ayant  contracté  une  dette  sans  l'inscrire  sur  le 
livre,  fut  désavoué.  Les  constitutions  de  1771  prescrirent 
d'élire  annuellement  les  discrets  au  scrutin  secret.  Ils  étaient 
rééligibles. 

1.  Bibl.  MflKarine,  nw  miser  il  1767,  f*  5. 

2.  Archives  déporte  mentales  des  Busses-Alpes,  registre  H  i5. 


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CHAPITRE  IX. 
Les  habitants  du  couvent. 


Nombre.  —  Nous  avons  vu  que  le  nombre  des  religieux, 
fixé  primitivement  à  sept,  fut  ensuite  arbitraire.  De  grands 
bienfaiteurs  voulaient,  en  effet,  dépasser  les  bornes  trop 
étroites  que  la  règle  primitive  fixait  à  leurs  libéralités. 

D'autres  restèrent  cependant  en  deçà.  Jean  de  Doulieu,  fon- 
dateur du  couvent  d'Estaircs  (ou  Convorde),  ne  renia  que 
quatre  religieux,  et  sa  femme  un.  Peut-être  prévoyait-il  que, 
trois  siècles  plus  tard ,  l'un  de  ses  descendants  s'estimerait 
heureux  de  voir  résider  un  religieux  avec  te  ministre  ! 

Saint  Louis  observa  une  semblable  prudence,  dans  sa  fon- 
dation de  Fontainebleau  (1259),  en  limitant  le  nombre  des 
frères  à  sept  (sans  parler  de  deux  qu'il  garda  avec  lui),  et  se 
réserva  de  mettre  plus  de  religieux  dans  ce  couvent  si  le  re- 
venu croissait. 

Plus  confiant,  Thibaut  V  de  Champagne  donna  à  Cerfroid 
des  revenus  pour  vingt  religieux  de  chœur.  Ce  couvent  chef- 
d'ordre  se  maintint  à  ce  haut  niveau  jusque  dans  le  dix-hui- 
tième siècle  ' . 

Ce  chiffre  de  vingt  fut  souvent  dépassé  par  les  Matburîns 
de  Paris  qui  pouvaient  être  trente-quatre  au  milieu  du  qua- 

, .  Archives  de  l'Aisne,  Inventaire  B  3772,  H  r/|33. 


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80  L'ORDRE    FRANÇAIS    DBS    TRINÏTAIRES. 

turzième   siècle,    sans  préjudice  de  leurs  liâtes  accidentels. 

Une  autre  fondation  qui  réussit  est  celle  de  Rieux,  en  Bre- 
tagne, où  Jean  de  Rieux  établit  cinq  frères,  et  sa  femme  deux, 
sans  compter  deux  membres  perpétuels  de  la  famille  de  Ca- 
doudal,  se  réservant  le  droit  de  saisir  une  partie  du  revenu 
si  le  nombre  des  moines  était  inférieur  à  sept  ;  fâcheuse  hypo- 
thèse qui  ne  se  réalisa  pas1. 

Nos  religieux,  devenus  modestes  au  dix-huitième  siècle,  re- 
connaissaient que  la  latitude  de  se  multiplier  n'élait  pas  une 
obligation.  Dès  le  principe,  d'ailleurs,  les  hôpitaux  eurent 
moins  de  religieux  que  les  couvents  et  ils  atteignirent  rarement 
le  chiffre  fatidique  de  sept. 

Des  épidémies  ou  des  guerres  causèrent  l'abandon  complet 
de  certaines  maisons.  De  bonne  heure,  le  couvent  du  Fay 
(Oise)  ne  consista  plus  qu'en  une  ferme,  et  ce  fut  un  titre  à  la 
collation  du  grand -ministre.  Dans  une  grande  ville  comme 
Marseille,  le  ministre  trouva  en  i36o  son  couvent  en  ruines, 
absolument  vide,  et  ne  put  qu'avec  peine  y  nourrir  un  clerc 
avec  lui.  Les  religieux  d'Arles  étaient  si  à  l'aise  dans  leur  cou- 
vent que,  moyennant  10  florins  d'or,  ils  en  pouvaient  louer 
une  partie,  de  la  Saint-Miche)  i35o,  à  Pâques  i36o,  aux  reli- 
gieuses Clarisses,  dont  le  couvent  avait  été  démoli  par  les  ha- 
bitants, par  crainte  des  déprédations  d'Arnaud  de  Servolles1. 
En  vue  de  remédier  à  cette  dépopulation,  les  Statuts  de  1^29 
ordonnent  que  tout  ministre  ait  avec  lui  au  moins  un  clerc 
tonsuré;  s'il  n'en  a  pas,  il  devra  s'en  procurer  un  dans  l'es- 
pace d'un  mois.  Cela  ne  s'applique  pas  aux  prieurs -curés, 
dont  ta  solitude  n'impliquerait  pas  la  pauvreté  de  l'ordre. 

1.  Voir  la  Monographie  de  ce  couvent. 

2.  Revue  :  Le  Matée  d'Arles,  I,  167.  Le  bail  fui  cassé  par  Pierre  de 
Bourry,  général. 


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LES    HABITANTS    DU    COUVENT.  »I 

Au  dix-septième  siècle,  les  Trinitaires  Réformés  ne  veulent 
pas  admettre  dans  leurs  couvents  plus  de  douze  religieux, 
sans  compter  le  ministre1.  Il  est  vrai  que,  d'après  un  bref 
d'Urbain  VIII  (la  Congrégation  des  Évêques  et  Réguliers  le 
fit  strictement  observer1),  un  nouveau  couvent  ne  pouvait  être 
fondé  que  si  la  nourriture  de  douze  moines  y  était  assurée. 
Cette  jeune  congrégation  resta  fidèle  à  ce  programme  et  compta 
dix  religieux  au  moins  par  couvent. 

Dans  le  Nord,  au  contraire,  la  situation  élait  irrémédiable. 
Le  P.  Ignace,  capucin,  nous  a  transmis  un  proverbe  popu- 
laire d'Arras  :  «  Chez  les  Trinitaires,  c'est  le  mystère  de  la 
Trinité,  un  en  trois  personnes  et  les  trois  ne  font  qu'un, 
savoir  le  père  ministre,  frère  Guillaume  et  «  sa  mequenne  i>, 
c'est-à-dire  sa  servante3.  » 

Nationalité.  —  Rarement  on  spécifie  de  quel  pays  seront 
les  moines  qui  habiteront  un  nouveau  couvent.  En  général, 
le  personnel  se  recrute  dans  la  région  même.  Il  est  stipulé,  en 
1637,  dans  l'acte  de  fondation  du  couvent  de  La  Cadière,  que 
les  enfants  du  Heu  y  seront  reçus  de  préférence. 

Parfois,  des  couvents  d'Italie  furent  fondés  pour  des  na- 
tions spéciales.  Eu  i56o,  Gonzalvc  de  Carvajal  obtient  du 
grand-ministre  Thibaut  Musnier  la  permission  de  ne  recevoir, 
dans  le  couvent  qu'il  fonda  à  Naples,  aucun  habitant  de  ce 
royaume  ni'  de  la  Sicile,  mais  seulement  les  religieux  d'Ara- 
gon (le  couvent  en  conserva  le  nom  de  Trinità  de  Spagnuoli), 
comme  s'ils  y  étaient  envoyés  par  le  chapitre  général.  Avec 

1.  Edition  des  Statuts  de  i58G,  p.  3  (feuille  intercalaire  de  l'exemplaire 
de  la  Bibliothèque  nationale,  H  17769). 

a.  Analecta  jarii  ponlijicii,  t.  XIV,  p.  187. 

3.  Mémoire*  du  diocèse  d'Arras  (manuscrit),  t.  VII,  p.  433. 


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8a  l'ordre  français  des  trinitairks. 

le  temps,  ce  couvent  recul  aussi  des  religieux  italiens1,  et,  le 
i3  juin  i663,  le  cardinal  Ginetti,  prolecteur  de  l'ordre,  édicta 
les  règlements  suivants  : 
J.  Le  couvent  de  Naples  sera  soumis  au  provincial  d'Italie; 

II.  Tous  les  religieux  qu'enverra  le  général  y  seront  reçus; 

III.  Les  Espagnols  seront  réputés  de  la  province  d'Italie; 

IV.  Le  ministre  sera  tantôt  italien,  tantôt  espagnol; 

V.  Le  provincial  nommera  un  vicaire,  qui  sera  espagnol 
lorsque  le  ministre  sera  italien,  et  vice  versa; 

VI.  lin  gradué  espagnol,  arrivant  au  couvent  de  Naples, 
devra  remplir  les  conditions  exigées  pour  ce  grade  en  Italie3. 

A  part  cette  unique  exception,  on  ne  pouvait  recevoir  dans 
les  couvents  que  des  religieux  de  la  même  province,  puisque 
leurs  constitutions  différaient  entre  elles.  Au  dix-septième 
siècle,  il  fut  défendu  aux  Trinitaires  Déchaussés  de  passer 
chez  les  Chaussés3;  l'ordre  des  Chartreux  seul  était  considéré 
comme  plus  rude.  Tant  en  France  qu'en  Espagne,  le  général 
ne  pouvait  recevoir  les  évadés  de  la  province  de  Portugal 4. 

Ces  restrictions  ne  s'appliquent  pas  aux  dispenses  de  «  na- 
turalité  »  fréquemment  accordées  aux  novices,  comme  à 
Benoit  Magnaudi s,  natif  du  comté  de  Nice,  venant  pour  habiter 
en  France6  (_ j633_). 

Stabilité.  —  On  appelle  ainsi  le  séjour  perpétuel  du  reli- 

i.  Bibliothèque  île  Marseille,  manuscrit  121 5,  f«  #>. 
a.  Voir  celte  analyse  dans  la  Table  de  Gucrra. 

3.  Pour  raison  de  santé,  il  fut  permis  à  Forluuato  a  Rosa,  Trinitairc  Dé- 
chaussé de  Turin,  de  passer  cheî  les  Réformés  (Registre  de»  profession»  de 
Muni/tel  lier,  bref  du  22  décembre  171^). 

4.  Bullsirc,  p.  3o6  (i«  aoùl  ifyZ}. 

5.  Bulletin  des  BmiefAlpt*,  t.  II,  p.  a4o. 

6.  Aux  Pays-Bas  autrichiens,  par  contre,  un  Français  ne  pouvait  être  que 
difficilement  n 


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LES    HABITANTS    DU    COUVENT.  83 

gîeux  dans  le  même  couvent.  Saint  Jean  de  Matha  ne  posa 
pas  la  question  des  maisons  de  profession.  Dans  la  règle  mo- 
difiée, tout  religieux  peut  être  déplacé  par  les  définiteurs  et  le 
provincial,  les  frais  étant  à  la  charge  de  la  maison  d'où  il 
part,  pour  trois  raisons  seulement1  :  soulagement  des  maisons, 
fondations  nouvelles,  scandale  devant  des  séculiers.  Ces  reli- 
gieux de  la  dernière  catégorie  sont  appelés  diffiniti  (parce 
qu'ils  sont  renvoyés  par  les  diffinitores)  ;  leur  ancien  mi- 
nistre leur  doit  une  pension  annuelle  de  3o  sous1,  fixée  à  60 
en  1429;  si  le  paiement  régulier  cesse,  les  exilés  peuvent 
revenir. 

La  stabilité  devait,  d'ailleurs,  être  comprise  dans  un  sens 
large,  puisque,  comme  nous  l'avons  vu,  bien  des  religieux 
étaient  élus  ministres  hors  de  leur  maison  de  profession,  tant 
au  Nord  qu'au  Midi. 

Un  couvent  pouvait  honorer  l'un  de  ses  enfants  venus  du 
dehors  par  l'affiliation*;  c'est  l'honneur  qui  fut  conféré,  le 
i4  avril  1780,  à  François  Roux,  ministre  de  Marseille,  «  dont 
le  zèle  à  annoncer  la  parole  de  Dieu  lui  attirait  les  plus  grands 
et  les  mieux  mérités  applaudissements  ». 

Les  Réformés  se  plaignirent  beaucoup  de  la  façon  abusive 
dont  le  général,  Louis  Petit,  entendait  ta  stabilité  des  mem- 
bres de  la  congrégation.  De  même  qu'il  voulait  appliquer  à 
ses  adversaires  les  peines  portées  contre  les  conspirateurs,  de 
même  il  enlevait  arbitrairement  à  leurs  couvents  les  religieux 
qu'il  pensait  devoir  être  élus  aux  charges  en  vue;  parfois,  il 
allait  jusqu'à  les  excommunier. 

1.  Sans  compter  les  cas  de  maladie  infeclieu.se,  où  le  religieux  recevait 
bien  entendu  la  permission  de  quitter  son  couveni  (pièce  ÏO7,  nlaiivc  A 
Paulin  Bonnet,  profes  de  Limoux). 

a.    Statuts  anonymes,  art.  'Ai. 

3.  Trimloires  de  Marseille,  registre  9,  p.  io/(. 


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84  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRIMTAIHES. 

C'était  là  un  abus,  car  cette  peine  ne  devait  être  portée  que 
contre  les  apostats,  dont  le  nombre  était  si  grand  qu'en  i5ao 
Nicolas  Musnier  manda  au  ministre  de  Marseille  de  les  con- 
traindre à  rentrer  dans  leurs  couvents.  Le-  fugitif  n'était  pas 
passible  de  l'excommunication  s'il  avait  gardé  l'habit  de 
l'ordre1.  Jean  de  May,  profès  de  Cerfroid,  qui  avait  quitté 
l'ordre  par  légèreté,  encourut  ainsi  des  censures  dont  le  car- 
dinal des  Quatre-Couronnés,  Antoine,  le  fit  relever,  à  condi- 
tion qu'il  rentrerait  dans  son  couvent1. 

Propriété.  —  Les  Trinitaires  rejettent  seulement  la  pro- 
priété dissimulée  :  ils  ne  sont  pas  mendiants,  «  Celui  chez 
qui  sera  trouvé  après  sa  mort  quelque  objet  dissimulé,  lit-on 
dans  les  Statuts  anonymes,  sera  tramé  aux  champs  par  les 
pieds  et  enseveli  avec  les  chiens  hors  du  cimetière.  » 

Un  novice  de  Toulouse  «  légua  »  de  quoi  parachever  le 
dortoir.  Un  religieux  pouvait,  étant  au  couvent,  soutenir  des 
procès  à  l'occasion  de  ses  anciens  biens.  Il  y  en  eut  un  exem- 
ple chez  les  Malhurms  de  Paris,  en  i3a3.  Bien  plus,  celui  qui, 
étant  moine,  reçoit  une  donation  individuelle,  peut  la  con- 
server après  le  prélèvement  du  tiers  des  captifs,  à  condition 
de  donner  une  clef  de  sa  caisse  et  de  rendre  un  compte  annuel 
au  ministre.  Le  prieur  des  Mathurins,  Robert  Bailleul,  avec 
l'autorisation  de  son  ministre,  consacra  3o  florins  d'or  à  la 
réparation  du  dortoir 3. 

Le  29  avril  1752,  le  chapitre  provincial  de  Meaux*  décida 
que  les  moines  qui  feraient,  sans  permission,  un  emprunt  ou 


1.  Statuts,  édition  de  1719,  p.  5o. 

2.  Pièce  116. 

3.  Recueit  général  de*  Obitaaires,  l.  I,  p.  692. 

4.  Registre  des  visites  des  Trinitaires  de  Poaloise. 


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LES    HABITANTS    DU    COUVENT.  85 

un  achat  dépassant  10  livres  seraient  privés  de  voix  active  et 
passive  pour  cinq  ans  et  manderaient  à  genoux  au  réfectoire, 
le  mercredi  et  le  vendredi. 

Le  supérieur  devait  donner  à  ses  religieux  l'argent  de  poche 
nécessaire,  une  pislole  par  an  à  Marseille,  outre  la  chaussure 
et  le  savon.  L'économe  étant  ordinairement  sans  ressources, 
il  fut  décidé,  le  16  mai  1661,  que  le  sacristain  mettrait  chaque 
semaine,  pour  subvenir  à  cet  argent  de  poche,  3  livres  de  l'ar- 
gent des  messes  dans  le  coffre  aux  trois  clefs,  gardées  par  le 
minisire,  le  vicaire  et  le  premier  discret  '. 

Prohibitions.  —  Le  religieux  Trinitaire  ne  peut  avoir  ni 
faucons  ni  chiens,  ni  cheval  de  luxe  ni  palefroi,  s'il  n'est 
chapelain  ou  aumônier  d'un  prince  ou  d'un  prélat,  ni  couteau, 
ni  poignard,  ni  bourse. 

Sont  privés,  trois  ans  durant,  de  voix  active  et  passive  ceux 
qui  portent  «  horologia  portativa,  gallice  des  montres  »  et... 
des  chemises1.  Les  prescriptions  relatives  au  costume  furent 
très  fréquentes  au  dix-huitième  siècle;  une  enquête  de  celte 
époque  reprochait  aux  Mathurins  d'être  poudrés  et  frisés 
comme  de  petits-maîtres. 

Les  jeux  étaient  prohibés  de  même.  Les  dés,  les  échecs, 
«  et  autres  jeux  déshonnêtes  »  sont  interdits  sous  peine  de 
quarante  jours  d'abstinence.  Le  joueur  obstiné  devra  jeûner 
trois  jours  par  semaine  au  pain  et  à  l'eau,  sans  voix  au  cha- 
pitre pendant  un  an,  réduit  au  rang  de  novice  sans  aucune 
dispense  (  1 3  r  9) .  Les  conspirateurs  mêmes  sont  traités  avec  plus 
d'indulgence. 

Les  statuts  de  i4^9  ne  punissent  que  ceux  qui  jouent  de 

1.  Trinitairea  de  Marseille,  registre  6,  f»  44' 
3.  Ibid.,  registre  i3,  f°  3g.' 


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86  l'ordre  français  des  trinitaires. 

l'argent  avec  les  séculiers  '.  Les  jeux  de  paume  et  de  dés  sout 
autorisés  deux  fois  par  semaine  au  plus,  jamais  le  dimanche  ; 
les  séances  de  deux  ou  trois  heures  ne  sont  pas  interdites  d'une 
façon  générale. 

En  1 700,  Grégoire  de  La  Forge  prohibe  les  cartes  à  jouer 
(ludus  pictorum  foliorum  ').  On  ne  sait  rien  au  sujet  de  l'usage 
du  tabac;  en  1782,  il  y  eut  au  couvent  de  Faucon  une  saisie 
de  prétendue  contrebande  chez  un  religieux,  le  P.  Caire,  qui 
prouva  sa  bonne  foi. 


Seuls,  les  enfants  légitimes  peuvent  aspirer  à  devenir  Tri- 
nîlaires.  La  profession  solennelle  d'un  enfant  naturel  pourra 
cependant  et  devra  être  autorisée  par  le  grand-ministre  et  le 
chapitre  général3.  Les  postulants  doivent  avoir  certaines  apti- 
tudes physiques,  sans  doute  en  vue  des  fatigues  du  voyage  de 
rédemption  :  le  ministre  doit  respecter  ces  prescriptions,  à 
peine  de  déposition  et  ensuite  de  suspension. 

Les  profès  d'un  autre  ordre,  qui  en  étaient  parfois  le  rebut, 
ne  pouvaient  être  reçus1;  le  ministre  qui  aurait  négligé  de 
s'informer  des  antécédents  d'un  postulant  était  passible  de 
l'excommunication.  Cette  règle  était  quelque  peu  tombée  en 
désuétude,  lorsqu'au  dix-septième  siècle  les  ennemis  de  Ray- 
mond de   Pallas  déclarèrent  qu'il   n'aurait  pas    dû   être   élu 

1.  Edition  de  1Ô86,  pp.  i!\,  35. 

a.  Bibliothèque  de  Marseille,  manuscrit  i2i3,  p.  4t> 

i.  L'irrégularité  n'existe  pas  pour  l'ordination,  mais  elle  subsiste  pour 
l'obtention  d'une  charge.  Les  Analecta  juris  pontijicii  rapportent  que  le 
pape  donna,  le  19  décembre  1B45,  une  dispense  à  un  capucin  pour  lui  per- 
mettre d'être  élu  gardien. 

4.  Cf.  Collection  Doat,  LXX1I1,  f>  433.  Antoine  Morell,  général  de  la 
Merci,  rend  aux  Prêcheurs  de  Toulouse  deux  de  leurs  religieux  qui  s'étaient 
fait  admettre  par  surprise  dans  l'ordre  de  la  Merci  (4  septembre  i4&4)- 


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LES    HABITANTS   DIT    COUVENT.  87 

vicaire  général  de  la  Réforme,  ayant  été  Capucin.  Il  exhiba 
une  dispense  pontificale  parfaitement  en  règle. 

Saint  Jean  de  Matha,  en  fixant  l'âge  de  la  profession  â 
vingt  ans,  voulait  assurer  le  recrutement  solide  d'un  ordre 
fort  actif.  Gaguin  abaissa  pourtant  cette  limite  à  quinze  ans 
pour  l'Espagne,  dans  ses  Statuts  de  1^97  '-  Comme  les  Dé- 
chaussés étaient  revenus  à  la  règle  primitive,  le  pape  Paul  V 
déclara,  le  i4  août  i6i5,  que  les  professions  faites  avant  la 
vingtième  année  étaient  valides1. 

Depuis  l'adoption  de  la  règle  modifiée,  le  novice  ne  fut  plus 
in  habita  suo,  mais  in  habita  fratrum.  Il  ne  fut,  d'ailleurs, 
jamais  nécessaire  au  futur  Trinitaire  d'apporter  une  garde- 
robe  aussi  extraordinaire  que  celle  dont  devait  être  muni 
l'aspirant  au  couvent  de  Gellone3. 

L'année  entière  doit  être  accomplie  au  même  couvent.  Si 
Gaspard  Lalance,  envoyé  de  Melz  à  Paris,  est  renvoyé  à 
Metz,  c'est  que  l'air  de  Paris  ne  convient  pas  à  sa  santé  *. 
Cerfroid  était  peut-être  le  noviciat  principal  pour  la  France 
du  Nord,  comme  le  prétend  le  P.  Calixle5.  D'ailleurs,  l'Hôtel- 
Dieu  de  Meaux,  d'après  l'enquête  de  i5i8,  avait  des  novices 
qui  étaient  fort  turbulents;  il  en  était  de  même  du  couvent 
des  Mat  burins.  Mais  Cerfroid  restait  le  noviciat  le  plus  solen- 
nel, car  c'est  au  chef  d'ordre  que  François  Bouchet,  vicaire 
général,  adressa,  pour  leur  profession,  les  deux  ermites  qui 
fondèrent  les  Trinitaires  Réformés. 
Jacques   Bourgeois  demanda,  en   1 5 7 ,'î ,   que   le  novice   fut 


1.   P.  de  Vaissière,  ouvrage  cité,  p.  5o. 

2.  Bulfaire  do  1692,  p.  393. 

3.  BiW.  oat.,  manuscrit  lalîn  13770,  p.  175. 

4.  Archives  de  Lorraine,  a  MeLz,  liasse  H  3779. 

5.  Vie  de  xaint  Félix  de  Valait,  pp.  897-398. 


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88  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES   TRINITAJRES. 

envoyé  dans  un  séminaire,  si  le1  couvent  ne  lui  offrait  pas  une 
retraite  assez  studieuse.  Le  même  réformateur  jugeait  bon 
que,  si  les  parents  ne  pouvaient  fournir  la  pension  du  novice, 
le  couvent  la  payât1.  Cette  pension  annuelle,  qui  était  de 
i5o  livres  au  couvent  de  Gisors  (au  dix-septième  siècle),  était 
réglée  par  des  contrats  passés  entre  les  parents  et  les  reli- 
gieux1. 

Les  conditions  de  ces  réceptions  ne  furent  point  sans  don- 
ner lieu  a  quelques  scandales,  à  Toulouse  notamment  :  plu- 
sieurs religieux,  entrés  malgré  eux,  demandèrent  à  rétracter 
leurs  vœux,  ou  bien  attendirent  la  fin  de  leur  vie  pour 
annuler  une  donation  qu'ils  n'ont  pas  cessé  de  regretter. 
En  i655,  le  frère  Pomarède,  menacé  de  voir  sa  profession 
contrariée,  avait  dû  fonder  cinq  obits  au  prix  de  ia  livres 
10  sols  chacun,  les  hypothéquant  d'ailleurs  «  sur  des  biens 
qui  n'étaient  que  des  prétentions  litigieuses  soutenues  par  ses 
sœurs  ».  II  déclare  devant  notaire,  en  1691,  qu'il  se  soucie 
peu  de  ces  obits  et  annule  sa  donation. 

Le  chirurgien  Guilhem  Racher,  battu  et  volé,  eut  tout  juste 
assez  de  force  pour  venir  confier  au  notaire  Sicard  les  mau- 
vais procédés  dont  les  Trinitaires  avaient  usé  à  son  égard  3. 

Voici  quelques  chiffres  de  pensions  données  aux  religieux  : 
à  Pontoise  :  1,000  francs  à  Séraphin  Cousin,  tant  pour  ses 
habits  que  pour  sa  nourriture  (1703);  3,ooo  à  Couet,  plus  la 
pension  du  temps  des  exercices,  du  noviciat,  l'habit  de  novice 
et  de  profession  (1713);  a,5oo  à  Charles  Taillepied  (1714). 

Chez  les  Mathurins  de  Paris,  d'Argenvilliers  apporte  2,000  li- 
vres, —  Porlier,  4i°o°>  —  Baudin,   5,ooo,  —  Bardouchel, 

I.  Formata  reformai  ionix,  déjà  citée. 

3.  Archives  de  l'Eure,  Inventaire,  H  119a  (iC85). 

3.  Ces  pièces  soat  tirées  des  Archives  des  notaires  de  Toulouse. 


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LES    HABITANTS    DU    COUVENT.  OQ 

r,5oo,  —  Jean  du  Val,  4>000î  p'us  r5°  (ivres  de  pension 
viagère  et  •}&  de  surplus  quand  il  sera  prêtre. 

Un  contrat  détaillé,  passé  entre  les  Trimtaires  de  Lens  et 
le  père  du  novice  Albert  de  Thiennes,  stipule  que  le  père 
devra  faire  les  frais  du  festin  de  profession. 

Si  les  parents  étaient  récalcitrants,  les  religieux  se  pour- 
voyaient en  justice.  Un  novice  de  Pantoise  s'étant  évadé,  le 
procès  pendant  au  bailliage  en  seconde  instance  fut  «  pacifié  m 
moyennant  i5o  livres  en  trois  paiements'. 

Une  autre  particularité  se  remarque  dans  ce  registre  capitu- 
laire  de  Pontoise  :  chez  les  Réformés  le  novice  change  parfois 
de  prénom.  Charles  Taillepied  devient  le  frère  Augustin*. 

Les  Déchaussés  furent  encore  plus  rigoureux  ;  non  seule- 
ment le  profès  perdait  son  nom  «  du  siècle  »,  mais  jl  ajoutait 
à  son  prénom  (parfois  changé)  une  appellation  liturgique  : 
Antoine  Laugîer  devint  le  P.  Ignace  de  Saint-Antoine.  Cette 
addition,  chez  les  Trinitaires  portugais,  ne  parait  pas  impli- 
quer l'entrée  dans  une  congrégation  Déchaussée. 

FRÈRES    LAIS. 

Nous  sommes  fort  peu  renseignés  sur  ce  dernier  groupe 
d'habitants  du  couvent,  appelés  aussi  convers  et  «  donnés  ». 
Avec  le  titre  de  religieux  novice,  Richard  Barbotte,  mathurin 
de  Paris  de  la  première  moitié  du  dix-septième  siècle,  resta 
convers,  toute  sa  vie,  aux  termes  d'un  contrat  conclu  entre 
ses  parents  et  le  général. 

1.  Registre  capitulaire  de  Pontoise,  f°s  3,  20,  24  v°,  44.  Au  fo  39  se 
trouve  ud  contrat  de  tontine,  dont  les  ministre  et  religieux  créanciers 
devaient  percevoir  les  arrérages  et  accroissements  pendant  onze  années 
(8  février  i7i4). 

2.  tbid,  (*>  35. 


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90  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES   TRINITATRES. 

L'histoire  des  hôpitaux  nous  montrera  l'utilité  des  donnés. 
Étymologiquement ,  des  personnes  des  deux  sexes  se  donnent 
aux  religieux,  avec  tous  leurs  biens,  pour  vivre  dans  un 
couvent  pendant  le  reste  de  leur  vie.  M.  Dupuis,  dans  son 
excellente  monographie  de  Pontarmé',  parle  de  Marguerite  la 
Liëde,  qui  s'était  «  adonnée  »  à  l' H ù tel-Dieu  de  ce  village,  et 
pour  laquelle  Gaguîn  fait  évoquer  un  procès  au  Châtelet.  Un 
manuscrit  d'Arles  cite  la  «  profession  »  de  Sibilia  de  Nigro, 
qui  reçoit,  sur  sa  demande,  l'habit  de  l'ordre  en  jurant  de 
ne  jamais  le  quitter1.  Ces  données  sont  désignées  par  cette 
expression  de  soror  ordinis  qui  a  fait  croire  à  l'existence 
fort  ancienne  de  religieuses  de  l'ordre.  Les  donnée,  qui  chez 
les  Trinitaires  Déchaussés  récoltaient  les  aumônes,  portaient 
l'habit  sans  capuchon  et  émettaient  les  trois  vœux,  durent, 
après  leur  abolition,  être  reçus  au  nombre  des  laïques  ou 
convers3  (39  octobre  i634). 

Un  jardinier  des  Trinitaires  de  Pon  toise  demanda  l'habit 
des  frères  convers.  Ceux-ci  sont  astreints  à  une  probation 
de  trois  ans  et  admis  à  faire  leur  couipe  au  chapitre;  leur 
costume  est  plus  court  de  deux  doigts  que  celui  des  reli- 
gieux. 

Les  laïques  prêtaient  le  serment  de  ne  jamais  passer  à  l'état 
clérical.  Alexandre  VII  confirma  cette  prohibition  le  i3  jan- 
vier i663.  Leur  habit  était  de  couleur  rousse;  on  décida, 
en  1719,  de  leur  rendre  l'habit  blanc.  Le  10  mars  1786,  la 
Congrégation  des  Êvêques  et  Réguliers  décréta4  que  les  laïques 
passant  à  l'état  de  religieux  de  chœur  ne  pourront  avoir  voix 

1.  Oavr-  eiti,  pp.  3a  et  77. 

3.  Pièce  8a. 

3.  Trente  el  unième  bulle  d'Urbain  VIII  contenue  dans  le  Bullaire. 

4-  Calto,  Retamtn  de  lus  privilégiât,  p.  585. 


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LES    HABITANTS   DU    COUVENT.  gl 

active  ou  passive  qu'à  la  condition  d'être  spécialement  habilités 
à  cet  effet. 

On  peut  rendre  bon  témoignage  des  traitements  des  Trini- 
taires  envers  leurs  domestiques.  Millîn  a  rappelé,  après  bien 
d'autres,  l'épitaphe  du  «  léal  Mathurin  qui  céans  porta  pain  et 
vin  ».  Les  Trinitaires  de  Toulouse  décidèrent,  en  1767,  de 
a  recevoir  »  Jacques  Besian,  qui  était  à  leur  service  depuis 
près  de  dix-huit  ans,  et  de  lui  assurer  par  an  48  livres  de  ves- 
tiaire ' . 

HÔTES   ACCIDENTELS. 

A  côté  des  habitants  permanents  du  couvent,  il  y  avait  des 
hôtes  temporaires  de  toutes  conditions. 

Les  guerres  de  religion  du  Midi  amenèrent  chez  les  Trini- 
taires de  Mirepoix,  en  1576,  un  pauvre  ermite  de  la  Roque* 
d'Olmes1;  par  une  curieuse  coïncidence,  à  cette  même  époque, 
dans  le  nord  de  la  France,  un  fait  analogue  était  la  cause 
de  l'établissement  des  Trinitaires  Réformés.  Les  Trinitaires 
de  Toulouse  logèrent  l'évêque  de  Pamiers,  Bertrand  de  Parron, 
qui  leur  fit,  en  1679,  un  legs  consistant  dans  ta  remise  d'une 
dette3. 

Le  couvent  de  Caillouet,  près  Chaumonl-en-Vexin,  eut  en 
Charles  de  Mouchy,  seigneur  de  Caveron,  un  hôte  distingué, 
qui  donna  85o  livres  par  an  pour  être  soigné,  avec  son  domes- 
tique (6  février  1669).  Il  était  confrère  de  l'ordre  et  fonda  une 
procession  du  scapulaîre  de  la  confrérie  afin  de  développer  la 
dévotion  du  peuple. 

Plus  encombrant  était  François  Sevin,  «  infirme  de  corps 

1.  Trinitaires  de  Toulouse,  registre  no  84,  p.  33. 
a.  Pièce  i3o. 

3.  Pièce  i48. 


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g2  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES. 

et  d'esprit,  »  fils  de  Thierry  Sevin,  seigneur  de  Miramion, 
que  les  mêmes  religieux  de  Caillouet  s'engagèrent  à  loger, 
chauffer,  faire  panser,  médicamenter,  traiter  doucement  et 
humainement,  moyennant  4,5oo  livres  (27  octobre  i685)'. 

Grégoire  de  La  Forge,  général,  fit  transporter  chez  lui, 
aux  Mathurins,  un  de  ses  parents,  qui  y  mourut*. 

Une  enquête  de  17^7  nous  montre  que  le  ministre  de  Bas- 
togne  (Luxembourg)  avait   des  pensionnaires  pour  la  table. 

Les  Trinitaires  de  Metz  sont  choisis  par  le  président  de  la 
Salle  pour  loger  jusqu'à  la  tin  de  ses  études  un  jeune  homme 
auquel  il  s'intéresse3. 

On  n'oserait  compter  comme  hôtes  les  clients  du  cabaret 
qu'un  sacristain  du  couvent  des  Mathurins  installait  dans  une 
salle;  mais,  dans  tous  les  autres  cas,  les  religieux  firent  bien 
d'accueillir  des  hôtes  susceptibles  d'accroitre  leurs  modestes 


1.  Archives  départementales   de   l'Oise,  Trinitaires   lie  Caillouet,   liasse 
Caillouet. 

a.  Menliou  dans  le  Née ro loge  des  Mathurins,  au  début. 
3.  Pièce  343. 


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CHAPITRE  X. 


Conditions  de  fondation  des  couvents. 


Tout  établissement  nouveau  étant  une  concurrence  pour  les 
couvents  antérieurs,  l'évêque,  protecteur  des  religieux,  inter- 
vient pour  fixer  des  conditions  aux  nouveaux  arrivants  :  l'in- 
demnité aux  premiers  occupants  est  juste  en  soi,  l'excès  seul 
des  exigences  est  blâmable. 

Pas  de  couvent  sans  église  ou  tout  au  moins  sans  chapelle  ; 
la  nouvelle  paroisse  pourra  offrir  quelques  avantages  à  un 
certain  nombre  de  paroissiens  de  l'ancienne  église,  qui  court 
le  risque  d'être  désertée.  L'évéque  laisse  construire  l'église 
des  religieux;  plusieurs  donations,  telles  que  celles  d'Arles  et 
de  Marseille  en  i2o3,  de  Limoux  en  1234',  montrent  que  la 
construction  est  non  seulement  prévue,  mais  même  commen- 
cée. Seulement,  il  sera  défendu  aux  Trinilaires  d'attirer,  par 
trop  d'avantages,  lès  paroissiens  primitifs  :  il  sera  de  plus 
imposé  des  bornes  aux  libéralités  des  fidèles. 

Ces  conditions  de  fondation,  quelque  nombreuses  et  variées 
qu'elles  paraissent  être,  se  retrouvent  toujours  en  gros,  en 
quelque  pays  que  ce  soit  et  de  quelque  époque  qu'il  s'agisse. 
Elles    sont  analogues  à  Douai   en   ia56,    à  Alfaro  en  Ara- 

i.   Pièce»  a  el  »o. 


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g4  l'ordre  français  des  trinitaires. 

gon1  (1660),  el  en  i^43  à  Marseille*.  Elles  sont  tellement  de 
l'essence  de  tout  nouvel  établissement  religieux  que  les  Tri- 
nîtaires  qui  les  subissent,  lors  de  leur  fondation,  les  imposent 
eux-mêmes  aux  religieux  plus  récemment  fondés. 

Ces  conditions  peuvent  être  classées  sous  un  certain  nombre 
de  rubriques,  qui  embrasseront  ainsi  la  plupart  des  cas. 

Juridiction.  —  L'évêque  garde  son  droit  de  visite;  il 
impose  au  ministre  la  venue,  aux  synodes  épîscopaux.  A 
Digne  même,  l'évêque  Antoine  Guiramand,  dans  sa  convention 
avec  Antoine  Creissas,  religieux  de  Montpellier  (i/tgS),  se 
réserve  le  droit  de  choisir  le  ministre  en  cas  de  vacance  et 
perçoit  deux  écus  d'or  comme  droit  de  provision3. 

Cimetière.  —  Les  Trtnîtaires  ne  pourront  primitivement 
en  avoir  un  que  pour  les  Frères,  ainsi  que  pour  les  malades 
qui  mourront  dans  leur  hôpital  (Douai,  Marseille,  Toulouse, 
Arles).  Quant  à  leurs  hâtes  et  à  leurs  locataires,  il  seront 
réputés  paroissiens  de  l'église  cathédrale  ou  paroissiale. 

A  Estaires,  les  Trinitaîres  ne  pourront  enterrer  leurs  hôtes 
qu'en  laissant  au  patron  de  la  cure  ta  moitié  des  oblations. 
A  Châlons,  les  personnes  étrangères  ne  pourront  être  enseve- 
lies au  couvent  des  Trinïtaires,  même  si  elles  y  ont  choisi 
leur  sépulture.  Ces  conditions  ne  furent  pas  immuables, 
comme  nous  le  verrons. 

Oblations.  —  L'évêque  et  son  chapitre  en  retiennent  la 
moitié  (Arles,  Marseille,  Chalons),  quelquefois  deux  tiers 
(Arras)  ou  même  la  totalité  (Limoux),  sauf  celles  de  la  fête  du 
patron  de  l'église,  qui  appartiennent  entièrement  aux  Frères. 

1.   Mulliiire,  pp.  548-553. 

a.  Iconographie  des  sceau.r  îles  Bonches-du-RMne,  p.  321. 

3.  Gassendi,  Xotitia  ecctesie  Diniensis,  p.  116. 


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CONDITIONS    DE    FONDATION    DES    COUVENTS.  0,5 

Le  chapilre  de  Toulouse  ne  retient  rien  des  oblatïons  mor- 
tuaires des  religieux  ni  des  morts  de  l'hôpital.  A  Douai,  le 
chapitre  de  Saint-Pierre  ne  demande  qu'un  tiers  des  obla- 
tïons quotidiennes. 

Messe.  —  Les  Trinitaires  de  Chatons  ne  la  diront  qu'après 
que  la  messe  paroissiale  aura  été  célébrée,  et  encore  devront- 
ils  la  dire  portes  closes  et  à  voix  basse.  Par  contre,  le  chapitre 
de  Saint-Etienne  de  Toulouse  leur  impose  deux  messes  par 
an,  une  du  Saint-Esprit  le  vendredi  de  Quasimodo,  une  des 
Morts  le  mercredi  des  Cendres. 

Legs.  —  A  Arras  et  à  Douai,  le  chapitre  relient  un  quart 
.     des   legs    faits    aux    religieux.  A  Estaires,  l'abbé  de  Cho- 
ques, patron  de  la  cure,  n'élève  de  prétentions  que  sur  les 
biens  meubles. 

Redevances.  —  Les  Trinitaires  d'Arles  devront  donner  au 
chapitre  un  marc  d'argent  par  an  (réduit  plus  tard  à  un 
demi  '  et  équivalent  au  dix-huitième  siècle  à  2  livres  8  sous)  *  ; 
ceux  de  Toulouse,  2  florins  d'or  (réduits,  le  28  janvier  i536, 
A  3  livres  5  sous).  A  Arras  et  à  Digne,  nos  religieux  de- 
vront payer  la  dîme  de  tous  leurs  biens  ;  à  Estaires,  un  droit 
annuel  de  i3  sous  seulement. 

Cloches.  —  Il  n'en  est  question  qu'à  Arras  ;  les  Trinitaires 
n'y  pourront  avoir  que  deux  cloches,  avec  un  homme  pour 
les  sonner. 

Agrandissements.  —  Le  couvent  d'Arras  ne  pourra  se  dé- 
velopper sans  la  permission  du  chapitre;  celui  de  Douai 
devra  avoir  l 'autorisation  de  l'éclievinage.  A  Toulouse,  le  cou- 


Bibl.  na%.,  nouv,  aeq.  lat.  1367,  p.  iji. 

fctibl-    d'Arles,  manuscrit  de  l'abbé  Bonncnianl,  n 


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go  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRIBUTAIRES. 

vent  qui  n'aura  que  trois  portes  ne  pourra  s'étendre  de  plus 
d'un  arpent  dans  la  paroisse  Saint-Etienne. 

Le  serment  d'observer  la  transaction  est  parfois  imposé  aux 
religieux.  Saint-Jean  de  Matha  le  prêta  lui-même  à  Arles,  au 
mois  d'octobre  i  ao3,  pour  lui  et  ses  successeurs.  A  Toulouse, 
chaque  ministre  devait  le  prêter,  ainsi  que,  à  Arras,  chaque 
religieux,  lors  de  sa  profession. 

Telles  sont  les  conditions  primitives.  Les  services  rendus 
par  les  Trînitaîres  et  la  protection  de  saint  Louis  amenèrent 
une  notable  détente. 

L'évêque  de  Marseille,  Raymond  de  Nimes,  trouva  un  biais 
ingénieux  pour  sauvegarder  les  principes.  Comme  d'autres 
transactions  avaient  été  conclues  depuis  celle  de  i2o3,  et 
qu'on  ne  savait  à  laquelle  il  fallait  se  conformer,  il  approuve 
la  transaction  de  iao3  et  par  là  nous  la  conserve,  car  l'origi- 
nal en  est  perdu,  et  décide  que  toutes  les  oblations  appar- 
tiendront, moyennant  un  droit  annuel  de  5o  sous,  au  minis- 
tre et  aux  Frères1, 

Ces  conditions  de  fondation  n'étaient  donc  pas  une  mar- 
que d'animosité  particulière.  Les  mêmes  Dominicains  qui,  en 
1667,  s'opposaient  à  l'établissement  des  Trînitaîres  Déchaussés 
à  Faucon,  leur  font  un  prêt  de  1200  livres  en  1761  *.  Les  évé- 
ques,  sévères  pour  nos  religieux  au  moment  de  leur  entrée, 
leur  prodiguèrent  ensuite  les  mandements  en  faveur  de  l'œu- 
vre du  rachat  des  captifs. 


1.  Sources  :  Arles,  copie  de  Mortreuil,  manuscrit  cité.  —  Arra»,  le 
P.  Ignace,  Mémoires  rfu  diocète  d'Arras,  t.  VII,  p.  !\$$.  —  Douai,  ibid., 
t.  V,  p.  36a.  —  Eslairet,  premier  carton  des  Trinitaires  au*  Archives  du 
Nord.  —  Limoax,  Coltection  Doal,  t.  XCVII.  —  Marseille,  nombreuses 
copies  à  Paris  et  à  Marseille.  —  Toulouse,  registre  86  aux  Archives  dépar- 


tementales, p.  : 
a.  Pièce  3o6. 


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CONDITIONS    DE    FONDATION    DES    COUVENTS.  97 

La  paix  était  mieux  assurée  lorsqu'un  laïque  ménageait  un 
accord  honorable  pour  les  deux  parties.  Raoul  Àrondel  indem- 
nise le  curé  de  Brou  (Seine-et-Marne)  de  aorte  que  celui-ci 
permettra  que  les  corps  de  ses  paroissiens  soient  apportés 
dans  l'église  trinitaire  de  «  l'Honneur-Dieu  »  ;  mais  les  reli- 
gieux sont  tenus,  en  leur  âme  et  conscience,  d'appeler  le  curé 
pour  lui  remettre  les  oblations  auxquelles  il  a  droit.  La  ba- 
lance fut  ainsi  tenue  égale  entre  les  deux  églises,  ce  que  mon- 
tre un  seigneur  de  Pomponne  se  faisant  enterrer  à  l'église  de 
l'Honneur-Dieu,  mais  donnant  au  curé  de  Brou  une  somme 
égale  à  celle  qu'il  lègue  au  ministre  des  Trinitaires  '. 

Les  seigneurs  confèrent  surtout  aux  Trinitaires,  de  l'as- 
sentiment de  l'ordinaire,  des  cures  dont  la  collation  leur 
appartient  :  tel  Henri  de  Bar  fondant  les  Trinitaires  à  La- 
marche  en  1338.  Deux  clauses  se  rencontrent  uniformément 
dans  ces  donations  :  limitation  des  nouvelles  acquisitions  et 
précautions  contre  le  départ  éventuel  des  bénéficiaires. 

L'autorisation  du  seigneur  est  indispensable  pour  toute  nou- 
velle acquisition,  gratuite  ou  onéreuse.  En  Hainaut,  au  dix- 
septième  siècle  comme  au  treizième,  les  donations  ont  tou- 
jours pour  témoins  les  hommes  de  fiefs  ou  féodaux,  ce  qui 
donne  plus  de  solennité1.  C'est  par  une  faveur  spéciale  qu'en 
1 294  Guy  de  Dampierre,  comte  de  Flandre,  permet  aux  Tri- 
nitaires d'Hondschoote  de  garder  les  possessions  acquises 
«  sans  le  congiet  de  sa  chère  mère  et  sans  son  assent3  ». 

Les  limitations  sont  imposées,  soit  dans  le  temps,  soit  dans 
l'espace.  Henri,  comte  de  Vianden  en  Luxembourg,  permet 
aux  Trinitaires  de  faire  librement,  pendant  cinq  ans,  toutes  les 

1.  Pièce  84. 

a.  Cartulaire  de  Lens,  passim. 

3.  Archives  communales  d'Hondschoote,  reg.  GG  70. 


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98  l'ordre  français  des  tributaires. 

acquisitions  possibles'.  —  Thibaut  V  de  Champagne  autorise 
les  Trinitaires  de  Troyes  à  acquérir  en  franchise  dans  ses  fiefs 
et  arrière-fiefs  jusqu'à  soixante  livrées  de  terre,  à  condition 
de  ne  point  acquérir  dans  chaque  fief  plus  de  la  moitié  de 
celui-ci*.  Sagement,  les  religieux  ne  dépassèrent  jamais  cette 
limite  et  ne  furent  sujets  à  aucun  droit  d'amortissement. 

Dans  ces  terres  acquises  par  les  religieux,  les  seigneurs,  à 
l'exemple  du  roi,  gardaient  leur  droit  de  justice  3.  Soixante 
ans  après  la  fondation  de  Cerfroid,  Guillaume  de  Montigny, 
chevalier,  possédait  encore  ce  droit  dans  l'enclos  du  monas- 
tère4. 

Souvent,  le  seigneur  exige  un  droit  de  suzeraineté  :  à  Ter- 
raube,  c'est  la  nomination  du  ministre;  à  Mirepoix,  c'est  une 
voix  ;  à  Rieux,  deux  voix  dans  cette  élection  et  une  paire  de 
gants  blancs5.  A  Taillebourg,  le  seigneur  perçoit  une  «  pelote  » 
et  la  course  de  la  pelote,  qu'il  commue  en  quatre  boisseaux 
d'avoine,  puis  trois  seulement,  le  26  juin  1682. 

Comme  condition  originale,  il  faut  signaler,  à  Rome,  la 
part  que  retient  le  seigneur  sur  les  trouvailles  archéologiques 
qui  pourraient  être  faites  dans  le  terrain  sur  lequel  il  a  gardé 
un  cens.  Pour  ce  qui  se  peut  diviser,  (es  religieux  auront  un 
tiers  et  le  seigneur  les  deux  autres,  mais  quand  il  s'agira  de 
marbres  et  de  statues,  les  religieux  seront  contraints  de  ven- 
dre leur  tiers  au  seigneur6. 

1.  Mibaixh,  Opéra  Diplomatie»,  t.  IV,  p.  55$. 

2.  Archives  nationales,  S  4a^7i  û"  '3. 

3.  Pendant  la  durée  de  la  foire  concédée  aux  Trinitaires  (le  Taillebourg, 
les  officiers  du  seigneur  avaient  haute,  moyenne  et  liasse  justice  (Gaston 
Tort *t,  Répertoire  des  litres  dit  comté  de  Taillebourg,  p.  .136). 

4  Don  Toussxisrs  du  Plessis,  pièces  de  ti5S. 

!>.  Archives    nationales,   S  42<H)*  :  petit   cahier   relatif   i 

ft.  Archives  do  Seine-et-Oisc,  Malhurins  de  l'onloise,  ï">" 


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CONDITIONS    DE    FONDATION    DES    COUVENTS.  •  99 

En  échange  de  ces  donations,  les  seigneurs  imposent  des 
messes.  Henri  de  Bar  demande  une  messe' tous  les  jours; 
Philippe  de  Nanteuil  une  messe  anniversaire,  à  la  fois  dans  le 
chapitre  général  et  dans  toutes  les  maisons  de  l'ordre'.  Le 
seigneur  de  Rieux  indique  avec  précision  qu'il  veut  être 
enterré  sous  les  marches  de  l'autel,  «  de  façon  que,  quand  le 
prêtre  officiera,  il  soit  placé  au-dessus  du  milieu  de  mon 
ventre1  ».  Le  seigneur  de  Coupvray,  Louis  de  Guéméné, 
stipule  que  les  religieux  viendront  dire  ta  messe  au  châ- 
teau -. 

Mais,  plus  encore  que  les  chapitres,  les  seigneurs  subor- 
donnent leurs  donations  au  séjour  des  religieux  au  point  pré- 
cis où  ils  ont  été  établis  (notamment  donation  de  l'hôpital  de 
Montmorencv  par  le  duc  Henri  au  mois  d'aoïU  1601).  Jean  le 
Blas,  écolâtre  de  Saint-Amé  de  Douai,  a  formulé  la  plus  se-, 
vère  des  exigences  (  1 256)  ;  il  ne  se  contente  pas  de  dire  que  les 
biens  des  Trinitaires,  si  ceux-ci  quittent  Douai,  reviendront 
à  l'hôpital  de  Saint-Samson  de  cette  ville,  mais  spécifie  dans 
son  testament  du  i4  décembre  ia83  que  les  Trinitaires  n'au- 
ront rien  de  ce  qu'il  leur  lègue,  s'ils  ne  vont  demeurer  à  la 
porte  d'Esquerchin*. 

Ces  conditions  ainsi  fixées,  les  relations  étaient  bonnes 
entre  les  seigneurs  et  les  religieux  :  plus  ils  avaient  pris  de 
part  à  leur  fondation,  plus  ils  s'intéressaient  aux  Trinitaires; 
beaucoup  d'entre  eux  même,  comme  des  Montmorency5,  des 

1.  Archives  nationales,  L  Û47. 

ï.  fbid.,  S4s«9*- 

3.   Dow  Toussajhts,  pièce  633. 

$.  Société  d'agriculture,  lu •Un-lettres...  de  Douai,  s*  série,  tome  XIV, 
p.  3s©. 

5.  Inventaire  de  Cerfroid  en  i634,  aux  Archives  de  l'Aisne,  H  i43i, 
b»  1 19.  Pour  tes  autres,  voir  ies  Monographies  des  couvents. 


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rOQ  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES. 

Rîeux,  des  Gatard-Terraube,  se  faisaient  ensevelir  dans  l'église 
de  nos  religieux. 

Il  n'a  été  question  jusqu'à  présent  que  du  droit  primitif, 
pourrait-on  dire.  Or,  dans  le  courant  du  dix-septième  siècle, 
se  manifestèrent  des  préoccupations  nouvelles  en  matière  de 
fondations,  causées  par  les  exigences  des  communautés  d'habi- 
tants. Ce  n'est  pas  qu'elles  eussent  jamais  perdu  toute 
influence.  Ainsi  la  commune  d'Arles  limitait  très  sévèrement 
en  iaag  les  acquisitions  ecclésiastiques,  sauf  celles  de  l'arche- 
vêché et  du  chapitre,  et  s'y  réservait  toute  justice;  elle  prohi- 
bait même  les  legs  et  donations  entre  vifs  de  toute  terre  en 
vigne  située  à  Arles  ou  dans  son  «  tellement  »  à  une  maison 
ecclésiastique  '.  Nous  avons  vu  qu'à  Douai  les  Trinitaires 
ne  pouvaient  faire  aucune  acquisition  sans  la  permission  de 
l'échevinage.  Cette  sujétion,  parfois  gênante  quand  il  s'agis- 
sait d'affaires  demandant  une  prompte  solution,  comportait 
cependant  quelques  avantages  :  si  les  Trinitaires  venaient  à 
être  expropriés  pour  une  cause  d'utilité  publique,  comme  la 
construction  de  fortifications,  ils  pouvaient  prétendre  à  de 
fortes  indemnités. 

Les  magistrats  municipaux,  tant  du  Nord  que  du  Midi,  en 
arrivèrent  à  donner  ou  à  refuser  l'autorisation  de  fonder  un 
nouveau  couvent.  Vraiment  soucieux  des  intérêts  de  leur  ville, 
les  consuls  hésitent  à  admettre  de  nouveaux  religieux  qui 
pourraient  être  à  charge  à  la  population.  Le  pape  Urbain  VHI 
lui-même  n'avait-il  pas  interdit  la  fondation  des  couvents  qui 
n'auraient  pas,  dès  le  début,  les  revenus  suffisants  pour  nour- 
rir douze  religieux?  L'archevêque  de  Rouen  n'admet  les  Tri- 
nitaires qu'à  condition  qu'ils  ne  quêtent  point.  Il  était  pro- 

i.  Bibliol/iêf/ae  d'Arlct,  manuBcril  1 5g,  p.  3a3. 


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CONDITIONS    DE    FONDATION   DES    COUVENTS.  IOI 

cédé,  au  dix-septième  siècle,  à  une  véritable  enquête  d'utilité 
publique,  à  une  sorte  de  référendum  auprès  des  couvents 
existants.  Le  non-accomplissement  de  ces  formalités  pouvait 
causer  de  sérieux  inconvénients;  le  recteur  de  Sainte-Marie 
du  Pin,  à  Barcelone,  n'hésita  point,  en  une  semblable  occa- 
sion, &  démolir  le  maître-autel  des  Trinitaires;  ceux-ci,  s'étant 
plaints  au  pape,  furent  dispensés  de  cette  formalité  pour 
l'avenir'.  Mais  le  pape  n'avait  rien  à  prescrire  aux  commu- 
nautés d'habitants. 

Les  Trinitaires,  établis  depuis  i64ô  à  Sainl-Quinis,  furent 
d'abord  repoussés  à  Brignoles,  en  1661,  par  l'assemblée  mu- 
nicipale, à  la  majorité  de  trente-deux  voix  contre  dix-huit.  Ils 
furent  néanmoins  admis  l'année  suivante,  après  avoir  promis 
de  ne  point  faire  de  quêtes. 

Dans  la  Provence,  diverses  obligations  leur  furent  imposées 
quant  à  la  prédication  et  aux  offices.  Ainsi  les  Trinitaires 
de  La  Cadière  devaient  attendre  les  consuls  pour  dire  la 
messe  conventuelle,  le  jour  de  la  Trinité;  or  ceux-ci,  étant 
arrivés  alors  que  l'office  était  presque  fini,  portèrent  plainte 
au  Parlement  d'Aix,  qui  les  débouta  (>5  novembre  1769)3. 
Les  religieux  devaient  demeurer  en  nombre  suffisant  pour  soi- 
gner les  malheureux  atteints  de  la  peste. 


.  Analyse  dans  la  table  de  Guerra,  IV,  i65. 

■.  L'abm  Giraud,  Monographie  de  La  Cadiire,  p.  55. 


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CHAPITRE  XI. 


L'histoire  générale  des  couvents  trinitaires. 


L'histoire  des  couvents  trinitaires  est  surtout  celle  de  leur 
mine  graduelle.  Nous  pouvons  croire  sur  parole  les  religieux 
dans  les  lamentables  exposés  de  leur  pauvreté  faits,  à  diverses 
époques,  dans  d'innombrables  requêtes  pour  des  dispenses 
d'impôts.  Thibaut  de  Champagne  trouve  les  religieux  de  Cer- 
froid  exiles  et  tenues1.  Thibaut  de  Nanteuil  dit,  en  i25a, 
qu'au  couvent  des  Mathurins  de  Paris  réside  une  grande  mul- 
titude d'étudiants  in  magna  penaria  temporaltum'. 

Nombreux  sont  les  couvents  dévastés  par  des  incendies  ou 
des  guerres;  nos  religieux  eurent  plus  que  leur  part  dans  la 
«  désolation  »  des  églises  de  France.  Un  ordre  pauvre  est  plus 
durement  frappé  qu'un  autre,  parce  qu'il  a  moins  de  moyens 
de  se  relever.  Le  couvent  trinitaire  de  Saint-Gilles,  dévasté  en 
t56a,  disparut  à  tel  point  que  l'on  ignore  aussi  bien  l'époque 
de  sa  fondation  que  les  circonstances  de  sa  disparition.  L'in- 
cendie de  Toulouse,  en  i5n,  causa  un  grand  trouble  aux 
Trinitaires  :  «  Ils  furent  obligés  de  mendier  pour  vivre,  rap- 
porte Grégoire  Revues,  parce  que  la  plus  grande  partie  de 
leurs  débiteurs  refusaient  de  payer  leurs  rentes,  sachant  la 


.  Voir  la  monographie  détaillée. 

.  Donation  d'une  rente  sur  la  ville  de  Crépy. 


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l'histoire  générale  des  couvents  tributaires.  io3 
perte  que  les  religieux  avaient  faite  de  leurs  [titres1.  »  Le 
a8  mai  i534,  le  sénéchal  de  Toulouse  permit  que  les  Trini- 
taires  fissent  signer  par  un  notaire  tous  les  actes  qu'ils  pour- 
raient retrouver  au  sujet  de  ces  créances. 

Les  guerres  de  religion,  tant  du  Nord  que  du  Midi,  ruinè- 
rent un  grand  nombre  de  couvents.  Pendant  dix  ans ,  à 
cause  des  incursions  des  hérétiques,  Jacques  Bourgeois  ne  put 
prendre  possession  de  son  couvent  de  Convorde  et  c'est  une 
des  raisons  qu'il  allègue  pour  en  demander  la  suppression. 
Les  dévastations  commises  par  les  huguenots  dans  les  couvents 
trinîtaires  de  Montpellier  et  de  Castres  sont  attestées  par  les 
suppliques  de  ces  religieux.  Pendant  cinquante  ans,  le  minis- 
tre de  Montpellier  ne  put  entrer  dans  celte  ville  et  séjourna  à 
la  campagne3.  Les  habitants  de  Castres  furent  condamnés, 
par  arrêt  du  Parlement  de  Toulouse,  à  rebâtir  le  couvent  tri- 
nitaire  qu'ils  avaient  détruit  cinquante  ans  auparavant'. 

Sans  avoir  subi  tant  de  cataslrophes,  les  couvents  de  Cham- 
pagne n'étaient  pas  en  meilleur  état,  témoin  la  saisie  du 
■revenu  temporel  de  celui  de  Châlons-sur- Marne,  faite  à  la 
requête  du  procureur  du  roi,  faute  d'un  nombre  suffisant  de 
religieux  pour  célébrer  le  service  divin,  réparer  et  entretenir 
les  bâtiments  de  celte  maison,  ruinée  et  démolie  au  passage 
de  l'armée  de  l'empereur  Charles-Quint4.  Mainlevée  en  fut 
accordée  le  i4  octobre  i5$6.  Mais  la  situation  s'améliora  si 
peu  que  le  P.  Fadois,  ministre  en  1690,  ne  pouvait  faire  sub- 
sister ce  couvent  que  par  les  libéralités  particulières  de  sa 
mère. 


1.  Pièce  z4«- 

2.  Archives  de  l'Hérault,  liasse  non  cotée. 

3.  Archives  du  Parlement  de  Toulouse  (table),  B  25g. 

4.  Trinilaires  de  ChSIons,  inventaire  de  1742-1744,  p.  1 


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Io4  L'ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES, 

Certains  couvents  avaient  été  entièrement  abandonnés  : 
La  Perrine,  près  de  Saint-Là,  était  gouvernée  (depuis  r4<)6) 
par  des  prieurs  commendataires  ;  l'ordre  de  la  Trinité  réclama 
que  la  possession  lui  en  fût  rendue,  et  le  dernier  prieur,  Pierre 
Cotel,  fut  condamné  à  rendre  les  titres  et  le  prieuré  au  tri- 
nitaire  Jean  Maillet1  (i588). 

Si  nous  passons  en  Flandre,  nous  trouvons  des  dispenses 
d'impôt  accordées,  le  i3  septembre  i6o5,  pour  18  ou  20  flo- 
rins dus  par  les  religieux  d'Orivat.  Les  religieux  de  Lens 
furent  éprouvés  au  temps  des  guerres  dont  les  Pays-Bas  fu- 
rent le  théâtre  sous  Louis  XIV.  Antoine  Dachier  nous  a 
laissé  un  journal  des  perles  de  son  couvent.  Pendant  six  ans 
(1679-1677),  il  fut  impossible  de  labourer.  Les  archives 
avaient  été  déposées  à  l'abbaye  de  Cambron,  qui  fut  pillée 
tant  par  les  Espagnols,  alliés  des  Hollandais,  que  par  les 
Français1. 

A  cette  époque,  les  couvents  de  la  généralité  de  Paris,  énu- 
mérés  dans  les  Mémoires  dressés  pour  l'instruction  du  duc  de 
Bourgogne*,  sont  moins  pauvres  qu'on  aurait  pu  le  croire. 
Mais  ils  étaient  à  la  merci  d'un  accident.  Un  orage,  le 
20  août  1703,  causa  5,ooo  livres  de  dégâts  dans  l'église  Saint- 
Jacques  de  La  Veuve,  où  il  y  eut  deux  pieds  d'eau;  il  était 
difficile  de  la  réparer,  car  les  ouvriers  étaient  fort  rares  et  le 
prix  des  matériaux  était  doublé*. 

La  modicité  des  récoltes  de  1760  met  en  fâcheuse  posture  les 
Trinitaires  de  Toulouse,  qui,  pour  les  nécessités  urgentes, 
doivent  emprunter  1,000  livres5  (i4  mars  1761). 

1.  De  Gkhvh.i.k,  Etude»  sur  lu  département  de  la  Manche,  passiin. 

î.  Cartulaire  de  Lcns.  Pièce  236. 

3.  Publiés  par  M.  de  Boislisle,  pp.  37,  38,  5o,  5»,  70,  73,  85,  181,  3it. 

4-  Liasse  53*  des  Trinitaires  de  Châlons. 

5.  Trinitaires  de  Toulouse,  registre  84,  p.  a5. 


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L'HISTOIRE    GENERALE    DES    COUVENTS    TRINITAIRES.  I05 

Le  couvent  de  Pontoise  est,  en  1768,  assiégé  par  une  foule 
de  créanciers,  ne  pouvant  plus  tenir  contre  leurs  poursuites  et 
se  trouvant  hors  d'état  de  satisfaire  aux  dettes  de  la  maison, 
attendu  que  les  revenus  sont  tous  saisis  depuis  trois  ans  à  la 
requête  de  bouchers ,  boulangers ,  épiciers ,  marchands  de 
vin,  de  bois,  cordonniers,  serruriers,  maçons  et  autres,  qui 
sont  affamés  d'argent.  Le  27  février  1768,  l'assemblée  des  cinq 
Pères  accorde  un  emprunt  de  12,000  livres.  Indépendamment 
des  dettes  (u,o48  I.),  le  déficit  annuel  était  de  854  livres1. 

A  la  veille  de  la  Révolution  bien  des  couvents  ne  pou- 
vaient plus  subsister,  et  la  Commission  des  Réguliers  fit  bien 
de  porter  une  main  hardie  dans  cet  édifice  vermoulu  ;  mais 
déjà  il  était  trop  tard. 

Ce  n'est  pas  tout  d'avoir  constaté  la  pauvreté  des  Trini- 
taîres,  il  faut  en  voir  les  raisons.  Ils  peuvent  alléguer  que 
leur  ordre  ne  fut  jamais  très  nombreux,  mais  leur  négligence 
est  la  grande  coupable  et  ils  furent  privés  de  certains  privilèges 
par  leur  faute.  L'exemption  de  la  dîme  ayant  été  contestée  en 
1709  par  les  Bénédictins  de  Vitry-le-François,  les  Trinitaires 
ne  trouvèrent  aucun  titre  à  leur  opposer1  et  perdirent  leur 
procès. 

Ils  avaient  pourtant  de  nombreux  émoluments,  tels  les  étaux 
de  boucherie  des  Mathurins  de  Paris;  comme  ces  étaux 
n'étaient  plus  assez  productifs,  les  religieux  s'en  dessaisirent, 
vers  1710,  déclarant  imperturbablement  qu'ils  ne  se  souve- 
naient pas  d'en  avoir  jamais  joui. 

A  Arras,  ils  avaient  reçu,  en  ia5a,  une  table  de  change 
{tabula  nummularia).  L'échevinage  bâtit  la  Maison-Rouge  sur 

1.  Gartulaire  de  Pontoise,  fl»  54  et  68  vo.  —  Le  rédacteur  attribue  ce 
malheur  à  la  mauvaise  administration  de  son  prédécesseur, 
a.  Archives  de  Mêla,  H  3774,  n°  1- 


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io6  l'ordre  français  des  trinitaires. 

la  Pelite-Place,  en  1437,  el  Philippe  le  Bon  accorda  aux  reli- 
gieux un  espace  de  10  pieds  carrés  pour  les  indemniser  de 
cette  table1. 

A  Lîmoux,  ils  exerçaient  de  véritables  droits  seigneuriaux. 
Le  syndic  des  religieux  était  autorisé  «  à  levar  sur  chacun  des 
habitants  extra  maros  qui  cuiront  du  pain  pour  la  vente  aux 
fours  publics ,  1  2  onces  tin  quart  de  pâte,  poids  de  marc  de 
Montpellier,  par  setier  de  blé,  à  la  charge  par  eux  d'entretenir 
les  mandataires  nécessaires  pour  le  service  des  fours1  ». 

A  Lérinnes,  le  ministre  avait  une  cour  de  justice,  ainsi 
qu'à  Tourinnes,  qui  en  dépendait3. 

Les  revenus  ordinaires  des  Trinitaires,  en  ville,  consistaient 
dans  des  maisons  qu'ils  louaient;  à  la  campagne,  ils  avaient 
des  fermes  très  importantes.  Ceux  de  Toulouse  avaient  à 
Vénerque  une  métairie  qu'ils  firent  déclarer  franche,  malgré 
les  consuls.  Ceux-ci,  y  ayant  envoyé  loger  des  gens  de  guerre, 
furent  condamnés  par  la  Cour  des  aides  de  Montpellier  à 
rembourser  20  livres  aux  Trinitaires  *.  Cette  «  metterie  noble 
de  labourage  de  deux  paires  de  bœufs  »  servait  à  loger  les 
religieux  convalescents.  De  même,  le  château  des  Damoi- 
seaux, à  Bièvre,  était  pour  les  Mathurins  un  lieu  de  prome- 
nade, où  leur  général,  Grégoire  de  La  Forge,  les  conduisait 
souvent,  sans  qu'ils  se  crussent  tenus  envers  lui  à  la  moindre 
reconnaissance5. 

Par  contre,  les  Trinitaires  de  Lens  avaient  une  maison  de 
refuge   à   Mons;    seulement,    le   ministre  Guillaume   Watten 


1.  D'Hékj<:oi.ht,  Les  raes  d'Arras,  l.  II,  p.  ïiji. 

a.  Inventaire  da  Parlement  de  Toulouse,  B  397. 

3.  Bibliothèque  de  Bruxelles,  fonds  Goethals,  n 

4.  Trinitaires  de  Toulouse,  registre  80,  pp.  67  et  76. 

5.  Bibl.  Sainte-Geneviève,  manuscrit  5io  (au  début). 


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l'histoire  générale  des  couvents  tributaires.  107 
l'avait  mal  choisie,  «  n'y  ayant  ni  fenêtre,  ni  grenier,  ni 
écurie  '  »,  et  on  dut  ta  revendre,  à  perte  probablement. 
La  perception  de  leurs  rentes  fut  leur  grande  et  légitime 
préoccupation.  Leurs  archives  ne  contiennent  que  des  sen- 
tences contre  les  mauvais  payeurs,  les  expulsions  des  emphy- 
téotes  et  bien  peu  de  pièces  historiques.  D'ailleurs,  les  Ma- 
thurins  de  Paris,  pour  se  faire  payer  d'une  rente  de  60  livres 
par  les  habitants  de  Crépy-en- Valois,  firent  preuve  de  la  plus 
grande  persévérance;  pendant  plus  d'un  siècle  et  demi,  ce 
couvent  mérita  tout  spécialement  la  réputation  d'un  couvent 
pratique*. 

Les  quêtes  amenèrent  d'âpres  conflits  entre  les  Trinitairea 
et  les  Pères  de  la  Merci.  Ces  questions  d'argent  étaient,  d'ail- 
leurs, les  pierres  d'achoppement  des  relations  entre  ordres 
religieux. 

Ils  évitaient  adroitement  bien  des  dépenses  extraordinaires. 
Par  exemple,  en  i636,  on  avait  fait  choix  du  couvent  mili- 
taire d'Arras  pour  loger  les  soldats  espagnols  blessés  au 
siège  de  cette  ville.  Ils  firent  tant  qu'ils  amenèrent  l'archiduc 
Léopold   d'Autriche   à   prendre   plutôt  le   palais   épiscopal3. 

Quant  à  payer  moins,  les  Trinitaires  ne  s'en  faisaient  pas 
faute.  Ils  prétendaient  n'être  soumis  à  aucun  impôt  local. 
Sommés  par  le  magistrat  d'Hondschoote  de  payer  les  impôts 
pour  les  terres  qu'ils  occupaient,  ils  passent  la  frontière  et 
en  appellent  au  bailliage  d'Ypres,  qui  relient  la  cause  et  con- 
damne le  magistrat,  d'où  requête  au  Conseil  privé  (ai  janvier 


1.  Pièce  a36. 

1.  Les  Mathurius  de  Paris,  ayant  reçu  de  Jean  de  Ruel  la  terre  de 
Bièvre,  où  Charles  V  se  retint  la  justice,  trouvèrent  moyen  de  se  l'attri- 
buer et  de  se  la  faire  même  confirmer  par  Charles  VI  1 

3.   Pièce  179. 


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108  l'ordre  français  des  trinitaires. 

1702).  Cette  sentence  d'Ypres  est  jugée  «  attentatoire  à  l'au- 
torité du  Grand  Conseil  »,  et  les  Trinitaires  «  fatiguent  en 
vain  ta  communauté  par  de  continuels  procès  »;  leur  con- 
duite est  «  d'autant  plus  préjudiciable  au  public  qu'il  doit 
supporter  tout  le  fardeau  des  tailles,  pendant  que  les  reli- 
gieux s'en  exemptent  par  des  voyes  si  peu  convenables  à  leur 
caractère,  alors  que  les  religieux  des  Flandres  les  payent 
sans  résistance  '  ».  Ces  sévères  considérants  n'empêchèrent 
pas  de  nouvelles  contestations  sur  la  réparation  des  chemins 
voisins  de  leurs  propriétés. 

Malgré  leurs  précautions,  ils  ne  présentèrent  pas  en  temps 
leurs  baux,  à  Marseille,  et  furent,  par  faveur  spéciale  et  se- 
crète, condamnés  à  une  amende  de  100  livres,  la  moitié  de 
l'amende  ordinaire1. 

Quelque  grande  que  fût  leur  pauvreté,  les  couvents  trini- 
taires surent  cependant  s'entr'aider.  En  i6o4,  François  Petit, 
avec  permission  du  chapitre  général,  donne  à  Guillaume 
Watien,  prieur  d'Estaïres,  5o  livres  à  prendre  sur  la  minis- 
trerie  de  Lens  3.  Au  dix-huitième  siècle,  les  Mathurins  de 
Paris  avaient  beaucoup  de  rentes  sur  les  couvents  de  Cler- 
mont  et  de  Mortagne,  aimant  mieux  emprunter  à  leurs 
confrères  qu'à  des  étrangers  4. 

Dans  les  circonstances  critiques,  les  différents  couvents 
savaient  se  cotiser.  On  vit  tous  les  Réformés  faire,  à  plusieurs 
reprises,  des  dépenses  importantes  et  longtemps  vaines  pour 
obtenir  la  réunion  à  leur  province  du  couvent  d'Avignon5. 


1.  Archives  communales  d' Ho  ad  se  honte,  registre  AA  1,  p.  3/(0. 

1.  Pièce  263. 

3.  Carlulairede  Lens,  année  rfk>4. 

4-  Archives  nationales,  LL  i545,  paitim. 

5.  Une  autre  liasse  de  Marseille  bous  montre  un  effort  analogue  pour 


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L'HISTOIRE    GÉNÉRALE    DES    COUVENTS    TRINITAIRES.  IOÛ 

L'Hotei-Dieu  de  Lisieux  ayant  été  incendié  le  23" décembre 
1770,  les  religieux  de  Paris,  Fontainebleau,  Mortagne  don- 
nèrent 5^o  livres  pour  aider  à  sa  reconstruction.  Loyer, 
ministre  de  Meaux,  transmit  la  somme  aux  sinistrés1.  La 
solidarité  seule  pouvait  les  préserver  de  la  ruine  complète. 

Les  petits  couvents  de  la  campagne  ne  purent  se  sauver 
que  par  la  dépendance  d'un  plus  puissant  couvent,  là  où  ils 
purent  éviter  d'être  réunis.    . 

Cette  dépendance  était  souvent  la  conséquence  de  l'aide 
prêtée  par  l'ancien  couvent  au  nouveau,  qui  n'était  plus  que 
sa  succursale.  La  maison  de  La  Veuve,  fondée  en  ia34, 
dépendait  du  couvent  de  Châlons  ;  telle  était  aussi  la  condi- 
tion du  couvent  de  Péronne  relativement  à  celui,  plus  ancien, 
de  Templeux. 

La  tutelle  s'exerçait  même  sur  des  couvents  lointains. 
Ainsi,  le  couvent  de  Saint-Farori  de  Meaux  céda  aux  Trini- 
taires  le  prieuré  de  Saint-Vincent  de  Rouvray1,  près  Forges- 
les-Eaux.  Le  ministre  de  Meaux  le  donne  à  ferme  à  quel- 
que religieux  pour  dix  ou  vingt  ans,  moyennant  certaines 
redevances. 

Le  couvent  qui  eut  plus  de  dépendances  est  celui  des 
Malhurins  de  Paris.  C'est  à  Robert  Boulanger,  ministre, 
qu'est  cédé  en  i3a4  le  prieuré  de  Dinardj  c'est  au  couvent 
des.  Mathurins  que  se  transporte  le  grand-ministre  pour 
signer  le  contrat  de  cession.  Cette  dépendance  se  mani- 
festait par  le  paiement  annuel  de  35  sous  au  ministre  de 
Paris,  le  jour  du  chapitre  général 3, 

le  couvent  de  Lyon  qui,  n'ayant  pu  prospérer,  fut  cédé  à  la  province  de 
France  â  condition  qu'elle  en  payerait  les  dettes. 

1.  Archives  nationales,  S  £278,  "ù  4- 

i.  Son  Cartulaire  est  conservé  aux  Archives  nationales,  LL  i553-i554> 

3.  Archives  nationales,  registre  S  4*84,  P-  laï- 


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110  I,  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES. 

Le  prieuré  de  Dinard  était  un  «  membre  immédiatement 
dépendant  du  couvent  de  Paris  ».  Parfois,  le  ministre  pré- 
sente à  l'évêque  de  Saint-Malo  le  prieur-curé,  parfois,  au 
contraire,  l'official  s'adresse  au  ministre,  en  lui  recommandant 
un  sujet  «  tout  à  fait  digne  d'obtenir  ce  bénéfice  ».  Apparem- 
ment, la  collation  était  alternative. 

Lorsqu'il  n'y  avait  cependant  plus  de  rémission  possible  et 
qu'il  était  vain  d'espérer  que  le  couvent  arriverait  jamais  à 
acquitter  ses  fondations,  l'une  des  deux  solutions  suivantes' 
s'imposait  :  la  réunion  (reductio)  ou  le  bail. 

Jacques  Bourgeois  nous  a  fait  connaître  à  la  fois  le  principe 
et  l'application  de  la  reductio.  Dans  l'édition  qu'il  a  donnée 
des  Statuts  de  i^aç)  {pp-  80,  81),  il  dit  que  les  biens  pouvant 
rester  au  couvent  supprimé  sont  partagés  en  deux  fractions, 
consacrées,  la  première  à  l'entretien  du  prêtre  qui  acquitte  les 
fondations,  la  seconde  à  des  bourses  d'écoliers  nommés  par 
les  quatre  provinces.  La  maison  du  Bourget,  d'abord  baillée 
à  un  cardinal,  ayant  été  réunie  au  couvent  de  Paris  (i33o), 
quatre  écoliers  furent  mis  en  pension  chez  les  Mathurins1. 
C'était  une  chose  excellente  que  de  faire  progresser  les  éludes 
par  suite  de  la  diminution  du  nombre  des  maisons  de  l'ordre. 

Seulement  Jacques  Bourgeois,  qui  demanda  et  obtint  la 
suppression  du  couvent  de  Convorde  ou  Estaires  dont  il  était 
minisire,  n'avait  pas  prévu  que  le  seigneur  fondateur  3  pour- 
rait réclamer  l'exécution  des  conditions  auquelles  étaient  atta- 
chés ses  bienfaits.  Le  procès  qui  suivit  |amena  plus  de  frais 
que  n'en  eût  coûté  la  conservation  du  couvent. 

1 .  Je  ne  reviens  pus  ici  sur  les  couvrnls  dépendants  d'un  seigneur,  comme1 
ceux  de  Mirepoix,  Ricux  et  Tcrraube. 

1.  Archives  nationales,  dans  S  4^53  * . 

3.  Thomas  Pilleur,  seigneur  de  Ma gny-lc- Hongre,  fil  aussi  des  ennui» 
■u  ministre  de  Silvclle.  (Arch.  nal.,  cahier  dans  S  4267.) 


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l'histoire  générale  DES  COUVENTS  TRINITAIRES.  1 1 1 
Au  dix-septième  siècle,  beaucoup  de  petits  couvents  n'eu- 
rent plus  de  ministre  résident.  Celui  de  Pontarmé  '  demeure 
parfois  à  Verberie,  parfois  à  Paris.  En  i653,  un  fermier  est 
chargé  de  faire  dire  les  messes  aux  frais  du  ministre,  de  veiller 
aux  menues  réparations,  de  prendre  soin  des  ornements  reli- 
gieux; U  était  tenu  de  recevoir  à  ses  frais  le  ministre,  si 
d'aventure  il  venait,  et  d'héberger  les  religieux  de  l'ordre. 

Claude  Ralle,  pendant  trente-huit  ans  secrétaire  de  Louis 
Petit  et  procureur  général  des  captifs,  porte  le  litre  de  mi- 
nistre du  Fav.  Les  bénéfices  à  la  collation  du  grand-ministre 
lui  servaient  à  récompenser  ses  amis,  sinon  à  les  enrichir. 
Aussi,  en  i65a,  quelques  religieux  Malhurins,  mécontents  de 
leur  supérieur,  se  plaignirent-ils  au  parlement  de  la  non- 
résidence  comme  contraire  aux  statuts  de  l'ordre.  L'arrêt 
du  5  mars  donna  raison  à  Louis  Petit  contre  ces  religieux 
«  tUscoles  ».  En  1696,  un  chapitre  général  décida  de  rappeler 
à  sa  maison  de  profession  tout  ministre  sans  religieux. 

Une  bonne  excuse  pour  la  non-résidence  était  l'insécurité 
du  pays.  Notre-Dame  de  Limon,  près  Vienne  (Isère),  étant 
dans  un  lieu  bas  et  marécageux,  les  ministres  résidèrent  à 
Saïnt-Syinphorien  d'Ozon.  Plusieurs  prieurs  ayant  été  assas- 
sinés à  Franchard,  dans  la  forêt  de  Fontainebleau,  les  reli- 
gieux quittèrent  en  171a  ce  lieu  funeste. 

Ce  couvent  royal  de  Fontainebleau  fournit  un  bon  exemple 
des  vicissitudes  de  nos  religieux.  En  1029,  François  1er  reprit 
«  de  ses  bien  amés  le  ministre  et  religieux  de  Fontainebleau  » 
tout  leur  couvent  pour  en  faire  la  cour  du  Cheval-Blanc.  Le 
nouvel  espace  qui  leur  fut  alloué  était  bien,  modeste  en  com- 
paraison ;  «  mais,  pour  être  un  peu  étroit,  dit  le  P.  Dan,  qui 

!_   E.  Depuis,  Pontarmé,  pp.  55  et  56. 


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113  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRIBUTAIRES. 

en  fut  supérieur,  ce  couvent  n'était  pas  sans  charmes,  embelli 
qu'il  était  par  les  agréments  d'une  bibliothèque  naissante.  » 
Nous  voici  ramenés  aux  parvae  congregationes  d'Albéric 
des  Trois-Fontaines,  qui  vit  le  berceau  de  l'ordre;  le  plus 
illustre  historien  trinitaire  reconnut,  au  dix-septième  siècle, 
que  ses  religieux  ne  pouvaient  subsister  qu'en  se  souvenant 
de  leur  simplicité  primitive. 


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CHAPITRE  XII. 
Les  hôpitaux  trinitaires. 


La  règle  prescrivait  de  consacrer  un  tiers  des  revenus  à 
l'entretien  des  religieux,  un  tiers  au  rachat  des  captifs,  un 
tiers  à  l'hospitalité.  Il  y  eut,  dès  le  début,  beaucoup  de  mai- 
sons qui  non  seulement  eurent  des  hôpitaux,  mais  même  ne 
furent  que  des  hôpitaux.  Les  fréquentes  mentions  de  la  mai- 
ton  et  hôpital  de  Metz  ne  suffiraient  certes  pas  à  nous  prou- 
ver qu'il  y  avait  là  un  hôpital,  mais  à  Eslaîres  et  à  Douai,  où 
l'on  n'en  a  point  signalé,  nous  en  avons  la  certitude,  grâce  à 
des  actes  de  fondation  très  précis.  Le  1  f\  décembre  ia83,  Jehan 
Le  Blas  lègue  à  Y  hôpital  trinitaire  de  Douai  '  ses  coussins  et 
oreillers,  ses  couvertures,  sa  vaisselle  d'argent,  ses  écuelles, 
ses  plateaux.  Ainsi,  quand  on  rencontre  le  nom  de  Maison- 
Dieu  appliqué  à  des  couvents  trinitaires  comme  à  Pontarmé, 
au  Bourgel2,  on  peut  être  sur  qu'il  y  a  eu  là  un  hôpital.  Les 
historiens  de  Paris  s'étaient  assez  étonnés  de  l'inscription 
placée  sur  le  couvent  des  Mathurins,  en  vue  de  solliciter  les 
aumônes  pour  cet  «  hôpital  ».  Félibien  et  Lobineau  avaient 


i.  Abbé  Dakcoisse,  Etablissements  religieux  de  Doua  i  :  Tri  oit  a  ire 
pièce  n°  i0. 

a.  Le  Grand,  Registre  (tes  visites  de  Vivéqut  (en  i35i),  p.  \a!\.  Je  sais 
cette  occasion  de  rappeler  les  excellents  articles  que  M.  Le  Grand  a  cons 
créa  aux  Maisons-Dieu  du  Moyen-Age. 


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Il4  L'ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAlRES. 

mentionné  (t.  II,  p.  744)  un  legs  d'Isabeau  de  Bavière  en 
faveur  de  l'hôpital  de  Saint-Malhurtn,  sans  en  tirer  de  consé- 
quences. Gaguin  a  écrit  au  dos  d'un  acte  :  «  C'est  la  maison 
où  est  de  présent  l'hôpital  »;  il  était  bien  placé  pour  le  savoir. 
Les  actes  originaux  concernant  cet  hôpital  des  Mathurins  ont 
malheureusement  disparu,  mais  deux  analyses,  recueillies  par 
Claude  de  Massac  dans  le  Cartulaîre  qu'il  fit  rédiger,  nous 
donnent  quelques  renseignements  sur  cette  pieuse  fondation, 
qui  n'a  disparu  qu'au  début  du  dix-septième  siècle. 

Les  hôpitaux  de  l'ordre  recevaient  d'autres  hôtes  que  des 
malades.  On  en  peut  juger  par  la  mention  de  ces  vauriens 
qui  volaient  les  draps  de  l'hôpital  de  Taillebourg'. 

Les  Trinitaircs,  jamais,  n'administraient  seuls  un  hôpital. 
La  plupart  du  temps,  ils  se  servaient  de  donnés,  et  partout  où 
il  y  a  des  donnés,  il  y  a  un  hôpital.  A  Paris,  c'étaient  un  mari 
et  sa  femme  qui  le  desservaient  en  1492  et  en  i533,  avec 
le  titre  d'hospitaliers. 

Le  fait  pourrait  aider  à  résoudre  la  question  des  Sœurs  de 
l'ordre,  souvent  prises  pour  des  religieuses,  qui,  comme  à 
Meaux1,  partagent  avec  les  Frères3  l'administration  de  l'hôpi- 
tal. Lorsque  les  Triiùtaires  partent  de  Meaux,  en  i520,  les 
Sœurs  restent,  ce  qui  semble  bien  prouver  qu'elles  ne  sont 
pas  du  même  ordre  que  les  religieux.  Bien  que  les  historiens 
trinitaires  aient  rapporté  nu  treizième  siècle  la  fondation  des 
religieuses  de  l'ordre,  il  ne  faut  pas  la  faire  remonter  au 
delà  du  dix-septième,  où  nous  en  voyons  apparaître  tant  en 
France   qu'en    Espagne.    Alors  viennent    les   Mathurines   de 

1 .  Acle  de  visite  cité. 

a.  Chronique  des  êuiquet  de  Afenti.r,  par  M*'  Allou,  p,  l3i, 
3.   Un  acle  unique  de  Pontarmé  mentionne  les  Frèrea  el  Sœurg  de  la 
Maison-Dieu.  (Dupuis,  p.  n5.) 


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LES    HÔPITAUX    TRINITAIRES.  ri5 

Reuilly,  qui  étaient  des  Sœurs  enseignantes  :  quant  aux  reli- 
gieuses de  Valence,  cette  communauté  hospitalière  avait  pris 
l'habit  de  l'ordre  el  son  vocable  à  ta  fin  du  dix-septième  siè- 
cle, sans  lui  être  aucunement  rattachée. 

Une  «  bonne  fille  »  de  l'hôpital  Saint-Nicolas  de  Metz 
promet,  le  a4  juin  i643,  d'amender" ses  mœurs,  suivant  les 
règles  el  statuts  des  Sœurs  et  associées  de  l'ordre.  La  note 
mise  au  bas  de  cet  acte  :  «  Ce  vœu,  qui  n'est  que  particulier, 
oblige  pourtant  »,  prouve  bien  qu'il  ne  s'agit  pas  de  reli- 
gieuses ' . 

On  voit  de  vraies  religieuses  à  Avignon,  mais  ce  sont  des 
Sœurs  de  Saint-Joseph,  qui  n'y  sont  venues  qu'à  la  fin  du 
dix-septième  siècle*. 

Dans  le  Midi,  les  Trinitaîres  paraissent  partager  le  soin  de 
leurs  hôpitaux  avec  des  recteurs  laïques.  A  Cordes  (Tarn), 
deux  prudhommes,  nommés  pour  un  an,  sont  chargés  de  les 
contrôler,  de  par  l'acte  de  fondation  du  mois  de  novem- 
bre 1287.  Pierre  de  Béziers,  damoiseau,  parait  être  donné 
comme  seul  associé  aux  religieux,  le  14  décembre  12953. 

Bernard  Rascas,  fondateur  de  l'hôpital  d'Avignon,  institue 
deux  recteurs  laïques  à  côté  des  Trinitaîres  qu'il  fonde  en 
i353.  La  réunion  si  curieuse  des  Pères  de  la  Merci  et  des 
Trinitaîres  en  i48i  par  Julien  de  La  Rovère,  vice-légat,  doit 
être  simplement  interprétée  comme  une  mesure  destinée  à 
assurer  une  meilleure  surveillance. 

L'histoire   de  la   plupart   de  ces  hôpitaux  est  fort  triste, 


1.  Trinitaîres  de  ChAlons,  /jfif  liasse. 

2.  Pour  tout  ce  qui  concerne  Avignon,  je  dois  remercier  M.  Joseph  De 
Love,  archiviste  des  Basses-Pyrénées,  <|ui  a  mis  gracieusement  i't  ma  dis- 
position ses  noies  si  étendues  sur  les  établissements  hospitaliers  d'Avignon. 

3.  Pièces  46  et  5o. 


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1X6  L'ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITA1RES. 

d'abord  à  cause  de  ta  pauvreté  d'un  ordre  qui  pouvait  diffi- 
cilement faire  prospérer  des  établissements  si  dispendieux, 
ensuite  à  cause  de  sa  faiblesse,  qui  l'expose  à  de  nombreuses 
avanies.  L'Hàtel-Dieu  de  Saint-Quentin,  donné  en  1257, 
n'existe  plus  un  demi-siècle  après  ;  Châlons,  où  les  Trini- 
taires  auraient  eu  un  hôpital  dès  iaa,r),  n'en  a  plus  dès  avant 
i364  '•  Même  secourus  par  un  puissant  seigneur  comme  Geof- 
froy le  Meingre,  frère  de  Boucicaut,  les  Trinitaires  hospita- 
liers d'Arles  doivent  attacher  à  leur  service  Marot  du  Puy, 
clerc,  et  le  constituer  procureur  pour  la  moitié  des  revenus 
donnés  par  ce  seigneur1.  Le  ministre  Guillaume  de  Flaygnac 
avait  d'ailleurs  été  pourvu  de  celte  charge  par  Boucicaut 
lui-même  (i3  janvier  i4io)3.  Il  était  donc  vrai  que  la  dépen- 
dance étroite  pouvait  seule  assurer  la  vie  de  ces  établisse- 
ments. 

■  Encore  les  Trinitaires  pouvaient-ils  s'estimer  heureux  quand 
leur  hôpital  mourait,  pour  ainsi  dire,  de  mort  naturelle;  car 
ils  étaient  parfois  dépossédés,  a  la  suite  de  longs  procès  dé- 
sastreux, comme  à  Compiègne4,  ou  d'une  enquête  désagréable 
comme  à  Meaux. 

L'Hôlel-Dieu  de  Meaux,  aujourd'hui  un  des  plus  riches  de 
France,  possède,  dans  ses  belles  Archives,  le  registre  (coté 
E  1)  de  l'enquête  faite  par  les  commissaires  du  roi  en  i5io 
sur  l'administration  des  Trinitaires.  M.  Coyecque  en  a  publié 
quelques  pages  piquantes  dans  ses  Documents  sur  CHdtel- 
Dieu  de  Paris  (tome  Ier,  pp.  3a7-33i). 

Les  griefs  allégués  contre  les  Trinitaires  de  Meaux  étaient 


1.  Archives  nationales,  X,  1  à  *',  f»  372. 

2.  Bibliothèque  d'Arles,  nis.  i5g,  pp.  634-638. 

3.  Ibid.,  insi.  160,  pp.  5-g. 

4-  Voir  la  notice  spéciale  sur  cet  hrtpilal. 


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LES    HÔPITAUX    TRINITAIRES.  117 

de  deux  sortes  :  mauvaises  mœurs  el  dilapidations.  Le  chro- 
niqueur Jacques  Bourgeois  avoue  que  la  compagnie  des  reli- 
gieuses était  fort  dangereuse  pour  les  moines,  mais  H  présente 
l'abandon  de  l'hôpital  comme  un  acte  volontaire  du  général 
de  l'ordre'!  L'accusation  d'immoralité  était  exagérée,  tout  se 
réduisant  à  l'intrigue  d'un  religieux  avec  une  Sœur.  D'ailleurs, 
après  le  départ  des  Trinitaires ,  la  conduite  des  religieuses 
donna  lieu  à  plus  d'un  blâme. 

Mais  la  dilapidation  était  trop  évidente.  Le  ministre  Nicole 
Navarre,  d'une  révoltante  parcimonie,  avait  diminué  toutes 
les  rations  de  moitié.  Aussi  les  pauvres  devaient-ils  avoir 
recours  à  des  moyens  héroïques  pour  trouver  à  manger. 
Quand  les  commissaires  se  présentèrent  dans  l'hôpital,  «  lieu 
remugle  et  dangereux  »,  treize  malades  seulement  sur  cin_ 
quante-quatre  étaient  présents,  les  autres  «  s'étant  allés  men- 
dier par  les  rues  et  les  églises,  de  façon  que,  quand  ils  ren- 
traient, on  les  devait  coucher  pour  leurs  grandes  faiblesses  et 
débilités  ». 

Pour  les  vêtements,  le  ministre  n'était  pas  plus  généreux  : 
«  Les  malades  s'habillent  tant  des  aumônes  de  pauvres  gens 
que  des  dépouilles  de  ceux  qui  trépassent  audit  hôtel.  » 

Si  les  Sœurs  protestaient  contre  ces  abus,  les  religieux 
leur  adressaient  de  grossières  injures.  Sœur  Jeanne  Couvreusc 
étant  venue  demander  du  bois,  le  ministre  lui  répondît  que 
les  religieuses  «  détruisaient  la  maison  et  qu'il  y  avait  trop  de 
pauvres  ».  Comme  elle  insistait,  «  luy-mesme  la  mit  es  prisons 
du  dit  Hoslel  Dieu  du  côté  des  religieux,  où  iceuls  peuvent 


.  *  II   est  vray,    dît  Claude  Rochard,  dans  ses  Antiquités  de  .Veatue 
rites  (t.  I,  p.  3ii),  que  c'est  une  chose  très  dangereuse  et  périlleuse 
a  des  hommes  d'être  sans  cesse  parmi  des   filles  el  à  des  filles  parmi  des 


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tl8  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    1 

aller  et  parler  par  la  fenêtre  aux  prisonniers  et  prisonnières 
qui  y  sont  ». 

Venait-on  chercher  les  religieux  pour  le  plus  essentiel  de 
leurs  devoirs,  recommandé  expressément  par  leur  règle,  celui 
de  la  confession,  pour  lequel  les  ordres  mendiants  avaient 
livré  des  batailles  aux  évêques,  ils  ne  se  dérangeaient  pas  : 
une  pauvre  femme  mourut  sans  confession  et  les  religieuses, 
pour  éviter  le  renouvellement  de  ce  malheur,  devaient  avoir 
recours  à  des  prêtres  séculiers  malades  à  l'hôpital  ! 

Le  i3  mai  1619,  Nicole  Navarre,  reconnu  responsable  de 
cette  mauvaise  administration ,'  fut  destitué.  En  vertu  de  la 
transaction  du  9  février  i5ao,  acceptée  par  Nicolas  Musnîer, 
général  de  Tordre,  les  Trinitaires  sortirent  de  l'hôpital,  mais 
gardèrent  la  cure  de  Saint-Remy',  qui  y  avait  été  réunie  en 
1-106.  Les  religieuses  furent  déliées  de  leur  obéissance  envers 
le  ministre  et  instruites  par  des  religieuses  de  l'Hôtel-Dîeu  de 
Paris,  qui  firent  la  navette  entre  les  deux  maisons9.  Les  bour- 
geois solvables  et  honorables,  établis  dès  i5i8  pour  rendre 
les  comptes  aux  gens  du  roi ,  à  l'évêque  et  au  bailli ,  furent 
autorisés  à  annuler  les  baux  faits  par  les  Trinitaires3,  qui 
constituaient  souvent  de  vraies  aliénations. 

li  y  avait,  à  cette  époque,  l'annonce  d'une  révolution  dans 
l'administration  des  hôpitaux.  Les  dilapidations  des  religieux 
auraient  beaucoup  contribué  aux  progrès  du  protestantisme. 
L'évêque  intervient,  comme  protecteur  des  hôpitaux,  mais, 
convaincu  lui-même  d'avoir  exercé  une  surveillance  trop  peu 
rigoureuse,  il  est  bientôt  débordé,  et  les  comptables  des  hôpi- 
taux sont  désormais  des  laïques,  «  deux  en  chaque  lieu,  élus 

[.  Don  Toussaint»,  pièce  5gi. 

2.  Coyeco.ce,  t.  II,  p.  379. 

3.  Archives  hospitalières,  B  146,  i/,IS;  Ë  i5a. 


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LES    HÔPITAUX    TRIMTAIRES.  IKJ 

el  commis,  de  trois  en  trois  ans,  par  personnes  ecclésiastiques 
et  laïques  a'  et  versant  un  cautionnement  de  720  livres  tour- 
nois au  plus  (avril  i56i). 

Pendant  la  seconde  moitié  du  seizième  siècle,  les  Triuitaircs 
s'efforcent  de  sauver  ce  qui  leur  reste  de  leurs  hôpitaux. 
Entre  autres  déclarations  qu'ils  obtiennent  des  derniers  Va- 
lois, il  faut  citer  celle  du  10  mai  1569'  où  il  est  spécifié  qu'ils 
ne  sont  point  compris  dans  l'édit  relatif  aux  hôpitaux  et  mala- 
dreries. 

Le  i4  janvier  i584,  le  Parlement  de  Paris  rend,  en  faveur 
du  ministre  de  Clermont  (Oise),  un  arrêt  «  défendant  aux 
maire  et  gouverneur  d'envoyer  ni  faire  recevoir  aucunes 
personnes  en  l'hôpital  de  Clermont,  ni  d'entreprendre  sur  les 
droits  et  administration  d'icelui3  ». 

Le  début  du  dix-septième  siècle  marque  une  période  de 
renouveau  dans  l'histoire  des  hôpitaux,  comme  dans  celle  de 
l'ordre  entier.  Les  noms  seuls  des  bienfaiteurs  de  la  congré- 
gation réformée,  les  Montmorency,  les  Condé,  les  Guéméné, 
suffisent  à  prouver  l'estime  qu'il  surent  inspirer.  A  l'hôpital 
de  Montmorency,  fondé  le  a3  août  1601,  les  pauvres  ne 
devaient  pas  coucher  plus  d'une  nuit;  ils  en  durent  être 
écartés,  dans  la  suite,  à  cause  de  voies  de  fait  auxquelles  ils 
s'étaient  livrés;  il  ne  resta  que  les  malades,  d'autant  que 
l'Hopilal-Général  dut  recevoir  les  mendiants  des  localités 
situées  à  quatre  lieues  au  plus  de  Paris4. 

En    i636,    le   prince   de  Condé    fit    une    transaction   avec 
Charles  de  la  Sainte-Trinité,  religieux  déchaussé,  en  vue  de 

1.  Durand  db  Maillanb,  Liberté»  de  l'EglUe  gallican?,  t.  II,  p.  fia5. 

a.  Collection  tU  jaritprudeace,  col.  g5o. 

3.  Trinilaîres  de  Châlons,  Inventaire,  p.  i53. 

A.  Trioïlaires  de  Montmorency,  2'  carton  (archives  de  Seine-ei-Oise). 


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ISO  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES. 

ta  fondation  d'un  hôpital  à  Châteaubriant1.  Les  Réformés  ne 
devaient  pas  s'arrêter  à  ces  succès,  puisqu'ils  obtinrent  de 
fonder  à  Rouen  un  hôpital  pour  les  captifs  en  1669. 

A  ce  moment  précis,  l'ordre  entier  subissait  un  grave  dés- 
agrément. En  1663  avait  été  décidée  la  création  des  hôpitaux 
généraux.  Aussi,  en  1671,  les  Trinilaires  furent-ils  déchar- 
gés de  leur  hôpital  d'Arles;  il  n'y  eut  plus  dans  celte  ville 
que  celui  du  Saint-Esprit.  Le  6  décembre  1673,  nouvelle 
avanie.  Louis  XIV  ordonna  de  remettre  à  l'ordre  de  Saint- 
Lazare  les  Hôtels-Dieu  où  l'hospitalité  n'était  pas  «  obser- 
vée »  selon  les  titres  de  leur  fondation.  Nos  religieux  se 
trouvèrent  en  contravention.  L'avocat  Ragoulleau  allégua, 
pour  la  défense  des  Trinitaires,  que  leurs  maisons  n'étaient 
pas  dans  le  cas  d'être  réunies,  car,  à  plusieurs  reprises,  le 
roi  l'avait  déclaré  expressément;  s'ils  avaient  cessé  de  garder 
l'hospitalité  prescrite  par  la  règle  primitive,  c'est  que  leurs 
maisons  n'étaient  pas  toutes  des  hôpitaux3.  Leurs  protesta- 
tions paraissent  d'abord  avoir  été  vaines.  En  169.3  cependant, 
Louis  XIV  ordonna  la  désunion  de  ces  hôpitaux  d'avec  l'ordre 
de  Saint-Lazare  (i5  avril).  Les  Trinitaires  de  Caillouet  rede- 
mandèrent, en  conséquence,  la  maladrerie  de  Chaumont  en 
Vexin,  ses  dépendances  et  ses  titres3.  Ils  purent  donc  rester 
jusqu'au  bout  religieux  hospitaliers.  Toutefois,  ils  ont  eu 
leur  part  de  la  remarque  désobligeante  de  Carlier4,  l'historien 
du  Valois ,  disant  qu'a  une  grande  partie  des  biens  donnés 
par  la  piété  des  fidèles  fut  détournée  et  assignée  au  soulage- 


1.  Trinitaires  de  Chiites iibriaril,  archives  de  la  Loire-Inférieure,  H  4?4- 

2.  Moyen*  généraux  pour  la  définie  de  /'Ordre...  contre  les  sieur»  che- 
oaiiersde  Sainl-Latare,  p,  3i.  (Bibl.  nat.,  Ld«,  no  a5.) 

3.  Archives  de  l'Oise,  Trinilaires  de  Caillouet. 

4.  Histoire  dn  Valait,  l.  III,  p.  192. 


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LES    HÔPITAUX    TR1N1TAIREB.  121 

menl    des    religieux    mêmes   qui    devaient   soigner  les   indi- 
gents ». 

Leurs  bonnes  œuvres  subsistaient  encore  dans  te  Midi;  en 
1768,  à  Cordes,  les  habitants  ne  voulurent  jamais  consentir 
à  la  suppression  de  l'hôpital  trinilaire1.  Jusqu'à  la  dernière 
heure  de  leur  existence,  ils  gardèrent  à  Marseille  un  établis- 
sement appelé  l'hôpital  Saint-Eutrope,  dont  on  ne  sait  pas 
la  date  de  fondation.  Les  efforts  du  P.  Giraud,  le  conscien- 
cieux classeur  des  immenses  archives  des  Trînitaires  de  Mar- 
seille, pour  l'attribuer  à  Saint-Jean-de-Matha9  demeurèrent 
vains. 

Au  dix-septième  siècle,  cet  hôpital  de  Saint-Eutrope  a  une 
existence  tout  à  fait  à  part.  Il  était  administré  par  quatre 
prieurs  ou  recteurs,  deux  étant  élus  chaque  année  pour  deux 
ans;  chaque  prieur  sortant  nommait  son  remplaçant  au  mois 
d'avril,  avant  la  Pète  de  saint  Eutrope.  'Le  ministre  ratifiait 
cette  élection  et  entendait  les  comptes.  Tous  les  ans,  on  fai- 
sait l'inventaire.  L'hospitalier  et  l'hospitalière  pouvaient  être 
renvoyés  par  décision  du  ministre  et  des  prieurs.  Ceux-ci 
devaient  faire  la  quête  une  fois  par  semaine,  mais  l'hospita- 
lière en  fui  chargée  en  1677  et  en  171:1;  on  lui  en  donnait  la 
moitié  pour  son  entrelien. 

Cet  hôpital  suffisait  à  contenir  les  hydropiques  «  de  tout 
âge,  sexe,  condition,  paroisse  »  de  la  ville.  Nul  ne  pouvait 
y  entrer  sans  le  certificat  d'un  médecin,  apothicaire  ou  chi- 
rurgien,  et  sans  l'ordre  d'un  des  recteurs1.  L'hôpital   était 


i.   RotsiaitOL,  Monographies  communale!  du  Tarn,  t.  III,  p.  88. 

3.    Bibliothèque  de  Marseille,  ms.   i^ii,  p.  i3a.  Le  P.  Giraud  oublie  que 
l'hdpi  tel  irinitaïre  de  Saiot-Martio  fut  vendu  en  1 276.  (Blancard,  Sceaux  des 
Boachet-da-Rhône,  p.  a33.) 
3.  Trioitaires  de  Marseille,  registre  22,  f°>C,  17  vo,  93  y>. 


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L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRIMTAIRES. 

rvé  aux  pauvres,  niais  il  y  avait  des  riches  qui  s'y  faisaient 
sporter  par  dévotion  et  y  faisaient  leur  neuvaine,  pendant 
idle  ils  bénéficiaient  des  aumônes.  Aussi  était-il  ordonné 
hospitalière,  lorsqu'il  venait  un  malade  distingué,  d'en 
'enir  le  ministre,  qui  lui  rendait  visite  et  l'engageait  à  faire 

aumône  pour  la  maison. 

es  Trinitaîres  n'avaient  d'ailleurs  pas  besoin  de  posséder 
hôpital  pour  remplir  leurs  devoirs  charitables.  L'acte  de 
ialîon  de  La  Cadière  (Var)  en  1637  stipule,  nous  l'avons 

qu'ils  seront  tenus  de  demeurer  en  ce  pays  en  temps  de 
e.  Tout  nous  porte  à  croire  qu'ils  firent  honneur  à  leur 
île.  A  Saint-Remy,  en  i64o,  le  ministre  de  ce  couvent 
récent  et  trois  religieux  moururent  de  ce  fléau.  Mais 
(  surtout  dans  la  fameuse  peste  de  1730-1721,  qui  ne  se 
1a  pas  seulement  à  Marseille,  qu'ils  firent  courageusement 

devoir.  La  liste  '  des  religieux  morts  de  la  contagion  com- 
id  trente  noms,  dont  dix  de  clercs  ou  convers.  On  peut 
r  entre  autres,  à  Marseille,  Michel  Trossier,  ancien  provin- 
,  Ignace  Roux,  vicaire  général  et  ministre;  à  Arles,  Félix 
ny  et  Chartes  Reinaud,  morts  en  servant  la  paroisse 
it-Laurent;  à  Tarascon ,  Dominique  Pépin  et  Ignace 
tide,  morts  aux  infirmeries;  à  Saint-Remy,  le  P.  Maurice 
;uier,  qui  avait  servi  six  mois  les  pestiférés  avec  un 
il  zèle.  La  gloire  de  Belzunce  est  légitime,  mais  il  ne  faut 

moins  admirer  ces  obscurs  religieux  dont  le  nom  est  à 
te  connu  et  qui,  en  ces  jours  terribles,  rachetèrent  quel- 
s  défaillances3.  Les  Trinilaires  déchaussés  ne  furent  pas 
rieurs  à  leurs  confrères  :  «  Un  pauvre  Frère  s'est  sacrifié 

Trinilaires  de  Marseille,  registre  i3,  f°  il\\. 

Méhï  elGuiwpOH,  Histoire  des  actes  de  In  municipalité  de  Marseille, 

I,  p.  cLvn  [(24  septembre  '720).] 


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LES    HÔPITAUX    TRINITAIRES.  I  â3 

au  service  à  l'hôpital  aux  convalescents,  et  d'autres  confessè- 
rent les  malades'  ». 

Nous  verrons  dans  la  dernière  partie  de  ce  travail  que  les 
Trinitaires  d'Aller,  eux  aussi,  montrèrent  un  dévouement 
perpétuel  aux  chrétiens  atteints  de  la  peste. 

i.  A  Lens  (Hiinaul)  les  Trinilaires  n'étaient  pas  moins  charitables.  En 
1670,  Antoine  Belgrade  mourut  après  avoir  été  donner  In  bénédiction  du 
scspulaire  aux  moribonds  de  la  peste. 


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CHAPITRE  XIII. 


Les  curea  trinitaires. 


Nos  religieux  se  vantèrent,  en  1766,  de  faire  ce  que  les 
autres  ne  faisaient  pas,  comme  la  rédemption  des  captifs,  el 
aussi  de  remplir,  comme  bien  d'autres,  des  fonctions  pasto- 
rales. En  effet,  ils  desservaient  un  grand  nombre  de  cha- 
pelles et  de  cures.  Cette  raison  de  fait  nous  permet  de  trouver 
oiseuse  la  question  qui  fut  discutée,  au  dix-huitième  siècle, 
avec  un  étrange  acharnement  :  les  Trinitaires  ont-ils  ie  droit 
de  tenir  des  cures?  Il  leur  aurait  suffi  de  dénombrer  celles 
qu'ils  desservaient  ;  au  lieu  de  cela  ils  produisirent  un  acte 
suppose  de  Guillaume  d'Auvergne;  cela  ne  réussit  cependant 
pas  à  compromettre  leur  cause.  Claude  Gallardon,  chanoine 
régulier,  dans  un  factum  conservé  à  la  Bibliothèque  Sainte- 
Geneviève1,  exhale  une  rage  impuissante  contre  ces  religieux 
qui,  non  contents  de  se  faire  déclarer  chanoines  réguliers, 
venaient  encore  menacer  les  cures  desservies  par  leurs  nou- 
veaux confrères.  Dès  le  principe,  les  Trinitaires  avaient  joui 
sans  conteste  d'une  certaine  quantité  de  cures,  plus  nombreu- 
ses dans  le  Nord  que  dans  le  Midi. 

La  plus  ancienne  qui  leur  ait  été  donnée  est  celle  de  Vier- 

1.  Manuscrit  no  1967. 


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LES    CURES    TRINITAIRES.  Ia5 

set,  dont  Wautier  de  Beauforl,  le  a5  mars  1208,  cède  aux 
religieux  de  Saint-Nicolas  de  Sarte,  près  Huy  (sur  la  Meuse), 
le  patronage,  c'est-à-dire  le  droit-d'y  présenter.  Cela  équivalait 
à  la  possession,  car  l'ordre  devait  toujours  être  en  mesure 
de  la  faire  desservir  par  un  Trinitaire  '. 

Noua  avons  vu  qu'Henri ,  comte  de  Bar,  donna  en  1 239  la 
cure  de  Lamarche  aux  Trinitaires,  qu'il  présenta  à  l'évèque 
de  Toul.  Un  religieux  qui  la  desservit  eut  une  curieuse  contes- 
tation avec  une  dame  Parise  de  Vosges,  à  laquelle  il  réclama 
une  demi-aumône  à  cause  du  décès  de  sa  fille  morte  sans 
avoir  été  mariée.  C'était,  paraît-il,  une  coutume  de  Lamarche, 
el  le  doyen  de  Viltel  donna  raison  au  Trinitaire-curé. 

Parfois  le  patronage  était  partagé.  Les  Trinitaires  de  Lérin- 
nes  ont  la  collation  alternative  de  l'église  de  Tourinnes-les- 
Ourdons  avec  les  religieuses  du  Secours-Notre-Dame.  Nous 
rencontrons  des  exemples  analogues  en  Normandie. 

A  la  Perrine,  ils  partagent  avec  le  chevalier  Renaud  Bour- 
guignon et  sa  mère  le  patronage  de  la  cure  du  Désert;  mais 
ils  ont  Yaltalagium,  droit  aux  oblations  de  l'autel,  qui  est  la 
meilleure  partie  du  revenu. 

Les  Trinitaires  de  Rouvray  exerçaient,  sur  l'église  de  Saint- 
Aignan,  un  patronage,  conféré  par  un  chevalier  et  confirmé 
par  Eudes  Rigaud 1  ;  le  1"  juillet  i334,  aux  assises  de  Rouen, 
le  procureur  du  ministre  et  celui  du  chevalier  Pierre  Desma- 
rais renoncèrent  à  ce  droit  en  faveur-  du  seigneur  de  Rou- 
vray3. 
Eudes  Rigaud,  dont  il  vient  d'être  question,  avait  remis  en 

1 .  Archives  particulières  de  M.  le  duc  de  Beaufort-Spoutin  (communi- 
cation de  M.  P.  Caroû). 

2.  Historien»  de  la  France,  XXIII,  5o8  k  el  n.  2, 

3.  Ibid.,  XXIII,  Mi  c.  d. 


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120  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIKES. 

12 5 y  la  cure  de  Rouvray,  près  Forges-Ies-Eaux,  à  Mathieu, 
Trinitaire,  présenté  par  le  grand-ministre  ;  il  l'autorisa  à  en 
consacrer  tous  les  revenus  aux  besoins  de  l'ordre,  ne  rete- 
nant pour  lui  et  l'archidiacre  que  io  livres  tournois  par  an. 
La  cure  valait  6o  livres  '  et  avait  cent  paroissiens. 

Souvent  les  Trinitaires  furent  chapelains  seigneuriaux  et 
même  royaux.  Le  ministre  de  La  Veuve,  près  Châlons,  des- 
servait le  château  de  Juvigny3.  Des  Trinitaires  chapelains 
royaux  sont  ceux  de  Fontainebleau,  que  saint  Louis  établit 
dans  son  château  et  auxquels  fut  donnée  la  cure  d'Avon,  en 
i54g  ;  leur  souvenir  s'est  conservé  à  tel  point  que,  même  après 
toutes  les  vicissitudes  du  couvent,  la  chapelle  du  château  porte 
encore  le  nom  de  la  Sainte-Trinité. 

On  peut  ranger  dan»  ce  groupe  le  prieur  de  Saint-Julien 
de  Cadoudal,  près  Rieux,  et  le  minisire  du  couvent  de  Beau- 
voir-sur-Mer,  aussi  prieur  de  Saint-Thomas  de  la  Garnache, 
Bon  annexe.  Plus  les  couvents  étaient  déserts,  plus  le  religieux, 
qui  parfois  l'habitait  seul,  en  arrivait  à  remplir  simplement  les 
fonctions  curiales.  Tel  était  ce  Louis  Gallot  dont  Jean  d'Es- 
tourmet  vantait,  à  la  fin  du  seizième  siècle,  les  excellentes 
prédications  et  qui  était  si  regretté  par  les  habitants  d'E-s- 
laires 3. 

Par  une  rare  fortune,  la  desserte  d'une  chapelle  seigneu- 
riale, à  Vianden  en  Luxembourg,  allait  conduire  les  Trini- 
taires à  annexer  huit  cures  à  leur  ordre  ;  la  donation  primitive 
fut  faite  en  ia^8  par  le  comte  Henri. 

Lorsque  les  religieux  eurent  reçu  la  desserte  de  la  chapelle 
castrale  de  Vianden,  les  habitants  trouvèrent  qu'elle  était  bien 

i.  Hiltorien*  de  France,  XXIII,  a$o  h. 

2.  E.  de  Barthélémy,  Ijiocrse  ancien  de  Ckalon»,  II,  58. 

3.  Archives  des  Trinitaires  de  Douai,  a«  carton  (non  colë). 


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LES    CURES    TRINITAIRES.  137 

haut  et  bien  loin  pour  servir  comme  paroisse.  L'église  du 
couvent  devint  donc  paroisse  à  partir  de  1 266.  Mais  les  Tem- 
pliers de  Rolh,  dont  Vianden  dépendait  primitivement,  avaient 
vu  de  très  mauvais  ceil  l'installation  des  Trinitaires  et  la  colla- 
tion de  la  cure  que  leur  avait  faite  le  comte.  Ils  ne  craignirent 
pas  de  lancer  l'excommunication  contre  celui-ci  et  de  solliciter 
des  lettres  d'éviction  contre  le  ministre  ;  mais  le  partage  des 
dîmes  et  une  indemnité,  payée  par  les  Trinitaires,  assoupirent 
l'affaire.  Nos  religieux  ne  cessèrent  pas  d'acquérir  des  cures 
autour  de  Vianden,  tant  d'ecclésiastiques,  comme  l'abbé 
d'Echternach,  que  de  laïques  :  telles  sont,  après  Mettendorf  et 
Daleyden,  qui  datent  de  la  donation  primitive,  Couston1, 
Nosbaum,  Fouhren,  le  Mont-Saint-Marc,  et  j'en  oublie  certai- 
nement. On  se  demande  comment  ils  avaient  assez  de  reli- 
gieux pour  les  desservir  toutes.  La  prospérité  du  couvent  de 
Vianden  était  indéniable,  puisqu'ils  renonçaient  au  bénéfice  de 
l'avant-dernier  article  de  la  règle  leur  permettant  de  ne  point 
user  du  chant  grégorien  à  cause  de  leur  petit  nombre. 

C'est  pour  Vianden  que  nous  avons  été  le  mieux  renseignés 
sur  les  formalités  de  l'union  des  cures  au  couvent  trinitaire. 
Les  différents  seigneurs  patrons  envoient  par  écrit  leur  con- 
sentement à  l'ordinaire,  en  cette  affaire,  l'évéque  de  Liège,  qui 
prononce  alors  l'union  solennelle  au  couvent.  Parfois  même, 
une  confirmation  est  demandée  au  pape. 

Les  Trinitaires  ont  aussi  possédé  des  prébendes.  Thibaut  IV 
de  Champagne  leur  promit,  le  22  avril  1260,  la  première  qui 
serait  vacante  au  chapitre  de  Saint-Etienne  de  Troyes3.  Le 
ministre  d'Etampes  était  chanoine  de  la  collégiale.  1-e  P.  Hélyot 

1 .  Pièce  g4- 

2.  D'Aabois  de  Jubaikvillk,  Catalogue  des  actes. . .  des  comtes  de  Cliam- 


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138  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES. 

cite  encore,  comme  appartenant  à  nos  religieux,  des  prébendes 
à  Pïimiers,  à  Belleville  près  Maçon,  à  Mortagne,  et  deux  à 
Orthez.  D'une  transaction  passée  à  Clermont  (Oise)  entre  le 
grand-ministre  Renaud  de  la  Marche  et  le  chapitre  de  Cler- 
mont, on  peut  conclure  que  le  ministre  de  l'hôpital  était,  en 
certaines  circonstances,  assimilé  à  un  chanoine  par  le  seul  mit 
de  porter  une  châsse  le  jour  d'une  procession  solennelle  '. 

La  plupart  des  cures  occupées  par  les  Trinitaires  leur  vin- 
rent par  des  hôpitaux  auxquels  elles  étaient  déjà  annexées 
avant  leur  venue.  Ainsi,  quand  ils  reçurent  l'Hôtel-Dieu  de 
Meaux,  en  ia44,  cet  établissement  possédait  depuis  1206  la 
cure  de  Saint-Remy*.  La  Maison-Dieu  de  Lisieux  possédait 
déjà  avant  1225  les  cures  de  Marolles,  Courbesarte  et  Villers- 
sur-Mer  (celle-ci  supprimée  à  la  fin  du  dix-huitième  siècle)3,  et 
les  chapelles  de  Saint-Christophe  et  de  Surville.  Dans  le  Midi 
même,  la  communauté  et  les  consuls  de  Cordes  leur  conférè- 
rent la  cure  de  Notre-Dame,  le  3t  mai  1287,  mais  non  la  pro- 
priété de  l'église,  comme  le  veut  M.  Rossignol.  Une  transac- 
tion de  1594  porte  que  les  Trinitaires  feront  venir  l'archiprêtre 
pour  faire  la  levée  du  corps  et  toucher  la  quarte  funéraire. 

Les  Trinitaires  furent  naturellement  appelés  à  exercer  les 
fonctions  paroissiales  dans  des  bourgs  insuffisamment  des- 
servis par  le  clergé  séculier  :  à  La  Cadière,  deux  religieux 
devaient  être  capables  de  prêcher  et  de  confesser,  seulement 
ils  ne  pouvaient  s'immiscer  dans  la  desserte  des  chapelles 
rurales  :  celte  prescription  avait  pour  but  de  les  retenir  plus 

1.  Voir  la  monographie  du  couvent. 

a.  L'administrateur  de  l'hôpital  Jean-Rose,  construit  sur  cette  paroisse. 
payait  chaque  année  4  livres  tournois  à  la  Maison-Dieu  ( 1 366).  {Gallia 
Christiana,  VIII,  1637). 

3.  Vasseuh,  Les  Afathtirin»  de  Liiieinr,  et  Bibl.  de  Marteilfe,  manuscrit 
r  a  1 0,  pp.  466-468  (Archives  nationales,  G*  670). 


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LES    CURES    TRINITAIRES.  I  29 

étroite  ment  à  la  ville.  Dans  la  même  région,  à  Nolre-Dame-de- 
Santé  près  La  Verdière,  au  Muv,  ils  desservirent  des  chapelles 
où  avaient  lieu  des  pèlerinages  renommés. 

Jamais  le  nombre  des  Trinitaires  curés  ne  fut  plus  grand 
qu'au  dix-huitième  siècle.  Le  chapitre  de  Saint- An tonin  donna, 
le  10  mars  174^,  à  Pierre  Roux,  ministre  de  Cordes,  la  cure 
de  Servanac,  avec  ses  annexes  Saint-Jean  de  Cazals  et  Sainte- 
Eulalie,  plus  3o  livres  de  pension  pour  chacune1.  Quelques 
années  après,  nos  religieux  de  Toulouse  furent  sur  le  point 
de  faire  ériger  la  paroisse  de  Saint-Michel  en  annexe  de  leur 
communauté,  le  19  juin  177s1. 

II  faut  encore  compter  parmi  les  cures  une  foule  de  chapel- 
les, reçues  parfois  à  titre  assez  onéreux  pour  qu'une  modifica- 
tion à  ces  conditions  ait  été  demandée.  Telles  sont  la  chapelle 
de  Notre-Dame-du-Bois  à  Labrugière,  conférée  en  1619  aux 
Trinitaires  de  Toulouse  par  Louis  de  Flochechouart ,  et  celle 
de  Saint-Biaise  à  Chars,  unie  au  couvent  de  Pontoise  par 
l'archevêque  de  Rouen.  Les  Réformés  de  cette  ville  avaient 
reçu  la  chapelle  de  Saint-Jean-Baptiste  à  Nesles,  à  condition 
de  célébrer  quatre  messes  par  semaine;  or  la  distance  à  par- 
courir élaît  de  deux  lieues  ;  il  fallait  parfois  débourser  5o  écus 
par  an  pour  l'entretien  des  cloches  et  du  chœur  de  cette 
éjçlise,  sans  parler  de  45  à  60  livres  de' décimes  et  autres 
contributions.  Innocent  XIII  ayant  accordé  a  l'ordre  une 
réduction  de  fondations,  le  10  septembre  1723,  le  visiteur  pro- 
vincial des  Réformés  estima  qu'il  n'y  avait  de  fonds  assurés 
que    pour  une  messe   le  jour   de  saint   Jean   l'Evangéliste , 

,_  Trinitaires  de  Toulouse,  liasse  61.  Le  Parlement  condamna  le  cha- 
pitre de  Saint-Anton  in  à  payer  cette  pension,  le  3  avril  l'/iifi,  plus  3o  livres 
en  tout  pour  un  clerc. 

a.   Trinitaires  de  Toulouse,  registre  85,  pp.  37-42. 


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i3o  l'ordre  français  des  trimtaihes. 

patron  de  la  chapelle,  et  pour  une  messe  des  morts  aux  inten- 
tions de  M.  de  Nesles1. 

L'on  peut  signaler,  à  titre  de  curiosité,  la  collation,  par 
l'évèque  <l'Ag(te,  d'une  chapelle  établie  dans  la  maison  de 
Sainte-Marguerite  de  Loupian  et  de  l'ermitage  du  Mont-Sainl- 
Clair  de  Cette,  à  un  Trinitaire  de  Montpellier1. 

Bien  peu  de  statuts  concernent  les  curés,  et  il  est  peu 
d'affaires  intéressantes  auxquelles  ils  soient  mêlés.  Il  est  dé- 
cidé, en  i  G 1 3,  que  les  curés  uon  annexés  sont  révocables 
ad  nutum;  les  annexés  demeurent  en  leur  état  de  curés  tant 
qu'ils  ne  donnent  pas  lieu  à  des  plaintes.  Ils  étaient  nommés 
par  le  provincial3  et  restaient  soumis  à  leur  ministre.  Quand 
la  cure  était  très  voisine  du  couvent,  ils  ne  la  quittaient  pas 
à  vrai  dire;  ainsi  le  ministre  de  Lens,  Alexis  Masson,  ayant 
fait  de  grandes  prodigalités,  un  Trinitaire  de  Lens,  qui  était 
curé  d'Erbaux,  fut  nommé  vicaire  du  couvent4.  Parfois,  au 
contraire,  ils  s'ingéraient  abusivement  dans  les  affaires  de 
leur  maison  de  profession  ;  le  curé  d'Assenois  ne  venait  à 
Bastogne  que  pour  y  causer  du  désordre5. 

En  1703,  le  Conseil  d'Etat  décrétait  que  les  religieux  pour- 
vus de  cures  ne  pourraient  être  révoqués  que  par  le  chapitre 
général6. 

Joseph  II,  supprimant  en  1783  l'ordre  des  Trinitaires  dans 
les  Pays-Bas,  décida  que  les  religieux  curés  resteraient  eu 
possession  de  leurs  cures,  mais  seulement  viagèrement  et 
seraient  ensuite  remplacés  par  des  séculiers  ordinaires.  Nous 

1.  Registre  capitulnire  de  Pontoisc,  fol.  47  v°< 

ï.  Pièce  18O. 

3.  Archives  île  Mous  ;  en  iOoô,  Jean  Thiéry  noinnic  le  curé  de  Vierset. 

4-  Archives  du  Royaume  à  Bruxelles,  Conseil  prive,  carton  i^î2. 

5.  Ibid. 

ti.  Recueil  des  arrét$  de  jurisprudence  (de  Brilluu)  au  mot  Cure. 


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LES   CURES   TBlNITAlRES.  l3l 

verrons  que  ce  fut  là  un  débouché  pour  les  Trinitaires  après 
leur  suppression  en  France. 

Sur  leurs  obligations  relativement  au  chapitre  des  églises 
cathédrales,  rien  ne  se  rencontre  de  spécial,  sinon  que  le 
curé  de  Sainl-Remv  devait,  chaque  année,  à  un  jour  fixe, 
sonner  les  cloches  de  la  cathédrale  Saint-Etienne  de  Meaux'. 

i .   Manuscrit  de  Claude  Rochard,  à  la  bibliothèque  de  Meaux. 


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CHAPITRE  XIV. 


Les  églises  trinitaires. 


Il  est  peu  de  points  sur  lesquels  nous  .soyons  moins  ren- 
seignés que  sur  les  églises  trinitaires.  Le  seul  article  de  la 
règle  qui  les  concerne  prescrit  qu'elles  soient  simples,  ce  qui 
fut  facilement  observé  par  un  ordre  aussi  pauvre.  A  part  des 
remarques  contemporaines  dans  les  chroniques  de  Gaguin  et 
de  Bourgeois,  il  n'y  a  que  de  très  rares  actes  faisant  mention 
de  leur  état  primitif  antérieurement  au  dix-septième  siècle. 
L'église  de  Cerfroid  et  celle  des  Mathurins  de  Paris,  modèles 
que  l'on  eût  pu  désirer  étudier,  sont  aujourd'hui  détruites; 
ce  que  nous  croyons  savoir  nous  induit  à  penser  qu'il  n'y  eut 
jamais  de  style  trinitaire. 

Ces  églises  étaient  bâties  à  peu  de  frais,  à  en  juger  par  les 
immenses  dégâts  que  des  catastrophes  y  causèrent,  d'où  de 
fréquentes  réparations.  Presque  toutes  les  églises  dont  nous 
avons  les  comptes  de  construction  datent  du  dix-septième 
siècle.  Vers  i  (i88  fut  édifiée  la  nouvelle  église  des  Trinitaires 
de  Châlons;  la  précédente  avait  un  maître-autel  de  i638. 
L'église  d'Ëtampes  fut  reconstruite  en  1756-1758.  Celle  de 
Metz  était  ornée  d'un  nouveau  maitre-aulel  en  1789.  Le 
simple  examen  de  ces  dates  (on  pourrait  les  multiplier), 
montre  bien  que,  si  ces  églises  subsistaient  encore,  nous  ne 


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(  Blullothèqiw  nationale. E-Umpe».  ttd  H, fui.  7T.) 


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LES    ÉGLISES   TRINITÀIRES.  I  33 

partagerions  pas  la  satisfaction  de  Claude  de  Massac,  voyant 
en  1720  l'église  neuve  du  couvent  de  Metz. 

En  Provence,  les  Trinitaires,  s'étant  réformés,  modifièrent 
tout  ce  qu'avaient  fait  leurs  prédécesseurs.  A  Arles,  en  1612, 
ils  abattirent  toute  l'église,  sauf  le  clocher. 

Même  pour  cette  époque,  les  détails  consignés  dans  les 
registres  de  visite  ne  sont  guère  relatifs  qu'à  des  inventaires 
du  mobilier. 

Les  églises  que  l'on  peut  dater  (en  dehors  de  celle  des 
Mathurins  de  Paris)  sont  très  rares.  Celles  de  Metz  et  de 
Vîanden  sont  dans  ce  cas.  Pour  la  première,  un  acte  conservé 
aux  Archives  de  Lorraine  nous  donne,  non  seulement  l^acte 
de  consécration  de  l'église  par  Désiré  Noël,  le  12  avril  i477> 
mais  la  date  d'une  consécration  antérieure,  du  -ïi  février  i3io- 
i3ao,  mentionnée  dans  les  certificats  de  Reliques  que  conte- 
naient les  autels.  On  pourrait  donc  faire  remonter  l'achève- 
ment de  la  première  église  trinitaire  de  Metz  à  i320. 

Un  document  inédit ,  conservé  au  palais  du  gouvernement 
de  Luxembourg,  permet  de  dater  l'église  de  Vianden.  Le 
27  août  1498,  Gaguin  permit  aux  religieux  de  ce  couvent  de 
quêter  dans  les  diocèses  de  Trêves,  Cologne  et  Liège,  afin  de 
rebâtir  leur  église,  récemment  incendiée  avec  la  majeure  partie 
de  la  ville1.  La  reconstruction  ne  marcha  pas  aussi  vite  que 
l'auraient  espéré  les  habitants,  car  ceux-ci  conclurent,  en  sep- 
tembre t5oi,  un  accord  avee  les  religieux  pour  contribuer  à 
frais  communs  à  la  réparation  de  la  toiture.  La  bourgeoisie 
se  chargea  de  la  nef  latérale  qui  regardait  la  rue,  le  couvent 
se  chargea  du  vaisseau  principal1.  Le  chœur  fut  consacré 
seulement  en  i635. 


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i36  l'ordre  français  des  trinitaires. 

l'ordre.  Mais,  bien  souvent,  on  donna  aux  religieux  des 
églises  qui  avaient  d'autres  patrons,  comme  celle  de  Saint- 
André  de  Clermont,  par  exemple,  et  qu'il  parut  inutile  de 
débaptiser.  Par  suite,  la  seconde  règle  décida  que,  seules,  les 
églises  bâties  par  les  frères  seraient  dédiées  à  la  Trinité. 
Aucune  église  nouvelle  ne  fut  consacrée  par  eux  à  leur  fon- 
dateur Jean  de  Matha ,  sinon  celle  de  Faucon,  sa  patrie,  et 
celle  de  l'hôpital  d'Espagne  à  Alger.  Il  est  vrai  qu'il  ne  fut 
canonisé  qu'au  dix-septième  siècle1. 

L'article  de  la  règle  rappelé  plus  haut  suffirait  à  montrer 
l'injustice  du  grief  que  Louis  Petit  fait  aux  Trinitaires  Réfor- 
més de  ce  que  leurs  couvents  s'appellent  Saint-Michel  de 
Pontoise,  Notre-Dame  de  Liesse,  Saint-Jean-Baptisle  de 
Montmorency,  aucun  n'étant  dédié  à  «  l'adorable  Trinité  ». 
Le  général  eût  mieux  fait  de  se  rappeler  que  les  Trinitaires 
non  réformés  possédaient,  entre  autres  couvents,  Saint-Jac- 
ques de  Troyes,  Saint-EIoi  de  Mortagne,  Notre-Dame  de 
Limon,  Sainte-Catherine  de  Beauvoir  et  qu'il  résidait  lui- 
même  au  couvent  de  Saint-Math urin  de  Paris. 

Le  nom  de  Sainte-Trinité  que  portaient  un  certain  nombre 
d'églises  de  l'ordre  a  fait  attribuer  à  tort  à  nos  religieux  des 
hôpitaux  comme  celui  de  la  Trinité,  à  Paris,  et  des  églises 
comme  la  Trinité  de  Verneuil  (Eure)  qu'ils  n'ont  jamais  pos- 
sédées. L'annaliste  Baron  a  mentionné  ce  couvent  de  Ver- 
neuil (i2o5)  et  je  ne  sais  si  cette  erreur  n'est  pas  intention- 
nelle. 

Dans  des  villes  où  les  Trinitaires  ont  eu  des  couvents, 
comme  Troyes,  il  est  donc  des  églises  et  des  hôpitaux  dédiés 

i .  En  1 7G3,  l'armateur  Meifrun  donna  a  un  bateau  le  nom  de  Saint-Jean- 
de-.Valha.  Celait  un  digue,  hommage  a  tout  l'ordre  rédempteur.  (Devoulx, 
Revue  africaine,  l.  XVI,  p.  38i .) 


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LES    ÉGLISES    TRINITAIRES.  l3-j 

à  la  Trinité  qui  ne  leur  ont  jamais  appartenu.  Parfois,  ces- 
sant d'appartenir  aux  religieux,  l'église  perdait  son  vocable, 
comme  à  Cliaions.  Le  20  mai  i685,  Louis  XIV  avait  ordonné 
à  l'intendant  Miromesni!  d'exproprier  les  Trinilaires  pour 
agrandir  l'Hôpital-Général.  Le  a3  juillet,  le  ministre  Guil- 
laume Basire  cède  son  église  moyennant  40,000  livres;  par 
l'effet  de  cette  vente,  les  acquéreurs  «  intituleront  ladite  église 
désormais  de  Saint-Maur,  sans  pouvoir  loucher  par  eux  aux 
sépultures  des  généraux,  ministres  et  religieux  de  l'ordre  qui 
y  sont  inhumés'   e. 

Reliques.  —  Les  reliques  sont  nécessaires  dans  tout  autel. 
Les  premières  que  l'on  chercherait  dans  les  églises  trinilaires 
sont  celles  du  fondateur  et  des  saints  de  l'ordre.  Le  couvent 
de  Faucon,  fondé  en  1661  dans  la  patrie  de  saint  Jean  de 
Matha,  est  le  seul  de  France  qui  en  eût.  Le  corps  du  saint 
fut  transporté  à  Madrid,  comme  on  sait.  Quant  aux  reliques 
de  saint  Félix  de  Valois,  le  P.  Calixle  a  eu  la  franchise 
d'avouer  qu'il  n'en  avait  point  retrouvé  à  Cerfroid. 

Divers  personnages  de  l'ordre  furent  honorés  comme  mar- 
tyrs, notamment  les  PP.  de  Monroy,  Aquila  et  Palacios,  qui 
moururent  en  captivité  à  Alger;  le  bienheureux  Simon  de 
Roxas  en  fil  rechercher  avec  soin  des  reliques  pour  leur  faire 
rendre,  à  Madrid,  ie  culte  qui  leur  était  du2. 

Les  reliques  conservées  dans  les  couvents  trinitaires  n'ont 
aucun  rapport  avec  l'ordre.  Les  autels  consacrés  à  Metz  sont 
ornés  de  reliques  de  saint  Laurent  et  de  sainte  Barbe.  Le 
couvent  de  Socuellamos  reçut,  en  i64i,  une  partie  des  reli- 
ques de  saint  Valentin,  comme  il  ressort  d'un  acte  passé  à 

1.  Inventaire  des  Trinilaires  de  Cbâloos,  p.  64. 

1.  Giuuo  Cobdara,  Ritraito  delta  cita...  di  Simone  de  Ro-rus. 


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l38  1,'oRDRB    FRANÇAIS    DES    TRINITAtRES. 

Madrid  devanl  Lambert  Tito,  notaire  apostolique1.  I!  y  eut 
une  grave  affaire  de  reliques  volées  à  Sanlarem;  le  P.  Aloè.s, 
dès  qu'il  eut  appris  leur  provenance  frauduleuse,  s'empressa 
de  les  faire  renvoyer  en  Portugal.  Le  couvent  de  La  Cadière 
se  vit  conférer  par  Charles  Malachane1,  procureur  général 
en  cour  de  Rome,  une  relique  de  la  vraie  croix,  qui  ne  pou- 
vait être  prêtée  au  dehors. 

Quel  que  fiH  le  couvent  qui  en  bénéficiait,  la  destinée  com- 
mune de  ces  reliques  a  été  d'éprouver  beaucoup  de  vicissitu- 
des. Le  cartulaire  de  Lens  nous  raconte  ce  qui  advint  de  celles 
de  saint  Antoine  et  de  saint  Hubert  :  par  un  malheureux 
hasard,  des  visa  obligatoires  furent  omis,  et  la  «  reconnais- 
sance i)  en  exigea  un  temps  très  long.  Ailleurs,  leur  authen- 
ticité provoqua  de  vives  contradictions ,  mars  c'est  là  le  sort 
commun  du  plus  grand  nombre  des  reliques. 

Souvenirs.  —  Quand  même  l'architecture  des  églises  eut 
été  sans  intérêt,  il  était  au  moins  une  circonstance  qui  leur 
donnait  une  valeur  propre,  c'est  le  souvenir  de  leur  fonda- 
teur. La  mémoire  des  seigneurs  bienfaiteurs  ne  se  perdit 
jamais.  Jean  d'Estourmel,  baron  de  Doulieu,  rappelle  que 
onze  de  ses  ancêtres  ont  leur  tombeau  dans  l'église  de  Con- 
vorde. 

La  chapelle  castrale  de  Vianden,  d'après  la  splendide  publi- 
cation de  M.  Arendt,  conserve  encore  les  monuments  des 
comtes  de  Spanheim,  bienfaiteurs  des  Trinitaires. 

D'utiles  publications,  faites  il  y  a  un  demi-siècle,  alors  que 
le  souvenir  de  ces  oeuvres  d'art  n'était  point  encore  effacé, 
et  que  quelques-unes  subsistaient  encore,  donnent  des  détails 

i.  Bïbl.  de  Marseille,  manuscrit  izi5,  f«  yi. 

a.   L'abbé  Gjhacd,  Monographie  de  La  CwrfiVrc.p.  Si. 


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LES    EGLISES   TK  INI  TA  IRES.  100 

intéressants  sur  ces  tombeaux.  Ainsi,  à  Châleaubnant,  on 
voyait,  en  i863,  «  dans  l'enclos  du  baluslre  du  mattre-autel, 
un  monument  enfermé  dans  le  mur,  soutenant  la  figure  d'un 
homme  au  côté  duquel  est  un  bouclier  chargé  des  armes 
de  Châleaubrianl,  et  en  dessous  du  monument,  il  y  avait 
une  cave  ou  charnier  où  repose  le  corps  qui  est  représenté 
par  ladite  figure'  ».  La  mort  légendaire  de  Sibylle,  femme 
de  Geoffroy  de  Châteaubriant ,  était  aussi  figurée  sur  les 
vitraux  de  cette  église. 

Chapelles  particulières.  —  Nos  religieux  n'auraient  jamais 
pu  faire  les  dépenses  nécessaires  pour  construire  une  église 
s'ils  n'avaient  été  aidés  par  des  particuliers  qui  mettaient  cer- 
taines conditions  à  leurs  libéralités. 

A  Marseille,  en  1.^78,  le  ministre  Pierre  Maire  avait  cédé  à 
Thomas  Broulhard  la  première  chapelle  à  main  gauche  en 
entrant,  «  continue  à  celle  de  M.  de  Minuet,  pour  y  faire 
construire  un  tombeau  où  seraient  ensevelis  avec  lui  sa  femme 
et  ses  enfants,  à  l'exclusion  de  toute  personne  étrangère  à  sa 
famille.  Il  fera  faire  à  ses  frais  un  autel  où  sera  représenté 
saint  Thomas,  apôtre,  et  fera  blanchir  la  chapelle1  ». 

Plus  lard,  Désirée  «  Brouarde  »  accuse  le  ministre  d'avoir 
violé  ta  sépulture  de  son  frère  en  faisant  démolir  la  chapelle. 
Le  ministre  répond  que,  dans  son  état  primitif,  elle  n'était 
en  réalité,  qu'une  grotte,  où  l'on  pouvait  à  peine  dire  la 
messe,  et  qu'il  l'a  mise  de  pair  avec  les  autres  chapelles  de 
l'église  ;  il  autorise  d'ailleurs  la  demoiselle  Brouarde  à  faire 
à  ses  frais  les  réparations  qu'elle  jugera  utiles. 

1.  Cité  dans  GounÉ,  Histoire  de  Chàteaabriant,   p.  î8a. 
a.  Grands  Trinilaires  de  Marseille,  refrislre  i,  f".  29, 


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■  40  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRIBUTAIRES. 

Ornements.  —  Quand  les  religieux  étaient  réduits  à  leurs 
seules  ressources,  ils  faisaient  le  moins  de  dépenses  possible. 
Le  rédacteur  du  Cartulaire  de  Lens,  Antoine  Dachier,  blâme 
son  prédécesseur  d'avoir  «  accommodé  »  cette  église  de  nions- 
trances,  de  ciboires,  d'un  aigle  au  milieu  du  chœur,  avec  une 
profusion  exagérée. 

Chez  ces  mêmes  religieux,  le  sépulcre  fut  imité  de  celui 
d'Anchin. 

Sans  faire  ici  la  monographie  de  l'église  des  Mathurins  de 
Paris,  je  veux  relever  un  détail  concernant  une  autre  copie 
d'oeuvre  d'art.  Un  ministre  de  Lens,  Guillaume  Watten, 
donne  i5o  florins  pour  les  marbres  de  l'église  qui  était  le 
vrat  centre  de  l'ordre  ;  de  plus,  une  pierre  représentant  les 
douze  Apôtres,  semblable  à  celle  de  Lens,  et  il  ia  fait  trans- 
porter jusqu'à  destination,  en  reconnaissance  des  secours  que 
le  chapitre  général  lui  avait  accordés  autrefois  pour  ses  étu- 
des. Paris  ne  dédaignait  donc  pas  d'emprunter  non  seule- 
ment à  la  province,  mais  même  à  l'étranger',  Lens  étant  en 
Hainaut. 

Pour  le  maltre-autel  de  marbre  de  l'église  des  Grands-Tri- 
nitaires  de  Marseille,  te  Bureau  de  la  Rédemption  donne 
1,600  livres  sur  les  3,5oo  que  demandait  le  sculpteur  Monté- 
dony,  à  condition  de  mettre  en  évidence  sur  cet  autel  l'écus- 
son  et  les  armes  du  Bureau3  (i5  novembre  1747). 

La  confrérie  de  Saint-Roch  avait  pris  à  sa  charge  les 
12,000  livres  de  la  reconstruction  de  l'église  des  Trini- 
taires  d'Arles,  où  étaient  conservées  les  reliques  de  son 
patron. 

1 .  Tous  ces  faits  ont  été.  extraits  de  diverses  pages  du  Cartulaire  de 
a.  Trinitaires  de  Marseille,  registre  8,  p.  45. 


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PORTAIL  DU  COUVENT  OE  SAINT-THOMAS  DE  FURMIS  A  ROME, 
AVEC  LA.  MOSAÏQUE. 


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LES    ÉGLISES    TRINITAIRES.  l4l 

On  ne  saurait  énumérer  toules  les  confréries  qui  se  tenaient 
dans  les  églises  trinitaires  et  qui  fournissaient  une  partie  appré- 
ciable de  leurs  revenus  :  c'étaient  à  Marseille  tes  courtiers 
royaux  ou  censaux'  (1716-1720),  les  curatiers  et  tanneurs 
transférés  des  Grands-Auguslins  aux  Trinitaires1,  en  i665;  — 
à  Montpellier  celles  de  Notre-Dame  de  Bethléem,  ainsi  que 
des  porteurs  de  chaises  et  portefaix.  Mais  la  plupart  de  ces 
confréries  n'avaient  qu'une  existence  accidentelle  dans  ces 
églises,  n'étant  point  en  rapport  avec  les  dévotions  spéciale- 
ment trinitaires. 

Fêtes.  —  Les  fêles  de  l'ordre  fourniront  l'explication  des 
principales  œuvres  d'art  provenant  des  églises  trinitaires. 
Le  calendrier  des  religieux  renferme  peu  de  solennités  spé- 
ciales. C'est  fort  tard  que  furent  instituées  les  commémora- 
lions  de  saint  Jean  de  Matha  et  de  saint  Félix  de  Valois. 
Depuis  leur  canonisation,  la  fêle  de  saint  Jean  de  Matha 
se  célèbre  le  8  février;  celle  de  sainl  Félix  de  Valois,  le 
ao  novembre. 

La  principale  fête  de  l'ordre  est  celle  de  sainte  Agnès 
seconde,  c'est-à-dire  de  son  octave,  le  28  janvier,  jour  de 
l'apparition  traditionnelle  de  la  sainte  après  son  martyre, 
auquel  les  Trinitaires  rapportaient  l'anniversaire  de  leur  fon- 
dation. Il  a  été  question  de  cette  prétention  au  chapitre  II. 
Toujours  est-il  que  celte  fêle  éclipsa  entièrement  celle  du 
vocable  de  l'ordre,  c'est-à-dire  de  la  sainte  Trinité.  Bien  que 
le  dimanche  après  la  Pentecôte  fût  appelé,  en  1198,  dimanche 
de  la  Trinité,  celte  solennité,  croit-on,  fut  instituée  seulement 


1.  Chambre  de  commerce,  Inventaire,  IIH  108. 

1.  Trinitaires  de  Marseille,  noie  au  dos  de  la  pièce  1$, 


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l4'J  L'ORDRE    FRANÇAIS    DES    TR1.NITAIRES. 

par  le  pape  Jean  XXII1.  On  se  souvient  que,  dès  ia63,  le 
chapitre  général  avait  été  avancé  au  quatrième  dimanche 
après  Pâques., Le  nom  de  la  sainte  Trinité  fut  conservé  à  la 
plupart  des  confréries  vouées  à  la  rédemption  des  captifs.  La 
figure  symbolique  de  la  sainte  Trinité  était  le  sujet  le  plus 
ordinaire  des  sceaux  trinkaircs5. 

Saint  Augustin  fut  particulièrement  honoré  chez  les  Tri- 
nilaires.  Depuis  le  quatorzième  siècle,  des  religieux  tenant 
des  hôpitaux  prétendirent  se  rattacher  à  cette  règle,  en  dépit 
de  la  regala  propria3  de  saint  Jean  de  Matha.  Une  minia- 
ture du  manuscrit  1765  de  la  Bibliothèque  Mazarine  repré- 
sente saint  Augustin  expliquant  sa  règle  à  deux  Trinilaires. 

Saint  Rocli  partagea  cette  haute  faveur,  à  cause  de  la 
conservation  de  ses  reliques  dans  le  couvent  d'Arles.  L'église 
de  Marseille  lui  était  dédiée  et  l'on  faisait  des  processions  en 
son  honneur,  tant  dans  le  Nord  que  dans  te  Midi,  contre  la 
peste4. 

Mais  la  dévotion  la  plus  ordinaire  dans  les  deux  derniers 
siècles  de  l'histoire  des  Trinitaires  se  rapporta  a  Notre-Dame 
du  Bon-Remède.  La  sainte  Vierge  fut  spécialement  honorée 
par  l'ordre,  qui,  au  dix-septième  siècle,  reçut  un  grand 
nombre  de  chapelles  qui  lui  étaient  consacrées  :  Notre-Dame 
de  Liesse  à  Gisors,  Notre-Dame  de  Santé  à  La  Verdière.  Des 
légendes  relatives  à  la  protection  de  la  Vierge  sur  saint  Jean  de 
Matha,  qui  lui  aurait  été  consacré  dès  son  enfance  et  qu'elle 
aurait  miraculeusement  aidé  fors  de  deux  rédemptions  opérées 

1.  La  fêle  était  parfois  célébrée  le  dimanche  avant  l' Avant.  (Guiouk, 
Livre  des  SltttiitK  dit  collège  de  la  Trinité  de  Lyon,  pp.  viu-ix.) 

2.  A  Saint-Éloi  de  Mortagne,  le  sceau  trinilaire  était  cependant  inspiré 
d'un  trait  de  lu  légende  du  saint. 

3.  Cette  prétention  sera  examinée  dans  la  deuxième  partie. 

4.  Voir  l'appendice  I  :  Le»  reliques  de  Saint-Roch. 


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LES    ÉGLISES    TRIBUTAIRES.  la,'i 

»  Tunis  et  à  Valence,  furent,  inventées  pour  faire  remonter 
cette  dévotion  très  haut.  Nous  avons  un  fait  précis  en  1071, 
ïnice  à  une  bulle'  de  Pie  V.  Il  y  avait  depuis  un  certain 
temps  uue  confrérie  de  Notre-Dame  du  Bon-Remède  chez  les 
Trinitaires  de  Valence;  or,  sur  les  instances  du  marquis  de 
Moncada,  Don  Juan  d'Autriche,  à  la  bataille  de  Lépante,  se 
recommanda  à  Notre-Dame  du  Remède,  lui  et  toute  sa  flotte. 
Cela  lut  cause  d'un  conflit  entre  les  Trinitaires  et  les  Domi- 
nicains. Ceux-ci  arguèrent  qu«  Pie  V,  leur  confrère,  avait 
célébré  dans  le  couvent  de  la  Minerve  l'office  du  Rosaire  le 
jour  de  la  bataille,  et  que,  par  conséquent,  la  victoire  était 
due  au  Rosaire  et  non  à  Noire-Dame  du  Remède.  On  se  dis- 
putait encore  à  ce  sujet  dans  les  Pays-Bas  en  i663.  En  dépit 
des  plaintes  des  Mercédaires,  disant  que  Notre-Dame  du  Bon- 
Remède  était  une  concurrence  déloyale  À  Notre-Dame  de  la 
Merci,  le  pape  tolère  les  confréries  trinitaires  érigées  sous  ce 
vocable.  Depuis  1077,  il  y  avait  un  autel  dédié  à  Notre-Dame 
du  Bon-Remède  à  Marseille  ;  une  statue  qui  provient  sans 
doute  de  nos  religieux  est  conservée  à  Sain  t-Trophime  d'Arles; 
«1 1670  une  table  d'autel  fut  faite  à  Lens  en  son  honneur'. 
Si  les  Trinitaires,  en  général,  étalent  ainsi  dévots  à  la 
sainte  Vierge,  ceux  de  Toulouse  l'étaient  avec  trop  d'origi- 
nalité; ils  se  virent  défendre,  le  8  mars  171a,  une  nouvelle 
manière  de  réciter  le  rosaire  :  ils  supprimaient  le  Pater  jVoi- 
ttr,  et  dans  le  Gloria  Patri,  ils  introduisaient  les  invoca- 
tions :  uni  Deo  infinité  maano,  infinité  beato,  rerum  omnium 
finiultimo3. 


1.  Huile  dans  les  liasses  de  Marseille.  L'indulgence  fut  confirmée  le  3  sep- 
tembre [370. 
1.  Cartulairc  de  Leos,  p.  2i5. 
i.  Bcioit  XIV,  De  canonisations  lanctorum,  livre  IV,  t.  [V,  p.  70O. 


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1 44  l'oRDRE    FRANÇAIS    DES   TRINITAIRES. 

Quelques  dévotions  locales,  comme  celle  de  saint  Mathurin, 
ne  franchirent  pas  les  limites  du  couvent  de  Paris.  L'hôpital 
trinitaire  de  Marseille  était  dédié  à  saint  Eutrope,  mais  ce 
saint  était  si  peu  connu  qu'on  ne  savait  même  pas  quel  jour 
il  fallait  célébrer  sa  fête,  ce  qui  causait  dans  le  peuple  un 
certain  désarroi1. 

Tableaux.  —  Si  aucune  église  de  l'ordre  ne  fut  dédiée  à 
à  saint  Jean  de  Matha  ou  à  saint  Félix  de  Valois,  les  por- 
traits de  ces  fondateurs  tout  au  moins  devaient  s'y  rencon- 
trer. Ils  sont  mentionnés  dans  une  commande  de  tableaux 
faite,  au  dix-huitième  siècle,  pour  le  couvent  de  Mirepoix. 
Aucun  ne  doit  remonter  bien  haut,  aucun  n'a  de  valeur  do- 
cumentaire. Il  suffit  de  se  reporter  aux  Caractéristiques  des 
Saints  et  à  l'Iconographie  de  la  collection  Migne  pour  avoir 
la  liste  des  gravures  qui  prétendent  représenter  ces  fonda- 
teurs. Saint  Jean  de  Matha,  était  jeune,  croit-on,  et  docteur 
en  théologie,  d'où  le  bonnet  qu'il  porte;  saint  Félix  de  Valois, 
selon  une  légende  apocryphe,  était  de  la  famille  royale  de 
France  et  avait  été  maintes  fois  consolé  dans  sa  solitude  par 
un  cerf,  d'où  la  couronne  et  le  cerf  qui  sont  ses  attributs1. 
A  Fontainebleau,  sur  le  tabernacle  de  la  chapelle  de  la  Tri- 
nité, Girardon  a  représenté  une  descente  de  croix  et,  sur  les 
côtés,  saint  Félix  de  Valois  et  saint  Jean  de  Matha,  à  qui  le 
Seigneur  ordonne  d'établir  l'ordre  de  la  Rédemption  des 
Captifs3.  A  Faucon,  un  tableau  représente  les  parents  de 
saint  Jean  de  Matha4.   De  nos  jours,  a  Paris,  il   a  sa  statue 

i.  Triniuires  de  Marseille,  registre  sa,  p/issiin. 

a.  P.  Cahiïk  et  Martin,  Caractéristiques  des  Saints,  1. 1,  p.  187,  etc. 

3.  Abbc  Gl-ilbeut,  Description  historique  de  Fontainebleau,  t.  I,  p.  69. 

4.  Le  P.  Calixte,  Vie  de  saint  Jean  de  Matha,  p.  3i. 


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LES    ÉGLISES    TRIBUTAIRES.  l/(5 

au  Panthéon,  œuvre  de  Hiolle,  et  il  figure  aussi  dans  une 
niche  sur  la  façade  de  la  Trinité. 

Sur  la  porte  du  couvent  de  Saint-Thomas  de  Formis, 
donné  à  saint  Jean  de  Matha  par  Innocent  III,  une  mosaïque 
représente  Notre-Seigneur  entre  deux  captifs ,  l'un  noir, 
l'autre  blanc,  et  portant  sur  la  poitrine  la  croix  de  l'ordre. 
Cette  figuration  appelle  plusieurs  remarques  :  au  lieu  de 
Notre-Seigneur,  les  tableaux  s'inspirent  des  auteurs  trini- 
laires  ont  souvent  mis  un  ange,  mais,  les  Pères  de  la 
Merci'  se  prétendant  fondés  par  [a  sainte  Vierge  et  consé- 
quemmenl  aussi  supérieurs  à  l'ordre  des  Trinitaires  que  la 
Vierge  est  supérieure  à  un  antre,  nos  religieux  ont  pré- 
tendu alors  avoir  été  fondés  par  Dieu  lui-même1.  On  a 
peine  à  rapporter  de  pareilles  subtilités.  La  croix  sur 
l'habit  de  Notre-Seigneur  est  plaie,  mais  Figueras  a  remar- 
qué que  les  Déchaussés  l'ont  modifiée  et  que  tout  le  mor- 
ceau a  été  retouché  pour  autoriser  la  simplification  de  la 
croix3. 

Un  tableau  conservé  à  Saint-Trophime  d'Arles  repré- 
sente l'apparition  de  l'ange  à  saint  Jean  de  Matha.  Il  en  est 
de  même  à  Saint-Jean  de  Troyes,  dans  la  première  chapelle 
à  gauche,  autant  qu'on  peut  le  distinguer.  En  général,  la 
sainte  Trinité  y  est  figurée  sous  sa  forme  symbolique,  le 
Père  ayant  sur  ses  genoux  la  croix  à  laquelle  le  Fils  est 
attaché,  et  la  colombe  posée  sur  son  épaule.  Un  tableau  de 
l'institution  de  l'ordre  était  conservé  dans  l'église  des  Corde- 
liers  de  Romans4. 


i .  Le  P.  Auvry  n 

a.  Ordo  non  a  Sanciîs  fabrïcalns  sed  a  solo  sumino  Deo. 

3.  Voir  aussi  Calvo,  Retumen  de  los  privilégia*,  h  la  fin. 

4-  Procession  des  caplifs  ramenés  en  1720,  p.  XL  vin. 


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t/(6  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRIBUTAIRES. 

Dans  le  couvent  des  Ursulines  de  Dô!e  (Jura),  un  tableau 
offre  cette  originalité  de  représenter,  en  haut,  l'apparition  de 
l'ange,  et  en  bas,  la  rédemption  des  captifs.  Ces  tableaux  fu- 
rent très  nombreux  à  partir  du  dix-septième  siècle,  quand  il 
se  constitua  une  très  grande  quantité  de  confréries  auxiliaires 
des  Trinitaires.  On  en  voit  plusieurs  a  Saint-Quentin  de 
Tournay,  en  Belgique  (œuvre  de  Gaspard  de  Crayer),  et  dans 
de  petites  églises  de  l'Eure  comme  Saint-Clair  d'Arcey'  et 
la  Lande-Patry  où  il  n'y  eut  que  des  confréries  et  non 
des  couvents.  L'un  de  ces  tableaux,  à  Rouen  (œuvre  du 
peintre  Léger),  a  été  étudié  par  M.  de  Beaurepaire  dans  le 
Bulletin  de.  la  commission  des  antiquités  de  la  Seine-Infé- 
rieure2. Il  représente  un  sujet  précis  :  un  rachat  des  captifs 
devant  Mouley  Ismaël,  sultan  de  Maroc,  dans  la  ville  de 
Méquinez.  Le  peintre  n'eut  qu'à  s'inspirer  des  récits  du 
P.  Busnol,  trinilaire  de  Rouen.  Le  tableau  était  de  très 
grandes  dimensions  (4'"65  sur  am(>6)  et  fut  donné  à  l'église  de 
Saint-Léger  du  Bourg-Denis,  à  coté  de  Rouen,  en  attendant 
que  le  musée  de  cette  ville  eût  des  salles  assez  hautes  pour 
le  recevoir. 

Ces  tableaux,  analogues,  comme  conception,  aux  gravures 
de  Y  Histoire  de  Barbarie  du  P.  Dan,  sont  d'un  plan  uni- 
forme :  au  milieu,  la  mer  où  arrivent  les  barques  portant  les 
rédempteurs;  ceux-ci  ont  leurs  costumes  religieux  et  tiennent 
à  la  main  les  sacs  bien  fermés  contenant  leur  argent;  des 
esclaves  se  jettent  à  leurs  pieds.  Dans  une  salle  voisine,  on 
les  revoit  comptant  la  rançon  d'un  captif  devant  les  Turcs; 
les  pièces   sont  étalées   sur   la  table.    A   l'opposé   sont  indi- 


.  Commune  de  Uernny  (Eure),  Ce  tablenu  (finit  de  i64t>,  dit  M.  Veuclin. 
i.  Tome  VIII,  pp.  3.r.i  à  303. 


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LES    EGLISES  TB1NITAIRES.  1^7 

((nés  les  différents  supplices  auxquels  les  esclaves  sont 
exposés;  il  n'y  avait  là  qu'à  illustrer  le  texte  si  précis  du 
P.  Dan.  Ces  tableaux  étaient  un  puissant  moyen  de  pro- 
pagande et  peignaient  au  vif  l'utilité  de  l'œuvre  rédemp- 
trice. 

A  côté  du  grand  tableau  de  Rouen,  celui  de  Viaiiden  mé- 
rite une  mention  à  part  :  la  description  détaillée  s'en  trouve 
dans  V Histoire  de  Vianden   et  de  ses  comtes,  par  Neyen.  Ce 
tableau   étant  d'apparence  vétusté,   l'historien  l'a  téméraire- 
ment rapporté  «  aux  premiers  temps  »  de  l'ordre  (on  se  rap- 
pelle que  ce  couvent  datait  du  milieu  du  treizième  siècle).  Le 
rapporter  même  à  la  seconde  construction  de  l'église,  en  i5oo, 
eût  été  fort   aventuré,   car  un  des  sujets  représentés  est   le 
martyre  de  Pierre  de  la  Conception,  qui  eut  lieu  en  1667!  Le 
tableau  est  maintenant  à  la  maison  curiale'  de  Vianden. 

Des  églises  trinitaires,  furent  parées  de  chaînes  rappor- 
tées par  les  rédempteurs,  notamment  celle  de  Troyes,  qu 
les  dut  au  P.  Michelin1,  ministre  de  ce  couvent,  et  celle  des 
Malhuritis  de  Paris. 

Un  curieux  objet  se  rencontre  à  Saint-Eloi  de  Dunkerque3 
et  à  Poperinghe  en  Flandre  :  c'est  un  captif  enchaîné,  en  bois 
sculpté,  qui  surmonte  le  tronc  anciennement  destiné  à  con- 
tenir les  aumônes  du  rachat  des  captifs. 

Quand  j'aurai  dit  que  l'église  de  Gandelu  conserve  un 
fiénilier  et  des  stalles  provenant  de  Cerfroid,  et  que  la 
chaire  de  la  cathédrale  de  Meaux   est   revêtue  de   panneaux 


1.  L.4  Fontaine,  Vianden  et  ses  environs. 

3.  Pièce  3oo. 

3.  Dbhode,  Notice  sur  l'église  Sainl-Eloi  de  Dunkerque,  mentionne 
dans  la  chapelle  de  la  Sainte-Trinité  un  tableau  représentant  deux  enclavée 
délivres  par  un  Frère  de  le  Croix  (?),  sans  doute  ud  rédempteur. 


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l48  L'ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAlilES. 

sculptés'  représentant  les  saints  fondateurs  et  provenant 
du  couvent  de  cette  ville,  rémunération  des  souvenirs 
ecclésiastiques  laissés  par  l'ordre  sera  aussi  complète  que 
le  permet  la  faible  quantité  des  documents  qui  nous  sont 
parvenus. 


i.  Ils  ont  été  étudies  par  M.  l'abbé  Jouy,  qui  m'a  gracieusement  commu- 
niqué sa  brochure. 


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CHAPITRE  XV. 


i  souvenirs  locaux  laissés  par  les  Trinitaires. 


Si  leurs  églises  ne  subsistent  qu'exceptionnellement,  du 
moins  il  est  un  très  grand  nombre  de  couvents,  tant  de 
France  que  de  l'étranger,  dont  on  peut  facilement  retrouver 
quelques  vestiges;  là  même  où  on  ne  le  peut  pas,  des  lieux- 
dits  fixent  aisément  leur  situation  précise. 

Le  chef  d'ordre,  Cerfroid,  près  Gandelti,  sur  un  affluent  de 
l'Oorcq,  nous  est  connu  par  plusieurs  gravures  des  dix-sep- 
tième et  dix-huitième  siècles1.  Son  emplacement  est  extrê- 
mement bien  délimité  aujourd'hui.  A  part  le  pigeonnier,  la 
prison  des  religieux  et  les  caves,  tout  n'est  que  ruines.  La 
salle  du  chapitre,  dont  les  murs  seuls  sont  debout,  est  assez 
imposante  ;  l'on  comprend  que  la  tradition  locale  rapporte 
qu'au  siècle  dernier  on  y  pouvait  voir  réunies  trois  cents  per- 
sonnes. Quant  à  l'église,  elle  a  été  entièrement  abattue.  Le 
P.  Calixte  voulut  ériger  une  basilique  au  légendaire  ermite 
saint  Félix  de  Valois,  et  bien  qu'ayant  déployé  toutes  les 
ressources  de  l'histoire  et  de  la  littérature  pour  se  procurer 
les  ressources  nécessaires,    il   put  à  peine  élever  le  portail. 


i.  Sincera  exkibitio  domax  Ceroifrigidi,  O.  S.  T.,  dans  l'albur 
Révélât  ia. 


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i5o  l'ordre  français  des  tributaires. 

Dans  l'enclos  du  couvent,  subsiste  encore  la  fontaine  de  la 
Trinité,  que  le  cerf  aurait  fait  jaillir  sous  ses  pieds;  tout 
près,  le  Champ  des  Ermites  rappelle  la  première  demeure 
des  anachorètes. 

Le  couvent  de  Paris  a  laissé  moins  de  traces  encore,  à  cause 
des  grands  percements  faits  au  quartier  de  la  Sorbonne. 
Il  était  exactement  entre  la  rue  Saint-Jacques,  la  rue  des 
Mathurïns  (qui  s'appelait  au  treizième  siècle  rue  des  Thermes, 
et  s'appelle  maintenant  rue  du  Sommerard,  en  dépit  des  pro- 
testations du  P.  Calixte)  et  la  rue  du  Foin,  aujourd'hui 
absorbée  par  le  boulevard  Saint-Germain.  Un  passage  sou- 
terain,  au-dessous  de  l'actuelle  rue  de  Cluny,  le  réunissait  au 
Palais  des  Thermes.  De  nombreux  dessins,  tant  au  déparle- 
ment des  Estampes  de  la  Bibliothèque  nationale  qu'à  la  Biblio- 
thèque de  la  ville  de  Paris,  nous  montrent  ce  qui  en  restait 
vers  i865,  lors  de  l'élargissement  de  la  rue  Saint-Jacques. 

Le  couvent  de  Faucon  (Basses-Alpes)  existe  encore,  avec  la 
vieille  église  paroissiale,  contenant  le  sarcophage  qui  a  long- 
temps passé  pour  le  tombeau  de  saint  Jean  de  Matha  ou  celui 
de  ses  parents,  parce  que  les  initiales  D.  M.  (Dis  Mnnibut) 
furent  interprétées  de  Matha  !! 

Même  hors  de  France,  sans  parler  de  Rome  où  les  couvents 
trinitaires  se  sont  toujours  conservés  (ils  ne  rentrent  pas 
dans  le  cadre  de  ce  chapitre),  bien  des  églises  rappellent 
notre  ordre.  A  Cîênes,  l'église  Saint-Benoît,  que  leur  con- 
struisit, en  15^2,  un  prince  Doriu,  existe  encore  à  l'extrémité 
occidentale  de  la  ville.  Il  en  est  de  même  d'une  église  de  la 
Trinité  à  Coïmbre,  en  Portugal,  datant  du  dix-septième  siècle. 
A  Tunis,  le  couvent  trini taire  de  Sainte-Croix,  dont  il  reste 
le  cloître,  bâti  avec  des  pierres  et  des  colonnes  de  l'antique 
Caithage,  appartient  aujourd'hui  aux  Frères  de  la  Doctrine 


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LES    SOUVENIRS    LOCAUX    LAISSÉS    PAR    LES    TRINITAIRES.        l5l 

chrétienne;  il  est  situé  rue  de  la  Casba'.  A  Alger,  les 
premiers  rédacteurs  de  la  Revue  africaine,  Devoulx  et  Ber- 
brugger,  ont  facilement  retrouvé  l'emplacement  des  chapelles 
situées  dans  les  bagnes;  l'hôpital  Irhiitaire  d'Espagne  est 
maintenant  l'Ecole  de  médecine. 

Exceptionnellement,  l'église  et  le  couvent  de  Sarzeau  (Mor- 
bihan) existent  encore;  on  y  remarque  une  jolie  lucarne  du 
seizième  siècle8. 

Beaucoup  de  couvents  se  voyaient  il  y  a  une  cinquan- 
taine d'années  :  mais  les  villes  ayant  eu  besoin  d'élargir 
leurs  rues,  on  n'a  point  eu  d'ordinaire  l'idée  de  respecter  un 
monument  qui  n'était  en  général  ni  très  solide  ni  très  inté- 
ressant. Leur  cloître  d'Arras,  près  de  la  rue  d'Amiens,  a  élé 
démoli  par  les  Dames  de  la  Doctrine  chrétienne.  A  Arles, 
tout  au  moins,  M.  [Gauthier  Descottes  consacra  un  souvenir 
au  cloître  trinitaire  dans  la  revue  locale  :  le  Musée3. 

Quand  les  bâtiments  étaient  solides,  on  les  sauva  en  les 
consacrant  à  un  but  d'utilité  pratique. 

A  Clermonl  (Oise),  l'ancien  couvent  des  Trinitaires  est 
devenu  la  sous-préfecture;  à  Troyes,  au  faubourg  Saint- 
Jacques,  une  confiserie.  A  Baslogne  (Luxembourg),  à 
Bourmont,  a  la  Capelette  près  Marseille  et  à  Mortagne,  il  est 
aujourd'hui  collège  ou  école.  A  Meatix,  une  maison  du  fau- 
bourg Saint-Remy  conserve  quelques  restes  du  couvent  fondé 
en  i535  cl  la  promenade  au  bord  de  la  Marne  s'appelle  encore 
promenade    des    Trinitaires.  Il  y   a  peu  d'années  encore,  à 


i.  Bulletin  Irinitaire  d'octobre  1900. 

î.  Je  dois  ce  renseignement  k  l'obligeance  de  M.  Enlart,  bibliothécaire  ù 
l'Ecole  des  beaux-arts. 

3.  M.  Emile  Fassin,  conseiller  a  lit  Cour  d'appel  d'Aix,  m'a  gracieusement 
envoyé  cette  notice. 


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i5a  l'ordre  français  des  trinitaires. 

Pontarmé,  la  Maison-Dieu  rappelait  le  nom  traditionnel  du 
couvent  des  Trinitaires.  A  la  Perrîne,  à  Beauvoir-su r-Mer, 
c'est  une  ferme,  ainsi  qu'A  Préavin  dans  le  bois  de  Nieppe. 

Le  reste  archéologique  le  plus  curieux  des  Trinitaires  se 
trouve  à  Marseille.  Depuis  la  fin  du  dix-septième  siècle,  ces 
religieux  y  possédaient  deux  couvents  (sans  parler  de  celui 
qu'ils  abandonnèrent  eu  ifja.'i,  et  sur  l'emplacement  duquel 
est  la  gare  maritime  d'Arenc),  l'un  dans  la  vieille  ville, 
l'autre  dans  le  quartier  de  Saint-Ferréol,  rue  de  la  Palud. 
Le  couvent  ancien,  situé  rue  des  Jardins,  conserve,  à  côté 
d'une  tour  massive,  peut-être  antérieure  à  la  venue  des  reli- 
gieux, la  chapelle  soulerraine  de  Notre-Dame  du  Remède1. 
Le  Midi  provençal  est  particulièrement  riche  en  souvenirs 
de  l'ordre  rédempteur,  les  déparlements  des  Bouches-du- 
Rhône  et  du  Var  comptant  une  quinzaine  de  ces  couvents, 
des  chapelles  de  pèlerinage  dont  les  Trinitaires  furent  chargés 
et  dont  la  vogue  ne  fut  point  arrêtée  par  le  départ  de  ces  reli- 
gieux; telles  sont  Saint-Pons  de  Figanières,  Notre-Dame  de 
Grâce,  au  Muy  {dont  Achard  parle  dans  son  Dictionnaire  de 
la  Provence),  Notre-Dame  de  Santé,  près  La  Verdière. 

A  Digne,  sur  la  montagne  du  Plan-du-Bourg,  on  voit 
encore  la  ferme  qui  fut  leur  demeure  depuis  i4g5  jusqu'à  la 
date  où  Jean  Blanc,  ministre  industrieux,  acquit  une  maison 
dans  un  faubourg  appelé  Pied-de-la-ville a. 

En  Espagne,  plusieurs  églises,  notamment  à  Madrid,  rap- 
pellent les  couvents  des  religieuses  de  l'ordre,  fondées  au 
début  du  dix-septième  siècle.  A  Burgos,  à  Valence,  les  rues 
qui  longent  l'Arlauzon  et  la  Turia  marquent  clairement  la 
situation    topographique   des  Trinitarias. 

i.  Elle  m'a  été  indiquée  par  M.  l'abbé  Ollivier,  vicaire  général, 
a.  Pierre  Gasshhdi,  Notifia  ecclesie  ilinietisis,  j).  1 17. 


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LES    SOUVENIRS    LOCAUX    LAISSÉS    PAR    LES    TRINITAIRES.        1 53 

Quand  les  couvents  ont  disparu,  les  noms  de  rue  dans  les 
villes  et  les  lieux-dits  dans  les  campagnes  rappellent  les  Tri- 
nitaires  et  môme  les  biens  qu'ils  possédaient.  Arras  et  Douai 
ont  leurs  rues  des  Trinitaires,  Toulouse  une  rue  et  une  place 
de  la  Trinité.  A  Metz,  la  nie  des  Trinitaires,  continuant  la  rue 
de  la  Sainte-Croix,  prouve  indubitablement  la  situation  du 
second  couvent  de  ces  religieux,  et  un  vieux  portail  avec 
un  écusson  rappelle  peut-être  «  la  Cour  Dorée  »  qui  leur  fut 
donnée.  A  Paris,  la  rue  des  Matliurins  fait  souvenir  de  la  ferme 
qu'avaient  ces  religieux ,  depuis  le  treizième  siècle  ;  la  rue 
Vignon  s'appelait  précédemment  rue  de  la  Ferme-des-Malhu- 
rîns. 

Des  villages  ou  des  hameaux  rappellent  les  Trinitaires  par 
leur  nom  même.  Tels  sont  La  Villeneuve-aux-Anes,  près 
de  Chelles,  et  La  Villetle-aux-Aulnes,  près  Milry,  Le  Fay-aux- 
Anes  ',  près  d'Amblainville  (Oisej  ;  les  noms  originaires 
étaient  La  Villeneuve  et  La  Vil letle-aux- Anes,  à  cause  du 
surnom  populaire  que  leur  monture  primitive  avait  fait  donner 
aux  Trinitaires.  Près  de  Pontoise,  le  hameau  de  l'Hermitage 
conserve  une  propriété  appelée  «  Les  Mathurins  »  :  c'est  le 
couvent  de  Saint-Michel,  berceau  de  la  congrégation  réfor- 
mée. 

A  Hondschoote,  un  faubourg  situé  au  sud-ouest  de  cette 
ville  s'appelle  encore  la  Trinité. 

Les  lieux-dits  sont  innombrables,  dans  les  chartes;  Pon- 
larmé  conserve  le  bois  du  Ministre;  Cordes  ("archives  du 
Tarn,  GG  69)  avait  aussi  et  bosc  del  Ministre  ;  à  Feuchy,  près 
d'Arras,  il  y  a  la  maison  de  la  Trinité  {bail  du  4  juin  i4r8'); 
au  nord-est  de  Troyes,  la  carte  de  Cassini  marque  un  lieu 

1.  Renseignement  communiqué  pur  M.  Longnon. 


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1 54  L'ORDRE    FRANÇAIS    DES    TR1NITAIRES. 

dît  :  les  Matharins.  Leur  ancien  couvent  de  Troyes  est 
signalé  à  Preize'  par  un  moulin  de  la  Trinité.  Il  y  avait 
aussi  une  porte  de  la  Trinité  à  Châlons;  à  côté  de  Gisors, 
M.  Leprévost,  auteur  du  Dictionnaire  des  communes  de  F  Eure, 
cite  un  lieu  dit  :  les  Mathurins.  Aux  environs  de  Paris  ces 
mentions  abondent  ;  c'est  l'ostel,  granche  et  bergerie  appelée 
l'ostel  de  la  Trinité,  au  Bourget  (3o  novembre  r^o,  A.  N., 
S  4253»)  ;  le  clos  des  Mathurins  au  terroir  de  Clamait 
(ait  novembre  i^oo,  S  4a5i-»2);  à  Bagneux,  le  chemin  des 
Mathurins  (12  juillet  170.1);  une  a  maison  manable  »  appelée 
la  ferme  des  Mathurins  (S  &a8i,  f*  32)  ;  le  moulin  et  la  tour 
des  Mathurins  à  Gentilly;  le  clos  des  Mathurins,  près  de 
leur  château  de  Bièvre,  etc. 

Ces  renseignements,  somme  toute,  ne  sont  pas  à  dédaigner. 
Si ,  presque  en  aucun  endroit ,  ils  ne  nous  permettent  de 
restituer  le  plan  complet  d'une  église  ou  d'un  couvent,  ils 
affirment  néanmoins  la  situation  exacte  des  maisons  qu'occu- 
paient en  France  les  religieux  Trinitaires  et  des  possessions 
rurales  dont  ils  percevaient  les  revenus.  Nous  pouvons  donc 
juger,  sinon  de  l'importance,  du  moins  du  grand  nombre  de 
ces  couvents. 

1.  T.  Boutiot,  Hiiloire  de  Troyes,  1. 1.  p.  ao3. 


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DEUXIÈME  PARTIE 


Histoire  générale  de  l'Ordre. 


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CHAPITRE  PREMIER. 


Les  Trlnitaires  et  le  pape. 


L'ordre  de  la  Sainte-Trinité,  institué  à  Rome  par  le  pape 
Innocent  III,  se  distingue  de  la  plupart  des  ordres  religieux 
fondes  en  France  ou  en  Espagne,  comme  par  exemple  l'or- 
dre de  la  Merci,  auquel  le  pape  Grégoire  IX  ne  s'intéressa 
que  cinq  à  sept  ans  après  sa  fondation.  Le  souvenir  de  l'ori- 
gine romaine  des  Trinilaires  ne  se  perdit  pas  tout  de  suite, 
et  l'ordre  naissant  eut  des  rapports  fréquents  avec  le  chef  de  la 
chrétienté. 

C'est  à  Rome  que  mourut  saint  Jean  de  Matha,  en  décem- 
bre iai3,  après  avoir  soigné  les  malades  pendant  les  der- 
nières années  de  sa  vie.  Ses  deux  successeurs  moururent 
aussi  à  Rome,  où  leurs  tombeaux  furent  retrouvés1  en  i655, 
lorsque  les  Espagnols  enlevèrent  le  corps  de  saint  Jean  de 
Matha  pour  le  porter  au  couvent  de  Madrid. 

Après  1222,  od  ne  voit  plus  de  général  des  Trinitaires  rési- 
der à  Rome,  mais  un  personnage  se  présente  pour  gérer  les 
intérêts  qu'ils  peuvent  avoir  à  la  cour  pontificale.,  c'est  le  car- 
dinal prolecteur.  Le  premier  connu  est  Richard,   cardinal 


i.  Benoît  XIV,  dans  son  livre  De  canonisatione  sanctoram,  parle  de  cette 
d&ouverte. 


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l58  L'ORDRE    FRANÇAIS)    DES    TRIN1TAIRES. 

diacre  de  Saint-Ange,  auquel  Urbain  IV  confia  la  réforme 
de  l'hôpital   de  Saint-Thomas  de  Formis  (novembre   1261). 

Un  siècle  plus  lard,  les  réclamation»  d'un  cardinal  pro- 
tecteur, dont  nous  ne  savons  pas  le  nom,  eurent  assez  de 
poids  pour  relarder  de  quelques  années  la  réunion  de  ce 
même  hôpital  aux  possessions  du  chapitre  de  Saint-Pierre,  ce 
qui  eut  lieu  après  le  a4  février  i3o5,  date  de  la  mort  de 
Poncellus  Ursinus,  commendataire  de  Saint-Thomas  de  For- 
mis. La  cour  de  Rome  était  irritée  parce  que  les  Trinitaires 
de  France  suivaient  le  parti  du  pape  d'Avignon.  On  ne 
retrouve  de  cardinal  prolecteur  qu'en  1571,  avec  le  cardi- 
nal de  Rambouillet  et  Jacques  de  Sabello.  Il  est  fait  mention 
d'eux  dans  un  discours  remarquable  prononcé  en  107,"»  par 
François  Bouchet',  procureur  général,  tendant  à  obtenir  la 
restitution  à  Tordre  du  couvent  de  Saint-Thomas  de  Formis. 
C'est  au  cardinal  Prospcr  de  la  Sainte-Croix,  autre  protec- 
teur, qu'est  dédié  par  Félix  a  Turre  un  des  plus  anciens 
livrets  d'indulgences  de  l'ordre. 

Le  cardinal  Bandini,  en  correspondance  assidue  avec  toutes 
les  branches  de  l'ordre,  s'efforce  de  maintenir  la  paix  entre 
elles.  En  annonçant  aux  Réformés  de  Pontoise  que  l'évèque 
de  Paris  est  commis  pour  juger  leurs  différends  avec  le  géné- 
ral qui  leur  cause  des  désagréments,  il  souhaite  que  cepen- 
dant ils  s'entendent  à  l'amiable'  sans  recourir  au  moyen 
extrême  d'un  procès.  Bandini  intervient  personnellement 
pour  empêcher  les  Réformés  de  Marseille  de  molester  les 
Déchausses  d'Aix.  Voyant  les  Trinitaires  de  Rome  habiter 
en  un  endroit  malsain,  a  A'.  Stefano  in  Trulto,  il  les  trans- 


1.   Publié  dans  Fiijaera»,  \iy.  575  à  j8o. 
a.   Pièce  167. 


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LES    TRINITAIRES    ET    LE    PAPE.  î5o 

porta  via  Fetice1  (aujourd'hui  Sistîna)  dans  un  quartier 
plus  salubre,  à  l'église  de  Sainte-Françoise-Romaine.  C'est  à 
ce  grand  bienfaiteur  qu'est  dédié  l'excellent  ouvrage  de  Ber- 
nardin de  Saint-An  loi  ne.  Ce  n'est  que  justice.  Il  était  doyen 
du  sacré  collège  quand  il  mourut,  le  i"  août  162g3;  il  fut 
enseveli  à  Saint-Sylvestre  in  Capite*. 

Le  cardinal  de  Maximis  eut  à  donner  son  avis  sur  l'identité 
du  corps  de  saint  Jean  de  Matlia.  Au  cardinal  Ginetti  échut 
la  délicate  mission  de  convoquer  les  Trinitaires  de  France  à 
des  chapitres  généraux  tenus  à  Rome,  où  ils  ne  se  rendirent 
jamais.  Un  de  ses  successeurs,  Thomasio,  ayant  été  canonisé 
le  Ier  janvier  1761,  les  Trinitaires  reçurent  la  permission  de 
dire  son  office4.  Le  cardinal  protecteur  est  pour  Rome  ce 
que  sont  dans  les  provinces  de  l'ordre  les  juges  conserva- 
teurs, que  le  pape  permet  aux  religieux  d'instituer  eux- 
mêmes5. 

Un  procureur  général  résidant  eu  cour  de  Rome  apparaît 
en  i5366,  à  l'occasion  d'un  profès  trinitaire  apostat,  mais 
repentant,  qui  demandait  à  être  relevé  de  l'excommunication. 
Tantôt  le  grand  ministre  avait  envoyé  à  Rome  une  délégation 
spéciale  pour  faire  confirmer  les  privilèges  de  l'ordre;  tantôt, 
comme  Thierry  Valerand,  il  s'y  était  rendu  lui-même.  A  la 
fin  du  seizième  siècle,  se  rencontrent  successivement  deux 
vicaires  généraux  résidant  momentanément  à  Rome,  Fran- 
çois Bouchet  et  Félix  a  Turre. 


1.  1620.  Le  contrai  est  curieux,  parce  qu'il  y  est  fuit 
lu  alité  de  découvertes  archéologiques. 

1.  Bibl.  de  Marseille,  mu.  ujS,  f°  62  v°. 

3.  Celle  église  possède  une  dent  de  saint  Jean  de  Malha. 

4.  Ana/ecla  jririi pontifiait,  t.  XXVII,  col.  22. 

5.  Bulle  de  Benoit  XIII  (27  septembre  17*4). 

6.  Archives  de  l' Aisne,  H  i43i. 


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i6o  l'ordre  français  des  tributaires. 

Au  dix-septième  siècle,  chaque  branche  et  chaque  nation 
de  l'ordre  a  son  procureur  général  en  cour  de  Home.  Les 
Réformés,  n'en  ayant  pas  institué  de  spécial,  envoient  une 
délégation  particulière,  lorsqu'il  y  a  une  affaire  importante  à 
traiter.  Au  milieu  du  dix-septième  siècle,  le  procureur  général 
des  Chaussés  d'Espagne  était  Jérôme  Vêlez.  En  1687,  celui 
des  Chaussés  de  France  était  Joseph  Monier,  qui  fit  tous  ses 
efforts  pour  éviter  la  rupture  entre  les  Trinitaires  de  France  et 
la  cour  de  Rome,  et  celui  des  Déchaussés  Ignace  de  Saint- 
Antoine.  Pendant  le  schisme,  l'Espagnol  Ruiz  porte  le  titre  de 
protonotaire  de  l'ordre. 

Les  provinces  de  France  et  d'Espagne  s'étant  réconciliées,  il 
fut  décidé,  dans  le  chapitre  général  de  1703,  qu'il  n'y  aurait 
qu'un  seul  procureur  général  en  cour  de  Rome,  renouvelé 
tous  les  six  ans,  désigné  tantôt  par  les  provinces  de  France, 
tantôt  par  les  provinces  d'Espagne  ou  d'Italie.  II  devait  être 
entretenu  aux  frais  de  sa  nation.  Le  premier  fut  un  Italien, 
Vincent  Copola.  En  1739,  le  chapitre  de  Marseille  désigna 
pour  ce  poste  Joseph  Bernard,  rédempteur  renommé.  Par 
raison  d'économie,  le  P.  Lefebvre  délégua  en  1753  pour  vice- 
procureur  le  ministre  de  Sainte-Françoise-Romaine,  dont 
l'entretien  fut  à  la  charge  de  la  France'.  Lors  du  changement 
des  Constitutions,  le  procureur  générai  était  Charles  Mala- 
chaue,  de  Marseille,  docteur  en  théologie  de  la  Faculté  d'Avi- 
gnon. Il  dut  insister,  avant  le  26  avril  1766,  pour  que  la 
France  lui  envoyât  2,000  livres  permettant  de  tenir  con- 
venablement  son    rang  à    Rome1.    Tels    sont   les    person- 


1.  Pièce  277.  La  province  de  Champagne  eul  120  livres  k  payer  comme 
quote-parl.  Chaque  maison  reformée  paya  lO  1.  i3  sons  4  d.  pour  les  Irois 
premières  années. 

a.  Archives  de  Melz,  H  3774,  ao  10. 


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LES    TRIBUTAIRES    ET    LE    PAPE.  I6l 

nages  qui  auprès  du  pape  représentaient  l'ordre  trinitaire. 

Le  pape  intervient  pour  des  affaires  intéressant  soit  tout 
l'ordre,  soit  un  simple  couvent.  Il  nomme  des  juges  conser- 
vateurs pour  les  provinces  d'Espagne,  afin  d'accélérer  les 
procès  relatifs  aux  biens  légués  pour  la  rédemption  '  (37  sep- 
tembre 1724),  il  confirme  les  indulgences  accordées  à  cette 
œuvre,  aux  chapelles  pourvues  d'un  autel  privilégié;  il  accorde 
aux  rédempteurs  l'usage  de  l'autel  portatif.  Quant  aux  cou- 
vents particuliers,  le  pape  intervient  pour  faire  bénir  leurs 
chapelles  (à  défaut  de  l'ordinaire),  pour  faire  restituer  leurs 
biens  aliénés,  pour  confirmer  quelque  transaction  importante, 
mais  seulement  à  la  demande  des  parties.  S'il  n'est  pas  néces- 
sairement consulté  pour  un  transfert  de  couvent,  il  intervient 
forcément  pour  une  suppression1.  11  accorde  aussi  aux  reli- 
gieux leur  translation  dans  une   autre  congrégation. 

Les  Trinilaires  paraissent  plus  strictement  tenus  en  tutelle 
que  les  ordres  mendiants,  car  ils  ne  peuvent  eux-mêmes 
excommunier  ceux  qui  détiennent  injustement  leurs  posses- 
sions; ils  ne  reçoivent  qu'au  dix-huitième  siècle  le  droit  de 
choisir  des  conservateurs  de  leurs  privilèges,  bien  après 
l'ordre  de  la  Merci. 

L'autorité  du  pape  s'accrut  encore  lorsque,  en  i3oo,  l'ordre 
entier  lui  fut  rattaché  par  V Exemption  ;  mais  il  n'eut  jamais 
le  droit  de  nommer  le  grand-ministre.  Elienne  du  Mesnil- 
Fouchard  s'étant  fait  pourvoir  en  i^i5  par  Jean  XXII,  le 
chapitre  général  n'admit  pas  cette  nomination  et  en  appela 
au  Parlement. 

Les  Statuts  de   1429  rétablirent  bien  l'appel  en  cour  de 

1.  Tables  de  Guerra. 

1.  En  i6a5  il  fait  déguerpir  les  Pères  Je  la  Merci  d'un  couvent  établi 
sans  autorisai  ion  épiscopale. 


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i62  l'ordre    FRANÇAIS   DES   TRINITAIRES. 

Rome  comme  loi  fondamentale  de  l'ordre.  Mais,  très  soucieux 
de  leurs  intérêts,  les  Trinitaires  laissèrent  souvent  ce  prin- 
cipe de  côté  et  prirent  place  parmi  les  religieux  les  plus 
indépendants.  En  i546,  le  général  Nicolas  Musnier  ayant 
fait,  en  cour  de  Rome,  une  résignation  en  faveur  de  son 
neveu ,  cette  dérogation  aux  Statuts  de  l'ordre  ne  fut 
pas  admise,  et  le  bénéficiaire  dut  renoncer  à  ses  préten- 
tions. 

Les  Trinitaires  furent  assez  habiles  pour  se  faire  confirmer, 
par  le  pape,  leur  indépendance  à  l'égard  du  pouvoir  laïque1 
au  point  de  vue  de  l'élection  des  supérieurs.  Ce  n'était  pas 
dans  l'intention  d'être  plus  soumis  au  pape  ou  à  ses  Congré- 
gations, dont  le  rôle  devait  être  si  important  au  dix-septième 
siècle.  Leurs  relations  avec  le  pape  sont  pleines  de  souplesse, 
empreintes  de  trop  d'habileté  en  la  forme  et  de  peu  de  res- 
pect au  fond.  Cette  tendance  n'explique-t-elle  pas  pourquoi 
les  papes  furent  si  portés,  au  seizième  et  au  dix-septième 
siècle,  a  combler  les  Trinitaires  espagnols,  plus  obéissants,  de 
faveurs  qu'ils  refusaient  à  ceux  de  France  ou  ne  leur  accor- 
daient que  tardivement? 

Le  général,  aussitôt  élu,  prend  possession  de  sa  charge 
sans  avoir  besoin  de  la  confirmation  du  pape;  c'est  là  un 
axiome  chez  les  Trinitaires.  11  arriva  toutefois,  au  début  du 
dix-septième  siècle,  que,  devant  le  mécontentement  des  pro- 
vinces étrangères,  les  généraux  élus  en  France,  Louis  Petit 
(i(ïi2),  Claude  Ralle  (i653),  Pierre  Mercier  (t65ô),  deman- 
dèrent la  confirmation  pontificale  et  l'obtinrent,  avec  le  litre 
de  visiteur  apostolique.   Certes,   c'était  un  acte  de  prudence 

t.  Par  contre,  Charles-Quint  s'était  fait  conférer  un  induit,  déclarant  que 
personne  ne  oouviiit  èire  pourvu  d'un  béiiclîcc  qu'à  sa  nominal  ion.  (Pièce  132, 
relative  à  Jacques  bourgeois). 


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Les  Trinitaires  et  le  pape.  i63 

politique,  mais  n'étail-îl  point  à  craindre  que  la  confirmation 
demandée  fût  refusée?  Voila  l'inconvénient  auquel  on  ne 
"togea  pas  d'abord. 

Les  Trinitaires  paraissent  avoir  été  injustes  pour  la  cour  de 
'tome,  à  l'occasion  de  la  conduite  qu'elle  tint  à  leur  égard 
pendant  la  seconde  moitié  du  dix-septième  siècle.  Ils  avaient, 
d'ailleurs,  sur  les  bulles,  une  idée  absolument  fausse,  les 
considérant  comme  des  privilèges  perpétuels  et  irrévocables 
(j'entends  les  bulles  non  d'indulgences).  Or  il  peut  se  glisser 
des  erreurs  même  dans  une  bulle  pontificale.  A  propos  de 
rémunération  des  papes  dans  les  lettres  de  leurs  successeurs, 
l'auteur  du  Bullaire  remarque  à  la  page  3i8  que  Célestîn  IV, 
Grégoire  X,  Alexandre  V,  Jules  111  sont  complètement  omis 
dans  son  recueil,  soit  que  les  bulles  aient  disparu  (j'en  ai 
pourtant  trouvé  une  de  Grégoire  X  et  une  de  Jules  III),  soit 
que  te  pape  se  soit  (rompe  en  les  citant  comme  bienfaiteurs 
des  Trinitaires.  Je  crois  inutile  de  rappeler  les  erreurs  des 
scribes  et  surtout  celles  du  Martyrologe  romain.  Mais  c'est  la 
conception  même  d'une  bulle  que  les  Trinitaires  paraissent 
* >oir  mal  comprise.  Rarement  le  pape  parle  molu  proprt'o; 
presque  toujours,  il  écrit  d'après  l'exposé  des  parties,  ce 
qu'indiquent  fort  bien  aieat  oestra  petitio  contt'nebat  et 
«cul  asseritis.  Cela  veut  dire  que  la  cour  de  Rome  n'af- 
firme rien  et  que,  si  elle  a  été  trompée  par  un  faux  exposé, 
elle  peut  révoquer  le  privilège.  On  sait  quel  rôle  ont  joué  les 
bulles  «  subreptices  »  et  «  obreptices'  «  dans  les  polémiques 
enire  ordres  religieux.  Les  Trinitaires  du  Nord  s'étaient  assez 
plaints  des  bulles  sujbreptices  obtenues  par  leurs  adversaires 

i.  Certaines  bulles  sont  ainsi  qualifiées  parce  que  les  adversaires  prélen- 
ilenl  que  l'exposant  a  dissimulé  ou  omis  de  signaler  un  fait  qui  lui  serait 
filEavonble. 


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r64  LOHDRB    FRANÇAIS    DES   TRINITaIRES. 

les  Réformés;  on  pouvait  leur  faire  subir  la  peine  du  talion 
en  suspeclanl  les  leurs. 

El  pourtant,  la  cour  de  Rome  n'est  jamais  disposée  à 
pousser  à  bout  les  religieux.  Elle  fait  ce  qu'elle  peut  pour 
éviter  les  causes  de  conflits  entre  eux.  Les  Pères  de  la  Merci 
s'étant  plaints  de  quelques  assertions  contenues  dans  une 
Vie  de  saint  Jean  de  Matha,  par  Macedo,  le  pape  décide  que 
les  pages  i55  à  i58  n'en  seront  réimprimées  qu'après  avoir 
été  corrigées.  La  seconde  édition,  publiée  a  Lembergen  17^8, 
supprima  .tout  le  chapitre.  Les  deux  ordres  de  la  Trinité  et  de 
la  Merci  s'étant  disputé  le  litre  de  Rédempteur,  le  pape  leur 
imposa  un  silence  perpétuel,  punition  très  dure  pour  des  reli- 
gieux. C'est  également  à  cette  solution  qu'il  voulait  s'arrêter 
vis-à-vis  des  prétentions  des  Trinilaires  d'Espagne,  jaloux 
de  ceux  de  France;  nous  verrons  dans  la  suite  que,  s'il  ne 
le  fît  pas,  ce  ne  fui  point  par  sa  volonté,  mais  à  cause  des 
faules  des  Français  ;  car,  dès  qu'il  le  put,  il  rendit  sa  faveur 
au  général. 

Le  manuscrit  afin)  du  fonds  Oltoboni  contient,  aux  folios 
126-140,  un  projet  de  réforme  de  l'ordre  de  la  Trinité,  pré- 
senté par  des  cardinaux,  sur  la  demande  de  Philippe  II.  Le  plus 
grand  obstacle  paraît  avoir  été  la  iriennalité  des  ministres 
qui  porterait  préjudice  aux  droits  du  général.  Les  annotations 
au  projet  de  bref  portent  d'ailleurs  la  marque  d'un  esprit 
libéral  et  conciliant.  Le  pape  conseille  de  réformer  les  cou- 
vents pluuït  que  de  les  supprimer,  de  ne  déplacer  les  reli- 
gieux qu'en  cas  de  scandale  et  de  spécifier  celles  des  pro- 
vinces espagnoles  auxquelles  celle  réforme  s'appliquera.  Les 
principales  idées  exprimées  dans  ce  projet  ont  passé  dans 
les  Constitutions  des  Trinilaires  Déchaussés  d'Espagne,  qui 
avaient  franchement  adopté  la  règle  primitive.  Ils  ne  reçurent 


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LES    TRINITAIRE9    ET    LE    PAPE.  1 65 

an  général  indépendant  qu'en  i636,  alors  qu'ils  avaient  été 
fondés  en  i5ga,  tant  le  pape  respectait  les  autorités  établies! 
Il  ne  permit  jamais  aux  Réformés1  d'avoir  un  général  dif- 
férent de  celui  des  Trinilaires  Chaussés,  parce  qu'il  y  avait 
entre  eux  une  simple  nuance  dans  l'observation  de  la  règle 
modifiée.  Concluons  qu'il  fut  aussi  impartial  que  possible  à 
l'égard  des  Français. 

Le  pape  intervient  dans  les  affaires  des  Trinitaires  du  Midi 
par  l'intermédiaire  du  vice-légat  d'Avignon.  Le  17  août  i4g,3, 
André  de  Grimaldi  confère  à  Geoffroy  Amédée  l'adminis- 
tration de  l'hôpital  de  Lorgues  (Var),  vacante  par  suite  d'une 
résignation1.  Au  début  du  dix-septième  siècle,  il  est  sans  cessa 
question  du  vice-légat,  auquel  en  appellent  les  Réformés, 
notamment  dans  l'affaire  des  processions  d'Arles.  Le  général, 
Louis  Petit,  ne  veut  pas  reconnaître  ses  sentences,  parce  que, 
résidant  à  Avignon,  il  est  étranger  à  la  France.  Des  cardi- 
naux sont  plus  d'une  fois  délégués  apostoliques  pour  réformer 
l'ordre  trinîtaîre. 

En  Espagne,  le  nonce  est  de  même  le  délégué  du  pape.  Il 
travaille  puissamment  à  la  formation  de  la  province  Déchaus- 
sée, choisit  son  premier  visiteur,  intervient  auprès  des  évé- 
ques  pour  favoriser  l'érection  de  nouveaux  couvents  et  juge 
les  procès  des  religieux.  Il  se  mêle  même  un  peu  trop  de 
l'élection  du  provincial  de  Castille,  Francisco  de  Arcos.  C'est 
enfin  le  nonce  qui  garda,  plusieurs  années,  dans  son  palais  de 
Madrid,  le  corps  de  saint  Jean  de  Malha,  comme  le  rapporte 
le  pape  Benoît  XIV  dans  son  traité  De  canonisât ione  Sanc- 
torum. 


1.  Il  les  avait  vainement  exhortes  à  embrasser  lu  règle  primitive. 
a.  Trinilaires  de  Marseille,  pièce  5a  (liasses). 


WUzedty  G00gle 


CHAPITRE  II. 


Les  Trlnitaires  et  les  rois  de  Franoe. 


A  part  le  couvent  de  Fontainebleau,  on  ne  voit  pas  que  nos 
rois  soient  jamais  intervenus  personnellement  pour  fonder  un 
couvent  trinitaire-  Leurs  rapports  avec  nos  religieux  ne  con- 
sistent, en  général,  que  dans  l'amortissement  et  la  sauve- 
garde. Par  une  ordonnance  de  1375,  Philippe  le  Hardi  déclara 
que  l 'amortissement  serait  réclamé,  pour  les  possessions  acqui- 
ses depuis  trente  ans,  et  que  te  droit  à  payer  serait  le  revenu 
de  deux  ans,  si  l'acquisition  était  gratuite,  de  trois  si  elle  était 
faite  à  titre  onéreux'.  Ces  frais  étaient  réduits  au  revenu 
d'un  et  de  deux  ans,  respectivement,  pour  les  possessions 
ecclésiastiques.  Les  archives  des  Trinitaires  contiennent  nom- 
bre d'invitations  à  payer  ce  qu'ils  doivent  pour  les  frais  d'amor- 
tissement. Le  i3  octobre  i385,  Charles  VI  déclara  qu'il  avait 
été  ordonné  par  son  Conseil  qu'il  ne  se  ferait  pas  d'amortisse- 
ments avant  sa  majorité  et  suspendit  la  recherche  de  ces  droits 
jusqu'à  cette  même  époque3. 

Autant  qu'il  est  possible  de  fixer  une  périodicité  au  paie- 
ment de  ces  frais,  on  peut  dire  que  les  tournées  des  préposés 

1.  Langlois,  Le  règne  de  Philippe  le  Hardi,  pp.   i'A-j-zSS.   L'i 
sèment  est  un  droit  a  payer  pour  toute  nouvelle  acquisition, 
a.  Registre  66  des  Trinitaires  de  Toulouse,  p.  6g. 


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LES    TRINITÀIRES    ET    LES    ROIS    DE    FRANCE.  1 67 

avaient  lieu  tous  les  quarante  ou  cinquante  ans.  Les  religieux 
de  M  eaux  Turent  dispensés  de  taxe  en  rS^3  pour  les  legs 
n'excédant  pas  12  sous  tournois'. 

Au  quatorzième  siècle,  la  justice  royale  se  fait  respecter  par 
les  justices  ecclésiastiques  et  désirer  par  les  justiciables.  On 
demande  au  roi  sa  protection,  parce  qu'on  en  connaît  l'effi- 
cacité. Le  roi  réprime,  à  la  demande  du  ministre  de  l'Hôtel- 
DieudeMeaux,  les  empêchements  apportés  au  droit  de  pèche 
des  Trinilaires  par  un  procureur  trop  zélé.  En  1401')  cet 
Hôtel-Dieu  reçoit  la  permission  de  faire  placer  les  armes  royales 
sur  ses  possessions,  ce  qui  était  la  marque  extérieure  de  la 
sauvegarde.  C'est  au  nom  du  roi  que  le  prévôt  de  Paris,  le 
10  octobre  i55o,  défend  aux  justiciers,  péagers,  gabeleurs 
de  ne  rien  dire  d'offensant  contre  le  ministre  de  Clermonl, 
sous  peine  de  100  marcs  d'argent  d'amende  à  partager  enlre 
le  roi  et  le  minisire  qui,  en  vertu  de  ces  lettres,  avait  ses 
causes  commises  au  Châlelet3. 

L'intervention  royale  s'étend  bientôt  aux  permissions  de 
quêter 4,  d'abord  données  par  le  pape  et  les  évéques  seuls, 
puis  par  le  Parlement.  Comme  le  pape,  le  roi  en  arrive  à 
donner  aux  Trinilaires  des  confirmations  générales  de  biens. 
Aussi  le  pouvoir  laïque,  d'abord  considéré  comme  une  déli- 
vrance du  joug  épiscopal,  va-t-il  devenir  dangereux.  Les  Tri- 
nilaires obtiennent,  le  10  mai  1 564*  une  déclaration  portant 
•  qu'aucun  prieuré,  ministrerie  et  autres  biens  et  bénéfices, 
desquels    ta    présentation    appartenait    au    général-ministre, 


i-  Archives  nationales,  K  192,  11°  39. 

2.  ibid. 

3.  Archives  de  l'Oise,  Trinitaires  de  Clermonl,  i4a  liasse. 

4-  Lettre  de  Louis  XI  pour  les  Trinilaires  d'Arles  (dans  leurs  archives, 
pike  171,  3  juin  i4-V). 


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]68  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRIBUTAIRES. 

n'était  compris  dans  les  édits  faits  sur  les  hôpitaux,  el  ne 
serait  sujet  à  être  gouverné  par  aucune  communauté  des 
villes,  bourgs  el  bourgades  »  ;  ils  provoquent,  le  i5  jan- 
vier 1569,  une  autre  déclaration  affirmant  qu'ils  ne  sont  pas 
compris  dans  l'édit  ordonnant  l'aliénation  des  biens  ecclésias- 
tiques; enfin,  en  décembre  i5o4,  une  dernière  déclaration 
disant  que. les  ministérîats  et  «  généralité  »  sont  électifs  el  non 
à  la  nomination  du  roi  '.  Mais  déjà  l'autorité  du  roi  pour  faire 
des  nominations  dans  l'Ordre  avait  été  discutée  en  i5^6,  à 
cause  de  la  provision  obtenue  du  pape ,  à  la  demande  du 
roi,  par  Philippe  Musnier.  Les  Trinitaires  ne  pouvaient  être 
contraints  d'obéir  aux  lettres  royales,  dit  Jacques  Bourgeois; 
les  ministres  de  Flandre,  sujets  du  roi  d'Espagne,  ne  dépen- 
daient pas  de  la  France,  et  c'est  sur  les  bénéfices,  non  sur  les 
offices  ecclésiastiques,  que  le  roi  de  France  réclama  son  droit3. 
En  1 5 G 8- 1  :"i 7 u  eut  lieu  un  grand  procès,  au  sujet  de  la  minis- 
trerie  des  Matliurius,  entre  Jean  Morel,  élu  par  les  religieux 
capitulants,  et  François  Petit,  qui  s'y  prétendait  promu  par 
le  roi3.  Le  général  de  l'ordre,  Bernard  Domînici,  intervînt 
assez  inutilement  en  faveur  de  Jean  Morel  et  traita  le  pro- 
tégé royal  de  la  manière  la  plus  violente.  Il  demanda  si  le 
roi  n'avait  pas  été  trompé  par  quelque  favori,  au  point  de 
ne  plus  se  rappeler  la  déclaration  de  l'indépendance  de  l'ordre, 
faite  dix  ans  auparavant.  Nous  n'avons  du  procès  que  les  ana- 
lyses de  quelques  pièces,  et  quelques  fragments  du  factum  de 
Bernard  Dominici.  Tout  nous  porte  à  croire  qu'if  y  eut,  dès 
lors,  entre  les  Mathurins,  leur  ministre  François  Petit  et  le  roi 
une  étroite  alliance. 

1.  Collection  canonique,  col.  0JS1,  1270. 

2.  Claude  Hocha  rd,  Antiquités  de  Meaii.T  (manuscrites),  1. 1",  p.  3 12. 

3.  Archives  de  Metz,  H  3773,  d°  i,  et  Arch.  nul.,  LI.  1  545,  p.  a. 


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ET    LES    ROIS    DE    FRANCE.  IOO 

Mais  la  main  qui  protège  peut  frapper  aussi,  elles  Trini- 

laires  eurent  bien  des  occasions  de  s'en  apercevoir.  Autrefois, 

Philippe  le  Bel  était  intervenu  en  faveur  de  ses  chapelains  de 

Fontainebleau  afin  de  les  faire  exempter  de  la  juridiction  de 

l'archevêque  de  Sens  (i3o5).  François  Ier,  pour  agrandir  son 

château,  en  décembre  1529,  comme  il  a  été  dit,  expropria  «  la 

galerie  qui  allait  à  leur  couvent,  leur  jardin,  leur  clos,  leur 

étang  et  vivier,  et  la  maison  du  chapelain1  ».  En  1660,  ce  fut 

bien  pire.  Louis  XIV  avait  quelques  raisons  d'être  mécontent 

du  P.  Le  Bel3,  ministre  des  Trinitaires,  dont  l'attitude,  au 

moment  du  meurtre  de  Monaldeschi  par  ordre  de  Christine 

de  Suède,  avait  été  quelque  peu  embarrassée.  L'archevêque 

de  Sens  avait  précisément  alors  de  nouveaux  démêlés  avec  les 

Trim'laires  au  sujet  du  droit  de  visite3.  Le  roi  retira  à  nos 

religieux  la  cure  de  Fontainebleau  et  l'érigea  en  paroisse  pour 

les  Pères  de  la  Mission  ou  Lazaristes.  L'indemnité  que  ceux-ci 

pat'éreni  aux  curés  primitifs  (titre  gardé  par  les  Trinitaires) 

fut  fixée  à  1,100  livres,  par  arrêt  du  2  août  1666 4. 

Au  moment  précis  où  Louis  XIV  protégeait  vigoureuse- 
ment les  Trinitaires  de  France  contre  les  entreprises  des  pro- 
vinces étrangères,  il  persécutait  tout  spécialement  le  P.  Nico- 
las Campaigne,  provincial  de  Languedoc.  On  ne  sait  exacte- 
ment la  cause  de  cette  rancune  royale;  une  chose  du  moins 
est  certaine,  c'est  sa  persistance.  Dès  i685,  ce  ministre  est 
puni  par  Pierre   Mercier,   général  de  l'ordre,  pour  avoir  en- 

1.  Archives  de  Seine-et-Marne,  Inventaire,  H  ia5. 
1.  I!  devint  ensuite  ministre  de  Verberie. 

3.  Hsrbkt,  Démêlés  de*  Matharins  de  Fontainebleau  aoec  l'archeuéque 
de  Sou,  1696. 

4.  Inv.,  H  132.  a  11  avait  suffi,  dit  fort  bien  cet  auteur,  que  la  main  du 
roi  parut  se  retirer  des  Trinitaires  pour  qu'aussitôt  tout  le  monde  les  aban- 
donnât.  » 


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17°  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRU1ITAIRËS. 

voyé  étudier  deux  novices  hors  du  couvent  de  Toulouse.  Il  est 
déposé  et  exclu  de  toutes  charges;  on  ne  lui  permet  que  la 
prédication  (1689).  Le  Père  de  La  Chaise,  en  169a,  maintient 
les  peines,  ordonnées  par  le  roi,  malgré  un  vœu  d'amnistie 
présenté  par  le  chapitre  provincial,  et  demande  même  qu'on 
surveille  Basile  Campaigne,  le  frère  du  P.  Nicolas,  nommé 
ministre  de  Toulouse'.  L 'ex-provincial  devait  rentrer  en  grâce 
lors  du  chapitre  de  1703. 

Dans  le  Midi  également ,  des  Trinitaires  se  mirent ,  par 
leur  négligence,  dans  le  cas  d'être  supprimés.  Les  Déchaussés 
s'étaient  établis  A  Marseille,  en  1684,  sans  en  avoir  obtenu  la 
permission  par  lettres  patentes.  Le  roi  supprima  cet  établis- 
sement, le  10  mai  (688,  et  l'évêque  ordonna  aux  religieux, 
le  1"  juin,  de  sortir  de  leur  couvent.  Ils  se  soumirent,  et  le 
i3  septembre  1689  l'évêque  les  autorisa  de  son  chef  à  s'éta- 
blir au  même  endroit,  à  condition  de  rapporter  des  lettres 
patentes,  qui  ne  vinrent    qu'en   décembre  17281. 

L'intervention  royale  se  manifestait  dans  les  plus  petits  dé- 
tails. Le  12  février  1708,  un  Trinitaire  de  Pontoise,  le  P.  Des 
Lions,  était  allé  porter  à  Paris  !\oa  livres  pour  payer  des  four- 
nisseurs; il  perdit  cet  argent  au  jeu,  et  s'engagea  dans  les 
chevau-légers  de  Berry.  Le  i5  mars,  par  sentence  du  P.  Ignace 
Dîlloud,  provincial,  il  fut  condamné  par  contumace  à  six 
mois  de  prison,  à  la  privation  des  ordres  et  de  la  voix  active 
pendant  cinq  ans.  Pour  effacer  ces  punitions,  il  suffit  que  le 
ministre  de  la  guerre,  Voisin,  écrivît  qu'on  le  reçut  bien*. 

La  mainmise  royale  se  marquait  par  la  présence  au  cha- 
pitre général  de  commissaires  royaux.  Les  détails  de   ces 

1.  Pièces  a3 1,  23s,  233. 

2.  L'antiquité  de  l'église  de  Marseille,  I.  II],  p.  485. 

3.  Registre  capitulnire  de  Pontoise,  Fol.  9-i4- 


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LES    TRIBUTAIRES    ET    LES    ROIS    DE    FRANCE.  I7I 

assises  solennelles  n'ayant  été  publiés  dans  leur  intégralité 
que  depuis  i635,  nous  ne  savons  pas  A  quelle  date  remonte 
cette  coutume.  En  tous  cas,  dès  i^th,  nous  voyons  un  huis- 
sier royal  interdire  à  Etienne  du  Mesnil-Fouchard  de  con- 
server la  présidence  du  chapitre.  Le  commissaire  royal 
de  i635  marqua  beaucoup  de  partialité  pour  les  Trinitaires 
Réformés.  ' 

Le  cardinal  de  Fleury  dut  rappeler  aux  Réformés,  le  i4  mai 
1737,  qu'ils  ne  pouvaient  modifier  leurs  constitutions  sans  la 
permission  du  roi'. 

On  voit  que  la  protection  n'élait  point  aux  yeux  du  roi  une 
sinécure,  et,  plus  d'une  fois,  certains  édits,  comme  celui  de 
[768  sur  la  conventu alité,  frappèrent  cruellement  les  Trini- 
laires. 


1.  Registre  capitulairc  n°  i3  des  Trinitaires  de  Marseille,  p.  : 
o  arrivait  h  surveiller  toute  la  discipline  monastique.  Il  ne  tint 
a  tutelle  les  rédempteurs  de  captifs,  comme  nous  le  verrons. 


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CHAPITRE  III. 


Les  Trinitaires,  les  évoques  et  les  curés. 


Nous  avons  vu  les  conditions  de  fondation  un  peu  dures 
que  les  évêques  avaient  imposées  aux  couvents  trinitaires. 
La  soumission  complète  des  religieux  y  était  parfois  prévue, 
comme  à  Digne,  où  l'évèqiic  nommait  le  ministre  en  cas  de 
vacance.  Mais,  en  général,  il  n'était  question  que  du  droit  de 
visite  et  de  l'assistance  aux  synodes. 

Dès  le  début  du  quatorzième  siècle,  l'ordre  des  Trinitaires 
fut  soustrait  A  l'autorité  des  évéques  et  rattaché  au  pape  par 
l'exemption.  L'archevêque  de  Sens,  très  jaloux  de  ses  préro- 
gatives, avait  des  démêlés  au  sujet  du  droit  de  visite  avec  les 
Trinitaires  chapelains  de  Fontainebleau.  Philippe  le  Bel 
s'adressa  à  Clément  V,  nouvellement  élu  au  pontificat  ;  le 
pape  exempta  le  couvent',  comme  chapellenie  royale,  de 
l'autorité  du  métropolitain  et  chargea  Févêque  de  Senlis  d'ab- 
soudre les  Trinitaires  des  censures  édictées  contre  eux  par 
l'archevêque  de  Sens  (i"  janvier  i3o6).  Le  bénéfice  de 
l'exemption  de  l'ordinaire  fut  étendu  à  l'ordre  tout  entier 
par  une  bulle  du  rg  septembre  i3o8,  confirmé  plusieurs  fois, 

i.  Le  P.  Dam,  Le  Trésor  des  merveilles  de  Fontainebleau,  pp.  307-109, 
CHAMPOLLEOtt-FiGiAc,  itsEs  ses  Privilège*  de  la  couronne,  donne  la  date 
inexacte  du  1er  janvier  i3^3. 


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LES   TRINITAIRES,    LES    ÉVEQUES    ET    LES    CURES.  1 73 

notamment  par  Eugène  IV  en  i435,  par  Pie  II  en  t4&9  S  et 
enfin,  à  la  demande  de  Gaguin,  étendu  aux  serviteurs  de 
l'ordre  par  Innocent  VIII  (mai  i485).  C'est  en  vertu  de 
celle  bulle  que  Pierre  Mercier,  général  de  l'ordre,  protesta 
contre  un  recteur  de  Flandre  qui  revendiquait  les  domesti- 
ques du  couvent  d'Audregnies  comme  étant  ses  paroissiens' 
(r6raars  1672). 

Il  ne  faut  pas  s'exagérer  l'importance  pratique  de  ce  privi- 
lège. Les  exempts  pouvaient  se  trouver  sounis  aux  mêmes 
obligations  que  les  non-exempts;  comme  eux,  ils  étaient  con- 
voqués aux  synodes  de  l'archevêque  de  Sens,  qui  leur  délivrait 
ensuite  des  lettres  de  non-préjudice  pour  l'avenir,  c'esl-à-dire 
que  cette  exception  était  censée  ne  point  déroger  à  leurs  pri- 
vilèges, lout  en  les  abolissant  peu  à  peu. 

Celte  question  n'est  spéciale  ni  au  Moyen-âge  ni  à  la 
France.  Diverses  congrégations  refusant,  en  raison  de  leur 
relâchement  omisse  medio  au  Saint-Siège,  de  se  soumettre  à 
l'évèque  diocésain,  ont  pu  parfois  mieux  aimer  quitter  leurs 
auvents  que  déroger  sur  ce  point  à  leurs  statuts.  Il  ne  faut 
nen  conclure  de  ces  conflits  ordinaires  relativement  à  la  dis- 
"P'ine  de  l'Eglise  catholique.  Ainsi,  au  quatorzième  siècle, 
flous  voyons  une  levée  de  boucliers  des  Trinilaires,  Domi- 
nicains, Frères  Mineurs  de  Douai  contre  l'interdit.  L'of- 
ficial  toléra  qu'ils  célébrassent  leurs  offices  les  portes  fer- 
mées, mais  l'archevêque  de  Reims,  indigné  de  ce  subterfuge, 
lança  l'excommunication  contre  eux;  devant  les  murmures 
des  Douaisieos,  les  religieux  demandèrent  pardon  à  l'arche- 
vêque, qui   les  réprimanda   vivement  et  l'interdit  fut  levé3 

1.  Gattia  Ckrittiana,  Instrumenta,  t.  VIII,  col.  5G5. 

1.  Archives  de  J'Etat  belge  à  Moue,  Trinilaires  d'Audregnies. 

3.  TWliah,  Chroniques  rie  Douai,  t.  I,  p.  367. 


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Ijk  L'ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIHEK. 

(i337).  Les  exempts  devaient  donc  carder  t'interdit  aussi  bien 
que  les  autres. 

Le  droit  de  visite  sur  les  hôpitaux  était  fortement  établi. 
L'archevêque  d'Arles,  Jean  Ferrier,  au  lendemain  de  sa  pré- 
sence à  In  translation  des  reliques  de  saint  Roch,  se  le  vit  dé- 
nier quelque  peu  brutalement  par  le  ministre  Jean  de  Horreo. 
Ce  religieux,  dont  le  P.  François  Porchier,  historien  d'Arles 
estimé,  fait  un  éloge  enthousiaste',  aima  mieux  se  laisser 
mettre  à  plusieurs  reprises  en  prison,  chaque  fois  pour  vingt- 
quatre  heures,  que  de  céder.  Devant  un  adversaire  aussi  ré- 
solu, l'archevêque  transigea  et  décida  que  les  religieux  seraient 
seulement  appelés  aux  synodes. 

L'évêque  d'Arras,  Gui  de  Sève,  étant  disposé  à  conférer  aux 
Trinitaires  la  cure  de  Saint-Nicaise,  le  P.  Denis  Casse! a,  leur 
ministre,  déclina  cette  proposition  plutôt  que  de  lui  donner 
un  prétexte  à  visiter  le  couvent. 

L'évêque  partage  avec  le  grand-ministre  ou  son  délégué  la 
nomination  à  certains  prieurés-cures  annexés  à  l'ordre,  et 
c'est  lui  qui  doit  donner  des  mandements  pour  la  qtiéle  des 
captifs.  Il  est  souvent  choisi  par  le  roi  pour  présider  des  cha- 
pitres généraux  ou  provinciaux.  L'évêque  de  Meaux,  au  dix- 
septième  siècle,  intervient  puissamment  pour  la  réforme  de 
l'ordre,  mais  seulement  en  son  nom  personnel. 

Les  Trinitaires  ne  craignent  pas  d'entrer  en  lutte  avec  l'or- 
dinaire au  sujet  des  processions.  Leur  résistance  à  Arles  dura 
de  i58o  à  i646.  Tout  à  coup,  ils  se  décident  à  aller  à  ces 
cérémonies,  auxquelles  ils  n'ont  jamais  paru;  seulement 
comme  ils  ont  été  fondés  dans  cette  ville  dès  iao3,  ils  récla- 


.  Pipce  109. 

.  Voir  aussi  /s*  Rues  d'A  m 


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LES    TRINITAIRES,    LES    EVÊQUES    ET    LES    CURES.  I -]5 

ment  1»  préséance  sur  les  ordres  mendiants.  L'archevêque 
la  leur  refuse.  Ils  concluent  une  convention  spéciale  avec  les 
Dominicains,  leur  cédant  la  préséance,  sauf  pour  les  jours  de 
fêtes  trinitaires  ' .  Us  font  agir  en  leur  faveur  le  général  de 
l'ordre,  Louis  Petit,  avec  qui  pourtant,  comme  Réformés,  ils 
étaient  en  mauvais  termes.  L'archevêque  les  condamne  :  ils 
en  appellent  au  vice-légat  d'Avignon;  condamnés  par  le  vice- 
légat,  ils  en  appellent  au  pape.  Toujours  condamnés,  ils  ren- 
trent dans  leur  couvent. 

De  même,  en  17^9,  les  Trinitaires  de  Marseille  se  font  dis- 
penser des  processions,  parce  que  Fancienneié  n'y  est  pas 
observée  et  que  l'habit  des  chanoines  réguliers  "qu'ils  viennent 
d'adopter  étonnerait  le  peuple1. 

Les  rapports  avec  les  curés  ne  concernent  guère  que  des 
questions  de  sacrements,  de  messes  et  encore  de  processions. 
Les  religieux  étaient  exempts  de  la  juridiction  du  curé  comme 
de  celle  de  l'évoque,  mais  les  conditions  locales  les  empê- 
chaient parfois  de  s'y  dérober.  En  1^92  et  en  1671,  l'archi- 
prétre  de  Saint-Séverin  vint  au  couvent  des  Malhurins  de 
Paris  conférer  le  baptême  à  deux  Sarrasins,  déclarant  qu'il 
ne  le  faisait  que  parce  qu'il  n'y  avait  point  dans  le  couvent 
de  quoi  administrer  ce  sacrement.  Ayant  lui-même  inhumé 
Mathurin  Le  Beau,  procureur  au  Parlement,  il  avoue  n'avoir 
agi  que  par  la  permission  des  religieux  et  pour  satisfaire  à 
la  volonté  du  défunt3. 

Les  conflits  avec  les  curés  furent  fréquents  en  Bretagne.  Le 
doyen  de  Béré,  près  Châteaubriant,  vient  par  condescendance 
célébrer  la  grand'messe  chez  les  Trinitaires,  le  jour  de  la  Tri- 

1.  Pièces  justificatives  copiées  par  Mor  treuil  (BihI.  Nat.,11.  acq.  iat.  i3t>7). 
3.  Trinitaires  de  Marseille,  registre  8,  p.  48. 
3.  Arch.  Nat.,  LL  i545,  p.  ai. 


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176  l'ordre  FRANÇAIS  DES  ' 

riité,  en  172λ,  sans  prendre  d'engagements  pour  l'avenir*. 
Un  de  ses  successeurs  déclame  0  contre  cette  démangeaison, 
qui  n'est  que  trop  naturelle  aux  communautés,  d'entamer 
toujours  sur  les  autres  et  de  ne  lâcher  jamais  rien1  ». 

A  Rieux,  le  recteur  Abhamon  eut  beaucoup  à  se  plaindre 
des  Trinitaires,  au  sujet  desquels  il  rédigea  des  petites  notes 
malveillantes.  Il  déclare,  sans  ambages,  «  qu'il  ne  faut  jamais 
se  mêler  avec  les  moines  »  et  que  le  couvent  devait  être  trans- 
féré dans  une  grande  ville  «  où  les  religieux  auraient  plus  de 
témoins  de  leur  conduite  !  »  D'ailleurs,  l'ordre  trinitaire  «  est 
un  corps  entièrement  pourri  dont  il  faudrait  purger  la  terre3  »  ! 

Sans  doute,  l'expression  est  excessive,  mais  nous  avons 
assez  de  preuves  que  les  Trinitaires  furent  peu  sociables  et 
n'excitèrent  pas,  chez  leurs  collègues  du  clergé  séculier,  tou- 
jours défiants  vis-à-vis  des  réguliers,  de  bien  vives  sympathies. 

1.  Loire-Inférieure,  Inv.,  H  475. 

ï.  Ibid.,  Eiî53. 

3.  Morbihan,  Archives  communales,  E  supplément.  Rieux,  E  98  cl  suiv. 


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GHAPITRE  IV. 


L'expansion  de  l'ordre  en  France. 


Le  développement  de  l'ordre  de  saint  Jean  de  Matha  fut 
rapide.  Albéricdes  T rois-Fontaines  écrivait  vers  ta^o  :  «  ffa- 
bent  conventus  ultra  sexcentos.  »  Sans  doute,  ce  terme  de  six 
cents  en  latin  se  prend  comme  notre  mot  «  mille»,  mais  on 
peut  citer  deux  cents  couvents,  acquis  en  moins  d'un  siècle 
en  France,  en  Espagne  et  en  Grande-Bretagne.  Par  contre, 
on  ne  sait  comment  interpréter  cette  métaphore  d'une  butle 
du  12  juillet  1209,  reproduite  dans  le  Bullaire  et  reprise  par 
Juhel,  archevêque  de  Tours,  dans  les  lettres  de  recommanda- 
lion  imprimées  par  Martène1,  0  qu'ils  étendent  leurs  branches 
d'une  mer  à  l'autre  ».  L'existence  de  couvents  trinitaires  en 
Palestine  ou  à  Chypre  est  assez  problématique,  et  il  est  pro- 
bable que  le  pape  veut  faire  seulement  allusion  aux  rédemp- 
tions de  captifs  d'outre-mer  opérées  par  l'ordre  nouveau. 

En  France,  l'ordre  prit  un  développement  tel  que  notre  pays 
eu  devint  pour  ainsi  dire  le  cœur.  Saint  Jean  de  Matha  n'était 
pourtant  pas  Français  de  naissance.  S'il  vint  à  Paris,  ce  ne 
fut  qu'après  avoir  étudié  à  l'Université  d'Aix,  selon  la  tradi- 
tion. Il  établit  personnellement  des  couvents  à  Marseille  et  à 

t.   Thgsaai-iii  oneedotoram,  I,  1019*  . 


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178  l'ordre  français  des  1 

Arles;  mais  ces  villes  étaient  alors  soumises  à  la  domination 
aragonaise.  C'est  un  prince  aragonais,  Udefonse,  qui  signe  la 
donation  faite  aux  Trimtaires  par  Hugues  de  Baux,  datée  de 
février  1202  et  passée  au  château  de  Fos.  Alors  que  notre 
Midi  seul  (et  Rome)  ont  conservé  des  traces  de  sa  présence, 
des  témoignages  nombreux,  dont  quelques-uns,  à  vrai  dire, 
sont  discutables  dans  les  détails,  nous  montrent  saint  Jean  de 
Matha  en  Espagne,  non  seulement  comblé  de  donations  pen- 
dant sa  vie,  mais  encore  honoré  après  sa  mort1.  On  ne  peut 
citer,  par  contre,  aucun  couvent  fondé  par  le  saint  lui-même 
dans  la  France  du  Nord.  Pourtant,  avant  sa  mort,  l'ordre 
s'était  déjà  répandu  jusqu'en  Flandre. 

La  France  était  un  vrai  centre  d'attraction  pour  les  ordres 
religieux.  L'exemple  de  l'Espagnol  Ignace  de  Loyola  venant 
à  Montmartre  régler  la  fondation  de  son  ordre  est  caracté- 
ristique. La  France  a  donc  bien  le  droit  de  revendiquer  Jean 
de  Matha,  d'abord  comme  docteur  de  Paris  (Alhéric  le  qua- 
lifie de  magister  Joannes  de  Fronda),  ensuite  comme  bien- 
faiteur de  l'humanité  :  en  adoptant  les  idées  généreuses  du 
.  saint  et  en  fournissant  le  principal  noyau  de  ses  couvents, 
elle  les  a  faites  vraiment  siennes. 

Quatre  dates  de  bulles  nous  montrent  les  progrès  de  l'ordre  : 

i°  Le  3  février  1199',  en  plus  de  Gerfroid,  figurent  seule- 
ment les  possessions  de  Planels  (localité  inconnue)  et  de 
Bourg-la- Reine  ; 

Le  10  juillet  120'P,  sont  cités  les  couvents  de  Marseille, 
d'Arles,  de  Saint-Gilles,  de  Lérida,  d'Avingavia,  de  Saint- 
Thomas  de  Formis  à  Rome; 

1 .  Selon  Florez,  il  est  patron  principal  du  diocèse  de  Lérida. 

a.  Palrologie,  CCIX,  5o4- 

3.  Publiée  par  M.  L.  Delisle,  Biàl.  Ecole  des  Chartes,  1873,  p.  4o3. 


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L  EXPASSION    DE    I,  ORDRE    EN    FRANCE.  I  7  ÇJ 

î°  Le  18  juin  12091,  sur  les  trente  couvents  énumérés,  près 
des  deux  tiers  se  trouvent  en  Espagne  ; 

4°  Le  28  février  ia48a,  Innocent  IV  énumère  soixante  cou- 
vents, dont  un  tiers  appartient  à  l'Espagne,  ce  qui  montre  la 
rapidité  de  l'expansion  française. 

L'ordre  a  donc  eu  en  France,  surtout  de  1210  à  12^0  envi- 
ron, une  étonnante  période  de  croissance.  Une  liste  alphabé- 
que  de  ces  couvents,  accompagnée  de  notices,  sera  donnée  à 
la  fin  de  ce  travail;  il  suffira  donc  de  préciser  ici  la  réparti- 
tion géographique  sur  les  différents  points  de  la  France. 

La  piraterie  musulmane  sévissant  dans  la  Méditerranée,  le 
Midi  semblait  devoir  être  le  centre  désigné  de  l'ordre.  Jacques 
de  Vitry  jugeait  d'après  la  saine  raison,  quand  il  disait  que  ce 
centre  était  à  Marseille;  mais  il  ne  tenait  pas  compte  des 
faits,  car  il  n'en  fut  point  ainsi,  le  Midi  ne  comptant  guère 
que  le  quart  du  nombre  total  des  couvents  français'3. 

Les  trois  quarts  des  établissements  français  occupent  dans 
le  Nord  une  région  qui  serait  limitée  par  les  côtes  de  la  Man- 
che, le  cours  moyen  de  la  Loire,  la  Moselle  et  une  ligne  qui 
irait  d'Ostende  à  Trêves. 

Il  suit  de  là  que  les  Trinitaires  de  Flandre  étaient  presque 
tous  en  dehors  de  la  France  ;  seuls  Hondschoole,  Estaires-sur- 
la-Lys,  Douai,  Préavin,  dans  le  bois  de  Nieppe,  et  Arras  ont 
fort  tardivement  appartenu  à  notre  pays.  La  province  de 
Picardie  fut  sujette  à  toutes  les  vicissitudes  de  la  guerre  : 
maintes  fois,  les  ministres  ne  purent  venir  au  chapitre  géné- 
ral, à  cause  du  refus  de  passeport  par  le  roi  d'Espagne.  La 


1    Babon,  pp.  52-54- 

z.  Inédite.  Arch.  nat.,  L  9^7-  J'en  ai  donné  un  extrait,  pièce  10. 
3.  Deux  couvents  étaient  en  dehors  de  la  France  :  Avîfçnon,  fondé  en  i354, 
et  Saint-Etienue-sur-Tînée,  dans  le  comté  de  Nice. 


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180  l'ordre  français  des  trinitairbs. 

situation  devînt  infiniment  délicate  au  seizième  et  au  dix- 
septième  siècle,  quand  la  France  fut  en  état  d'hostilité  per- 
manente avec  l'Espagne.  Un  certain  nombre  de  couvents 
obéissent  au  général  français,  tout  en  étant  sous  la  domina- 
tion du  roi  d'Espagne.  Jacques  Bourgeois  recourt  sans  cesse 
à  Charles-Quint  et  à  Philippe  II,  d'une  part,  et  au  roi  de 
France  d'autre  part.  La  position  des  religieux  de  Flandre 
devait  être  extrêmement  difficile  en  cas  de  schisme.  Préci- 
sément, à  la  fin  du  dix-septième  siècle,  l'Espagne  trouva 
moyen  d'avoir  un  général  particulier;  la  province  de  Picardie 
se  trouva  scindée  en  deux  parties'.  Grégoire  de  La  Forge 
essaya  en  vain  d'implanter  son  autorité  dans  les  Pays-Bas;  il 
ne  put  le  faire  que  lorsque  Philippe  V,  ayant  reçu  par  héri- 
tage le  trône  d'Espagne,  ordonna  à  ses  nouveaux  sujets  des 
Pays-Bas  de  reconnaître  le  général  français. 

On  a  cherché  vainement  la  cause  de  ce  développement  dans 
une  région  où,  d'après  le  but  de  leur  institution,  les  Trini- 
taires  n'avaient  pas  de  raison  d'être.  La  question  de  l'utilité 
de  leurs  couvents  de  Flandre  fut  posée  par  Joseph  II,  à  la 
fin  du  dix-huitième  siècle;  on  lui  répondit  qu'il  y  avait  en 
Barbarie  très  peu  de  captifs  flamands  et  que,  quand  on  les 
rachetait.,  on  n'avait  même  pas  toujours  recours  aux  Trini- 
taires;  cette  réponse  hâta  leur  suppression.  II  n'y  a  donc  à 
l'expansion  flamande,  attestée  par  les  nombreux  actes  qu'A 
publiés  Aubert  Le  Mire,  aucune  raison  plausible.  Cette  pro- 
vince donna  d'ailleurs  à  l'ordre  plusieurs  de  ses  généraux  et 
ses  deux  plus  anciens  chroniqueurs,  Gaguin  et  Bourgeois. 
Douai  fut,  vers  1600,  un  centre  actif  d'historiographie  trini- 
taire1. 

1.  Pièce  247- 

1.   Les  publications  de  linrthélemy  de  Puille,  en  1611,  sur  l'institution  de 


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L  EXPANSION    DE    L ORDRE    EN    FRANCE.  IOI 

Quant  aux  couvents  de  l'Ile-de-France  et  de  Champagne, 
ils  se  groupèrent  naturellement  autour  de  Cerfroid,  leur  ber- 
ceau mystérieux.  Ce  n'est  que  trente  ans  après  la  naissance 
de  l'ordre  que  devait  être  fondé  le  couvent  de  Paris,  le  véri- 
table arbitre  des  destinées  trinitaires,  simplement  parce  qu'il 
était  dans  la  capitale  de  la  France. 

Les  couvents  du  Nord  sont  séparés  de  ceux  du  Midi  par 
un  immense  vide,  qui  ne  fut  jamais  comblé,  entre  Arles  et 
Troves,  par  exemple'  (Lyon  ne  vint  entre  deux  qu'en  i65q), 
de  même  qu'entre  Toulouse  et  Tours.  Cette  division  bizarre 
devait  amener  tôt  ou  tard  la  disjonction  entre  ces  deux  grou- 
pes de  couvents  français,  si  inégaux  d'importance  et  si  étran- 
gers l'un  à  l'autre.  Le  résultat  le  plus  clair  est  le  désintéres- 
sement des  Trinitaires  du  Midi  vis-à-vis  du  gouvernement 
d'un  ordre  qui  avait  son  centre  à  Paris.  Aussi,  nous  sommes 
dans  l'ignorance  complète  de  l'histoire  des  provinces  trini- 
taires du  Midi'avant  le  dix-septième  siècle,  au  point  que  nous 
ne  savons  pas  si  le  Languedoc  et  la  Provence  étaient  sépa- 
rés ou  ne  faisaient  qu'une  seule  province,  ce  qui  est  plus  pro- 
bable. Le  Midi  vécut  d'une  vie  à  part,  et  il  ne  devait  prendre 
quelque  importance  que  le  jour  où  il  serait  poussé  par  les 
religieux  d'Espagne  à  l'assaut  des  privilèges  des  Trinitaires 
du  Nord.  La  cohésion  de  ces  derniers  fut  la  justification  du 
privilège  des  «  quatre  provinces  ». 

Les  couvents  du  Midi  sont  dans  des  villes,  ceux  du  Nord 
sont  surtout  à  la  campagne.  Peut-être  le  Midi  avait-il  des 
villes  plus  florissantes  que  le  Nord,  mais  ce  n'est  évîdem- 

l 'ordre  sont  antérieures  à  celles  de  Claude  Rallc  et   même  plus  intéres- 

i.  A  part  Notre-Dame  de  Limon,  prés  Saînt-Symphorien-d'Ozoa  (Isère), 
qui  ne  fut  qu'uu  prieuré. 


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192  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRIBUTAIRES. 

ment  pas  par  hasard  que  presque  tous  les  couvents  méridio- 
naux sont  dans  des  villes  connues  (Marseille,  Arles,  Mont- 
pellier, Narbonne,  Toulouse,  Castres).  Les  couvents  de  moin- 
dre importance,  comme  Tarascon,  Digne,  Lambesc  (Rouches- 
du-Rhône),  Beaucaire,  Limoux,  Mirepoix,  Cordes  (Tarn), 
Sainl-Gaudens,  Orlhez  sont  au  moins  dans  des  petites  villes. 
Ceux  de  Terraube  (Gers),  de  Lorgnes  (Var),  de  La  Mothe-du- 
Caire  (Hautes-Alpes)  et  de  Saint-La  urent-de-Médoc  font  seuls 
exception,  et  encore,  il  n'est  pas  difficile  de  les  retrouver  sur 
une  carte.  Dans  la  seconde  floraison  trinitaire,  au  dix-sep- 
tième siècle,  nos  religieux  du  Midi  durent  se  contenter,  en 
Provence,  de  prendre  place  dans  de  petits  bourgs,  qui  sont 
aujourd'hui,  pour  la  plupart,  de  simples  chefs-lieux  de  canton. 

Dans  le  Nord ,  au  contraire ,  les  couvents  sont  en  des 
lieux  si  inconnus  que  leur  place  se  voit  à  peine  sur  la  carte. 
Il  faut  souvent  avoir  recours  aux  Dictionnaires  topogra- 
phiques  des  départements ,  et  encore  un  nom  est-il  resté 
introuvable,  celui  de  Belleau,  dans  le  Poitou  '.  Qui  saurait  dire 
du  premier  coup  où  est  Cerfroîd,  le  chef  d'ordre?  Qui  pour- 
rait identifier  facilement  Templeux,  Rouvray,  le  Fay,  Silvelle, 
la  Gloire-Dieu,  la  Poultière?  Ce  sont  de  simples  hameaux, 
maintenant  des  lieux-dits,  dont  les  noms  ne  se  retrouvent 
plus.  Une  difficulté  pour  les  identifier  réside  dans  les  noms 
liturgiques  d'origine  populaire ,  qui  ne  permettent  guère  de 
reconnaître  par  exemple  Soudé-Sainte-Croix  dans  Forts  tte- 
ffalis,  La  Villeneuve  (près  Chelles)  dans  f/onor  Dei,  Silvelle 
dans  Forts  Jesa. 

Même  quand  les  Trinitaires  ont  leurs  couvents  dans  des 


i.  C'eal  sans  doute  dans  la  paroisse  de  Mazeuil  (Vienne),  dont  un  Trini- 
taire étsil  curé  au  dix-huitième  siècle. 


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L'EXPANSION   DE    L'ORDRE    EN    FRANCE.  1 83 

villes,  ils  sont  établis  en  dehors,  comme  à  Etampes  et  à  Saint- 
Quentin.  Pour  Troyes,  ils  se  transportèrent  du  nord  à  l'est 
de  la  ville,  sans  jamais  y  pénétrer.  S'il  y  a  des  exceptions, 
comme  à  Clermont  (Oise)  et  à  Meaux,  cela  tient  à  la  situa- 
tion urbaine  des  hôpitaux  qui  leur  furent  confiés.  Dès  qu'ils 
n'eurent  plus  l'Hôtel-Dieu  de  Meaux,  ils  s'établirent  hors  de 
la  ville.  N'est-il  pas  caractéristique  que  les  Trinitaires  n'aient 
pas  eu  immédiatement  un  couvent  à  Paris?  Dès  1199,  ils  ont 
des  biens  à  Bourg-la-Reine,  des  couvents  au  Bourget  (i2o3), 
à  Verberie  (1206),  à  Etampes  (avant  1209),  à  Pontarmé,  près 
Senlis  (1216),  à  Chelles,  à  Mitry  (i2a5),  pour  ne  citer  que 
les  lieux  les  plus  rapprochés  de  Paris,  qu'ils  enserrent  du 
côté  du  nord  et  de  l'est.  C'est  seulement  en  1229  que 
Guillaume  d'Auvergne,  à  peine  consacré  évêque  de  Paris, 
donna  aux  Trinitaires  un  vieil  hôpital  en  ruines,  situé  prés  du 
Palais  des  Thermes  et  dont  la  chapelle  était  dédiée  à  saint 
Mathurin.  De  cette  possession  de  quatrième  ordre,  nos  reli- 
gieux surent  faire  le  vrai  couvent  chef  d'ordre. 

Si  les  Trinitaires  ne  songèrent  point  à  chercher,  pour  cette 
expansion  surtout  rurale,  des  causes  qu'il  n'est  guère  facile 
de  déterminer,  ils  essayèrent  d'en  tirer  d'excellents  résultats. 
Au  dix-huitième  siècle,  la  Commission  de  Réformation  des 
ordres  religieux  constate  que  l'ordre  des  Trinitaires  avait  très 
peu  de  sujets  et  qu'un  bon  tiers  des  couvents  du  Nord  était 
réduit  à  l'état  de  prieurés,  alors  que  la  plupart  des  couvents 
du  Midi  avaient  une  certaine  vitalité1.  Malgré  cela,  les  reli- 
gieux ne  voulaient  pas  quitter  leurs  couvents  de  la  campagne, 
même  lorsqu'ils  étaient  en  proie  à_une  extrême  pauvreté  :  ils 
prétextaient  que,  lors  des  quêtes  de  la  rédemption,  les  cam- 

1.  Bibliothèque  nationale,  ma.  fr.  1 3  857,  pp.  58  a  62. 


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|84  L  ORDRE    FRANÇAIS    DBS    TRINITAIRES. 

pagnes  où  ils  résidaient  perpétuellement,  où  ils  étaient  par 
suite  connus  et  estimés,  se  montraient  plus  généreuses  que 
les  villes,  où  tant  d'oeuvres  sollicitaient  la  charité  des  fidèles. 
Telle  était  l'idée  exprimée  par  le  P.  Pichault,  général  des 
Trinitaires,  dans  un  mémoire  écrit  en  1766.  La  vérité  est 
qu'ils  voulaient  garder  leur  total  de  couvents  afin  de  faire 
nombre  en  face  des  provinces  étrangères  plus  peuplées,  dont 
l'une,  l'Espagne,  avait  une  très  grande  importance. 

Avec  le  temps  d'ailleurs,  nos  religieux  passèrent  parfois  de 
la  campagne  à  la  ville.  De  Templeux-la-Fosse,  les  habitants 
de  Péronne  les  font  venir  pour  diriger  leur  collège.  De  La 
Palu,  au  terroir  de  Marseille,  les  Trinitaires  Déchausssés 
descendent  dans  la  grande  ville  et  donnent  leur  nom  à  une 
église  et  à  une  rue. 


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Les  provinces  étrangères  de  l'ordre. 


Dès  le  treizième  siècle,  nos  religieux  eurent  une  trentaine 
de  couvents  en  Angleterre,  Ecosse  et  Irlande.  Cette  province 
disparut  au  moment  de  la  Réforme  de  Henri  VIII. 

L'Espagne  eut,  dès  cette  époque,  un  nombre  de  maisons 
à  peu  près  égal  à  celui  de  la  France  elle-même1. 

Quant  à  l'Italie,  nos  religieux  ne  s'y  établirent  que  dans  le 
courant  du  dix-septième  siècle,  sauf  les  exceptions  de  Rome 
et  de  Naples. 

En  1599,  naquit  en  Espagne  la  congrégation  des  Trinitaires 
Déchaussés  qui,  non  contente  de  déborder  dans  le.  midi  de  la 
France,  alla  jusqu'en  Autriche  et  en  Pologne,  où  l'ordre 
n'avait  pas  encore  paru. 

On  a  commis  bien  des  inexactitudes  sur  l'importance  qu'au- 
raient eue  ces  provinces,  lorsqu'au  dix-septième  siècle  on 
s'efforça  d'amoindrir  la  part  de  la  France  dans  le  passé  de 
l'ordre.  La  légende  de  Pierre  de  Aberdeen,  qui  aurait  été  élu 
en  r347  après  la  mort  de  Thomas  Loquet,  est  apocryphe, 
car  ce  général  ne  mourut  qu'en  i35y  et  un  autre  Français 
lui  succéda  sans  interruption. 

i.  Une  liste  très  complète  de  ces  couvents  s  été  donnée  dans  VArbor 
ehronoiogica. 


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l86  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES. 

Il  faut  également  rejeter  parmi  les  fables  la  mention  de 
Moncamacho,  qui  aurait  été  élu  général  pour  l'Italie  en  i38o. 
II  est  qualifié  de  ministre  de  Saint-Thomas  de  Formis;  c'est 
le  seul  couvent  que  les  Trinitaires  avaient  alors  dans  ce  pays. 

GRANDE-BRETAGNE. 

On  n'a  pas  de  certitude  sur  la  date  exacte  de  la  venue  des 
Trinitaires  en  ce  pays.  Thomas  de  Eccleston,  auteur  du  Liber 
de  adventu  Minorum  in  Angliam,  dit  qu'ils  arrivèrent  Iong- 
temps  avant  1239'.  Dugdale  doit  avoir  raison  quand  il  dit 
que  leur  premier  couvent  date  de  1224.  La  réception  faite  par 
le  roi  d'Ecosse  Guillaume,  mort  en  1214,  est  problématique. 

Les  onze  couvents  anglais  énumérés  par  Dugdale*  sont 
Moltenden  dans  le  Kent  (1224),  qui  fut  donné  en  i54o  à 
Thomas  Cromwell;  —  Donnington,  près  Newbury  (Berkshire), 
mentionné  en  i3g5;  —  Liltle  Totness  Devonshire);  —  Wer- 
land,  près  Totness,  fondé  par  Gautier  d'Exeter  sous  Henri  III  ; 
—  Hounslow,  dont  la  plus  ancienne  charte  est  de  1 296  ;  les 
religieux  avaient  un  marché  chaque  mercredi,  et  une  foire 
annuelle  à  la  Sainte-Trinité,  qui  durait  six  jours;  —  Berwick, 
en  Nortnumberland ;  —  Walknoll,  fondé  le  mercredi  avant  la 
Pentecôte  i36o,  par  William  Acton,  bourgeois  de  New- 
castle;  ce  couvent  était  dédié  à  saint  Michel  et  fut  rendu  au 
roi  le  10  janvier  i53g;  —  Thursfield,  dans  le  comté  d'Oxford, 
consacré  le  29  décembre  1295;  c'était  un  hôpital  pour  les 
pauvres  et  les  pèlerins  —  Eston,  dans  le  Wiltshire;  — Wor- 
cester;  —  Knaresborough,  dans  le  comté  d'York,  établi  sous 
Henri  III,  par  Richard,  roi  des  Romains,  qui  donna  à  nos 

1 .  Monumenta  Germantœ,  Scriptores,  t.  XXVIII,  p.  568, 1.  4°. 
a.  Jtfonasticum  Anglicanum,  t.  VIII,  col.  1 558- 1 565. 


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LES   PROVINCES    ÉTRANGÈRES    DE    L'ORDRE.  187 

religieux  la  chapelle  de  Saint-Robert  ' ,  avec  20  vaches , 
3oo  brebis,  4°  porcs  (10  avril  1257). 

Dans  ce  total  de  onze  couvents  n'est  pas  compris  celui 
d'Oxford,  dont  le  ministre  aurait  aliéné  une  possession,  la 
chapelle  de  Sainte-Frideswide,  réclamée  par  Gaguin  qui  sol- 
licita dans  ce  but  les  bons  offices  de  l'Université. 

Les  couvents  écossais  sont  établis  à  Aberdeen  (1214?), 
Dumbar  Ç1218),  Failfourd  (i25a)  au  diocèse  de  Glasgow, 
Pebles  (i263)  au  sud  d'Edimbourg,  Houston  (1226),  Scotland- 
Wall  etDornoch1. 

L'Irlande,  à  laquelle  on  prête  parfois  cinquante-quatre  cou- 
vents trinitaires,  n'en  aurait  eu  qu'un  seul  à  Atdare  (en  latin 
Athacia),  petite  ville  du  comté  de  Limerick3. 

Ces  trois  provinces  (Angleterre,  Ecosse  et  Irlande),  par 
suite  de  leur  situation  isolée,  ne  jouèrent  aucun  rôle  dans 
l'ordre. 

Il  en  est  de  même  des  provinces  légendaires  de  Palestine 
et  de  Chypre-  On  peut  refuser  toute  créance  à  l'existence, 
certifiée  par  Baron,  d'un  couvent  trinitaire  à  Constantinople 
en  1234,  ainsi  que  d'un  couvent  de  religieuses,  qui  y  viennent, 
en  i44'>  comme  pour  se  faire  massacrer  par  les  Turcs.  Belin4 
dit  que  la  première  mention  d'un  couvent  trinitaire  remonte 
à  la  paix  de  Sitvatorok,  qui  est  de  1606.  Ce  couvent  était 
dans  la  rue  de  Péra  et  sous  la  protection  de  l'Autriche. 

1.  Fidèles  k  leurs  traditions  hislnricgraphiqucs,  les  Trinitaires  oat  fait  de 
l'ermite  Saint-Robert  de  Knareshorough  us  religieux  de  l'ordre, 
j.  Lahigan,  Histoire  ecclésiastique  d'Irlande,  IV,  3i 3. 
3.  Bibl.  de  Marseille,  manuscrit  iai5,  f°  10  v>. 
4-  Bklui,  La  latinité  de  Constantinople,  20  édition,  1894,  p.  33i. 


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L ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES. 


Avec  l'Espagne,  nous  sommes  enfin  sur  un  terrain  solide. 
Les  religieux  de  ce  pays  ont  été  trop  laborieux  pour  que 
nous  ne  leur  payions  pas  un  juste  tribut  d'éloges.  Si  l'on  sup- 
primait de  l'historiographie  trinitaire  tout  ce  qu'ont  écrit  les 
Espagnols,  il  ne  resterait  que  la  chronique  de  Gaguin,  avec  ses 
suites,  et  les  ouvrages  du  P.  Dan.  Nous  pouvons  élever  des 
doutes  bien  légitimes  sur  les  premières  donations  espagnoles, 
où  sont  trop  visibles  des  interpolations  faites  pour  vexer 
l'ordre  rival  de  la  Merci,  fondé  en  iaa8  à  Barcelone.  Toute- 
fois, ne  nous  plaignons  pas  trop  de  cette  inimitié  ;  que  d'ou- 
vrages n'auraient  jamais  été  écrits  si  les  Trinitaires  n'avaient 
pas  eu  devant  eux  des  rivaux  qu'il  fallait  surpasser!  En  nous 
souvenant  que  ce  n'est  qu'au  milieu  du  treizième  siècle  que 
l'Andalousie  fut  conquise  sur  les  Maures,  et  que  ceux-ci  gar- 
dèrent Grenade  jusqu'en  1/(92,  on  comprendra  la  seconde 
raison  de  la  vitalité  des  Trinitaires  dans  un  pays  dont  les 
fréquentes  luttes  avec  les  musulmans  étaient  de  nature  à  don- 
ner Heu  A  de  nombreux  rachats  de  captifs. 

La  chronique  de  Gaguin  nous  montre  les  premiers  succes- 
seurs de  saint  Jean  de  Matha  venant  en  voyage  de  rédemp- 
tion en  Espagne,  et  l'un  d'eux  mourant  à  Cordoue.  Gil 
Gonzalez  de  Avila,  dans  son  Teatro  ecclesiàstico  de  las 
Iglesias  de  las  dos  Castiltas  (i645),  donne  de  très  nom- 
breux détails  sur  les  couvents  trinitaires,  dont  l'un,  celui  de 
Ségovie,  aurait  été  fondé  en  1 208  par  saint  Jean  de  Matha 
lui-même. 

Dans  le  couvent  de  Burgos,  il  s'est  réuni  des  Cortès;  sa 


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LES    PROVINCES    ÉTRANGÈRES  DE    I.'oRDRE.  1 89 

capilla  mayor  a  été  construite  au  moyen  des  aumônes  des 
marquis  de  Aguilar;  les  religieux  y  ont  un  collège  dédié  à 
saint  Ildefonse,  où  l'on  étudie  la  théologie,  les  arts  et  les 
sciences  morales. 

Celui  de  Valladolid  date  de  ia56;  les  ducs  de  Béjar  en 
sont  les  patrons;  le  rétable  a  été  donné  par  Juan  Hurlado  et 
François  de  Zuniga.  De  ce  couvent  sortit  Antonio  de  Paz, 
qui  fut  quatre  ans  à  Tunis  (i53i-i535)  '. 

En  Andalousie,  it  y  a  le  couvent  de  Jaen  (jtobre  en  edi- 
fitio,  rico  en  virtud);  celui  d'Ubedaa,  où  saint  Jean  de 
Matha  a  fait  cesser  une  épidémie  de  peste  au  dix-septième 
siècle;  ceux  de  Baeça,  d'Andujar,  et  surtout  celui  de  Séville, 
fondé  en  ia53  sur  l'emplacement  de  la  prison  de  Sainte-Juste 
et  Rufine3. 

Un  Trinitaire  d'Espagne  devient,  au  quinzième  siècle,  le 
cardinal  Antoine  Serdan,  évéque  de  Lérida;  c'est  le  seul  car- 
dinal qu'ait  eu  l'ordre. 

Les  rapports  de  l'Espagne  avec  le  général  français  sont 
d'abord  fort  peu  connus.  Durant  le  quatorzième  siècle,  il 
est  fait  mention  du  châtiment  infligé  à  des  ministres  de 
Séville  et  de  Burgos.  Quel  est  ce  châtiment?  Gaguin  ne  le  dît 
pas;  il  est  à  présumer  que  c'est  la  déposition.  Le  grand 
schisme  élant  survenu,  la  France  suivit  le  pape  d'Avignon  et 
l'Espagne  le  pape  de  Rome.  Ce  fut  une  occasion  pour  les  Tri- 
nitaires  de  secouer  le  joug  de  la  France;  ils  élurent  comme 
général  Vasconcellos,  provincial  de  Castille,  à  qui  une  bulle 
■  de  Martin  V  permit  de  garder  le  titre  de  général  sa  vie  durant. 
La  paix  étant  rétablie  dans  Tordre,  des  Statuts  furent  publiés 

1.  T.  I,  pp.  644-645;  t.  III,  p.  16. 
..  T.!,  p.  2.7. 

a.  t.  n,  p.  ia4- 


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IgO  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES. 

à  Cerfroid  en  1 4^9  ;  Jean  de  Burgos  en  fit  une  copie  pour  ses 
compatriotes;  il  y  recommande  que  l'Espagne  envoie,  tous  les 
cinq  ans,  un  délégué  au  chapitre  général.  La  présence  de 
Trinitaires  espagnols  aux  chapitres  généraux  de  ilfj$  el  de 
i5oi  est  certaine.  C'est  à  l'époque  de  Gaguin  que  les  rela- 
tions entre  le  grand-ministre  et  l'Espagne  sont  le  mieux 
établies. 

A  ce  moment,  fleurissent  en  Castille  Simon  de  Camargo  et 
Diego  de  Gayangos,  grands  rédempteurs  de  captifs.  Les 
manuscrits  de  Gaguin,  à  la  Bibliothèque  Mazarine,  renfer- 
ment aussi  beaucoup  de  statuts  faits  en  Espagne.  Alors  Gre- 
nade est  prise  et  trois  couvents  trinitaires  se  fondent  à  Malaga, 
Marbella  el  Alméria,  villes  enlevées  aux  musulmans;  Gon- 
zalve  de  Jerez  vient,  à  cette  occasion,  demander  à  Arles  des 
reliques  de  saint  Roch. 

Le  règne  de  Charles-Quint  marque,  pour  l'Espagne,  une 
nouvelle  période  d'autonomie.  Adrien  VI  comble  les  Trini- 
taires espagnols  de  privilèges  qu'obtiendront  cinquante  ans 
plus  tard  les  Trinitaires  de  France.  Pie  IV  leur  permet  de 
changer  la  couleur  de  la  chape,  et  cette  différence  d'habit  avec 
les  religieux  de  France  chagrine  profondément  ceux-ci.  Thi- 
baut Musnier  et  Bernard  Dominicï  vinrent  visiter  en  personne 
les  provinces  d'Espagne. 

De  Valdepenas,  à  la  limite  de  la  Castille  et  de  l'Anda- 
lousie, devait  partir  en  i5q.q  la  Congrégation  Déchaussée,  dont 
l'expansion  fut  si  rapide.  Le  seul  résultat  qui  nous  intéresse 
ici,  c'est  que  ce  fut  un  prétexte  pour  les  Trinitaires  espagnols 
à  réclamer  une  part  du  gouvernement  de  l'ordre.  Tant  que 
Louis  Petit  fut  général  f[6i2-i65a),  l'Espagne  demeura  tran- 
quille; ce  personnage,  qui  avait  étudié  à  Saragosse,  était  très 
cher  aux  Espagnols,  dont  il  connaissait  la  langue.  Ce  n'est 


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LES    PROVINCES    ETRANGERES    DE    L  ORDRE.  IOI 

pas  ici  le  lieu  de  raconter  cette  lutte  qui  dura  toute  la  seconde 
moitié  du  dix-septième  siècle.  Rappelons  seulement  que  l'Es- 
pagne fut  admise,  depuis  1704,  à  participer  aux  chapitres 
généraux,  et  qu'il  y  eut  toujours  dès  lors,  auprès  du  général, 
un  secrétaire  espagnol  ;  c'était,  en  1756,  Lorenzo  Revues,  qui 
fit  diverses  copies  chez  les  Mathurins  de  Paris.  C'est  tout  ce 
que  l'Espagne  gagna  à  cette  lutte,  semblant  même  se  désin- 
téresser assez  vite  des  gages  qu'elle  avait  conquis,  car,  au 
chapitre  de  1781,  manquaient  un  grand  nombre  des  repré- 
sentants de  ce  pays. 

Les  constitutions  particulières  des  Espagnols  sont  assez 
bien  connues  depuis  le  seizième  siècle;  le  chapitre  général  se 
tenait  chaque  fois  en  des  lieux  différents  :  celui  de  1 497  es[  à 
Arevalo,  celui  de  i5i3  a  Santa  Maria  de  las  Virtudes  ;  d'au- 
tres se  tinrent  à  Valladolid  et  à  Jaen.  Jusqu'au  milieu  du 
seizième  siècle,  il  n'y  eut  que  deux  provinces,  Castille  et 
Aragon  (le  Portugal  était  à  part)  ;  l'Andalousie  fut  détachée 
alors  de  la  Castille.  L'unification  de  l'Espagne  n'empêchait 
pas  l'existence  du  régionalisme,  puisque  Gaguin  établit  l'alter- 
native entre  la  Catalogne,  l' Aragon  et  le  royaume  de  Valence 
pour  le  provincialat.  En  i586,  Bernardino  de  Mendoza, 
ambassadeur  de  Philippe  II,  fut  chargé  de  demander  à  Ber- 
nard Dominici  de  choisir  un  vicaire  général  pour  les  quatre 
provinces  de  la  péninsule  ibérique.  Celte  innovation  ne  porta 
point  atteinte  à  l'indépendance  de  chaque  province,  car  en 
1780  le  provincial  d'Aragon,  ayant  voulu  faire  la  visite  en 
Castille,  en  fut  empêché  par  les  religieux,  aux  termes  d'une 
bulle  de  Clément  Vil. 

Les  constitutions  espagnoles  les  plus  célèbres  sont  celles 
qui  furent  faites  au  temps  d'Alexandre  VII  à  Rome  (1657). 
Jusqu'à  la  fin  du  dix-huitième  siècle,  les  Espagnols  rédigè- 


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103  h  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES. 

rent  des  constitutions,  qu'ils  firent  confirmer  par  le  pape1. 
L'Espagne  fut  un  vif  foyer  de  science,  d'historiographie 3  et 
de  rédemption.  Le  collège  de  Saint-Lambert  de  Saragosse  de- 
vint très  célèbre,  et  le  pays  compta  une  foule  de  Présentés, 
de  Maîtres  et  de  Docteurs  Jubilés*.  Depuis  le  dix-septième 
siècle,  un  grand  nombre  de  villes  eurent  à  la  fois  des  couvents 
de  Trinitaires  Chaussés,  de  Trînitaires  Déchaussés  et  même 
de  religieuses,  fondées  depuis  1612.  L'Espagne  fournît  à 
l'ordre  ses  plus  grands  prédicateurs,  comme  Paul  Aznar,  et 
même  des  saints  comme  Simon  de  Roxas,  Michel  des  Saints 
et  Jean-Baptiste  de  la  Conception.  L'histoire  de  la  province 
de  Castille  a  été  l'objet  de  grands  ouvrages  de  Juan  Toraya 
de  la  Vega. 

PORTUGAL. 

L'origine  de  cette  province  est  fort  incertaine;  le  naufrage 
d'André  d'Agramont  devant  Lisbonne,  où  il  fonde  un  cou- 
vent, paraît  légendaire.  Il  n'y  eut  pas  en  ce  pays  plus  de  six 
couvents  :  les  principaux  furent  ceux  de  Lisbonne,  de  Santa- 
rem,  de  Coïmbre  et  d'Alvito.  Les  privilèges  obtenus  par  l'Es- 
pagne furent  étendus  en  i534  au  Portugal,  dont  le  principal 
titre  de  gloire  est  l'ouvrage  de  Bernardin  de  Saint-Antoine. 
Lorsqu'il  eut  été  conquis  par  Philippe  II,  ce  roi  fit  faire 
une  rédemption  des  captifs  portugais.  Après  la  proclama- 
tion de  l'indépendance  du  Portugal,  les  Trinitaires  d'Es- 
pagne se  montrèrent  hostiles  à  ceux  de  France  et  demandè- 
rent un  général  particulier  ;  la  province  de  Portugal  s'opposa 

i.  Analeeta  Jurît  ponlijîcii,  t.  XVI,  p.  636. 

a.  Le  P.  Antonin  de  l'Assomption  a  publié  récemment  un  ouvrage  étendu 
sur  les  historiens  trinitaires  espagnols. 

3.  Ce  sont  des  grades  en  théologie,  qui  n'étaient  guère  répandus  chez  nos 
religieux  de  France. 


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LES    PROVINCES    ÉTRANGÈRES    DE    l'oRDRB.  I  g3 

1res  vivement  à  cette  scission  et  son  député  écrivit  à  ce  sujet 
à  la  Congrégation  des  Réguliers.  Sans  doute,  le  mobile  de 
cette  attitude  était  plutôt  l'inimitié  contre  l'Espagne  que  l'af- 
fection pour  le  général  français  ;  néanmoins  cette  communauté 
d'hostilité  fut  pour  les  Trinitairee  de  France  un  sérieux  appui 
moral.  Le  roi  lui-même  enjoignit  en  1697  au  provincial  de 
reconnaître  le  général  français. 


Cette  province,  qui  allait  prendre  une  importance  démesurée 
à  cause  des  intrigues  antifrançaises  dont  Rome  devait  être  le 
centre,  ne  se  forma  qu'au  dix-septième  siècle.  Le  plus  ancien 
couvent  (à  part  ceux  de  Rome,  dont  il  sera  traité  isolément)  est 
celui  de  Naples,  fondé  en  i56o.  En  i586,  François  Boucher, 
vicaire  général  de  l'ordre,  permit  l'érection  de  confréries  des- 
tinées à  en  favoriser  la  construction*! .  Il  parait  qu'il  y  avait, 
dès  cette  époque,  un  provincial  de  Calabre,  mais  nous  ne 
savons  pas  au  juste  de  quels  couvents  se  composait  sa  pro- 
vince. A  l'époque  de  sa  plus  grande  expansion,  l'Italie  ne 
comprit  jamais  que  dix-sept  couvents,  dont  cinq  en  Sardaigne 
(encore  faisaient-ils  peut-être  partie  de  la  province  d'Aragon  ') 
et  quatre  en  Sicile.  Ces  derniers  n'échappèrent  pas  a  la  loi  de 
vagabondage  qui  semble  s'imposer  à  tous  les  couvents  trini- 
taires  :  à  Païenne  et  à  Catane,  nos  religieux  durent  s'y 
prendre  à  (rois  fois  pour  être  placés  définitivement.  Ces  rensei- 
gnements sont  donnés  par  les  manuscrits  du  P.  Ignace  de 
Saint-Antoine;  peut-être  les  pérégrinations  de  nos  religieux 
n'étaient-elles  pas  encore  finies. 

1.  Pièce  i38. 

».  Les  ntuttre*  Captif»,  t.  II,  p.  33i. 


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if)/(  l'ordre  français  des  trinitaires. 

A  la  fin  du  dix-septième  siècle,  les  Trinitaires  Déchaussés 
fondèrent  plusieurs  couvents  en  Italie  :  Saint-Denis  de  Rome, 
Alexandrie,  Turin  et  Livourne.  Le  couvent  de  Faucon,  près 
Barcelon nette,  qui  appartint  au  Piémont  jusqu'à  1713,  fut 
rattaché  à  cette  province  Déchaussée.  Du  couvent  de  Saint- 
Ferdinand  de  Livourne  sortit  un  excellent  ouvrage  (Gli  schiavi 
redenii),  que  j'ai  trouvé  à  la  bibliothèque  de  Gerfroid. 


La  Congrégation  Déchaussée  fonda,  à  la  fin  du  dix-septième 
siècle  et  au  commencement  du  dix-huitième,  un  grand  nombre 
de  couvents  en  Autriche  (province  de  Saint-Joseph)  et  en 
Pologne1  (province  de  Saint-Joachim).  Les  principaux  sont 
ceux  de  Vienne,  de  Cracovie  et  de  Varsovie.  Vienne  fut  un 
grand  centre  de  science  et  de  rédemption  :  Florien  de  Saint- 
Joseph  y  continua  l'Histoire  de  la  Congrégation  Déchaussée, 
de  Diego  de  la  Madré  de  Dios.  La  récente  arrivée  des  Trini- 
taires français  à  Vienne  a  donné  lieu  à  la  publication,  dans 
leur  Bulletin  de  décembre  1900,  d'un  intéressant  article  sur 
ce  couvent,  supprimé  en  1783  par  Joseph  II  et  dont  les  reli- 
gieux tiendront  à  honneur  de  faire  revivre  le  souvenir  glorieux. 

1.  Arbor  Chronologica,  pp.  i3g  et  i4o, 


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CHAPITRE  VI. 
Les  grands  bienfaiteurs  des  Trinitaires. 


'    LES    ROIS    ET    LES 


«  L'ordre  de  la  Sainte-Trinité,  lit-on  au  début  du  Mémoire 
présenté,  en  1766,  par  le  général  Maurice  Pichaull,  à  la 
Commission  des  Réguliers,  a  été  établi  en  France  sous  la  pro- 
tection du  roi  Philippe-Auguste'.  »  Au  dix-septième  siècle,  le 
peintre  Van  Thulden  représenta,  pour  le  couvent  des  Mathu- 
rins,  les  deux  fondateurs  de  l'ordre  présentant  la  règle  à 
Philippe- Auguste,  qui,  selon  Millin,  aurait  eu  la  simplicité  de 
croire  «  les  deux  visionnaires  ».  Le  P.  Calixte  a  bénévolement 
admis  dans  le  tiers-ordre  des  Trinitaires  ce  roi,  qui  aurait 
même  choisi  Jean  de  Matha  pour  son  théologien  ! 

En  fait,  M.  Delisle,  dans  son  Catalogue  des  actes  de  Phi- 
lippe-Auguste, n'en  cite  aucune  donation  en  faveur  des  Trini- 
taires. Dans  aucune  bulle,  le  pape  ne  fait  allusion  à  la  pro- 
tection royale.  Les  deux  seuls  faits  allégués  partiaguin  :  l'en- 
voi de  Trinitaires  à  une  croisade  de  Philippe-Auguste  (qui 
n'y  alla  point  après  11 0,3)  et  leur  établissement  à  Paris,  fort 
postérieur  à  ce  roi,  ne  sont  pas  admissibles. 

Louis  VIII  n'eut  pas  le  temps  de  faire  quelque  chose  pour 

1.  Arch.  nal.,  S  ^278,  no  ai,  p.  1. 


OcyGoO^fe 


I96  l'ordre  français  des  tributaires. 

nos  religieux.  Leur  grand  bienfaiteur  fut  saint  Louis,  averti 
du  mérite  des  Trinitaires  par  la  présence  à  ses  côtés  du 
grand-ministre  Nicolas  pendant  la  croisade  d'Egypte.  Join- 
ville  fait  souvent  mention  de  Nicolas1,  ainsi  que  d'un  Trini- 
taire  attaché  au  comte  Guillaume  de  Flandre  et  confessant 
les  chrétiens  jusque  sous  les  flèches  des  Sarrasins.  Aussi  le  roi 
prit-il  les  Trinitaires  «  pour  chapelains  et  pour  familiers  »; 
et  reçul-il  du  chapitre  général,  en  ia56,  l'association  spiri- 
tuelle, «  vu  que  son  affection  spéciale  à  l'égard  de  l'ordre 
avait  été  prouvée  par  de  multiples  effets1  ». 

Le  plus  connu  des  couvents  fondés  par  saint  Louis  est  celui 
de  Fontainebleau.  En  logeant  les  Trinitaires  dans  son  palais, 
lé  roi  leur  donna  3,000  arpents  de  bois  (juillet  ia5u)3;  il  prit 
'  deux  Trinitaires  comme  chapelains,  en  sus  du  nombre  régle- 
mentaire des  religieux  (décembre  1260)*.  Il  fit  exempter  ce 
couvent  des  décimes  levés  par  Charles  d'Anjou  et  lui  fit  accor- 
der des  indulgences  par  le  pape 5. 

Il  fit  donner  à  l'ordre  l'hôpital  des  Belles-Portes  par  le  cha- 
pitre de  Saint-Quentin6,  et  il  intervint  puissamment  pour  lui 
assurer  la  possession  de  PHotel-Dieu  de  Compiègne. 

Saint  Louis  ne  favorisa  pas  moins  les  couvents  déjà  exis- 
tants. Les  Malhurins  de  Paris  eurent  beaucoup  à  se  louer  du 
roi,  qui  provoqua  en  leur  faveur  les  largesses  de  ses  familiers 
Guillaume,  son  panelier,  et  Adam,  son  cuisinier.  Ayant  donné 
une  rente  de  4o  livres  à  Nicolas  de  Soisy,  le  roi  consent  qu'il 


■  1,  Le  P.  Da«,  Hitloirt  de  Barbarie,  2'  édition,  p.  467- 
a.  Layellt*  du   Trésor  des  Chartes  (11  juin  ia56). 

3.  Gallin  ehrisliann,  XIII,  Inslr.,  74  A. 

4.  Mautenk,  Amplim'ma  calléctio,  I,  1  34g- 

5.  Le  Nain  de  Tillkjcont,  Histoire  de  mint  Louii,  IV,  i58;  VI,  84. 

6.  Héhkhé,  Angusta  Viromandaurnm,  pp.  ï/|ï-î43. 


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LES    GRANDS    BIENFAITEURS     DES    TRINITATRFS.  197 

en  lègue  dix  par  avance  aux  Mathurins  '  :  ce  lesrs  est  peut- 
tire  une  condition  de  la  donation  royale. 

Ce  n'est  pas  seulement  de  terres  et  de  maisons,  c'est  d'orne- 
ments précieux  et  de  reliques  que  saint  Louis  comblait  ces 
religieux.  «  Voulant  décorer  votre  église  de  quelques  marques 
vénérables  de  notre  Rédemption,  nous  avons  jugé  a  propos 
de  vous  envoyer,  par  notre  amé  et  féal  chapelain  Frère  Pierre 
d'Arras3,  de  votre  ordre,  une  épine  de  la  sacro-sainte  cou- 
ronne de  Notre-Seigneur  et  une  lame  de  sa  très  sainte  croix. 
Priez  pour  nous.  »  Le  couvent  de  Paris  conservait  encore,  à 
la  fin  du  dix-huitième  siècle,  le  manteau  royal  de  saint  Louis, 
qui  servait  de  chasuble  au  prêtre  officiant  le  jour  de  la  fête  du 
roi  et  un  reliquaire  sur  pied  de  cuivre  (Miltin). 

A  la  seconde  croisade  de  saint  Louis  figura  encore  un 
Trinilaire,  Jean  de  Metz3.  La  tête  du  saint  roi  fut  dignement 
célébrée  parles  Mathurins  reconnaissants;  tous  les  ans,  ils  se 
rendaient  procession nellement  à  la  Sainte-Chapelle,  de  con- 
cert avec  les  religieux  de  Sainte-Catherine. 

L'affection  de  saint  Louis  pour  les  Trinilaires  se  communi- 
qua à  son  frère,  Alphonse  de  Poitiers.  Les  aumônes  de  celui-ci, 
en  ia65,  comprennent  les  Mathurins  de  Paris  pour  100  sous; 
ceux  de  Fontainebleau  pour  5o;  ceux  de  Chelles,  Mitry,  Cler- 
mont  pour  3o;  ceux  de  Pont  armé  pour  20.  Dans  son  apa- 
nage, il   donne  100  sous  aux  Trinilaires  de  Taillebourg*  et 


r.  Voir,  pour  les  détails,  la  Monographie  du  couvent  des  Mathurins  de 
Paris,  en  préparation. 

».  Ce  Trinilaire  était  présent  k  l'hommage  prélo  pur  le  comte  de  Nevers, 
Jean,  h  l'évéque  de  Paris,  Etienne,  le  i3  novembre  1268  (Cartulaire  de 
Notre-Dame  de  Paris,  I,  171). 

"i.  Le  peintre  du  couvent  dea  Pères  Blancs  à  Cartilage,  dans  le  tableau  de 
la  Mort  de  saint  Loai»,  a  donné  à  ce  religieux  les  traits  du  P.  Calixte. 

4.  M.  Molinieh,  dans  sa  Correspondance  d'Alphonse  de  Poitiers,  a  cite 


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19$  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRBS. 

ôo  à  ceux  de  Toulouse  '.  Ces  derniers  reçurent,  en  décembre 
1368,  100  livres  tournois  sur  les  produits  d'une  vigne  confis- 
quée à  Pierra  Garsia,  hérétique,  et  de  plus  le  vin  de  cette 
vigne  *. 

Il  faudrait  citer  les  plus  grands  princes  français,  pour  énv- 
mérer  tous  les  bienfaiteurs  des  Trinitaires.  Je  me  bornerai 
aux  comtes  de  Champagne  et  de  Flandre. 

Les  belles  études  de  M.  d'Arbois  de  Jubainville  montrent 
que  Thibaut  IV'fiaoï.-i  25a),  Thibaut  V(ia53-i  370),  Henri  III 
(1370-1374)  ne  l'ont  en  rien  cédé  à  saint  Louis.  Dès  1217, 
le  sénéchal  Simon  de  JoinviHe,  père  de  l'historien,  fondait 
un  couvent  à  Soudé  (Fons  Regalis),  près  de_  Vitry. 

Les  Trinitaires  doivent  aux  comtes  de  Champagne  les  cou- 
vents de  La  Veuve  (ia34),  Vitry  (ia4o),  Troyes  (1260)  et 
l'hôpital  de  Meaux  (ia44).  Le  testament  de  Thibaut  V  (no- 
vembre 1357)  contient  des  legs  aux  couvents  de  Cerfroîd 
(qu'il  devait  favoriser  encore  spécialement),  Silvelle,  Soudé, 
Vitry,  Meaux.  A  cette  Maison-Dieu,  il  donna  une  tour  près 
des-  murailles,  contre  le  pressoir  de  la  Maison-Dieu,  qu'il  pou- 
vait reprendre  quand  il  lui  plairait4  (1370).  A  Cerfroid,  il 
institua  vingt  religieux  de  chœur5.  Un  de  ses  chapelains, 
Jean  Boileau,  reçut  20  livres  sur  la  communauté  de  Meaux 

une  enquête  A  Inquelle  il  fait  procéder  pour  le  ministre  de  Taillebourg,  qui 
a  reçu  des  coups  dans  une  rixe.  Ibid.,  1022,  1  no,  1  128,  i3s4- 

1.  Boutaric,  Saint  Louis  et  Alphonse  de  Portier»,  pp.  461  A  466. 

a.  Histoire  du  Languedoc,  IV,  708.  Voir  Ibid*,  VII,  4i3,  et  Correspon- 
dance d'Alphonse  de  Poitiers,  l.  1",  p.  534.  L*  prince  leur  légua  i5  livres 
sur  la  prévale  de  La  Rochelle  pour  le  chapitre  général  (Archives  nationa- 
les, i  406,  no  4). 

3.  Dés  1239,  Thibaut  IV  a  pour  chapelain  le  Trinitaire  Simon,  auquel  est 
déléguée  la  levée  d'une  taxe  sur  les  biens  de  ceux  qui  se  rachetaient  de  la 
croisade  {Cal.,  n»  253g). 

4.  Arc  h.  n»l.,  J  ao3,  n»  78. 

5.  Pièce  3q. 


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LES    GRANDS    BIENFAITEURS    DES    TRIBUTAIRES.  IQO 

(îi  février  1269)  et    10   autres  livres  d'Henri,  successeur  de 
Thibaut  V;  il  devint  général  de  l'ordre  en  12731. 

Rien  n'égala  la  munificence  de  Thibaut  V  pour  les  Tri-  ' 
nitaires  qu'il  «  attira  »  à  Troyes  :  en  1 260,  il  leur  donne  > 
une  maison  sise  au  faubourg  de  Preize,  habitée  auparavant 
par  les  Franciscains1;  puis,  il  les  comble  de  donations  qui  se 
succèdent  avec  une  rapidité  vertigineuse  :  6  muids  de  fro- 
ment, 5o  livres  sur  le  pontage  de  Troyes,  des  exemptions  de 
tonlieu3,  le  droit  d'usage  dans  ses  forêts  d'Isles  (21  avril' 
I]m)»  la  première  prébende  qui  vaquera  au  chapitre  de  Saint- 
Etienne,  la  pêche  dans  les  fossés  de  la  ville  depuis-la  porte  de  ■ 
^niporté  jusqu'à  ta  Seine4  (août  1261),  la  dispense  de  consa-r 
crer  au  rachat  des  captifs5  le  tiers  des  revenus  qu'il  leur 
avait  donnés,  par  dérogation  spéciale  au  texte  dé  la  règle, : 
HUI    était  pas  encore  modifiée. 

Les  comtes  de  Flandre  furent  les  bienfaiteurs  des  couvents 
je  Douai  et  d'Hondschoote.  Marguerite,  notamment,  «  libéra 
et  quitta  »  aux  Trinitaires  de  Douai,  le  17  octobre  127a,  tout 
le  lieu  nécessaire  pour  bâtir  l'église,  le  cimetière  et  le 
dotlre6. 

Mahaut  de  Dammartin  et  Alphonse  de  Portugal,  son  mari, 
donnèrent  aux  Trinitaires  l'Hôtel-Dieu  de  Clermont  (Oise), 
avec  les  revenus  d'une  foire  annuelle. 

1.  Mention  de  l'Obiluaire  des  Malburins  de  Paris. 
1.  Catalogue,  n"  3187. 

J.  Camusat,  Prompluarium,  427  vo-^ap,  v>. 
4.  Citalogue,  n°<  3i85,  3 188,  3ao5. 

S.' Cartnlaire  conservé  aux  Archives  de  l'Aube,  fol.  1  :  Licet  tertio  pars 
uxivtrti  ilebeal  in  Kedemptioncm  captivoram,  noliii/ius  tamen  quod  de 
pndktit  sibi  a  nabis  collatis,  ratinne  dicte  Redemptionis,  ullomodo  «/("- 
qaid  dedaeatur. 

6.  L'abbé  Dancoisnb,  Bulletin  de  la  Sac.  des  Sciences  de  Douai,  t.  XIV, 
p.  330. 


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300  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES. 

Les  Trinitaires  savent  réclamer  ce  qui  leur  est  dû.  Simon 
de  Dammartin  et  Marie  de  Ponthieu  ayant  promis  au  minis- 
tre de  Ponlarmé  10  livres  parisis  de  revenu  annuel  et  60  sous 
pour  le  chapelain,  leur  fille,  Jeanne,  reine  de  Castille  et  de 
Léon,  veuve  de  Ferdinand  le  Saint,  leur  assigne  1 1  livres  de 
revenu  sur  la  vicomte  d'Airaines  '  (Somme). 

Ce  n'était  donc  pas  seulement  auprès  des  princes  de 
France  que  les  Trinitaires  trouvaient  une  si  efficace  protec- 
tion. Sans  parler  des  légendaires  réceptions  que  leur  auraient 
faites  le  roi  d'Ecosse,  Guillaume,  et  le  roi  de  Portugal, 
Alphonse  II,  on  peut  constater  leur  crédit  auprès  de  princes 
qui  furent  rarement  les  amis  de  la  France,  même  au  temps 
de  saint  Louis,  les  rois  d'Angleterre.  Henri  III  ne  se  con- 
tenta pas  de  leur  donner  des  lettres  de  protection  perpétuelle 
au  moment  de  la  guerre  de  Saintonge  *  (i-t^-i),  il  leur  confia 
même  des  missions  plus  délicates.  Simon,  ministre  des  Mathu- 
rins  de  Paris,  fut  désigné  à  l'effet  d'entendre,  pour  Simon  de 
Montforl,  le  compte  de  l'emploi  de  1,000  livres  sterling  dépo- 
sées à  l'hôpital  de  Saint-Jean  de  Jérusalem  et  de  transmettre 
au  roi  ce  compte  scellé  de  son  sceau3. 

Richard  de  Cornouailles,  le  fondateur  du  couvent  de  Saiot- 
Kobert  de  Knaresborough,  prit  parmi  ses  envoyés  auprès 
d'Innocent  IV  le  Trinilaire  Raoul4,  en  vue  de  défendre  ses 
droits  sur  la  Provence  contre  Charles  d'Anjou,  en  vertu  du 
testament  de  Raymond-Bérenger  IV5  (mai  1246).  En  ia5g,  un 

i.  E   Dtipuis,  Ponlarmé,  p.  106. 

3.  Rôles  gascons,  n°  3q4. 

3.  raid.,  no«  2170,  ï865. 

4-  C'est  à  ce  frère  Raoul  que  Henri  III  alloue  4»  sous  pour  ses  dépenses 
en  sa  qualité  d'envoyé  royal  en  Angleterre;  c'est  pour  lui  qu'il  mande  à 
Roger  le  tailleur  de  faire  un  habit  convenable. 

5.   Behiskh,  Registres  d'Innocent  IV,  n»  r  967. 


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LES    GRANDS    BIENFAITEURS    DES    TRIMTAIRES.  301 

autre  Trinitaire,  Guillaume,  est  envoyé  à  Rome  pour  se  plain- 
dre qu'Alphonse  le  Sage,  roi  de  Caslille,  prenne,  au  grand 
détriment  de  Richard  de  Cornouailles ,  le  titre  de  roi  des 
Romains.  Le  pape  Alexandre  IV,  qui  devait  estimer  à  sa 
juste  valeur  cette  contestation  sur  une  ombre  de  pouvoir, 
mais  qui,  selon  les  traditions  de  la  cour  pontificale,  ne  voulait 
mécontenter  personne,  fil  une  réponse  évasive1. 

Au  quatorzième  siècle,  le  trop  fameux  Robert  d'Artois  avait 
pour  chapelain  un  Trinitaire,  Henri  Sachebren,  à  qui  il  fil 
confidence  de  ses  projets  criminels  contre  le  roi  Philippe  VI 
et  qui,  effrayé,  vint  le  dénoncer  en  décembre  i333,  sans  pou- 
voir éviter  d'être  lui-même  emprisonné1. 

a"    LES    EVEQUES. 

D'illustres  évéques  du  treizième  siècle  ne  restèrent  pas 
insensibles  au  mérite  des  Trinitaires.  Nos  religieux  peuvent 
citer  avec  honneur,  parmi  les  prélats  présents  autour  de  leur 
berceau,  Guérin,  évèque  de  Senlis,  devant  qui  est  passé,  en 
iai6,  l'acte  de  fondation  du  couvent  de  Pontarmé,  et  surtout 
Guillaume  d'Auvergne,  qui  se  montra  le  bienfaiteur  des 
Mathurins  de  Paris  en  toute  occasion,  aplanit  leurs  différends 
avec  l'abbé  de  Sainte-Geneviève  et  étendit  sa  sollicitude  aux 
couvents  du  Bourgel  et  du  Fay  3. 

Les  évéques  de  Meaux,  dont  le  diocèse  comprenait' Cerf roid 
(aujourd'hui  de  celui  de  Soissons),  ont  favorisé  ce  couvent  dès 
son  origine.  Un  vitrail  de  l'église  conserva  le  souvenir  de  la 
dédicace  de  Cerfroid  par  l'évêque  Anseau,  qui  consacra  aussi 

i.  Bibliothèque  de  Marseille,  manuscrit  in5,f°  iiv», 

2.  Notice*  et  extraits  des  Manuscrit*,  t.  I",  pp.  5aa,  5a4.  etc. 

3.  Pièces  6  et  g. 


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302  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES. 

l'église  de  Silvelle  '.  Le  plus  connu  de  ces  bienfaiteurs  fut 
Pierre  de  Cuisy',  évêque  de  1333  à  is55,  qui  donna  un  rauid 
de  blé3,  annuellement,  pour  le  pain  du  chapitre,  à  percevoir 
sur  sa  grange,  à  Vareddes. 

A  proximité  de  Saint-LÔ,  se  trouvait  le  couvent  de  La  Per- 
rine,  pour  lequel  les  évéques  de  Bayeux  et  de  Coûtantes  ne 
rivalisèrent  que  de  bienveillance,  comme  le  témoigne  son  pré- 
cieux Obituaire  qui,  après  Dumonstier,  peut  être  feuilleté 
avec  intérêt.  Grégoire  de  Naples,  évêque  de  Bayeux,  donna 
l'église  de  Sainte-Catherine  en  pure  aumône,  n'y  retenant 
plus  aucun  droit,  et  Jean,  évêque  de  Coutances,  mort  le 
5  juillet  1274,  légua  100  livres  tournois  au  couvent4. 

Au  dix-septième  siècle,  un  évêque  de  Nantes,  M*1  de  Cos- 
péan,  avait  tant  d'amitié  pour  les  Trinitaires  de  Château- 
briant  qu'il  demeurait  parfois  trois  mois  chez  eux5. 

Bossuet,  qui  intervint  à  la  demande  des  religieux  de  Cer- 
froid  pour  faire  cesser  les  scandales  dont  la  fête  populaire  du 
jour  de  la  Trinité  était  le  prétexte,  avait  pour  confesseur,  en 
1702,  un  Trini taire  de  Meaux,  le  P.  Damascène. 

1.  Archives  nationales,  S  4267,  n°  6. 

3.  Ce  nom  resta  ai  populaire  dans  l'ordre  que  les  Trinitaires  ajoutèrent 
par  méprise  le  surnom  «  de  Cusiaca  »  à  un  grand-ministre  du  nom  de 
Pierre,  qui  vivait  vers  i3oo. 

3.  Ce  muid  de  blé  fut  le  sujet  d'un  grand  procès  en  i36g  et  fut  supprimé 
en  i55o,  lors  de  l'union  de  la  cure  de  Brumetz  au  couvent  de  Cerfroid. 

4.  Historiens  de  la  France,  t.  XXIII,  p.  55o. 

5.  L'abbé  Gouni,  Histoire  de  Ckûteaubrianl,  p.  4>9< 


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CHAPITRE  VII. 
Les  pins  anciens  grands-ministres  (1213-1410). 


L'histoire  des  treizième  et  quatorzième  siècles  sera  brève, 
car  nous  n'avons  pour  guide  que  la  Chronique  des  ministres- 
généraux  et  l'Obituaire  de  Gaçuin,  qui  ne  font  guère  que  se 
répéter.  De  très  rares  actes,  principalement  d'intérêt  local, 
sont  émanés  de  ces  grands-ministres,  que  la  vanité  des  histo- 
riens de  l'ordre  a  souvent  considérés  comme  des  étrangers 
d'origine,  à  cause  de  ces  noms  de  Angltcas,  Scotus,  Hispa- 
nus,  qui  n'étaient  bien  vraisemblablement  que  des  noms  de 
famille.  Entre  deux  explications  possibles,  il  est  plus  prudent 
de  choisir  la  plus  simple. 

Le  successeur  de  saint  Jean  de  Malha,  Jean  Langlois, 
mourut  aussi  à  Rome  (17  juin  1217).  La  bulle  d'Honorius  III, 
du  9  février,  est  encore  adressée  :  Joanni,  ministro. 

Après  lui,  Guillaume  Lescot',  élu  en  juin  1218,  mou- 
rut le  17  mai  1332  au  retour  d'une  rédemption,  à  Cordoue. 
On  n'a  aucun  acte  de  lui,  non  plus  que  de  son  successeur 
Roger  le  Lépreux,  mort  à  Châlons  le  18  mars  1237.  Sur  ce 
dernier,  on  a  imaginé  une  légende.  H  se  serait  moqué  de  saint 
Jean  de  Matha  et  de  ses  projets  d'instituer  un  nouvel  ordre 


1.  Baron  imagine  qu'il  fui,  un  taig,  au  siège  de  Damielte  $ 
François  (Anna/ex,  p.  1 17). 


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3o4  l'ordre   FRANÇAIS   DES   TRINITAIRES. 

religieux;  en  punition  de  sa  dérision,  il  aurait  été  frappé  de 
la  lèpre  '.  Guéri  par  le  saint,  il  serait  entré  dans  l'ordre  nou- 
veau par  reconnaissance,  en  gardant  toujours  le  nom  de 
Roger  le  Lépreux,  par  humilité. 

Michel  l'Espagnol,  qui  gouverna  l'ordre  depuis  le  mois  de 
juin  1 238,  figure  dans  l'acte  du  chapitre  général,  le  4  juin  1  a3o, 
acceptant  la  donation  du  couvent  de  Saint-Mathurin.  Il  mou- 
rut le  18  juillet  suivant  (ou  bien  en  ra3i),  et  fut  enseveli  a 
Rome.  Ce  grand-ministre  est  compté  parmi  les  étrangers  illus- 
tres, étudiants  de  l'Université  de  Paris3. 

Nicolas,  le  compagnon  de  captivité  de  saint  Louis,  eut  le 
bonheur  de  voir  l'ordre  comblé  de  donations;  il  vécut  sur- 
tout à  Ccrfroid,  on,  selon  la  tradition,  il  travailla  de  ses  mains 
à  bâtir  l'église  ;  son  épitaphe  y  était  conservée.  Le  P.  Calixte 
dit  qu'il  était  d'abord  ministre  de  Verberie,  et  Baron  affirme 
(p.  1 46)  que  les  Maures  lui  vendaient  des  captifs  à  plus  bas 
prix  qu'aux  autres;  rien  n'empêche  d'admettre  ces  faits.  Ce 
qu'on  doit,  par  exemple,  lui  refuser,  c'est  la  signature  d'une 
transaction  de  1  a36,  pour  la  fondation  des  religieuses  d'Avin- 
gavia,  avec  une  princesse  du  nom  de  Constance  d'Aragon,  qui 
n'a  jamais  existé  que  dans  l'imagination  de  quelques  auteurs 
espagnols.  Il  mourut  le  11  mars  12Ô7  et  non  ia56J,  car  le 
1 1  juin  1 256  il  accorde  au  roi  Louis  IX  l'association  spirituelle. 

Suivant  les  Trinitaires,  le  successeur  de  Nicolas,  Jacques 


1 .  Il  y  a  une  autre  histoire  de  lèpre  au  berceau  de  l'ordre  des  Trinitaires, 
mais  cela  par  une  mi-prise  :  Albérîc  des  Trois-Fon  laines  parlait  d'un  sei- 
gneur délivré  mi  meuleuse  ment  de  Alopia  (Alep)  ;  le  mot  alopia  n'ayant  pas 
été  compris,  on  a  traduit  que  ce  seigneur  avait  été  guéri  de  la  Upre  (Vie 
italienne  de  saint  Jean  de  Matha). 

3.   Bi'DiNZicy,  Die  Fremdtn  an  der  Pariter  L'nioersitât,  p.  ïi4- 

3.  Arch.   nnt.,   sceau  n°  yfiui.   L'obituaire  de  La  Perrine  place  sa  mort 


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LES    PLUS    ANCIENS   GRANDS-MIMSTHES.  2o5 

Flamand,  ne  le  valut  pas  ' .  Il  était  si  indolent,  dit  Baron 
(p.  ao3),  que  le  pëpe  voulut  enlever  à  l'ordre  le  célèbre  cou- 
vent de  Saint-Thomas  de  Formts  (26  mars  1263). 

Àlard,  le  neuvième  grand-ministre,  est,  au  contraire,  assez 
bien  connu.  Il  obtint  la  «  mitigation  »  de  la  règle,  l'exemp- 
tion des  péages  et  du  centième  de  la  Terre-Sainte;  il  passa  une 
transaction  avec  le  chapitre  de  Marseille  en  1270,  et  mourut 
chez  les  Franciscains  de  Trapani,  le  18  février  1372. 

Ici  se  présente  une  difficulté.  Gaguin  place  après  Alard 
Pierre  de  Cuîsy,  qui  aurait  reçu  de  Philippe  le  Hardi  des 
donations  pour  les  couvents  de  Paris,  Cerfroid  et  Verberie. 
En  réalité,  ces  donations  sont  de  i3o4.  Ce  Pierre  n'est  pas 
un  Pierre  II,  et  à  sa  place  nous  avons,  en  1273,  un  Jean;  c'est 
Jean  Boileau,  chapelain  «  de  l'illustre  roi  de  Navarre  »,  mort 
seulement  le  25  mai  1291  *.  En  127ÎÎ3,  à  peine  élu,  il  nomme 
Vincent  de  Fontaînet  provincial  de  Languedoc.  Ce  qui  est 
fort  étonnant,  c'est  que  Baron  a  publié  l'acte  de  1273  et 
mis  à  cette  date  la  notice  de  Pierre  de  Cuîsy,  sans  s'aperce- 
voir de  la  contradiction. 

Mais  que  se  passa-t-il  en  1291?  «  L'ordre  resta  sans  chef 
par  suite  d'une  épidémie,  qui  causa  une  telle  mortalité  dans 
les  provinces  que  les  Pères  ne  purent  se  réunir  à  Cerfroid. 
Lorsque  la  Providence,  continue  Baron  (p.  286),  voulut  met- 
tre un  terme  à  ces  maux,  elle  donna  un  chef  dont  nous  par- 
lerons à  cette  époque  1  »  Et  il  n'en  parla  jamais.  Ce  chef,  c'est 
Pierre  dont  il  a  donné  la  notice  précédemment.  C'est  lui  qui 

1.  «  Dissipateur  sans  goût  »,  dit  le  P.  Calixte.  En  fait,  on  ne  sait  rien  de 
lui.  C'est  ce  que  l'on  doit  conclure,  après  avoir  lu  l'article  de  la  Slemmato- 
graphia  triniturtu,  de  Luc  de  Saint-Nicolas  (A  la  page  19),  qui  lui  est,  au 
contraire,  favorable. 

a.  Recueil  des  Obituaires,  t.  I",  p.  686. 

3.  Pièce  44. 


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2o6  l'ordre  FRANÇAIS  DES  trinitaires. 

figure,  en  1397,  dans  l'acte  de  réunion  de  Silvelle  au  monas- 
tère de  Cerfroid1  ;  c'est  lui  qui  reçoit,  en  i3o4,  une  donation 
de  Philippe  le  Bel  sur  les  recettes  de  Pont-Sain  te-Maxence  et 
de  Pontpoint,  en  compensation  d'un  établissement  qui  n'avait 
pu  prospérer  à  Arsague  dans  le  Béarn,  à  cause  de  la  «  per- 
versité »  des  habitants3.  Nous  ne  savons  rien  de  plus  sur  cet 
incident.  Pierre  mourut  le  5  octobre  i3i5,  comme  le  rapporte 
l'Obituaire. 

Le  douzième  grand-ministre  fut  Bertaud,  que  Gaguin  n'a 
pas  cité  :  il  était  ministre  de  Troyes  en  i3o63.  Il  présida  le 
chapitre  général  de  i3iq,  où  furent  faites  des  constitutions 
intéressantes,  et  mourut  le  i3  août  i3a34. 

Son  successeur,  nommé  Jean  (le  nom  de  famille  est 
inconnu),  confirma,  au  mois  de  novembre  i324,  la  fondation 
de  l'hôpital  de  Dinard.  En  i33o,  il  unit  aux  Mathurins  de 
Paris  le  couvent  du  Bourget,  dont  il  sera  question  plus  tard. 

Thomas  Loquet  lui  succéda  en  i337 ;  déjà  en  i3i2,  il  est 
chapelain  et  aumônier  de  Gaucher  de  Châltllon  et  attire  beau- 
coup de  bienfaits  sur  le  chef  d'ordre5.  Dès  le  mois  de  janvier 
i338  (n.  st.),  il  est  qualifié  de  ministre-général  et  ministre  de 
Verberie6,  Il  souscrit  encore  en  i355  un  acte  de  Gilles  de 
Mante?  pour  le  couvent  de  Cerfroid  et  meurt  en  1357. 

Pierre  de  Bourry  (on  ne  sait  à  quelle  localité  se  rapporte 
ce  nom  :  de  Burreio)  fut  élu  en  i358.  C'était  un  homme  très 
ferme,  dit  Gaguin,  à  en  juger  par  le  châtiment  qu'il  infligea  à 

1.  Do*  Toubsaintb  du  Pleshis,  ouvrage  cité,  1.  Il,  p.  181. 

3.  Archives  nationales,  JJ  45- 

3.  Archives  nationales,  S  $262,  a"  18. 

j.  Historiens  de  la  France,  1.  XXIII,  p.  55i. 

5.  DOM  ToUSSAINTS  DU  pLESSIB,  t.   II,  p.   Io/|. 

6.  Archives  nationales,  S  4262,  a"  19. 

7.  Bibl.  nationale,  collection  de  Champagne,  vol.  i53,  no  46. 


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LES   PLUS   ANCIENS   GRANDS- MINISTRES.  207 

deux  minisires  d'Espagne.  Il  mourut  le  3o  septembre  1 373.  A 
partir  de  cette  époque,  on  possède  la  copie  des  actes  d'élec- 
tion des  généraux,  ce  qui  fournil  des  dates  plus  précises. 

Jean  de  Lamarche,  élu  le  3o  avril  i3-]!\,  était  alors  ministre 
de  l'Hotet-Dieu  de  Meaux;  il  ratifia  en  i38o  ce  qu'il  avait 
fait,  comme  ministre,  relativement  au  couvent  du  Bourget. 
Ayant  fait  adhésion  au  pape  d'Avignon,  il  vit  retirer  à  l'ordre 
l'hôpital  romain  de  Saint-Thomas  de  Formis,  si  tant  est  que 
les  Trinitaires  ne  l'eussent  point  encore  abandonné. 

Renaud  de  Lamarche,  élu  le  13  mai  1393,  était  peut-être 
parent  du  précédent.  Il  donna,  au  dire  de  Gaguin,  le  mauvais 
exemple  du  cumul  d'un  ministériat  particulier  avec  la  charge 
suprême  de  l'ordre,  en  gardant  le  couvent  de  Clermont,  dont 
il  fit  d'ailleurs  rebâtir  l'église.  Une  pièce  des  Archives  dépar- 
tementales de  l'Oise  '  tend  à  nous  faire  croire  que  cette  ges- 
tion n'était  que  temporaire,  en  défaute  de  ministre.  Il  mourut 
le  3o  mars  i4io'.  1 

Avant  de  passer  à  son  successeur,  Thierry  Valerand,  il 
nous  faut  revenir  en  arrière  sur  les  agissements  des  Mathu- 
rins  de  Paris,  dont  le  ministre  aspirait  alors,  non  sans  quelque 
droit,  à  tenir  la  première  place  dans  l'ordre  entier.  La  crise 
que  traversa,  de  iu,io  à  i4ao,  l'ordre  des  Trinitaires  a  besoin 
d'être  reprise  de  plus  haut. 

1,  Pièce  88. 

3.  Ces  dates  sont  prises,  pour  l'élection,  dans  le  manuscrit  de  la  Biblio- 
thèque nationale,  fonds  français  15697  (vo'r  '•'  P'*0"  23o)>  et  Pour  la  mort, 
dans  J'Obiiuaire  de  Gaguin. 


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CHAPITRE  VIII. 


Les  Mathurins  de  Paris  jusqu'au  début 
du  quinzième  siècle. 


Le  couvent  de  SaiiH-Mathurin  de  Paris  avait  élé  cédé  i 
l'ordre,  en  1229,  par  l'évêque  Guillaume  d'Auvergne.  Ses 
religieux  furent  nommés  populairement  Mathurïns,  et  ce  nom 
passa  à  tous  les  religieux  de  l'ordre,  surtout  dans  le  nord  ' 
de  la  France.  Les  Malhurins  de  Paris  jouèrent  un  grand  râle 
dans  l'Université  et,  tiers  de  leur  position,  aspirèrent  à  domi- 
ner tout  l'ordre,  apportant  dans  cette  tâche  une  absence  de 
scrupules  et  une  ténacité  qui  ne  se  démentirent  jamais. 

Leur  premier  soin  fut  de  déposséder  Cerfroid  du  rang  de 
chef  d'ordre;  ils  y  parvinrent  en  deux  siècles.  Puis,  il  leur 
fallut  mettre  la  main  sur  les  couvents  français  ;  au  début  du 
dix-septième  siècle  ils  y  étaient  arrivés.  Ainsi  fortifiés,  ils 
purent  résister  aux  provinces  d'Espagne  et  d'Italie,  et  même 
les  amener  à  reconnaître  leur  autorité. 

Entre  Paris  et  Cerfroid,  l'issue  de  ta  lutte  ne  pouvait  être 
douteuse.  Paris  avait  tous  les  avantages,  Cerfroid  étant  dans 
un  désert.  Mais  les  Mathurins  ne  songèrent  pas  à  enlever  à 
Cerfroid  son  auréole  de  berceau  mystérieux  de  l'ordre  ;  jamais 
ils  ne  contestèrent  que  Cerfroid  ne  dut  être  le  lieu  de  réunion 

1.  Quand  il  y  eut  des  Reformés  dans  le  Midi,  Mathurins  signifia  exclusi- 
vement mitigés. 


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LES    MATHURINS    JUSQU'AU    QUINZIÈME    SIECLE.         ■       aOy 

du  chapitre  général.  Bien  plus,  ils  tinrent  a  honneur  de  se 
réunir  en  ce  pays  encore  au  dix-huitième  siècle.  Cerfroid  étant 
annihilé  politiquement,  le  grand-ministre  devait  s'apercevoir 
que  le  vrai  centre  de  l'ordre  était  à  Paris;  de  là  à  venir  y 
résider,  il  n'y  avait  qu'un  pas. 

Dès  le  treizième  siècle,  le  ministre  de  Paris,  Simon,  homme 
éminent  d'ailleurs  et  vicaire  général  de  l'ordre,  éclipse  presque 
le  grand-ministre  Nicolas,  revenu  de  la  croisade.  On  a  vu, 
plus  haut,  la  confiance  qu'avait  en  lui  le  roi  d'Angleterre.  En 
n4a,  Simon,  n'étant  que  ministre  des  Malhurins,  avait  reçu 
pour  son  couvent  l'hôpital  de  Fontcnay-lès-Louvres.  L'hô- 
pital de  Châteaufort  avait  été  cédé  par  Matlùldc  de  Marly,  en 
1257,  au  grand-ministre  et  à  l'abbé  de  Saint-Victor;  on  con- 
state qu'en  1280  il  est  passé  entièrement  aux  Mathurins1.  En 
i3a4,  leur  ministre,  Robert  Boulanger,  recevra  pour  lui- 
même  l'hôpital  de  Dinard,  bientôt  simple  dépendance  du 
couvent  de  Paris;  c'est  chez  les  Mathurins  de  Paris  que 
le  grand-ministre  Jean  se  transporte  pour  ratifier  la  dona- 
tion. Qu'on  ne  s'étonne  point  de  cette  condescendance  :  déjà 
un  conflit  était  en  germe  entre  le  grand-ministre  et  les  Mathu- 
rins. 

L'hôpital  de  Compiègnc  ayant  été  enlevé  aux  Trinilaircs  en 
i3o3,  ils  gardèrent  trente  muids  de  bié  que  saint  Louis  avait 
donnés  autrefois  À  cet  hôpital  sur  les  moulins  de  Vcrberie. 
Les  chapitres  généraux  de  i3o4  et  de  i3o6  procédèrent 
au  partage  :  Cerfroid  reçut  dix  muids  et  les  Malhurins 
six  seulement,  Yerberie  gardant  le  reste.  Il  y  avait  eu,  entre 
les  parties,  des  difficultés  pécuniaires  auxquelles  les  ncles  ne 
font,  qu'une  allusion  discrète.   Les  trente  muids    n'ayant  pu 

1.  Archives  nationales,  carlulaire  LL  i544i  f"  7». 


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210  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRI NIT AIRES. 

être  perçus  dans  leur  totalité,  à  cause  des  guerres,  le  grand- 
ministre  Thomas  Loquet,  en  même  temps  ministre  de  Ver- 
rerie, voulut  faire,  sur  les  parts  des  trois  couvents,  une  réduc- 
tion proportionnelle,  fort  juste  en  somme.  Les  Mathurins,  qui 
se  trouvaient  déjà  peu  avantagés,  jetèrent  les  hauts  cris;  sur 
le  conseil  d'hommes  de  loi,  le  grand-ministre  céda  et  délivra 
aux  religieux  les  six  muids  sans  aucune  défalcation  '. 

Cette  petite  victoire  devait  être  suivie  d'une  autre  plus  signi- 
ficative. Le  couvent  du  Bourget,  près  Paris  (de  Ponte  Reginae 
juxta  Burgellam),  fondé  dès  i2oï,  quoique  favorisé  de  dona- 
tions de  Jeanne  de  Navarre,  avait  vu  tellement  diminuer  ses 
revenus  que  le  grand-ministre  y  abolît  la  conventualité  et  le 
donna  en  commende  à  Nicolas  de  Fréauville,  dominicain,  car- 
dinal de  Saint-Eusèbe.  Celui-ci  ne  le  garda  que  jusqu'au 
22  décembre  i iiaa 2  (il  mourut  le  iS  février  i32'4)< 

Qu'allait-on  en  faire?  II  fallait  appliquer  la  «  réduction  », 
dont  nous  avons  vu  le  mécanisme.  La  maison  la  plus  voisine 
et  la  plus  capable  de  recueillir  cette  succession  était  celle  des 
Mathurins  de  Paris;  c'est  donc  au  couvent  de  Paris  que  le 
chapitre  général  de  i33o  réunit  le  Bourget,  aux  conditions 
suivantes  : 

Les  Mathurins  durent  nourrir  et  loger  quatre  écoliers,  élus 
chacun  par  une  province  de  l'ordre  (ici  appelée  nation 3).  Ces 
écoliers,  demeurant  à  Saint- Ma thurin,  assisteront  aux  messes 
conventuelles,  à  moins  d'une  excuse  valable  ;  ils  pourront  être 
punis,  s'ils  sont  en  faute,  par  le  ministre  et  le  prieur.  Les 
Mathurins  devront  entretenir  au  Bourget  un  prêtre,  qui  aura 

i.  Le  ifi  février  i4«i,  Jean  Je  Camps,  fermier,  s'engagea  à  leur  pajer 
annuellement  5o  ce  us  d'or  de  18  pariais  pièce,  au  lieu  des  six  muids. 

2.  Pièce  n°  63. 

3.  Les  Mathurins  se  souviennent  du  vuisinage  de  l'Université. 


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LES    MATHURINS    JUSQU  AU    QUINZIEME    SIECLE.  211 

le  titre  de  prieur'  et  lui  donner  le  moyen  de  dire  sa  messe 
tous  les  jours;  ils  ne  seront  pas  contraints  de  réparer  ce  cou- 
vent en  ruines. 

Ces  conditions  ne  nous  paraissent  pas  draconiennes,  maïs 
les  Mathurins  en  jugèrent  autrement.  Le  milieu  du  qua- 
torzième siècle  fut  évidemment,  pour  la  France,  une  époque 
calamiteuse ;  ils  en  souffrirent  comme  les  autres  religieux, 
et  prétendirent  en  avoir  pâti  plus  que  tous.  Ils  annoncèrent 
donc  leur  intention  de  renoncer  au  couvent  du  Bourget,  adres- 
sant ainsi  un  défi  au  reste  de  l'ordre. 

Le  grand-ministre,  Pierre  de  Bourry,  dut  plier  devant  les 
Mathurins;  se  trouvant  malade,  il  chargea  quatre  procureurs 
spéciaux  de  se  concerter  avec  les  correcteurs  du  chapitre  géné- 
ral, en  vue  de  trouver  une  formule  d'accommodement,  qui  fut 
la  suivante.  En  1370,  les  Mathurins  furent  déchargés  de  l'en- 
tretien d'un  prêtre  au  Bourget;  ils  ne  seront  dorénavant  tenus 
qu'à  faire  dire  trois  messes  par  semaine.  Les  quatre  écoliers 
seront  prêtres  et  célébreront,  chaque  semaine,  une  messe  pour 
les  bienfaiteurs  du  couvent  du  Bourget.  Chaque  province 
paiera  5o  sous  pour  son  écolier.  Aucune  autre  charge  ne  put 
être  imposée  aux  Mathurins;  l'ordre  entier  promit,  sous 
l'obligation  de  ses  biens,  de  les  soutenir  dans  tous  les  procès 
qui  pourraient  provenir  de  l'une  quelconque  de  ces  conditions. 

Le  chapitre  particulier  des  Mathurins  approuva  la  transac- 
tion et  demanda,  pour  plus  de  sûreté,  que  le  chapitre  général 
et  le  pape  fussent  appelés  à  la  confirmer;  ce  qui  fut  fait,  au 
mois  de  mai  i3So,  parle  chapitre,  et,  au  mots  de  juillet,  par 
le  pape  d'Avignon,  Clément  VII. 

1.  L'un  de  ces  prieurs  fut  Nicolas  Griment,  tin  des  architectes  de  l'église 
des  Mathurins,  présent  à  la  visite  de  la  léproserie  du  Bourgel  en  i35i. 
(Le  Grand,  Les  Maisont-Dieu  du  diocèse  de  Paris,  p.  8.) 


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21 S  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TiUNITAIRES. 

Les  Malhnriiis  comprirent  combien  leur  conduite  avait  été 
blâmable,  car  ils  refusèrent  plus  tard  communication  à  Jac- 
ques Bourgeois  de  cette  bulle  qui  témoignait  de  leur  comba- 
tivité. Certes,  après  avoir  vu  l'ordre  plier  devant  eux,  les 
Mulhuriiis  pouvaient  se  dire  :  Qao  non  ascendetnuxi  II  se 
présenta,  peu  d'années  après,  un  homme  capable  d'incarner 
ces  visées,  cl  peu  scrupuleux  sur  le  moyen  de  les  réaliser  : 
c'était  Elicnne  du  Mesnil-Foucliard. 

On  ne  connaît  ni  la  date  ni  le  Ueu  de  naissance  de  ce  per- 
sonnage, un  des  plus  illustres  docteurs  en  théologie  de  la 
Sorbonne.  Ministre  des  Mathurins  dès  r388,  il  ne  fut  d'abord 
qu'un  zélé  Irinitaire;  il  fil  deux  rédemptions  de  captifs,  l'une 
en  Afrique,  l'autre  à  Grenade,  et  ramena  cent  quatre  chré- 
tiens*. II  a  le  dépôt  de  l'argent  du  prieur  de  Cerfroid,  qui  se 
trouvait  sans  doute  peu  eu  sûreté  à  la  campagne,  et  lui  en 
envoie  en  novembre  i4«i3.  Son  rôle  politique  commença  à 
la  deuxième  «  soustraelion  »  de  l'obédience  au  pape  d'Avignon 
Benoit  XIII,  à  laquelle  il  prit  une  grande  part4.  Il  se  lança 
aussi  dans  le  paru  bourguignon,  ce  qui  lui  attira,  dans  un 
sermon,  une  violente  invective  du  cardinal  de  Bar.  Mais  il  se 
produisit  alors  un  événement  mystérieux  dont  il  tira  parti. 

Thierry  Valerand  (ce  nom  s'écrit  aussi  Varreland,  Wayer- 
lant,  Waveriand)  était  mon  le  3»  juin  i4i3,  après  trois  ans 
seulement  de  çénéralat,  en  allant  à  Rome  avec  Roger  Tou- 
teval,  ministre  du  Fay.  Il  était  porteur  d'une  somme  d'argent 
qui  ne  se  retrouva  pas,  et  liaguin  accuse  nettement  Etienne 
du  Mesnil-Foucliard  de  l'avoir  partagée  avec  Roger  Touteval 


i.  Archives  nationales,  S  4^53* ,    no  50. 

2.  Le  P.  Dmifle  et  Châtelain,  i'.hnrlnlariiiin,  I.  IV,  pp.  75-76. 

3.  Journal  «le  Nicoliu  de  Haye.  t.  I.  p.  1 18. 

4.  Journal  du  Hourgeiiis  île  Paria,  édition  Tuetey,  p.  9. 


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LA    CRUCIFIXION. 
(An  pied  de  la  croix,  Nicolas  Musnier,  le  donateur  du  missel.) 

ie  Mjuwliie,  ois.  430,  fol.  160  T.) 


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LES    KATHURINS    JUSQU'AU    QUINZIÈME    SIECLE.  3l3 

(qui  fut  depuis  un  de  ses  ennemis  les  plus  acharnés).  Nommé 
castos  par  les  correcteurs  du  chapitre  précédent,  ce  qui  ne 
paraît  déjà  pas  très  régulier,  Etienne  aurait  peut-être  été  élu 
général  par  la  voie  ordinaire,  mais  il  pensa  qu'en  un  temps  si 
troublé  on  n'y  regarderait  pas  de  si  près  et  voulut  placer 
les  ministres  de  l'ordre  en  face  du  fait  accompli.  Le  pape  légi- 
time était  alors  Jean  XXII,  qui  avait  succédé  à  Alexandre  V, 
l'élu  du  concile  de  Pîse.  Etienne  du  Mesnil  lui  demanda  d'être 
promu  à  la  dignité  suprême  de  l'ordre  et  se  rendit  au  cha- 
pitre général  de  i4i4,  qu'il  présida  en  qualité  de  autos. 

Il  commença,  contre  l'habitude,  par  parler  en  français  sur 
l'obéissance,  dit  Gaguin  ',  puis  il  exposa  tous  ses  services  avec 
quelque  hauteur,  mais  non  sans  éloquence;  il  déclara  que  le 
pape  Jean  XXII  l'avait  nommé,  à  son  insu,  grand-ministre  et 
qu'il  attendait  la  bulle  d'un  moment  à  l'autre.  Il  leur  demanda 
donc  de  surseoir  à  l'élection.  Les  ministres,  surpris  de  cette 
attitude,  ajournèrent  la  solution  ;  au  dire  de  Gaguin,  ils  con- 
tinuèrent Etienne  dans  la  charge  de  rustos  pour  une  autre 
année.  Peu  de  lemps^après,  arriva  la  bulle  de  Jean  XXII, 
datée  du  6  mai  i4'4.  et  Etienne  se  considéra  comme  grand- 
ministre  légitime2.  Des  religieux  mécontents  introduisirent 
une  plainte  au  Parlement,  et  le  chapitre  général,  qui  avait  été 
prorogé,  se  réunit  à  Cerfroid  au  mois  d'avril  i4i5. 

Les  quatre  correcteurs  du  chapitre  lui  étaient  hostiles;  un 
huissier  royal  vint  sommer  Etienne  de  quitter  la  présidence 
qu'il  s'arrogeait  en  vertu  de  la  bulle.  On  prit  pour  enstos 
Roger  Touleval3;  ensuite,  Pierre  Chandoté,  prieur  de  Cer- 


i.   Galliit  christiana,  1.  V1I1,  col.  1739-1740. 

2.  Cette  bulle  ne  s'est  jamais  retrouvée,  comme  bien  d'nulres  bulles,  qui 
seraient  d'un  intérêt  capital  pour  l'histoire  Irinilaire. 
S.   Bibliothèque  nationale,  manuscrit  français  1 5  60,7,  f*  9  v".  Le  procés- 


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ai 4         •  l'ordre  français  des  tributaires. 

froïd,  fut  élu  grand-ministre,  excommunia  tous  ses  adversaires 
et  retint  les  bagages  d'Etienne,  qui  voulait  emporter  le  sceau 
de  l'ordre;  le  vaincu  se  retira  à  Paris. 

Le  grand  procès  se  plaida  au  Parlement  en  i/jiy-  D'un 
coté  se  présentent  le  prieur  de  Cerfroid,  soutenu  par  Roger 
Touteval,  ministre  du  Fay,  ainsi  que  par  les  ministres  de  Cler- 
mont,  Meaux,  Arras,  Lérinnes,  Lens,  Nieppe,  Audregnies, 
Douai,  Gonvorde,  Templeux,  Verberie,  Milry,  Pontarmé, 
Etampes,  Silvelle,  Metz,  La  Fère-Ghampenoise  ;  Etienne  est 
appuyé  par  les  ministres  de  Mortagne,  Fontainebleau,  L'Hon- 
neur-Dieu, Beauvoir,  Rieux,  Lisieux,  La  Veuve,  Soudé,  Vilry, 
Grandpré,  Limon,  Narbonne,  Troyes,  La  Gloire-Dieu,  Bar- 
su  r-Sei ne,  C hâtons. 

La  province  de  France  était  également  partagée  entre  les 
deux  concurrents,  la  Flandre  tenait  pour  Pierre  Chandoté  et  la 
majorité  de  la  Champagne  pour  Etienne  du  Mesnil,  qui  avait 
de  plus  pour  lui  deux  représentants  du  Midi. 

Les  demandeurs  rappelèrent  que,  dans  la  discipline  de 
l'ordre,  le  grand-ministre  n'avait  pas  besoin  de  la  confirma- 
tion du  pape  :  en  la  demandant  par  avance,  Etienne  du  Mesnil 
s'était  lui-même  reconnu  indigne  du  généralat  ;  la  bulle  était 
subreptice  parce  qu'elle  avait  été  obtenue  en  violation  des 
statuts. 

Les  défendeurs  répliquèrent  que  la  règle  ne  disait  rien  de 
l'élection  du  grand-ministre  (ce  qui  était  vrai  d'ailleurs),  et 
que  le  pape,  étant  le  chef  suprême  de  tous  les  ordres  reli- 
gieux, pouvait  en  choisir  le  chef.  Etienne  demandait,  en  con- 


verhal  d'élection  mentionne  expressément  ce  fait.  Etienne,  qui  n'eiait  que 
cnatos,  s'étant  proclamé  gênerai,  ne  fui  pas  reconnu  comme  tel.  Le  géné- 
ralat  élant  vacant,  il  fallut  d'abord,  même  pour  peu  de  jours,  choisir  un 
autre  ciittot. 


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LES    MATHURINS   JUSQU'AU    QUINZIÈME    SIÈCLE.      .  9l5 

séquence,  de  rester  en  possession  de  la  charge  de  grand- 
ministre  et  réclamait  même  5oo  livres  de  dommages-intérêts. 

Le  Parlement  annula  la  plainte  de  Pierre  Chandoté,  mais 
n'accorda  pas  de  dommages-intérêts  à  Etienne1  (19  mai  1 4T 7)- 
C'était  une  solution  Bâtarde.  Les  deux  partis  n'en  continuè- 
rent pas  moins  à  se  déchirer.  Au  dire  de  Gaguin,  le  Parle- 
ment aurait  commis  Jean  de  Troyes  au  gouvernement  provi- 
soire de  l'ordre1.  La  mort  même  d'Etienne,  qui  eut  lieu 
au  plus  tard  en  septembre  i4i8,  ne  ramena  pas  la  paix. 
Nicolas  Petit,  élu  ministre  des  Mathurins  en  remplacement 
d'Etienne  du  Mesnil,  vît  son  élection  annulée  par  le  grand- 
ministre  Pierre,  quî  prétendait  qu'elle  avait  eu  lieu  sans  son 
consentement3  (a5  septembre  i4i8). 

Cette  crise  faillit  perdre  l'ordre.  Les  maux  de  la  guerre 
étrangère  s'ajoutant  à  ceux  de  la  guerre  civile,  les  Trini- 
taires,  dit  Gaguin,  se  livrèrent  à  tous  les  vices  et  beaucoup  de 
couvents  furent  abandonnés.  Les  provinces  étrangères,  qui 
avaient  déjà  manifesté  des'velléités  d'indépendance  au  début 
du  grand  schisme,  jugèrent  le  moment  venu  de  conquérir  leur 
autonomie.  L'Espagne  choisit  pour  grand-ministre  Vascon- 
cellos,  Trini taire  de  Valladolid4.  Une  pareille  altitude  ouvrit 
enfin  les  yeux  des  combattants.  Pierre  Chandoté  étant  mort 
en  1420,  Nicolas  Petit,  reconnu  ministre  de  Paris,  fut  élu 
castos.  Le  10  mai  i4ai,  le  chapitre  général  se  réunit  au  cou- 
vent de  Saint-Mathurin,  et  Jean  de  Troycs,  ministre  de  Saint- 
Eloi  de  Mortagne,  fut  nommé  grand-ministre5. 


1.  Archives  nationales,  X'"  62,  f°>  io5-r  08. 

1.  Il  put  donc  y  avoir  à  la  fois  trois  généraux. 

3.  Archives  nationales,  LL  i545,  p.  t. 

4-    Vita  di  tan  Giooanni  de  Malha,  p.  448. 

5.  Bibliothèque  nationale,  manuscrit  français .15697,  ^9  v°- 


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ai 6  l'ordre  français  des  : 

Ainsi,  c'est  à  Saint-Mathiirin  que  s'est  tenu  le  chapitre 
général  1  La  crainte  inspirée  par  le  souvenir  d'Etienne  du 
Mesnil-Fouchard  ne  fut  pas  étrangère  à  ce  dénouement.  De 
plus,  la  guerre  anglaise,  en  fixant  pendant  quelques  années 
le  grand-ministre  à  Paris,  pour  la  première  fois  depuis  deux 
cent  vingt  ans,  allait  achever  la  décadence  de  Gerfroid  et 
amener  la  fusion  pacifique  des  deux  titres  de  grand-ministre 
et  de  ministre  des  Mathurins.  Jean  de  Troyes  allait  entre- 
prendre de  réparer  les  maux  attirés  sur  l'ordre  des  Trini- 
taires  par  le  trop  célèbre  ministre  des  Mathurins. 


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CHAPITRE  IX. 


Mathurins  et  Trinltaires  de  1421  à  1570. 


Jean  de  Troyes,  qui  avait  assumé  la  rude  tâche  de  refaire 
l'unité  de  l'ordre,  était  docteur  en  théologie  depuis  i4o3";  il 
s'appelait  Jean  Halboud  et  était  profèa  de  Troyes,  d'où  son 
nom  habituel.  C'était  un  savant,  particulièrement  enthou- 
siaste de  sciences  occultes  ;  il  se  peut  qu'il  ait  tiré  l'horoscope 
du  jeune  fils  du  roi  d'Angleterre  Henri  V  et  qu'il  ait  ren- 
contré juste.  Il  fut  commis,  en  i43o,  par  le  recteur  de  Paris, 
avec  un  autre  religieux,  pour  donner  un  avis  motivé  sur  les 
conjonctions  du  soleil  et  de  la  lune  cl  sur  les  jours  qui  con- 
venaient le  mieux  aux  saignées  et  aux  purgations9 1  A  ces  qua- 
lités spéculatives,  il  joignait  d'ailleurs  un  grand  sens  pratique. 
Le  il\  avril  1^29,  à  la  veille  de  la  délivrance  d'Orléans,  et  à 
la  date  réglementaire  du  quatrième  dimanche  après  Pâques, 
Jean  de  Troyes  réunit  les  quatre  provinces  à  Cerfroid.  II  y 
promulgua  ou  y  remit  en  vigueur  les  plus  sages  règlements 
sur  le  versement  annuel  du  tiers  des  captifs,  sur  l'assistance 
obligatoire  aux  sessions  du  chapitre,  sur  la  rédaction  du  car- 
tulaire  de  chaque  couvent.  Il  fut  défendu  aux  ministres  con- 
ventuels de  vivre  sans   la   compagnie  d'un  clerc  à  tout  le 

1.  Chartatarium  L'nioertitalit,  IV,  118. 

2.  Bibliothèque  nationale,  latin  7^43.  J'en  ai  donné  un  extrait  pièce  o3. 


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ai8  l'ordre  français  î>ks  trinitaires. 

moins,  ce  qui  montre  la  «  désolation  »  des  couvents  trini- 

taires. 

Ces  Statuts,  déjà  fort  développés  (ils  occupent  a3  pages 
dans  l'édition  de  i586),  furent  augmentés  d'articles  spéciaux 
pour  l'Espagne,  rédigés  par  Jean  de  Burgos1.  Ce  fui  là,  sans 
doute,  un  effort  tenté  par  Jean  de  Troyes  pour  rattacher 
l'Espagne  indocile  aux  provinces  de  France,  en  lui  ordonnant, 
comme  il  a  été  dît,  d'envoyer  tous  les  cinq  ans  un  ou  deux 
délégués  au  chapitre  général. 

Politiquement,  Jean  de  Troyes  était  du  parti  de  son  célèbre 
devancier.  Il  était  ami  des  Anglais,  mais  non  Anglais,  comme 
l'a  cru  l'éditeur  de  la  vie  italienne  de  saint  Jean  de  Matha 
(p.  448)-  On  peut  croire  qu'au  moment  du  siège  de  Paris  par 
les  Armagnacs  (avec  Jeanne  d'Arc),  l'incendie  de  ia  grange 
des  Mathurins  fut  une  vengeance  préméditée. 

Jean  de  Troyes  fait  fonction  de  doyen  de  la  faculté  de  théo- 
logie au  moment  du  procès  de  Jeanne  d'Arc;  il  figure  aussi 
en  tète  de  la  députation  que  l'Université  veut  envoyer  au  duc 
de  Bourgogne  pour  la  paix  de  la  France  (7  octobre  i43a)3. 
Il  mourut  à  Paris,  vers  i44o;  ï'obituaire  de  Gaguin  ne  donne 
pas  la  date  exacte. 

Cerfroid  n'est  pas  moins  délaissé  par  Jean  Thibaud 3,  suc- 
cesseur de  Jean  de  Troyes,  et  déjà  ministre  de  Châlons  en 
1429;  il  continue  à  résider  dans  ce  couvent.  C'était  un  bel 
homme,  fort  grand,  nous  dit  Gaguin;  il  fît  faire  un  célèbre 
rachat  desTcaptifs.  Jean  Thibaud  prit  pour  coadjuleur,  dans 
la  ministrerie  de  Châlons,   Raoul   Du  vivier,  qui   lui  succéda 


1.  Bibliothèque  Mazarine,  manuscrit  1766,  fo>  b/,-4 

2.  Gkartularium  Unimrsitatis,  t.  IV,  p.  545. 

3.  L'obituaire  dit    cependant   qu'il    fît   i 


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MATHURINS    ET    TRINITAIRES    DE    l^H    A    1670.  219 

comme  grand-ministre,  le  to  mai  i/|6o,  à  l'âge  de  trente-sept 
ans,  après  avoir  beaucoup  souffert  pour  le  bien  de  l'ordre,  dit 
son  acte  d'élection,  sans  plus  de  détails;  il  est  à  présumer 
que  c'était  au  cours  de  la  rédemption  de  captifs  ci-devant 
mentionnée. 

Après  avoir  séjourné  deux  ou  trois  ans  à  Cerfroid,  Raoul 
Duvîvier  quitta  ce  couvent,  oà  aucun  supérieur  de  Fordre  ne 
demeurera  désormais,  et,  sur  la  résignation  faite  en  cour  de 
Rome  par  Bernard  Lautren,  ministre  des  Mathurîns,  il  se 
rendit  à  la  maison  de  Paris  qu'il  administra,  avec  l'autorisa- 
tion du  pape,  en  qualité  de  ministre  commendataire.  La  fusion 
entre  les  deux  factions  jadis  rivales  est  consommée  au  profit 
de  Paris,  dont  la  prééminence,  malgré  quelques  nuages  au 
seizième  siècle,  se  maintiendra  désormais.  Si  Raoul  Duvivier 
vint  à  Paris,  ce  ne  fut  point  pour  se  distraire,  dit  Gaguin, 
mais  pour  veiller  aux  études  de  ses  moines.  Malade,  il  per- 
muta avec  Gaguin  le  couvent  de  Tours,  en  gardant  une  partie 
des  revenus  du  couvent  des  Mathurins;  il  mourut  le  22  juil- 
let >4?3  et  eut  pour  successeur  Gaguin. 

Sans  déflorer  la  belle  biographie  que  lui  consacrera 
M.  Thuasne,  il  est  nécessaire  de  citer  quelques  dates  de  la 
vie  de  ce  grand-ministre.  11  était  né  en  i433;  on  ne  sait  ce 
qu'était  son  père;  sa  mère,  Germaine  Benoîte,  fut  enterrée 
aux  Mathurins  de  Paris,  le  3  août  i48û.  Il  entra  au  couvent  de 
Préavin,  dans  la  forêt  de  Nieppe  (près  Hazebrouck),  et  fut 
envoyé  à  Paris  pour  y  faire  ses  études.  Ce  fut  vraiment  le 
tt  fils  adoptif  »  de  l'ordre.  Il  devint  ministre  de  Grandpré,  de 
Verberie,  puis  de  Tours,  et  enfin  des  Mathurins  de  Paris. 
Raoul  Duvivier  l'envoya  deux  fois  en  Espagne  pour  la  visite 
et  la  rédemption  des  captifs,  ce  qui  lui  donna  l'occasion 
d'écrire  cette  lettre  souvent  citée  où  il  fait  un  parallèle  entre 


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220  L  ORDRE    FRANÇAIS    L 

l'Espagne  el  la  France.  Il  fut  cuslos  et,  au  chapitre  général 
(i5  mai  1^73),  prononça  un  beau  discours  sur  la  vie  de  son 
prédécesseur,  sur  les  réformes  nécessaires  dans  l'ordre  et  les 
qualités  qu'on  devaii  exiger  d'un  grand-ministre.  Les  assistants 
étaient  tous  au  fait  de  son  mérite  :  aussi,  se  faisant  l'écho  de 
l'unanimité  des  religieux,  Jean  Moreau,  ministre  de  Vitry, 
déclara  Gaguîn  élu  grand-ministre  par  acclamation. 

Dans  son  administration,  Gaguîn  n'innova  presque  rien, 
sauf  pour  l'Espagne;  seulement  il  remplit  tous  ses  devoirs 
avec  une  scrupuleuse  exactitude.  Le  premier,  il  écrivit  un 
résumé  de  l'histoire  de  son  ordre  et  en  rassembla  les  statuts, 
ta/it  de  France  que  d'Espagne,  dont  il  copia  de  sa  main  plu- 
sieurs exemplaires'.  Son  rôle  politique,  comme  ambassadeur 
de  Louis  XI  et  de  Charles  VIII,  ses  ouvrages  historiques  et 
littéraires,  sa  correspondance  avec  les  plus  grands  savants  de 
son  temps  ont  relégué  dans  l'ombre  les  services  qu'il  rendit  à 
son  ordre. 

Son  recueil  Epîstolae  et  orationes  n'est  pas  muet,  tant  s'en 
faut,  sur  les  Trinitaires  :  M.  de  Vaissière  y  a  fait  de  nom- 
breux emprunts.  On,  y  trouve  un  portrait  du  ministre  de  Saint- 
Vincent  de  Rouvray,  vieil  ivrogne  que  Gaguin  ne  peut  déter- 
miner à  démissionner,  ainsi  que  des  allocutions  et  des  lettres 
aux  rois  de  Portugal,  grands  protecteurs  des  Trinitaires.  Ses 
nombreuses  relations  avec  les  princes  et  les  prélats  de  tous 
pays  permirent  à  Gaguin  de  se  tenir  au  courant  de  ce  qui  inté- 
ressait son  ordre;  on  le  voit  mander  au  provincial  de  Casulle 
de  lui  écrire  plus  souvent1.  Il  intervient  dans  de  minuscules 
affaires  des  couvents  de  Verberie  et  de  Ponlarmé,  comme  dans 

i.  Sa  signature  autographe  se  trouve  sur  les  manuscrits  1765  cl  1766  dp 
la  Bibliothèque  Mazarine. 

2.  P.  de  Vaissière,  De  Roberti  Gagnini  l'ita  ri  operibtu,  pp.  8,  48,  5i . 


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UN  TMN1TAIRE  CÉLÉBRANT  LA  MESSE. 
{Nicolas  Miisnier  derrière  lui.) 

(Bibliothèque    Mnarine,    mi.    430.    fat.    4.) 


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MATHURINS    ET    TRINITAIRES    DE    l42I    A    1670.  22t 

les  plus  importantes  qui  concernent  tout  l'ordre.  C'est  ainsi 
qu'il  engagea  avec  les  Frères  de  la  Merci,  fondés  à  Barcelone, 
une  polémique  à  la  fois  littéraire  et  judiciaire.  Il  mourut  à 
soixante-huit  ans,  le  22  mai  i5oi. 

Son  successeur,  Guy  Musnier,  était  déjà,  en  1 485,  ministre 
de  Meaux  '  ;  dès  le  26  mai  1 5o  1 ,  il  est  élu  ministre  des  Mathu- 
rins  de  Paris5,  et  fe  24  avril  i5o2  grand-ministre  de  l'ordre. 
Il  décora  de  stalles  l'église  des  Mathurins  de  Paris  et  mourut 
le  23  juillet  i5o8. 

Le  4  mars  i5oq,  Guy  eut  pour  successeur  son  neveu  Nicolas 
Musnier,  qui,  sous  son  très  long  généralat  (jusqu'en  f  546), 
vit  s'accentuer  deux  tendances  :  la  renaissance  de  l'antago- 
nisme entre  Français  et  Espagnols,  la  défiance  des  Trinitaires 
de  France  contre  les  Mathurins. 

Le  premier  fait  est  une  conséquence  de  la  politique.  Depuis 
le  début  du  seizième  siècle,  les  papes  sont  amis  de  l'Espagne 
et  peu  favorables  à  la  France.  Au  point  de  vue  du  but  spécial 
de  l'ordre,  le  rachat  des  captifs,  les  Trinitaires  espagnols 
étaient  à  même  de  justifier  la  préférence  du  pape  :  une  bulle 
d'Adrien  VI  nous  apprend  que  Diego  de  Gayangos  avait 
racheté  en  une  fois  cinq  cents  captifs3.  L'Espagne  parait 
jouir  d'une  autonomie  absolue.  Quand,  en  1 5 1 4 ,  Nicolas 
Musnier  fit  imprimer  le  premier  Bréviaire  de  l'ordre,  il  ne 
semble  pas  qu'il  l'ait  imposé  à  l'Espagne.  De  plus,  certains 
privilèges  furent  accordés  aux  seuls  Trinitaires  espagnols, 
comme  la  suppression  de  l'abstinence  au  réfectoire  et  la  per- 
mission de  bénir  les  ornements  sacrés  (3i  octobre  1522). 


1.  Chartes  hospitalières  de  Meaux,  n°  ig. 

2.  Archives  nationales,  LL  i545,  p.  1. 

3.  Voir  aussi  Jean  de  Saint-Feux,  Trim 
1703),  p.  1S8. 


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322  1.  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRIMTAIRES. 

Qui  aurait  sollicité  ces  privilèges  pour  la  France?  Ce  ne 
sont  pas  les  Mathurins  de  Paris.  Délaissés  par  leur  grand- 
ministre,  ils  se  maintenaient  dans  un  orgueilleux  isolement. 
Le  grand-ministre  semblait  n'être  occupé  que  du  couvent  de 
Meaux.  Dans  un  acte  de  1026,  Nicolas  Musnier  est  précisément 
qualifié  de  général  de  la  «  ministrie  »  de  Meaux'.  Par  suite 
de  la  mauvaise  administration  de  Nicolas  Navarre,  l'ordre 
avait  perdu  l'hôpital  de  Meaux  et  n'avait  gardé  que  la  cure 
de  Saint-Rémy.  Nicolas  Musnier  fonda  un  couvent  nouveau, 
hors  la  ville  de  Meaux,  y  établit  ministre  son  neveu  Phi- 
lippe, chez  qui  îl  transporta  de  l'argenterie  enlevée  aux 
Mathurins,  et  lit  en  sa  faveur  une  résignation  du  généralat  en 
cour  de  Rome.  Ce  Philippe  Musnier  était,  d'ailleurs,  un  per- 
sonnage distingué,  à  qui  le  Pape  avait  permis,  le  i5  juin  i545, 
l'exercice  du  pouvoir  épiscopal  dans  le  diocèse  de  Chftlons, 
en  l'absence  du  titulaire,  le  cardinal  de  Lenoncourt3.  Phi- 
lippe Musnier  fit  valoir  devant  le  Parlement,  qui  l'admit, 
la  résignation  faite  en  sa  faveur.  Les  Trinitaires  se  réunirent 
néanmoins  en  chapitre  général  le  22  mai  i546.  Ils  n'en  vou- 
laient ni  à  la  personne  ni  à  la  famille  de  Philippe,  mais  ils 
prétendaient  maintenir  leur  discipline.  Thibaut  Musnier,  mi- 
nistre des  Mathurins  de  Paris3,  frère  de  Nicolas,  fut  élu 
grand-ministre,  après  avoir  vivement  reproché  en  plein  cha- 
pitre, à  son  frère,  la  violation  des  Statuts  qu'il  avait  commise, 
en  disposant  à  son  gré  d'une  dignité  élective.  A  la  suite  de 
cette  élection,  que  l'élu  a  lui-même  racontée  dans  une  lettre 
écrite,  le  9  mai  i548,  aux  ministres  de  Burgos  et  de  Séville,  le 
chapitre  envoya  à  Philippe  Musnier  deux  habiles  diplomates, 

1.  Archives  de  l'Aisne,  H  i43i,  f>  81. 

2.  Bibliothèque  de  Marseille, 

3.  Il  était  ministre  de  Taillebourir 


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MATHURISS    ET    TRINITA1RES    DE    l/j.31    A    IÛ70.  2a3 

Louis  Lécuyer,  ministre  d'Etampes,  qui  avait  fait  en  i54o  une 
rédemption  de  captifs,  et  Jean  Mannourry  ',  prieur  de  Cer- 
froid.  Par  une  transaction,  datée  du  iti  octobre  i546  et  dont 
l'analyse  seule  a  été  conservée3,  Philippe  Musnier  se  désista 
de  ses  prétentions  et  rendit  les  provisions  obtenues  de  la  cour 
de  Rome.  Toutefois,  sa  carrière  n'était  pas  finie.  Il  resta  mi- 
nistre de  Meaux,  très  considéré  par  l'évêque  Jean  de  Buz, 
jusqu'à  sa  mort,  qui  arriva  en  i563,  à  Paris;  sur  sa  prière, 
il  fut  enterré  aux  Matburins. 

Thibaut  Musnier  gouverna  l'ordre  jusqu'à  sa  mort,  en 
i568.  Le  seul  acte  marquant  que  l'on  ait  de  lui  est  le  ratta- 
chement à  son  autorité  directe  du  couvent  fondé  à  Naples  en 
i56o.  La  fin  de  son  généralat  fut  attristée  par  le  début  des 
guerres  de  religion  qui  firent  subir  à  beaucoup  de  couvents 
trinitaires  des  maux  irréparables.  Jacques  Bourgeois  loua  sa 
libéralité  envers  les  étudiants  de  l'ordre. 

Après  deux  ans  d'intervalle,  pendant  lesquels  Guillaume 
Mannourry  fut  custos,  Bernard  Dominici  fut  élu  au  scrutin 
secret3  grand-ministre  par  une  partie  des  ministres  trini- 
taires, au  couvent  des  Matburins  de  Paris,  Cerfroid  n'étant 
pas  assez  sûr  pour  une  réunion  du  chapitre  (26  avril  1570). 
Cette  élection  fut  confirmée  le  1 1  août  par  le  Parlement,  puis 
parle  pape,  à  la  demande  du  roi  de  France4.  Bernard  Domi- 
nici avait  fait  ses  études  de  théologie  à  Paris,  puis  il  prê- 
cha durant  quarante-huit  ans  à  Metz,  où  il  était  très  bien  vu 


1.  Les  Mannourry  constituent  une  véritable  dynastie  :  Guillaume,  1 
de  Siivelle  ;  Jean,  prieur  de  Cerfroid  ;  Elie,  ministre  de  Chelles,  sont  tous 


.  Archives  de  l'Aisne,  Inventaire  de  Cerfroid  (i63j),  H  i43i,  f°  67  vo. 
3.  Jacques  Bourgeois,  ministre  de  Convorde,  avait  en  vain  protesté  conlr 
ce  mode  d'élection,  prescrit  par  le  concile  de  Trente. 
4-  Fïgueras,  p.  5o6. 


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3a4  l'ordre  français  des  tributaires. 

par  le  duc  Charles  III  de  Lorraine,  qui  le  retint  pour  son 
prédicateur  ordinaire.  Le  chapitre  cathedra!  lui  décerna  une 
attestation  élogieuse  de  son  mérite  de  prédicateur  (3o  jan- 
vier 1578),  aussi  cher  aux  catholiques  qu'il  était  odieux 
aux  réformés'.  Il  fut  si  attaché  à  cette  ville  de  Metz,  ou  il 
résida  presque  continuellement,  qu'il  est  souvent  désigné  sous 
le  nom  de  Bernard  de  Metz. 

Il  y  eut,  entre  i56o,  et  1:171:,  un  grand  procès  déjà  men- 
tionné pour  la  ministrerie  des  Mathurins,  entre  Jean  Morel, 
élu  par  les  frères,  et  François  Petit,  qui  se  prétendait  pourvu 
par  le  roi.  Bernard  Dominici  s'adjoignit  à  Jean  Morel  dans 
une  requête  au  Parlement,  où  il  traite  François  Petit  de 
conspirateur  et  de  Cham  qui  dévoile  les  secrets  de  son  ordre1. 
Tout  porte  û  croire  que  Jean  Morel  ne  réussît  pas  dans  sa 
demande.  Le  cartulaire  des  Mathurins  de  Paris3  n'a  con- 
servé que  les  analyses  de  ces  actes. 

Bernard  Dominici,  ne  s'attardant  pas  dans  cette  vaine 
querelle,  résolut,  pour  réformer  son  ordre,  de  se  passer  des 
Mathurins,  dont  il  n'est  plus  question  dans  l'histoire  de  l'or- 
dre pendant  vingt-cinq  ans  environ. 


t.  Pièces  justificatives  tirées  des  Archives  de  Metz,  n»1  rati  el  127. 
z.  Celle  requête,  dont  nous  n'avons  qu'un  fragment  (In  pièce  n°  1x7),  1 
pleine  de  citations  bibliques  el  juridiques. 

3.  Archives  nationales,  LL  i545,  pp.  3  et  suiv. 


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CHAPITRE  X. 


Institution  de  la  Congrégation  Réformée  et  de  la 
Congrégation  Déchaussée  (1570-1608). 


Bernard  Dominici  trouvait  l'ordre  de  la  Trinité  dans  une 
situation  lamentable.  Plusieurs  couvents,  au  Nord  comme 
au  Midi,  avaient  été  dévastés  par  les  huguenots;  un  grand 
nombre  de  religieux  avaient  été  massacrés  à  Terraubes  (Gers), 
Castres,  Montpellier',  Saint-Gilles.  Certains  couvents  ne  s'en 
relevèrent  jamais;  d'autres  ne  furent  rebâtis  que  cinquante  à 
soixante  ans  plus  tard.  Beaucoup  d'établissements  n'étant  que 
des  fermes  à  la  campagne,  où  la  sécurité  était  douteuse,  les 
religieux  résidaient  parfois  dans  la  ville  la  plus  voisine.  Les 
haines  étaient  si  vives  qu'à  Metz  même,  Bernard  Dominici 
avait  failli,  dans  sa  châtre,  devenir  la  victime  d'un  proteslant 
qui  lui  avait  jeté  .une  chaise  à  la  tète;  «  il  était  martyr,  au 
moins  dans  l'intention  de  ses  ennemis1  ». 

Le  nouveau  général  fit,  aussitôt  après  son  élection,  confir- 
mer par  le  pape  l'indépendance  de  l'ordre  des  Trinitaires  à 
l'égard  du  roi  (6  août  1071).  Ensuite,  il  chargea  Jacques 
Bourgeois,  bien  vite  devenu  son  partisan,  de  la  revision  des 
anciens  Statuts,  qui  furent  approuvés  au  chapitre  général  de 


.  Bibliothèque  de  Marseille,  manuscrit  1216,  (■>  222. 
.  Bibliothèque  de  Marseille,  manuscrit  1209,  f"  ifia. 


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226  L'ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES. 

IÔ73,  l'impression  en  étant  réservée  pour  le  moment  où  l'ordre 
aurait  des  ressources  suffisantes.  Enfin  il  envoya  à  Rome  Fran- 
çois Bouchet,  provincial  de  Provence,  en  qualité  de  procureur 
général.  Il  obtint,  pour  les  Trinitaires  de  France,  les  privilèges 
déjà  accordés  aux  Trinitaires  d'Espagne  (oct.-nov.  1570),  et 
surtout  la  restitution  à  l'ordre  du  couvent  romain  de  Saint- 
Thomas  du  Mont-Cëlius,  renfermant  le  tombeau  de  son  fon- 
dateur vénéré.  Bernard  Dominici  reçut  aussi  un  bref  lui  per- 
mettant de  visiter  les  provinces  d'Espagne  (7  novembre  1676). 
Parmi  les  plus  heureux  résultats  que  produisit  celle  visite  de 
Bernard  Dominici,  il  faut  citer  l'envoi  des  rédempteurs  qui 
ramenèrent  en  Espagne  l'auteur  futur  de  Don  Quichotte. 

C'est  de  la  France  que  devait  venir  le  premier  coup  qui  ait 
ébranlé  l'ordre,  la  fondaljion  des  Trinitaires  Réformés. 

Vers  i566  arrivèrent  à  Ponloise  deux  ermites,  chassés  du 
diocèse  de  Laon  par  les  huguenots,  Claude  Aleph  et  Julien  de 
Nantonville.  L'archevêque  de  Rouen  leur  permit  d'habiter  l'er- 
mitage de  Saint-Michel,  dont  le  temporel  dépendait  du  roi 
Henri  III  (juillet-août  1576).  Aidés  par  les  donations  du  sei- 
gneur de  Marcouville,  les  deux  fondateurs  avaient  réuni  une 
douzaine  de  compagnons,  quand  ils  se  résolurent  à  aller 
demander  une  règle  au  pape  (1 1  août  1577).  Arrivés  à  Rome, 
ils  sollicitèrent  la  permission  d'embrasser  la  règle  primitive 
des  Trinitaires  (après  avoir  un  instant  songé  à  entrer  dans 
l'ordre  des  Hiérouymites).  François  Bouchet  leur  donna  lui- 
même  l'habit.  Dans  son  bref  du  8  mars  1578,  Grégoire  XIII 
désigne  par  erreur  ces  Trinitaires  Réformés  comme  vivant 
sous  la  règle  de  saint  Augustin.  En  France,  Bernard  Domi- 
nici le3  reçut  fort  bien,  en  les  avertissant  que  les  derniers  cha- 
pitres généraux  avaient  prescrit  la  stricte  observation  de  la 
règle  (mitigée).  Us  firent  leur   noviciat  et  leur  profession  à 


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INSTITUTION    DES    RÉFORMÉS    ET    DES    DÉCHAUSSES.  227 

Cerfroid  (8  septembre  i58o),  et  revinrent  à  Pontoîse,  d'où 
les  chanoines  de  Saint-Mellqn  voulurent  les  expulser.  Après 
un  court  séjour  dans  l'ermitage  de  Sainle-Barbe  de  Croîsset, 
près  Rouen,  ils  furent  définitivement  reçus  à  Pontoîse,  en 
vertu  d'un  arrêt  du  Parlement  de  Paris  (5  septembre  i58î)'. 
Cet  humble  couvent  figure  dans  la  liste  donnée  à  la  suite  des 
Statuts  édités  en  i586;  mais,  isolée,  en  butte  à  l'indifférence 
générale,  la  nouvelle  Congrégation  était  menacée  de  s'étein- 
dre quand  il  lui  arriva  d'Espagne  un  secours  inattendu. 

L'exemple  des  Trinitaires  Réformés,  ou  plutôt  un  besoin 
d'austérité  qui  existait  partout  à  cette  époque  dans  l'Eglise 
(c'est  alors  que  sont  fondés  les  Carmes  Déchaussés  par  saint 
Jean  de  la  Croix),  suscita  un  véritable  apôtre  dans  la  personne 
de  Jean-Baptiste  de  la  Conception9.  Longtemps  Trinitaire 
Chaussé,  il  s'indignait  de  voir  oublié  aussitôt  qu'émis  un  vœu 
du  chapitre  général,  tenu  à  Vallailolid  en  i5q4,  pour  l'éta- 
blissement de  deux  ou  trois  couvents  par  province  où  la  règle 
primitive  serait  observée  au  pied  de  la  lettre  ;  les  supérieurs 
de  l'ordre  déclaraient  n'avoir  émis  ce  vœu  que  pour  faire 
plaisir  au  roi  d'Espagne.  Ayant  conquis  à  ses  desseins  le  mar- 
quis de  Santa  Cruz,  Jean-Baptiste  de  la  Conception  put  fon- 
der, grâce  à  lui.,  un  couvent  de  Réformés  à  Valdepenas  (  1 597), 
et  fil  confirmer  à  Rome  l'érection  d'une  nouvelle  congréga- 
tion de  Déchaussés  Réformés  (20  août  1599).  Quel  que  fût 
l'avantage  de  cette  austérité,  un  fait  était  certain  :  l'ordre 
était  coupé  en  deux  branches  (je  dis  en  deux,  car  les  Déchaus- 
sés seuls  observèrent  en  fait  la  règle  primitive). 

La  jalousie  des  Trinitaires  Chaussés  fut  d'autant  plus  vive 
que  c'étaient  les  Franciscains  et  les  Carmes  Déchaussés  qui 

1.  Ma.  de  Marseille  lau,  f»<  227-339.  (Arch.  nat.,  S  /|s6g».) 
3.  Sea  œuvre»  ont  été  imprimées  à  Rome  en  i83i-i83a. 


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328  l'ordre   FRANÇAIS   DES   1 

étaient  les  surveillants  de  la  nouvelle  congrégation.  Quelques 
religieux  espagnols  vinrent,  une  nuit,  à  Vaidepenas  pour  tuer 
l'apôtre,  mais  se  contentèrent  de  ligotter  Jean-Baptiste  de  la 
Conception  et  de  voler  5oo  réaux.  Malgré  tous  les  efforts  de 
leurs  adversaires,  les  Trimtaires  Déchaussés  acquirent,  en 
sept  ans,  huit  couvents,  formèrent  une  province  et  furent 
exemptés,  en  1606,  de  la  juridiction  des  Pères  Chaussés,  sauf 
de  celle  du  ministre  général. 

Les  Triiiilnires  de  France  se  répandirent  en  injures  contre 
ceux  qui  «  avaient  quitté  ce  noble  ornement  de  la  chaus- 
sure »,  qui  avaient  adopté  la  croix  droite  au  lieu  de  la  croix 
patlée,  etc.  En  réalité,  jaloux  de  ces  intrus,  dont  l'austérité 
constituait  un  blâme  peu  déguisé  de  leur  propre  relâchement, 
ils  n'étaient  pas  fâchés  de  les  trouver  en  défaut  sur  quelques 
points  secondaires  de  discipline. 

Ce  n'était  plus  Bernard  Domiuici  qui  allait  avoir  à  souffrir 
du  démembrement  de  son  ordre  :  il  était  mort  en  1597  et 
avait  eu  pour  successeur,  le  18  avril  1598,  ce  même  François 
Petit  qu'il  avait  autrefois  si  fort  maltraité. 

Les  Déchaussés  espagnols  n'entrèrent  pas  en  conflit  avec  le 
général  français  :  au  contraire,  tout  se  passa  en  dehors  de  ce 
dernier.  C'était  d'autant  plus  naturel  que  le  général  n'obser- 
vait pas  la  même  règle  que  ces  nouveaux  religieux.  Seulement, 
l'instinct  de  l'imitation  devait  amener  les  religieux  de  Pro- 
vence, qui  supportaient  depuis  longtemps  une  sujétion  sans 
aucune  compensation,  à  s'émanciper  de  l'autorité  des  pro- 
vinces du  Nord  et,  en  réalité,  des  Mathurins  de  Paris,  qui, 
fortement  appuyés  par  le  roi,  avaient  repris  la  haute  main  sur 
le  gouvernement  de  l'ordre. 

François  Petit,  n'étant  encore  que  ministre  des  Mathurins, 
avait,  en  effet,  rendu  plus  d'un  service  à  Henri  IV  :  «  Qui  ne 


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INSTITUTION    DES   RÉFORMÉS    ET    DES    DÉCHAUSSÉS.  229 

sait,  écrit  un  avocat  en  1672,  qu'en  i5ç>4i  le  sage  et  généreux 
François  Petit,  depuis  digne  généra)  de  tout  l'ordre,  eut  la 
gloire  d'empêcher  à  lui  seul,  en  la  rue  Saint-Jacques,  les  bar- 
ricades et  la  sédition  dont  quelques  mutins  pensaient  troubler 
la  paix  publique,  iors  de  la  rentrée  de  Henri  IV,  après  la  réduc- 
tion de  Paris  à  l'obéissance  de  ce  prince'!  »  D'autres  témoi- 
gnages confirment  qu'en  cette  circonstance  François  Petit, 
aidé  d'une  troupe  de  gens  bien  a  embastonnez  »,  s'était  mon- 
tré bon  serviteur  du  roi1.  Une  autre  fois,  on  le  voit,  à  coté 
de  Henri  IV  ,  jetant  de  l'argent  au  peuple3.  Le  roi  avait 
accordé  des  lettres  patentes  de  privilèges  aux  Mathurins,  «  en 
considération  de  ce  que  celle  maison  n'avait  jamais  participé 
a  la  rébellion*  ». 

François  Petit  chercha  à  vivre  en  paix  avec  tout  le  monde. 
En  1601,  il  fit  des  constitutions  pour  l'Espagne.  Les  provin- 
ciaux de  ce  pays,  réunis  à  Valence  le  3  avril,  députèrent  au 
chapitre  général  Christophe  de  Gauna,  qui  a  le  titre  de  prin- 
cipal secrétaire  du  général.  Il  en  rapporta  des  constitutions5 
qui ,    bien    que    pouvant   s'appliquer   à   tout  l'ordre ,  furent 


1.  Moyens...  pour  la  défense  de  l'ordre  de  lu  Suinte-Trinité  contre  les 
sitar*  chevalier*  de  Saint-Lazare,  p.  16. 

x.  Annales  de  Paris,  de  Malingre,  I.  XII,  t'a  /|/|li,  22  mars  i5q4  '  "  Un 
serrurier  au  quartier  Saint-Yves  sortit  avec  son  mousquet,  cl  quelques 
autres  aussi  qui  se  préparaient  pour  Taire  quelque  barricade,  mais  monsieur 
le  ministre  des  Mathurins  sortit  en  son  habit  et  leur  défendit  d'en  faire, 
parce  que  ces  maisons-là  appartiennent  aux  Malburins,  et  leur  dit  que  le 
premier  qui  remuerait  se  pouvait  assurer  d'être  pendu.  La  présence  de  ce 
•âge  religieux  les  fil  retirer  et  ce  serrurier,  criant  :  nous  sommes  venduz, 
de  deapit  rompit  à  l'instant  son  mousquet  devant  le  monde  et  le  mit  en 
pièces.  »  Voir  aussi  Chàlambert,  Histoire  de  la  Ligne,  t.  II,  p.  371. 

3.  Bibliothèque  de  Marseille,  ma.  1216,  p.  i^3. 

4.  Archives  nationales,  table  de  Le  Nain,  lT  533,  p.  22. 

5.  Elles  sonl  contenues  dans  le  manuscrit   1768  de  la  Bibliothèque  Maïa- 


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a3o  l'ordre  français  des  trinitaires. 

spécialement  adressées  à  l'Espagne  et  au  Portugal.  Les  cha- 
pitres provinciaux  de  Valladolid  et  de  Saragosse  y  firent  quel- 
ques objections,  alors  que  celui  de  Séville  les  accepta  sans 
aucune  restriction. 

Les  Trinitaires  Réformés  avaient  joint  à  leur  couvent  de 
Pontoise  ceux  de  Caillouet,  près  Chaumonl-en-Vexin,  dédié  à 
Notre-Dame  de  Bonne-Espérance  (1599),  et  l'Hôtel-Dieu  de 
Montmorency,  que  le  duc  Henri  leur  avait  confié  au  mois 
d'août  1601.  La  chapelle  de  Notre-Dame  de  Liesse,  près 
Gisors,  devait  leur  être  donnée  en  1607.  II  n'y  avait  pas  là  de 
quoi  inquiéter  beaucoup  François  Petit. 

Il  y  avait  cependant  dans  ce  mot  de  Réformés  une  équi- 
voque que  le  général  voulut  dissiper.  II  fut  assez  habile,  après 
avoir  fait,  en  1601,  des  statuts  à  l'usage  des  religieux  de  Pon- 
toise, pour  provoquer  une  décision  du  prieur  des  Feuillants, 
du  recteur  du  collège  des  Jésuites  et  d'un  Carme,  qui  pronon- 
cèrent que  les  Réformés  observeraient  la  règle  mitigée  (1608). 
Il  croyait,  en  (es  rendant  semblables  aux  autres  Chaussés, 
assurer  la  paix  perpétuelle.  Mais,  à  ce  même  moment,  la 
Réforme  fut  demandée  en  Provence.  Celte  intervention  du 
Midi  allait  changer  complètement  la  situation. 


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CHAPITRE  XI. 


Les  progrès  de  la  Réforme  de  1608  à  1619.* 


En  1608,  à  la  suite  de  troubles  survenus  dans  le  couvent 
de  Marseille,  dont  le  détail  n'est  pas  connu,  les  consuls  et  le 
vicaire  général,  de  Bausset,  écrivirent  au  général  des  Trini- 
taires  pour  lui  demander  l'envoi  de  religieux  de  Pontoise  '. 
Dès  le  mois  de  juillet,  François  Petit,  acquiesçant  a  cette 
demande,  députa  Pierre  Dagneaux  à  Marseille  comme  ministre. 
H  lui  confia,  de  plus,  les  fonctions  de  visiteur,  renouvelables 
chaque  année  jusqu'à  ce  qu'il  y  eût  une  province  réformée, 
avec  faculté  d'ériger  de  nouveaux  couvents,  s'il  y  avait  lieu, 
et  cela  à  l'écart  du  provincial  de  Provence  (aa  octobre). 

Bientôt,  le  couvent  de  Tarascon  ayant  demandé  la  Réforme, 
Pierre  Dagneaux  déposa  le  ministre  Jean  Collier,  pour  lui 
substituer  Antoine  Bruneau  (17  décembre  160S).  Il  ordonna 
(le  fait  est  caractéristique)  que  les  femmes  trouvées  dans  le 
couvent  fussent  chassées.  Trois  religieux  incorrigibles  durent 
être  expulsés,  mais  il  y  eut  une  petite  émeute  le  jour  de  leur 
départ.  Les  Réformés,  découragés,  voulurent  partir,  ils  en 
furent    heureusement    empêchés  par    les  consuls.    Les    non 

1 .  Le  P.  Aloés,  dans  sa  Vie  de  saint  Jean  -le  Mat/ia  (p.  336),  a  résumé 
ces  événements.  Plusieurs  liasses  des  TrioiUires  de  Marseille  m'ont  per- 
mis d'y  ajouter  des  détails  nouveaux. 


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s3a  l'ordre  français  des  tributaires. 

Réformés,  sur  ces  entrefaites,  étaient  allés  se  plaindre  à 
François  Petit,  qui,  le  4  septembre  160g,  ordonna  de  les  gar- 
der par  grâce  et  par  charité.  Le  couvent  de  Tarascon  resta  aux 
Réformés,  mais,  le  a8  janvier  i6i3,  l'économe  devait  être  con- 
damné à  payer  la  quatrième  pariie  des  fruits  du  couvent  aux 
religieux  anciens  (c'est  ainsi  que  les  Réformés  appellent  les 
mitigés).  La  Réforme  avait  été  confirmée,  dès  le  10  fé- 
vrier 1610,  par  arrêt  du  Parlement  d'Aix1. 

Le  1"  novembre  1612,  elle  fut  introduite  à  Arles.  Dans 
l'intervalle,  Louis  Petit  avait  été  élu  général,  le  7  juillet  1613, 
en  remplacement  de  son  oncle.  Il  jugea  prudent  de  ne  pas 
permetlre  aux  Réformes  de  s'étendre  indéfiniment.  Il  décida 
donc  que  les  religieux  anciens,  profès  du  couvent  d'Arles,  y 
seraient  retenus  et  dispensés  des  points  de  la  Réforme  qu'ils 
ne  pourraient  observer.  Il  défendit  aux  Réformés  d'accepter 
l'offre  de  maisons,  surtout  dans  les  villes  où  il  y  avait  déjà 
des  couvents  trinitaires,  sans  sa  permission  écrite.  C'était  là 
le  plus  sérieux  sujet  de  conflit  entre  lui  et  la  nouvelle  congré- 
gation. Il  ordonna  aux  Réformés  du  Midi  de  dépendre  de 
lui-même  et  de  leur  visiteur  et  non  plus  de  celui  de  Pontoise. 
Cette  décision,  qui  avait  pour  but  d'empêcher  les  Réformés  du 
Nord  et  du  Midi  de  s'unir  contre  lui,  causa  aux  religieux  de 
Pontoise  la  plus  vive  irritation.  En  i6i5,  ils  chargèrent  Jérôme 
Hélie  et  Amhroise  Canin  d'aller  à  Rome1  négocier  l'union  de 
leur  Congrégation  avec  celle  des  Trinitaires  Déchaussés.  Le 
projet  ne  put  aboutir,  le  cardinal-protecteur  de  l'ordre,  Octave 
Bandinï,  ayant  prévenu  Louis  Petit  de  celte  démarche.  Le 
général  jugea  donc  prudent  de  se  rendre  a  Rome,  se  fit  confir- 
mer par  le  pape  et  reçut  le  litre  de  délégué  apostolique  pour 

1.  Pièce  i54. 
1.  Pièce  i6d- 


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LES    PROGRÈS    DE    LA    RÉFORME    (l6o8-l6lQ).  233 

la  visite  de  son  ordre;  cette  condescendance  facultative  fut 
retenue  par  ses  adversaires  comme  créant  un  précédent  obli- 
gatoire. En  1616,  Ambroise  Caffin,  visiteur,  Jean  Caron, 
ministre  de  Pontoise,  Jérôme  Hélie,  ministre  de  Caillouet, 
Robert  François ,  député  de  Pontoise ,  composèrent  des  sta- 
tuts1, où  ils  expliquèrent  les  points  sur  lesquels  ils  se  sépa- 
raient de  la  règle  mitigée. 

Les  religieux  réformés  ne  pouvaient  être  déplacés  que  pour 
un  an  par  le  visiteur  et  ses  assistants  (Louis  Petit  refusa  de  se 
conformer  à  cet  article),  devaient  «  séparer  »  le  tiers  des 
captifs  (en  réalité,  ce  ne  fut  pas  plus  observé  que  chez  les 
mitigés),  n'acceptaient  de  couvent  que  si  le  fondateur  accor- 
dait des  revenus  suffisants  pour  sept  frères  et  pour  la  rédemp- 
tion, interdisaient  au  ministre  de  dispenser  du  jeûne  la  com- 
munauté entière,  accordaient  à  tout  malade  la  permission  de 
faire  gras  pendant  deux  jours  après  une  saignée,  permettaient 
de  boire  seulement  du  vin  hors  du  couvent ,  toléraient  la 
réception  du  novice  à  dix-huit  ans  au  plus  tôt,  au  lieu  de  vingt , 
disaient  les  litanies  à  la  manière  romaine,  n'élisaient  leurs 
ministres  que  pour  trois  ans;  surtout,  ils  ne  s'interdisaient  que 
les  tavernes  des  villes  où  il  y  avait  déjà  des  couvents  réformés. 
La  conséquence  était  que,  à  Paris,  par  exemple,  où  il  n'y 
avait  pas  de  couvent  réformé,  les  religieux  de  Pontoise  ne 
considéraient  pas  qu'ils  dussent  loger  aux  Mathurins,  pour  ne 
pas  être  gâtés  par  le  mauvais  exemple  de  ces  mitigés.  Cette 
préeaution  pouvait  se  soutenir,  à  la  rigueur,  mais  était  énoncée 
avec  une  mauvaise  grâce  qui  pouvait  blesser  le  général. 

A  son  retour  de  Rome,  Louis  Pelit  passa,  en  juillet  1616, 
à  Marseille.  Il  dispensa  les  religieux  du  port  de  la  chape  depuis 

1.  Feuille  iulercalée  rions  l'exemplaire  des  Statuts  publiés  en  i586,  con- 
trvé  à  la  Bibliothèque  .Nationale  sous  la  cote  H  17769. 


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234  l'ordre  français  des  trinit  aires. 

Pâques  jusqu'à  la  Toussaint,  excepté  les  dimanches  et  fêles. 
Il  ordonna  que  la  croix  portée  sur  le  scapulaire  redevînt  pat- 
tée,  et  ce  «  pour  ne  point  enlever  au  mystère  de  la  croix 
triangulaire  sa  signification  et  sa  dignité  ».  Il  leur  recom- 
manda aussi  d'envoyer  à  Paris  leurs  taxes  pour  les  captifs. 
Passant  au  mois  d'août  à  Avignon,  il  y  nomma  un  visiteur. 

A  sa  rentrée  à  Paris,  il  apprit  que  les  Réformés  voulaient 
y  établir,  au  quartier  du  Marais,  un  couvent  sans  son  auto- 
risation. Le  procès  fut  plaidé  en  [617,  au  Parlement.  Louis 
Petit  déclarait  que  le  chapitre  général  de  1612  avait  défendu 
cette  intrusion  clandestine,  disant  qu'il  n'y  avait  pas  d'exemple 
pire  que  celui  de  religieux  qui  se  séparent  de  leur  chef.  Quoi- 
que le  procureur  du  roi  eut  consenti  d'avance  à  l'établisse- 
ment des  Réformés,  sous  promesse  de  ne  pas  quêter,  le  général 
conclut  que,  «  selon  les  règles  de  la  sincérité  française  »,  ils 
fussent  déboutés.  Le  procureur  du  roi,  Servin,  qui  avait  con- 
clu pour  les  Réformés,  en  i58i,  dans  une  affaire  contre  des 
ermites  de  Laon,  se  déclara  celle  fois  contre  eux  et  ils  furent 
déboutés,  sans  dépens'  cependant  (7  juin)  : 

Cet  échec  laissa  un  certain  ressentiment  aux  Réformés,  qui 
comprirent  la  nécessité  d'avoir  un  juge  ordinaire  pour  leurs 
litiges  avec  le  général.  Sur  leur  demande,  le  cardinal  Bandini 
leur  accorda  le  cardinal  de  Retz,  évêque  de  Paris,  l'oncle  du 
futur  auteur  des  Mémoires,  espérant  néanmoins  que  tout  se 
passerait  à  l'amiable1  (6  juillet  1618). 

Un  autre  sujet  de  discussion  passionnée  fut  le  bref  de 
Paul  V,  du  a5  février  1619,  portant  permission  aux  Réformés 
de  recevoir  les  maisons  des  religieux  non  réformés,  quand 
elles  s'offrent  d'elles-mêmes.  Les  controverses  entre  les  Ré- 

r.  Bibliothèque  Manarîne,  A  i5432,  fo*  399-320. 
a.  Pièce  167. 


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LES    PROGRÈS    DE    LA    RÉFORME    (1608-1619).  2.35 

formés  de  Provence  devaient  être  jugées  par  le  vice-légat 
d'Avignon.  Ce  bref,  lésant  le  général  en  deux  points,  fut  par 
lui  qualifié  d'obreptice.  Mais  le  pape  n'avait-il  pas  le  droit 
de  modifier  une  décision  du  chapitre  général  ,  quant  à  la 
réception  des  couvents,  si  importante  pour  l'extension  de  la 
Réforme  ?  Le  choix  du  vice-légal  d'Avignon  comme  juge  des 
Réformés  pouvait  cependant  être  critiqué  :  il  était  étranger  au 
royaume;  or,  le  Concordat  prescrivait  de  juger  les  procès 
entre  religieux  dans  leur  propre  pays,  c'esl-à-dire  en  France. 
Le  même  bref  incorporait  la  province  de  Provence  à  celle  de 
France  et  stipulait  que  le  visiteur  serait  élu  pour  trois  ans  au 
lîeu  d'une  seule  année. 

Cependant,  la  lutte  entre  les  deux  partis  ne  commença  pas 
aussitôt,  parce  que  les  Réformés  du  Midi  furent  engagés  à  la 
fois  dans  une  lutte  avec  les  Trinitaires  Déchaussés  et  dans  la 
Réforme  de  la  province  de  Languedoc.  Pendant  ce  temps,  les 
Réformés  du  Nord  luttèrent  contre  le  général,  avec  des  chan- 
ces diverses,  jusqu'à  la  grande  rupture  de  i635. 


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CHAPITRE  XII. 


Louis  Petit  et  les  Réformés,  de  1620  à  1635. 


En  i6i5,  nous  l'avons  vu,  les  religieux  de  Pontoise  avaient 
cherché  à  s'allier  avec  les  Déchaussés,  qui  venaient  d'acquérir 
à  Rome  le  couvent  de  Saint-Denis;  Louis  Petit  avait  su  em- 
pêcher la  réalisation  de  ce  projet.  Or,  lorsque  les  Déchaussés 
vinrent  dans  le  Midi  pour  y  fonder  des  couvents,  ils  ren- 
contrèrent l'hostilité  des  Réformés.  Quand  on  voit  comment 
ceux-ci  se  conduisirent  avec  les  Déchaussés,  on  est  tenté  d'ex- 
cuser jusqu'à  un  certain  point  Louis  Petit  pour  ses  persécutions 
contre  ces  mêmes  Réformés.  Cette  polémique  fut  pour  eux 
une  cause  d'affaiblissement  et  nous  force  à  leur  retirer  une 
part  de  notre  sympathie.  La  raison  du  mécontentement  était 
«ne  question  de  personnes  :  un  ancien  Réformé,  Jérôme  Hélie, 
trouvant  que  l'austérité  était  insuffisante  dans  sa  congréga- 
tion, «  s'était  déchaussé  »  et  était  devenu  le  P.  Jérôme  du 
Saint-Sacrement.  Le  P.  Médéric  de  l'Incarnation ,  qui  fut 
ministre  du  couvent  des  Déchaussés  d'Aix,  étant  dans  le  même 
'  cas,  fut  aussi  considéré  comme  un  transfuge. 

Les  Déchaussés,  visant  à  s'étendre  partout  à  la  fois,  fon- 
dèrent vers  1618  des  couvents  à  Montpellier  ,  abandonné 
depuis  i56a,  et  à  Aix;  dans  le  Nord,  ils  réformèrent  ceux  de 
Châleaubriant  et  de  Lisieux ,  où  ils  ne  restèrent  pas  long- 


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LOUIS    PETIT    ET    LES    REFORMÉS    (l6aO-l635).  2^7 

temps.  Leur  établissement  de  Montpellier  ne  dura  pas;  le 
ministre,  le  P.  Damase  de  Sainte-Madeleine,  promit  d'écrire  à 
Rome  et  de  se  conformer  en  habit  aux  Religieux  Réformés 
(9  octobre  1620  '). 

Poursuivant  le  cours  de  ses  succès,  Pierre  Dagneaux,  l'ini- 
tiateur de  la  réforme  marseillaise,  voulut  la  porter  aussi  dans 
le  Languedoc.  Le  couvent  de  Narbonne  fut  réformé,  le  6  sep- 
tembre 1631,  par  Bernard  Rabion,  provincial3. 

Les  Réformés  voulurent  eu  vain,  le  i3  octobre  i6a5,  visiter 
l'hospice  de  Saint-Laurent  d'Aix,  fondé  par  les  Déchaussés. 
Ceux-ci  refusèrent,  car  les  Réformés  n'avaient  aucun  droit  de 
porter  ce  nom,  d'autant  plus  qu'ils  n'observaient  pas  la  règle 
primitive.  Malgré  toutes  les  instances  des  Réformés  auprès 
du  cardinal-protecteur  pour  obtenir  l'expulsion  de  leurs  adver- 
saires, celui-ci  déclara  finalement,  le  i£  janvier  1639,  que  sa 
volonté  formelle  était  qu'il  fut  sursis  à  la  poursuite  de  tout 
procès  introduit  par  les  Réformés  contre  les  Déchaussés. 

Cette  même  année,  la  campagne  de  réforme  du  Languedoc 
continua ,  non  sans  troubles.  La  situation  des  couvents  y 
était  déplorable.  A  Limon x.  les  religieux  avaient  séquestré 
leur  ministre  et  voulaient  le  laisser  mourir  de  faim!  A  Tou- 
louse, le  visiteur  Honoré  Arnaud  se  plaignit  d'avoir  été  me- 
nacé de  voies  de  fait  par  des  religieux  désobéissants  qui 
n'avaient  pas  voulu  se  rendre  au  chapitre  conventuel,  et  il 
dut  demander  l'appui  du  vicaire  général  de  Toulouse  pour 
les  faire  expulser.  A  Sainl-Gaudens ,  les  religieux  anciens 
s'étaient  barricadés,  et  il  fallut  entrer  dans  leurs  chambres 
par  les  fenêtres.  La  Réforme  s'étendit  encore  A  Orthez  et  à 
Castres  :  tout  le  Midi  y  demeura  soumis.  Le  Languedoc  adopta 

1.  Trinilaires  de  Marseille,  registre  10,  Fos  5-g. 

3-  Blw&wd,  Sceaux  de*  Boachet-da-Rhône,  p.  a34. 


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a38  l'ordre  français  des  trinitaires. 

la  triennalité  des  ministres,  sans  cependant  faire  partie  de  la 

congrégation  réformée. 

En  Provence,  il  ne  restait  à  ce  moment  que  cinq  couvents 
non  réformés,  Lorgues,  Digne,  La  Motte  du  Caire,  Saint- 
Étienne  sur  Tinée  et  Avignon,  qui  devaient  revenir  un  jour 
aux  Réformés. 

Pendant  quinze  ans,  Louis  Petit  se  borna  à  vexer  les  reli- 
gieux du  Nord  par  de  mesquines  tracasseries,  annulations  de 
chapitres,  excommunications  jusqu'à  ce  que  ceux-ci,  se  sentant 
grandir  en  audace,  provoquent  la  réforme  des  Mathurins. 

Le  grand  protecteur  des  Réformés  fut  le  cardinal  de 
La  Rochefoucauld  (i558-i64i),  grand  aumônier  de  France, 
abbé  de  Sainte-Geneviève,  dont  il  était  le  réformateur.  Le 
i5  mars  1621,  à  Montmorency,  il  présida  le  chapitre  géné- 
ral de  la  Congrégation  Réformée.  La  veille,  Benoit  Hubot, 
religieux  Réformé,  était  venu  aux  Mathurins  signifier  verba- 
lement la  tenue  du  chapitre  à  Louis  Petit.  Celui-ci  ne  jugea 
pas  à  propos  de  se  déranger,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  de  se 
plaindre  que  le  cardinal  s'y  fut  rendu  exprès  pour  l'exclure. 
Malgré  cette  absence,  le  chapitre  se  tint  valablement;  le  car- 
dinal dit  qu'il  suffisait  aux  religieux  d'avoir  «  certioré  »  le 
général,  qui  ne  devait  s'en  prendre  qu'à  lui-même  s'il  n'as- 
sistait point  au  chapitre1. 

Eu  iti-2-j.  ,  Louis  Petit  fit  comparaître  devant  lui  Domi- 
nique Gaspar,  ministre  de  Lamarclic,  sans  doute  prévenu 
d'entente  avec  les  Réformés,  qui  acquirent  plus  tard  ce  cou- 
vent. Beaucoup  de  religieux  anciens  voulaient,  en  effet, 
«  vendre  »  leurs  maisons  aux  Réformés,  en  stipulant  des 
pensions  pour  eux-mêmes. 

[.   Tri  ni  la  ires  de  Marseille,  registre  10,  f«  36. 


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LOUIS    PETIT    ET    LES    REFORMES    (l6aO-l635).  23g 

En  i624i  la  cour  de  Rome  essaya  de  propager  l'observa- 
tion de  la  règle  primitive.  Louis  XIII  voulant  introduire  des 
Réformés  à  Fontainebleau  et  a  Cerfroid,  Grégoire  XV  or- 
donna qu'ils  suivissent  la  règle  de  saint  Jean  de  Matha  ' 
(8  février).  Ce  projet  royal  ne  fui  point  exécuté. 

Le  cardinal  Bandini,  de  son  côté,  déniait  aux  Réformés 
le  droit  de  porter  le  nom  qu'ils  se  donnaient;  il  insista  vai- 
nement pour  qu'ils  adoptassent  la  règle  primitive,  car  entre 
eux  et  leur  général  il  n'y  avait  guère  qu'une  différence,  celle 
de  l'habit  (20  juillet).  Ces  efforts  nous  font  voir  au  moins 
pourquoi  la  cour  de  Rome  protégea,  en  toute  occasion,  les 
Trioitaires  Déchaussés.  Les  Réformés  n'étaient  pas  pris  au 
sérieux  par  le  pape  plus  que  par  leur  général. 

Au  contraire,  Louis  XIII  protégea  tous  les  persécutés,  inter- 
venant pour  les  Déchaussés,  molestés  par  les  Réformés  de 
Marseille,  et  aussi  pour  les  Réformés,  quand  le  général  leur 
causait  trop  d'ennuis.  L'influence  du  cardinal  de  La  Roche- 
foucauld est  ici  très  visible.  Quelque  peu  réformée  que  fut  la 
congrégation  de  ce  nom,  elle  l'était  toujours  plus  que  les 
Mathurins. 

Divers  privilèges  ayant  été  accordés  à  Louis  Petit,  notam- 
ment pour  la  visite  des  couvents  d'Espagne,  le  4  mai  1624, 
Urbain  VIII,  récemment  élu  pape,  écrivit,  le  3o  septembre 
suivant,  à  Ambroise  Caffîn,  vicaire  général  de  la  Congrégation 
Réformée,  qu'il  n'a  pas  entendu  déroger  aux  privilèges  de 
celle-ci  par  le  bref  du  4  mai*.  Garder  les  Réformés  de  tout 
préjudice,  c'est  tout  ce  qu'entend  faire  La  cour  de  Rome. 
Quant  à  leur  accorder  un  général  particulier,  elle  eût  pu  y 
songer  pour  le  cas  où  ils  auraient  embrassé  la  règle  primitive  : 

1.  Bibliothèque  de  Marseille,  manuscrit  s65,  au  début. 
a.  Bibliothèque  de  Lyon,  fonds  Coste,  rus.  181,  pièce  7. 


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a4o  l'ordre  français  des  trinitaires. 

puisqu'ils  n'ont  pas  déféré  à  ses  avis,  elle  n'est  tenue  à  rien 
envers  eux. 

Le  10  mars  1627,  les  brefs  des  Réformés  furent  confirmés 
par  arrêt  du  Parlement;  l'archevêque  de  Paris,  juge  ordi- 
naire des  différends  entre  le  général  et  les  Réformés,  leur 
permit  de  tenir  leur  chapitre  le  i5  juin,  quoique  Louis  Petit 
eût  déclaré  privés  de  voix  active  et  passive,  c'est-à-dire  de 
l'électoral  et  de  l'éligibilité,  six  religieux  qu'il  pensait  devoir 
être  élus  aux  principales  charges  de  la  Congrégation.  Le 
18  juillet,  le  général  déclara  ce  chapitre  nul. 

Pendant  que  la  Réforme  se  développait  en  Languedoc,  les 
hostilités  chômèrent,  durant  quelques  années,  dans  le  Nord. 
Le  a3  novembre  i63i,  Louis  de  Guéméné  et  Anne  de  Rotian 
donnent  aux  Trinitaires  Réformés  le  Mont-de-Piélé  de  Coup- 
vray ,  près  Meaux ,  pour  élever  six  jeunes  garçons1.  Ce 
n'était  que  le  prélude  d'un  succès  plus  important  :  l'entrée 
des  Réformés  à  Cerfroid.  Permise  par  le  roi,  le  17  décem- 
bre i63a,  elle  fut  réalisée  au  mois  de  janvier  i633  par  l'évé- 
que  de  Meaux,  Dominique  Séguier1,  constant  protecteur  des 
Réformés.  Quelle  dut  être  la  colère  de  Louis  Petit  en  voyant 
ses  ennemis  personnels  introduits  dans  le  berceau  de  l'ordre! 
11  n'osa  pas  s'en  prendre  à  l'évéque  de  Meaux  ;  mais  il 
accusa  le  duc  de  Tresmes ,  dont  la  vanité,  blessée  par  une 
cause  futile  (l'enlèvement  d'une  pierre  où  étaient  inscrits  des 
bienfaits  apocryphes),  aurait  imaginé  cette  facile  vengeance. 
Les  Réformés,  trouvant  à  Cerfroid  le  prieur  Pierre  de  Condé, 
nommé  à  cette  charge  par  le  général,  l'expulsèrent  avec  les 
autres  religieux  anciens. 


1 .  Don  Tous8aints  du  Plessis,  Hilloire  de  l'église  de  Meauj;  pièce  633. 
3.  Ibid.,  pièce  634.  Ils  lui  dédieront  en  iftfà  'es  Victoire*  de  la  Cha- 
ité,  en  juste  tribut  de  reconnaissance. 


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LOUIS   PETIT    ET    LES    RÉFORMÉS     (I<J20-i63f)).  2^1 

Louis  Petit  se  plaignit  de  cette  intrusion  au  Parlement  de 
Paris.  It  faut  retenir  l'arrêt  du  3  mai  i63/|  ',  parce  qu'il  fut 
finalement  observé.  En  voici  les  dispositions  :  Les  Réformés 
resteront  à  Cerfroid,  et,  de  fait,  ils  y  restèrent  toujours;  les 
religieux  anciens  ne  furent  jamais  que  leurs  hôtes  quand  ils 
vinrent  au  chapitre  général.  On  élira  un  vicaire  général  de  la 
Réforme  autre  que  Robert  François,  qui  déplaisait  particu- 
lièrement au  général.  Ce  dernier  pourra  visiter  les  Réformés, 
en  prenant  avec  lui  deux  religieux  de  la  Réforme  et  sera  pré- 
venu un  mois  à  l'avance  de  leurs  chapitres.  Les  Réformés 
devront  servir  à  l'ancien  prieur  Pierre  de  Condé,  s'il  veut 
quitter  le  couvent  de  Cerfroid,  une  pension  de  3oo  livres,  de 
aoo  seulement  aux  autres  religieux  ;  Pierre  de  Condé  remettra 
ses  papiers  à  son  successeur,  Simon  Chambellan.  La  preuve  de 
celte  remise  se  trouve  dans  l'inventaire  dressé,  le  6  mai  i634, 
par  Claude  de  Vaissière,  des  pièces  qui  se  trouvaient  alors 
dans  les  Archives  de  Cerfroid,  conservé  aujourd'hui  aux  Ar- 
chives de  l'Aisne  sous  la  cole  H  i43i. 

En  fait,  les  Réformés  triomphaient.  C'était  une  époque 
d'ailleurs  honorable  pour  les  Trinitaires  anciens,  qui  sem- 
blaient enfin  se  souvenir  du  but  fondamental  de  leur  ordre; 
c'est  en  i634  que  le  P.  Dan  effectua  celte  rédemption  de 
captifs  qui  lui  permit  de  composer  sa  célèbre  Histoire  de 
Barbarie.  Après  ces  événements  se  tint,  en  i635,  ■<  le  sep- 
tième chapitre  général  de  Louis  Petit3  ». 

Le  sieur  Georges  de  la  Porte,  maître  des   requêtes,  com- 

i.  Doh  Touss* i>-Ts  du  Plbssis,  pièce  G4>-  On  ne  sait  pourquoi  des  reli- 
gieux espagnols  interviennent  au  procès. 

».  Le  procès-verbal  a  été  imprimé  sous  ce  lilre  :  Septimnm  capitulant 
fl»i  Pat rit  Ludovic!  Petit...  i635{Bihl.  Nal.,  Ld«,  n°  7).  Il  a  été  résumé 
dans  la  Défense  pour  le  Réeérendûsime,  exposé  complet,  mais  partial,  îles 
(fiefs  de  Louis  Petit  contre  les  Réformés  (Bibl.  Nal.,  Ld  «,  n»  8). 

16 


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243  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES. 

missaire  royal  à  ce  chapitre  général  de  i635,  se  montra 
favorable  aux  Réformés.  Le  vendredi  4  mai,  un  huissier  de- 
mande, de  la  pari  du  prieur,  combien  il  y  aura  de  ministres 
conventuels,  les  Réformés  ne  voulant  recevoir  que  ceux-là,  à 
l'exclusion  des  prieurs-curés.  Louis  Petit  arrive  à  deux  heures 
àCerfroid;  un  exempt  du  roi,  assisté  de  deux  soldats  armés 
et  des  Réformés,  ne  laisse  entrer  que  le  commissaire  royal 
el  son  secrétaire.  Simon  Chambellan,  «  soi-disant  »  visiteur 
provincial,  dit  l'office  et  ne  prend  que  des  Réformés  pour 
assistants;  il  n'offre  même  pas  de  rafraîchissements  au  géné- 
ral. Les  ministres  de  Champagne  et  de  Normandie  sont 
réduits  ce  jour-là  à  coucher  sur  la  paille. 

Antoine  Basire,  ministre  de  Chàlons,  prononça  un  discours 
sur  l'utilité  des  chapitres.  On  excusa  l'absence  des  PP.  Dan  et 
Escoffier,  ministres  de  Chelles  et  de  Soudé,  retenus  à  la  ré- 
demption. L'exempt  réclama  la  «  session  »  pour  les  ministres 
réformés  de  Ponloise,  de  Cisors  cl  de  Caillouet.  Denis  Mon- 
dolot,  ministre  de  Tours,  fut  élu  promoteur  ' ,  et  Claude  Ralle 
secrétaire  du  chapitre.  Le  promoteur  se  plaignit  de  ne  plus 
retrouver  les  armes  du  général  sur  un  bénitier  qu'il  avait 
donné  autrefois  à  Cerfroid;  un  Réformé,  Jacques  Richer,  les 
avait  effacées.   On  convint   de  les  faire  graver  de   nouveau. 

Le  chapitre,  défendant  aux  religieux  d'écrire  des  livres  sans 
le  visa  du  général,  en  avertit  notamment  Jean  Figueras,  reli- 
gieux de  la  province  de  Castille.  Quant  à  Y  Abrégé  de  la  Vie 
de  saint  Jean  de  Matha  et  de  suint  Félix  de  Valois,  publié 
par  le  P.  Aloès  en  i634,  il  décida  de  le  supprimer,  comme 
plein  de  mensonges  et  d'impostures.  Au  contraire,  le  chapitre 
donna  des  éloges  à  Claude  Ralle,  qui  avait  composé  le  Vin- 

i .  C'est  une  fonction  analogue  h   celle  du  ministère  public. 


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LOUIS    PETIT    ET    LES    RÉFORMÉS    (l6aO-l635),  2^3 

diciae  ordinis  SS.  Trinitalis.il  félicita  les  Pères  d'Espagne 
de  leur  respect  à  l'égard  du  général  et  donna  trois  mois  aux 
sept  religieux  anciens  pour  choisir  ou  refuser  la  résidence  à 
Cerfroid.  Le  visiteur  provincial  réformé,  à  la  considération 
du  comte  de  Tresmes,  prendra  place  au  chapitre  après  les 
ministres  mitigés  de  France. 

Claude  Ralle,  procureur  général  de  la  rédemption,  rendit 
ses  comptes  :  du  7  mai  1624  au  8  mars  i635,  il  avait  en- 
caissé  27,480   livres  et  donné   27,862   aux  rédempteurs. 

Comme  conclusion  du  chapitre,  Ralle  et  le  visiteur  réformé 
Chambellan  s'embrassèrent. 

La  paix  ne  devait  pas  être  de  longue  durée.  Les  Réformés 
préparaient  en  secret  au  général  le  plus  rude  coup  qu'il  eût 
encore  reçu  ;  Alexis  Berger ,  se  disant  procureur  des  Réfor- 
més, parti  le  s"  mars  i635  et  embarqué  aux  Martigues, 
obtint  en  cour  de  Rome  le  bref  du  ?5  octobre  r635,  donnant 
commission  au  cardinal  de  La  Rochefoucauld  de  réformer 
l'ordre  de  la  Trinité.  Après  maintes  protestations,  le  roi  de- 
vait, deux  ans  après,  confirmer  par  des  lettres  patentes  la 
commission  du  cardinal. 

Enfin  les  Pères  de  la  Merci,  trouvant  le  moment  favorable 
à  leurs  desseins,  présentèrent  une  nouvelle  demande  pour 
partager  le  droit  de  quête  avec  les  Trinitaires,  et,  le  24  juillet 
io"36,  un  arrêt  du  Conseil  les  chargea  du  rachat  des  captifs 
à  Salé,  au  Maroc. 

Telle  est  la  situation  à  laquelle  l'obstination  de  Louis  Petit 
avait  réduit  l'ordre  de  la  Trinité  ! 


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CHAPITRE  XIII. 


La  grande  enquête  du  cardinal  de  La  Rochefoucauld 
(1685-1640). 


Les  quatre  années  qui  suivent  le  chapitre  de  i635  sont  rem- 
plies par  la  publication  de  violents  factums  pour  ou  contre  les 
Réformés.  Les  passions  sont  des  plus  vives.  D'un  côté,  Louis 
Pelit  traite  ceux-ci  comme  les  derniers  des  misérables  et  veut 
les  faire  châtier  comme  conspirateurs.  D'autre  part,  les  Ré- 
formés adressent  requête  sur  requête  au  cardinal  de  La  Ro- 
chefoucauld, pour  obtenir  un  vicaire  général  et  un  général 
réformé  temporaire,  au  moins  après  la  mort  de  Louis  Petit. 

Ce  dernier  était  exaspéré.  Trop  intelligent  pour  ne  pas 
voir  la  décadence  de  l'ordre,  il  sent  que  tout  son  prestige 
allait  être  entamé  aux  yeux  des  provinces  étrangères,  atten- 
tives à  cette  lutte.  Aussi  s'efforce-t-il  de  ruiner  ses  adver- 
saires par  des  accusations  très  graves.  Il  s'en  prend  même 
aux  fondateurs  de  la  Congrégation  Réformée  et,  découvrant 
que  l'un  d'eux,  Claude  Aleph,  était  (ils  d'un  juif  d'Avignon, 
il  le  déclare  coupable  de  vol  et  d'apostasie  '  !  Tous  les  autres 
Réformés  de  marque  sont  jugés  avec  autant  de  sévérité. 

i .  Il  est  mort  ù  Dieppe,  «lisent  les  Réformes,  en  soignant  les  pestiférés. 
S'il  est  sorti  du  couvent,  d'après  eux,  c'est  par  humilité,  après  avoir  fait  un 
miracle. 


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ENQUÊTE    DU    CARDINAL    DE    l.A    ROCHEFOUCAULD.  2^5 

On  ne  peut  certes  considérer  comme  des  saints  tons  ces 
religieux  réformés,  mais  les  appréciations  de  Louis  Petit  se 
trouvent  en  désaccord  avec  les  biographies  qu'un  véritable 
historien,  le  P.  Ignace  de  Saint-Antoine,  a  consacrées  à  ces 
personnages  dans  le  Nécrologe  publié  en  1707,  à  Aix.  Voici 
quelques-uns  de  ses  jugements,  d'autant  plus  dignes  de  foi, 
qu'ils  émanent  d'un  religieux  d'une  autre  congrégation. 
Alexis  Berger,  né  à  Bar-le-Duc  en  i6o5,  fit  profession  le 
26  mai  i6a3;  ministre  de  Caillouet ,  Liesse,  Lisieux,  puis 
provincial,  il  mourut  dans  les  austérités  en  1659.  Ambroise 
Caffin  était  mort  dès  i63i,  «  lui-même  visité  par  Dieu,  au 
moment  où  il  allait  faire  sa  visite  dans  la  province  réformée 
de  France  ».  Simon  Chambellan  devait  finir  sa  vie,  le  20  dé- 
cembre r64o,  prieur  de  Cerfroid  et  illustre  par  ses  vertus. 
Lucien  Hérault,  dont  il  sera  question  plus  (ard,  demeura  en 
otage  à  Alger  et  mourut  en  prison  pour  les  captifs.  Un  des 
religieux  qui  survécut  à  la  tourmente,  Denis  Cassel,  récon- 
cilié avec  le  général,  devait  être  le  restaurateur  du  couvent 
des  Trinitaîres  d'Arras. 

Louis  Petit  ne  se  défendait  pas  seulement  par  des  ou- 
vrages dus  à  la  plume  de  son  secrétaire,  le  P.  Ralle,  mais 
il  essayait  de  rendre  inutile  la  commission  du  cardinal , 
en  publiant  lui-même  un  règlement  pour  les  Malhurins  de 
Paris  (1"  mars  i636).  Il  se  constituait  un  parti  parmi  les 
Réformés,  en  se  rendant,  au  mois  de  mai  1637,  au  chapitre 
d'Arles,  et  y  faisant  nommer  vicaire  général  le  P.  Raymond 
de  Pallas,  qui  était  à  sa  dévotion. 

En  vain,  le  8  octobre  i636,  il  avait  écrit  au  chancelier  Sé- 
guier'  pour  se  plaindre  du  bref  adressé  au  cardinal,  subrep- 

1.  Bibliothèque  Nationale,  nouv.  acq.  fr.,  ma.  6210,  fo  53. 


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346  '<  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRI  NI  T  AIRES. 

ticemeat  obtenu  par  trois  particuliers,  «  ennemis  jurés  de  tout 
tordre  »  ;  le  bref  fut  enregistré  en  vertu  de  lettres  patentes 
du  7  septembre  1637.  Le  cardinal  de  La  Rochefoucauld  vit 
donc  sa  commission  confirmée,  malgré  toutes  les  causes  de 
défiance  alléguées  par  Louis  Petit  contre  lui,  comme  séculier 
et  ami  de  longue  date  des  Réformés.  Trop  âgé  pour  tout  faire 
par  lui-même,  il  commit  son  coadjuteur  dans  l'abbaye  de 
Sainte-Geneviève,  le  P.  Faure,  pour  visiter  les  couvents  de 
l'Ile-de-France  (3o  décembre  1637)  et  convoqua  pour  le  2  mai 
i638  un  chapitre  général  à  Saint-Mathurin.  Le  roi,  de  son 
coté,  commit  Roissi  et  Fouquet,  conseillers,  Sanguin,  évftque 
de  Senlis,  Séguier,  évêque  de  Meaux,  Laisné,  sieur  de  la 
Marguerie,  et  les  maîtres  de  requêtes  de  Lezeau,  de  Barillon, 
de  Verthamont,  Mangot  de  Villarceaux,  etc.,  pour  juger  les 
appellations  '  que  Louis  Petit  pourrait  diriger  contre  le  car- 
dinal. 

Les  Réformés  ne  furent  pas  moins  ardents  dans  la  lutte 
que  Louis  Petit.  Ils  affirmèrent  que  le  général  n'aurait  été 
confirmé  à  Rome,  en  1610,  qu'en  promettant  d'embrasser 
la  Réforme;  descendant  même  à  de  basses  insinuations,  ils 
incriminèrent  ses  relations  avec  la  femme  d'un  libraire.  Ils 
proposèrent  contre-projet  sur  contre-projet  et  demandèrent 
que  l'élection  de  Raymond  de  Pal  las  fût  cassée  ;  que  le  gé- 
néral n'eut  que  voix  consultative  aux  chapitres  des  Réformés 
el  que  lui  seul  parmi  les  non  Réformés  y  fut  admis;  que  l'on 
revint  à  la  séparation  du  tiers  pour  le  rachat  des  captifs; 
que  l'on  instituât,  tous  les  trois  ans,  un  procureur  des  cap- 
tifs; que  le  général  eût  des  assistants  réformés  et  qu'il  ne 
pût  modifier  les  statuts  que  pour   fortifier  la  Réforme,  et 

1 .  En  têle  du  ras,  3  244  de  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève. 


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EXQUÊTE    DU    CARDINAL    DE    LA    ROCHEFOUCAULD.  3^7 

même  qu'il  n'y  eût  de  novices  que  chez  les  Réformés. 
Raymond  de  Pailas,  fort  estimé  en  Provence  pour  ses  re- 
marquables sermons  et  sa  vie  exemplaire,  ne  fut  pas  reçu 
sans  opposition  à  Cerfroid.  On  l'accusa  d'être  transfuge  de 
l'ordre  des  Capucins  (grief  réfuté  par  la  production  d'une 
dispense  régulière)  et  de  n'avoir  pas  été  élu  canoniquement 
vicaire  général,  puisque  Louis  Petit,  n'étant  pas  réformé, 
n'aurait  pu  valablement  donner  sa  voix  au  chapitre  d'Arles. 
Malgré  tout,  le  but,  poursuivi  par  Louis  Pelit,  de  diviser  les 
Réformés,  avait  été  atteint  par  cette  nomination. 

Le  P.  Faure  fil  lui-même  une  enquête  dans  les  couvents  de 
l'Ile-de-France.  Pour  les  autres  provinces,  nous  avons  les 
déclarations  des  ministres  '  convoqués  dans  un  chapitre  ex- 
ceptionnel tenu  à  Paris  dans  le  mois  de  mai  1 638.  Ce  gros 
volume  d'enquêtes  est  d'une  lecture  tristement  instructive  : 
la  lumière  qu'on  voulut  faire  tourna  à  la  confusion  des  deux 
parties,  notamment  au  point  de  vue  de  la  façon  dont  elles 
-s'acquittaient  du  rachat  des  captifs. 

L'élal  intérieur  des  couvents  était  partout  déplorable.  A 
Marseille,  le  ministre  Louis  Jav  était  un  homme  avide,  qui 
ne  venait  voir  les  religieux  malades  que  s'ils  avaient  de 
'argent  à  lui  donner,  faute  de  quoi  il  leur  adressait  dés 
injures. 

A  Cerfroid,  la  veille  des  Rois,  à  la  suite  d'une  orgie,  les 
religieux  avaient  déshabillé  un  de  leurs  confrères  et  l'avaient 
forcé  â  sauter  à  la  corde  pendant  trois  quarts  d'heure,  ce  qui 
lut  avait  causé  un  refroidissement*.  Le  P.  de  Pailas,  qui  avait 

I.  Bibliothèque  Sainte-Geneviève,  ms.  3ï44- 

î.  Ce  n'est  pas  la  seule  inconvenance  que  les  Réformés  eussent  à  se  re- 
procher. Us  avaient,  parait-il,  jeté  le  portrait  de  Louis  Petit  dans  les  «  lieux 

secrets». 


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24°  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES   TRINITAIRES. 

voulu  theltre  tin  à  cette  scène  regrettable,  reçut  un  coup  de 
poing  à  la  tempe'. 

La  même  enquête  constate  l'état  lamentable  et  la  destruc- 
tion à  peu  près  complète  de  certains  couvents,  comme  Beau- 
voir-sur-Mer  et  Clermont.  Elle  est  remplie  de  plaintes  des  reli- 
gieux les  uns  contre  les  autres.  Simon  Chambellan,  par 
exemple,  se  défie  de  Michel  Marié,  institué  prieur  de  Cerfroid 
par  le  général  et  qui  a  seul  une  chambre  chez  les  Mathurins 
de  Paris,  alors  que  tous  les  autres  Réformés  en  sont  exclus. 

Un  grand  nombre  de  manquements  à  la  règle  ayant  été 
reprochés  aux  Mathurins  par  Simon  Chambellan,  Louis  Petit 
daigna,  par  condescendance  pour  le  cardinal,  y  répondre 
point  par  point. 

Quant  au  P.  Claude  Ralle,  pour  expliquer  la  rareté  des 
rachats  de  captifs,  il  ne  donna  comme  argument  probant  que 
celui-ci  :  si  les  Réformés  avaient  mis  de  côté  le  tiers  des 
revenus  des  couvents  qu'ils  occupent,  puisqu'ils  prétendent  y 
être  obligés,  on  aurait  pu  faire  beaucoup  plus  de  rédemp- 
tions. 

Le  cardinal  rédigea  sa  sentence,  ie  i"  juin  i638,  et  la 
notifia  en  personne  aux  Malhurins  de  Paris*.  Elle  décidait 
que  la  règle  de  tout  l'ordre  était  la  règle  mitigée  et  que  cha- 
que ministre  aurait  un  substitut  et  coadjuteur,  seul  déposi- 
taire de  l'argent  du  couvent,  qui  rendra  compte  au  général 
quatre  fois  par  an,  comme  les  supérieurs  des  petites  maisons. 

Le  tiers,  prescrit  encore  le  cardinal,  sera  mis  de  côté  pour 
la  rédemption  :  une  fois  par  semaine,  il  y  aura  un  chapitre 
conventuel  pour  en  régler  l'emploi;  à  chaque  chapitre  général, 


.  F°  86  du  manuscrit  ci 


i  pari.  Une  copie  en  existe,  Rïhliolhrrpir 
3i,  fo»  ûo-^H. 


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ENQUÊTE    DU    CARDINAL    DE    LA    ROCHEFOUCAULD.  3^9 

on  élira  des  rédempteurs  et  l'on  fera  une  rédemption  dès 
qu'on  aura  10,000  livres. 

Le  général  aura  deux  assistants  :  un  Génovéfain  et  un 
Feuillant;  deux  Feuillants  instruiront  les  Mathurins  et  deux 
Jésuites  iront  à  Cerfroid  ;  un  conseil,  composé  de  deux  Augus- 
tins,  Feuillants,  Jésuites,  Carmes  Déchaussés,  avec  des  évé- 
ques  et  des  conseillers  d'État,  se  tiendra  le,  mardi  à  Sainte- 
Geneviève.  Le  cardinal  choisira  les  assistants  des  ministres  et 
les  visiteurs  provinciaux  avec  l'aide  de  son  conseil.  Quant  aux 
ministres,  dans  les  monastères  qui  ont  gardé  le  droit  d'élec- 
tion, le  cardinal  et  son  conseil  y  pourvoiront  ;  là  où  le  géné- 
ral a  droit  d'y  pourvoir,  il  les  choisira  d'accord  avec  ses 
assistants.  Le  cardinal  et  son  conseil  nommeront  le  maître 
des  novices. 

Toutes  (es  provinces  du  royaume  se  réuniront  à  Cerfroid  de 
trois  en  trois  ans  en  chapitre  général.  Cette  innovation  était 
de  la  plus  haute  portée.  Après  le  décès  du  général,  on  en 
élira  un  qui  ait  vécu  au  moins  quatre  ans  dans  la  Réforme1. 

Les  assistants  seront  élus  pour  trois  ans  et  rééligibles  une 
seule  fois,  de  même  que  les  visiteurs  provinciaux,  élus  aux 
chapitres  provinciaux,  et  les  ministres  locaux1.  Tout  ministre 
se  choisira  un  vicaire  et  le  provincial  lui  donnera  des  assis- 
tants. Les  supérieurs  ne  pourront  Confesser  leurs  religieux  et 
devront  députer  des  confesseurs  pour  cet  objet.  La  confes- 
sion aura  lieu  une  ou  deux  fois  par  semaine.  Les  noviciats 
seront,  pour  le  Nord,  Cerfroid  et  Paris  ;  pour  le  Midi,  Arles 
ou  Marseille. 


1.  N'était-ce  pas  donner  trop  de  satisfaction  aux  ambitions  quelque  pe 
éiroïstcs  des  Réformés?  Louis  Petit  put  trouver  que  l'on  désirait  trop  s 
mort,  ce  qui  lui  donna  une  force  de  résistance  nouvelle. 

2.  Cette  triennalilé  parait  d'ailleurs  être  une  chose  excellente  en  soi, 


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a5o  l'ordre  français  des  trinitaires. 

Avant  le  coucher,  on  fera  un  quart  d'heure  d'examen  de 
conscience.  Les  matines  se  diront  à  minuit  ;  d'ailleurs,  le 
cardinal  déclara  que  cette  dernière  obligation  ne  concernait 
que  les  Réformés.  Mais,  dans  sa  pensée,  tous  les  autres 
articles  devaient  s'appliquer  à  la  fois  aux  Réformés  et  aux 
Mathurins. 

Telle  est  la  sentence  du  i"r  juin  i638.  Un  point  de  droit  a 
été  discuté  avec  âpreté,  à  savoir  si  le  cardinal  avait  le  droit  de 
modifier  la  règle.  Il  nous  parait  que  le  pouvoir  conféré  par  le 
pape  l'autorisait  à  réformer  l'ordre,  ce  qui  impliquait,  en  cas 
de  nécessité,  la  composition  de  nouveaux  statuts.  La  légalité 
de  la  sentence  n'est  pas  douteuse.  Mais  le  cardinal  ne  com- 
promit-il pas  la  cause  de  la  Réforme  en  allant  trop  loin?  H 
paraît  avoir  servi  trop  exclusivement  la  jalousie  et  l'ambition 
des  Réformés,  tandis  qu'il  eut  mieux  valu  surveiller  Louis 
Petit  que  l'annihiler.  Cette  exagération  vouait  la  tentative  à 
l'insuccès. 

Après  la  lecture  de  la  sentence,  le  général  rédigea  ses  pro- 
testations «  pour  faire  connaître  à  la  postérité  la  force  et  la 
violence  qui  lui  est  commise  (sic)  et  se  conserver  en  ses  droits 
et  pour  en  faire  la  poursuite,  aussitôt  que  la  liberté  en  sera 
rétablie  et  que  la  voix  lui  sera  rendue  ».  La  commission  pon- 
tificale, dit-il,  est  une  enlVeprise  ouverte  sur  les  sujets  du  roi, 
contre  les  libertés  de  l'Église  gallicane  (cet  argument  reparaî- 
tra encore);  le  général,  sans  avoir  démérité,  est  destitué  au 
profit  du  cardinal,  qui  lui  est  suspect,  car  il  a  exécuté  le 
bref  du  25  février  1619  au  chapitre  de  Montmorency,  avant 
qu'il  fût  homologué.  Le  bref  de  i635  portait  que  le  cardinal 
devait  s'attacher  aux  «  institutions  régulières  »  de  l'ordre; 
or  il  a  imposé  une  nouvelle  règle,  qui  est  celle  de  saint  Ber- 
nard. 11  ne  peut  transmettre  au  pape  les  actes  de  la  Réforme; 


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ENQUÊTE    DU    CARDINAL    DE    LA    ROCHEFOUCAULD.  25l 

c'est  contraire  au  Concordat.  Tels  sont  les  moyens  de  cas- 
sation de  la  sentence. 

Prenant  ensuite  séparément  chaque  article,  Louis  Petit  note 
«  l'interdiction  et  la  déposition  de  sa  fonction  au  profil  de 
religieux  d'autres  ordres  »,  puisque  les  Trinitaires  ne  sont 
même  pas  représentés  dans  le  «  conseil  du  mardi  »  (c'était 
une  faute  en  effet).  Il  affirme  que  le  revenu  du  couvent  de 
Paris  est  de  3,ooo  livres  et  non  de  10,000  et  que  les  quatre 
provinces  doivent  seules  être  convoquées  au  chapitre  géné- 
ral. Les  ministres  n'auront  pas  de  compte  à  rendre,  s'ils 
n'ont  pas  de  deniers  à  manier;  l'excommunication  contre 
ceux  qui  s'opposeront  à  la  Réforme  est  abusive  ;  les  taxes  des 
captifs  seraient  autorisées  par  les  bulles  de  plusieurs  papes 
(que  le  général  se  garde  bien  de  citer).  La  sentence  du  car- 
dinal de  La  Rochefoucauld  fut,  malgré  tout,  confirmée,  le 
a3  novembre  i638,  par  arrêt  du  Conseil. 

Ce  beau  zèle  ne  fut  cependant  suivi  que  d'intrigues  obscu- 
res. «  Les  opposants  en  appelèrent  au  pape,  dît  Pierre  Rou- 
vier,  biographe  du  cardinal.  On  eût  pu  ne  pas  déférer  à  cet 
appel,  car  on  lisait  dans  la  commission  pontificale  que  toutes 
les  ordonnances  du  cardinal  seraient  observées  sans  délai  et 
sans  appel  '.  Plusieurs  fois,  le  cardinal  écrivit  au  pape  de  lui 
permettre  de  finir  celte  affaire.  «  11  mourut  à  la  peine,  en 
i64i,  sans  avoir  vu  la  fin  de  la  crise.  Nazare  Anroux,  mi- 
nistre de  Pontoise,  prononça  son  oraison  funèbre1. 

1.  Pin-nus  RovEiiiLB,  Yita  Cardinalii...  et  res  gestae,  pp.  i34-i38. 

2.  Récit  véritable,  etc.  Paris,  iG^5.  Bibliothèque  ualiouale,  Lu**  1 1  5oi . 


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CHAPITRE  XIV. 


Réconciliation  entre  le  général  et  les  Réformés 
(1641-1659). 


La  mort  du  cardinal  de  La  Rochefoucauld  ne  tranchait  point 
le  dissentiment  entre  Louis  Petit  et  les  Réformés.  Sans  doute, 
le  général  voyait  disparaître  celui  qu'il  appelait,  avec  juste 
raison,  son  ennemi  personnel,  maïs  les  Réformés  n'avaient 
pas  perdu  courage  et  continuaient  à  lutter  :  cette  prolongation 
de  la  discorde  devait  avoir  pour  conséquence  d'annihiler 
toute  tentative  de  réforme  de  l'ordre.  Il  est  bien  permis  de 
le  supposer,  si  Louis  Petit  avait  la  Réforme  en  horreur,  c'est 
qu'il  voyait  dans  les  Réformés  de  simples  ambitieux;  d'autre 
part,  les  religieux  de  In  Congrégation,  ne  pouvant  réformer 
tout  l'ordre,  se  contenteraient  d'une  bonne  place  au  soleil  et 
d'une  pari  dans  les  dignités  trinitaires.  Néanmoins,  tant  l'ha- 
bitude était  prise,  les  deux  partis  gardèrent  pendant  quelques 
années  les  mêmes  attitudes  que  par  le  passé. 

Le  fi  août  i64i,  deux  mois  après  la  mort  du  cardinal  de  La 
Rochefoucauld,  le  pape  fit  préparer  par  le  cardinal  Spada  un 
projet  de  bref  qui  fut  expédié  avec  une  telle  autorité  qu'il  n'y 
eut  pas  lieu  d'appel  (dis.  3a44>  f°  335).  Le  même  jour, 
d'ailleurs,  il  faisait  expulser  d'Avignon  les  Déchaussés,  après 
leur  intrusion  violente.  Pendant  ce  temps,  le  général  conti- 


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RÉCONCILIATION    DU    GÉNÉRAL   AVEC    LES    RÉFORMÉS.  ï53 

nuait  à  persécuter  les  Réformés  et  faisait  chasser  de  France 
quelques  religieux  espagnols1,  «  sous  apparence  voilée  et  zélée 
du  bien  de  l'État  ».  Les  Réformés  furent  retirés,  comme 
par  miracle,  de  cette  tourmente  et,  le  7  février  1642, 
introduits  à  Meaux  par  i'évêque  Dominique  Séguier,  malgré 
l'opposition  de  Denis  Mondolot1.  Pierre  Vie,  ancien  ministre 
de  Meaux,  se  vit  offrir  en  dédommagement,  soit  la  cure  de 
Brume tz,  soit  4oo  livres  de  pension.  La  même  année,  quelques 
«  mauvais  religieux  a  de  Paris  voulurent  vendre  leur  maison 
aux  Réformés,  en  stipulant  5oo  livres  de  pension  à  leur  profit. 
Marc  Brayer,  ministre  de  Sarzeau,  demanda  aussi  l'annula- 
tion d'un  concordat  fait  par  deux  de  ses  religieux  avec  les 
Réformés  pour  leur  céder  cette  maison.  Louis  Petit  était  donc 
menacé  de  tous  les  côtés  à  la  fois.  Le  chasse-croisé  de  bulles 
continuait.  Le  25  novembre  1G42,  Urbain  VIII  révoqua  un 
bref  que  Louis  Petit  prétendait  avoir  obtenu  contre  les 
Réformés. 

Enfin,  le  7  décembre  i643,  Claude  Martin,  officiai  de  Saint- 
Germain  des  Prés,  subdélégué  par  d'Angennes,  évèque  de 
Baveux,  délégué  lui-même  par  Urbain  VIII,  suivant  les  brefs 
des  18  janvier  et  i5  novembre  1642,  prononça  la  sentence 
suivante3  : 

La  sentence  du  cardinal  de  La  Rochefoucauld  sera  cassée, 
comme  contraire  aux  constitutions  de  l'ordre.  Les  matines 
seront  dîtes  â  quatre  heures  en  été  et  à  cinq  heures  en  hiver. 
Le  général  pourra  s'adjoindre  trois  ou  quatre  ministres 
de  fordre  en  qualité  de  conseillers.  Les  règlements  faits  par 


1-  Bibliothèque  nationale,  manuscrit  français  1572c,  f°  44^- 
1.  Doji  Tolssaimts  du  Plkssis,  pièce  654 

3.  Elle  a  été  imprimée  en  1643,  Les  Archives  des  Trjnilaircs  Je  CbiUons 
ea  renferment  deux  exemplaires. 


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254  L'ORDRE   FRANÇAIS   des  trinitaires. 

Louis  Petit,  pour  les  Mathurins  de  Paris,  le  i"  mars  1 636. 
seront  exécutés.  Les  ministres  des  quatre  provinces  seulement 
auront  voix  active  et  passive  au  chapitre  général  (le  Midi  en 
était  encore  exclu).  Quand,  dans  un  couvent,  il  y  a  moins  de 
cinq  profès  conventuels,  le  ministre  ne  peut  admettre  de  no- 
vice sans  permission  du  général.  Nul  ne  pourra  sortir  du 
royaume,  même  pour  la  rédemption,  sans  permission  expresse 
et  écrite  du  général.  Les  ministres  seront  élus  et  pourvus 
selon  la  manière  ordinaire  et  à  vie. 

On  pouvait  bien  penser  que  les  Réformés  ne  se  résigne- 
raient pas  à  cette  défaite.  Le  général  se  plaint  que  Denis 
Cassel  ait  fait  confirmer  la  sentence  du  cardinal  de  La 
Rochefoucauld  par  le  chapitre  provincial  de  Lambesc,  le 
3i  mai  1642.  Il  demande  enfin,  le  3  février  i644i  que  dé- 
fense soit  faite  aux  Réformés  de  lever  aucune  taxe  pour  la 
rédemption  et  que  Cerfroid  lui  soit  rendu  comme  au  général 
légitime'.  Il  ne  réussit  dans  aucune  de  ces  réclamations,  car 
Cerfroid  resta  aux  Réformés  et  le  roi  accorda  au  P.  Lucien 
Hérault,  membre  de  cette  congrégation,  des  lettres'  l'autori- 
sant à  quêter  pour  le  rachat  des  captifs. 

En  septembre  i645,  Athanase  Ganteaume  ayant  été  élu 
vicaire  général  à  Cerfroid,  Louis  Petit  cassa  l'élection. 

Le  8  novembre  suivant,  le  conseil  privé  déclara  que  la 
sentence  de  Claude  Martin  serait  cassée  et  le  règlement  du 
cardinal  de  La  Rochefoucauld  exécuté  selon  sa  forme  et  sa 
teneur.  Il  y  eut  un  nouvel  arr<}t  le  9  janvier  1648,  contraire 
au  précédent. 

De  graves  événements,  entre  temps,  avaient  donné  à  réflé- 

1.  IlïbIïothè([ue  nationale,  factura  2571g. 

2.  Anne  d'Autriche  lui  donna  même  des  commissions  spéciales  pour  le 
rachat  de  trois  Capucins. 


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RÉCONCILIATION    DU    GÉNÉRAL    AVEC    LES    REFORMÉS.  2Ô5 

chir  il  Louis  Petit.  Le  P.  Lucien  Hérault,  Réformé,  demeuré 
en  otage  dans  un  deuxième  voyage  en  Barbarie,  y  était  mort 
captif  au  mois  de  décembre  i645.  Cette  fin  avait  produit  une 
grande  impression,  et  les  Réformés  en  bénéficièrent  dans 
l'opinion  publique.  Louis  Petit  se  rendit  compte  aussi  que  ses 
adversaires  avaient  fait  preuve  d'une  telle  force  de  résistance 
qu'on  ne  pouvait  leur  refuser  quelques  satisfactions  ;  il  n'était, 
d'ailleurs,  pas  unanimement  approuvé  par  les  Mathurins  de 
Paris.  Il  faut  donc  rapporter  à  i646  environ  un  projet  de 
concordat  proposé  par  lui  aux  Réformés  ;  les  persécutions 
qui  suivirent  pendant  quelques  années  encore  ne  sont  plus  que 
des  escarmouches;  du  jour  où  le  premier  concordat  est  mis  en 
avant,  it  y  a  quelque  chose  de  changé  et  l'union  sera  bientôt 
faite  parmi  tous  les  religieux  de  France.  Sans  doute,  Louis 
Petit  met,  dans  ses  propositions  de  conciliation,  sa  mauvaise 
grâce  habituelle,  mais  il  consent  (importante  concession)  à 
suivre  le  bref  de  Clément  Vfll  et  l'arrêt  de  i634  pour  la 
visite  des  couvents  réformés  :  dans  celte  visite,  il  prendra 
avec  lui  un  Réformé  qui  aura  voix  consultative.  Il  défend 
aux  Réformés  d'accepter  aucune  maison  ancienne;  de  plus, 
quand  ils  passeront  dans  une  ville  où  existent  des  couvents 
de  leur  ordre,  ils  devront  y  loger,  comme  l'arrêt  de  i644  'es 
v  contraint,  et  ils  y  seront  les  bienvenus.  Le  général  délé- 
guera quelqu'un  de  la  congrégation  pour  juger  leurs  procès 
et  faire  la  visite  à  sa  place  s'il  en  est  empêché.  Il  recevra 
les  clefs  de  chaque  maison  lors  de  sa  venue  et,  au  chapitre 
général  de  Cerfroid,  il  aura  le  grand  sceau  du  «  correctoire  » 
(c'est-à-dire:  de  l'assemblée  des  correcteurs).  Il  confirmera  les 
élections  des  Réformés  (les  élus,  comme  les  autres  minis- 
tres, lui  payant  un  droit  annuel)  et  leur  donnera  la  per- 
mission de  quêter,  mais  ils  lui  demanderont  pardon  des  irré- 


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256  l'ordre  français  des  tributaires. 

vérences  commises    à   son   égard  pendant  les  derniers   cha- 
pitres ' . 

Un  chapitre  général  se  réunit  le  iG  mai  i65i  ;  il  n'y  en 
avait  point  eu  depuis  i635a.  On  constata  que  la  caisse  de  ré- 
demption contenait  a3,865  livres.  Les  opposants  furent,  celte 
fois,  Mondolot  et  les  Mathurins.  Les  commissaires  royaux, 
Etienne  Sainctot  et  Denis  Baron,  conseillers  du  roi,  et  Florent 
l'armentier,  substitut  du  procureur  général,  donnèrent  droit 
de  session  aux  ministres  réformés  de  Lisieux  et  de  Coupvray, 
qui  ne  figuraient  pas  au  chapitre  précédent,  ainsi  qu'au  vicaire 
général  Claude  Fournet  et  au  visiteur  provincial  Jean  Cadeot3. 
II  paraît,  d'après  les  débats,  que  le  couvent  de  Lisieux,  tantôt 
déchaussé  et  tantôt  réformé,  avait  été  repris  par  Nazare 
Anroux,  redevenu  mitigé.  D'autre  part,  les  Réformés  s'étaient 
introduits  à  Lamarche,  en  i65i,  sans  la  permission  du  géné- 
ral, et  y  restèrent.  ' 

[1  fut  décidé  qu'un  ministre  par  province  entendrait  les 
comptes  du  procureur  général  et  qu'on  doublerait  les  taxes 
des  captifs;  qu'on  ne  recevrait  pas  des  novices  qui  ne  sau- 
raient pas  le  latin  et  le  chant  grégorien  ;  que  le  noviciat  dure- 
rait deux  ans  et  que  la  profession  ne  serait  émise  qu'un  an 
après  la  fin  du  noviciat;  les  Réformés  ne  devraient  faire  la 
rédemption  et  la  quête  que  d'accord  avec  les  mitigés. 

Cinq  ministres  furent  choisis  pour  faire  reviser  les  statuts 
de  1^29  :  Claude  Ralle  (Le  Fay),  Jean  Angenoust  (Vitry), 
Jean  Chapelain  (Gloire-Dieu),  Jean  Liebe  (Regniowez),  Louis 
Le   Tourneau    (Rieux).    Un    vœu    fut    émis   en    vue   de    la 


1.  Archives  de  Seine-et-Oisc.  Trinilsires  de  Monlmorenev. 
z.  A  cause  de  la  guerre  ;  et  même  en  itifn  les  ministres  de  Flandre  □ 
rcnt  pas  de  passeport  du  roi  d'Espagne. 

3.  Voir  Bibliothèque  nationale,  l.d**,  n°  21.  Ocltwirm  capilulum... 


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LE   P.   GRÉGOIRE   DE   LA    FORGE. 
[Bit*,  utioiulc,  coll.  Fleur)  [dépare.  AI™],  tome  ZLII.  loi. 


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RÉCONCILIATION    DIT    GÉNÉRAL    AVEC    LES    RÉFORMÉS.         267 

réimpression  du  livre  de    Gaguïn  De  gestîs    Francorum'. 

Un  arrêt  du  conseil  privé  fut  rendu  quelque  temps  après 
en  faveur  de  Louis  Petit  contre  Denis  Mondolot,  révoqué  de 
ses  fonctions  de  prieur  claustrai  de  Saint-Malhurin  de  Paris, 
et  autres  religieux  «  discoles  m  c'est-à-dire  rebelles,  au  nombre 
de  huit.  Il  était  néanmoins  permis  à  ceux-ci  d'adresser  des 
mémoires  au  procureur  général  du  roi  en  cas  de  trop  grande 
modération  des  taxes  des  captifs  (5  mai  i65?). 

Ces  contestations  empoisonnèrent  les  derniers  jours  de 
Louis  Petit,  qui  mourut  le  5  octobre  i65a,  à  soixante-quinze 
ans,  après  le  plus  long  et  le  plus  laborieux  générais  t  qu'ait 
connu  l'ordre.  Il  n'avait  rien  eu  tant  en  haine  que  la  Réforme, 
et  il  avait  défendu  les  privilèges  des  Trinitaîres  mitigés  avec 
une  âprelé  qui  pouvait  passer  pour  une  sénile  obstination. 
Son  oraison  funèbre  fut  prononcée  par  le  P.  Nazare  Auroux3, 
ministre  du  couvent  d'Etampes,  qui  avait  précédemment  bio- 
graphie le  cardinal. 

Les  quatre  provinces  avaient  eu  à  subir  une  assez  chaude 
alerte  pour  tenir  d'autant  plus  à  leurs  privilèges.  Comme,  à 
cause  de  la  Fronde,  on  ne  pouvait  aller  à  Cerfroid,  le  cha- 
pitre se  réunit  chez  les  Mathurins  de  Paris,  dès  le  i5  décem- 
bre 1602  et  sans  attendre  la  date  réglementaire.  Pierre  Mer- 
cier, ministre  de  Soudé,  «  resté  au  couvent  de  Paris  pour 
bonnes  raisons  »,  prononça  le  discours  d'usage  et  salua  celui 


i.  C'est  peut-être  li  l'origine  de  la  tradition,  recueillie  par  In  Biographie 
uiiiorrtrllt,  d'une  nouvelle  édition  de  Gaguin,  donnée  a  la  fin  du  dix- 
septième  siècle  par  le  P.  de  Launay,  ministre  des  Mathurins  de  Paris, 

i.  C'était  un  simple  ambitieux.  Ministre  de  Château  briant,  il  redevient 
mitigé,  voulant  dire  perpétuel  nu  lieu  de  triennal.  Il  était  éloquent,  mais  de 
peu  de  fonds  de  doctrine.  Apprenant  que  Pierre  Mercier  allait  nommer  Ir 
P.  Héron  à  Elampes,  il  s'arrangea  pour  permuter  avec  ce  dernier  (Goudé, 
Hilloirc  de  Châtcattbrianl,  pp.  43o-43i). 


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258  L'ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES. 

qui  était  déjà  élu  avant  l'ouverture  du  scrutin  (non  eligendum, 
qaippe  qui  jam  sit  electas)  :  le  secrétaire  de  Louis  Petit, 
Claude  Ralle,  réunit  effectivement  la  presque  unanimité  des 
votants.  II  s'empressa,  à  l'exemple  de  son  prédécesseur,  de 
demander  au  pape  une  confirmation  de  son  élection. 

Par  un  bref  du  12  août  i65.'i,  le  pontife  éleva  quelques 
prétentions  nouvelles  de  nature  à  inquiéter  les  Trinitaires  de 
France,  notamment  celle  de  convoquer,  tous  les  six  ans,'  un 
chapitre  général  de  tout  l'ordre  de  la  Trinité,  auquel  assiste- 
raient seulement  les  provinciaux  de  toutes  les  provinces , 
assistés  chacun  d'un  seul  délégué.  Par  cette  forme,  en  usage 
chez  tes  Trinitaires  Déchaussés,  on  évitait  que  les  chapitres  ne 
fussent  trop  encombrés.  Le  premier  chapitre  devait  se  tenir  i 
Rome  ' . 

Les  Trinitaires  de  France  étaient  bien  avertis  des  périls 
qui  menaçaient  leurs  privilèges.  Aussi,  le  P.  Claude  Ralle 
proposa-t-il  une  nouvelle  transaction  aux  Réformés*.  Il  s'était 
montré  un  lieutenant  si  âpre  de  Louis  Petit  qu'il  ne  pouvait 
guère  espérer  l'acceptation  de  ses  propositions;  il  eut  au  moins 
le  mérite  de  faciliter  la  tâche  de  son  successeur. 

Il  offrait  de  maintenir  les  ministres  triennaux,  les  visiteurs 
provinciaux  et  le  vicaire  générai.  Les  Réformés  pourront  porter 
le  manteau  et  le  chapeau  noir.  Le  bref  de  1619  étant  cause 
de  la  mésintelligence,  les  Réformés  renonceront  à  s'en  préva- 
loir et  n'accepteront  de  maison  nouvelle  qu'avec  son  consente- 
ment  écrit.  Claude  Ralle  promet  de  restituer  la  stabilité  des 


1.  Ouerra  a  mal  compris  cette  bulle,  en  y  croyant  lire  qu'on  devait  étire 
tous  les  six  ans  un  nouveau  général. 

2.  Articles  que  propote  le  P.  Claude  Ralle  pour  l'accommodement 
entre  lut)  et  la  congrégation  dite  réformée  (Bibl.  nat.,  manuscrit  fran- 
çais lâyïi,  f"4oo). 


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RÉCONCILIATION    DU    GÉNÉRAL   AVEC    LES    RÉFORMÉS.         25û 

religieux,  c'esl-a-dire  de  ne  pas  les  déplacer  .arbitrairement. 
H  pourra  prendre  des  Réformés  pour  contribuer  au  règlement 
d'un  couvent  non  réformé,  d'où  ils  se  retireront,  leur  com- 
mission une  fois  faite,  de  même  qu'envoyer  des  religieux  non 
réformés,  aux  frais  de  leur  maison,  recevoir  quelque  instruc- 
tion dans  la  Congrégation.  Seulement,  dans  les  cas  à  lui  dé- 
volus, le  général  jugera  pleno  jare,  afin  de  montrer  que  sa 
dignité  n'est  point  honoraire.  H  y  avait  déjà  un  grand  progrès 
sur  les  propositions  de  Louis  Petit,  surtout  dans  la  forme.  La 
prompte  mort  de  Claude  Ralle  (i4  novembre  r 654)  empêcha 
ce  projet  de  réussir.  La  province  de  Provence  demanda  ins- 
tamment à  participer  à  l'élection  du  nouveau  général  (3  dé- 
cembre i654)';  les  Réformés  du  Nord  se  plaignirent  d'une 
irrégularité  dans  la  nomination  du  castos  Antoine  Basire,  et 
le  roi  nomma  des  commissaires  pour  assister  à  l'élection  du 
général,  régler  les  protestations  des  Réformés  et  recueillir 
les  voix1.  On  comprend  que  Pierre  Mercier,  élu  le  26  mai  i655, 
ait  gardé  quelque  temps  rancune  aux  Réformés. 

Un  arrêt  du  Conseil  d'État  du  19  avril  i655  avait  défendu 
au  général  de  troubler  les  Réformés.  Malgré  cela,  celui-ci  les 
chassa  de  Chateaubriant  et  de  Lamarche  et  excommunia  Ma- 
thieu Gossart,  ministre  de  Gisors.  Le  3  février  1657J  voulant 
même  chasser  les  Réformés  de  Cerfroîd,  il  y  établit  Lebel, 
ministre  de  Fontainebleau,  et  fit  saisir  le  revenu  de  cette 
maison3.  Il  se  rendit  lui-même  au  chapitre  des  Réformés,  à 
Cerfroid  (28  avril),  et  leur  demanda  de  ne  pas  accepter  de 
maisons  sans  sa  permission.  Le  roi  leur  envoya  une  lettre  de 


1.  Pièce  303. 

2.  Bibliothèque  nationale,  manuscrit  français  17663,  f°  xXg. 

3.  Faclum  de  l'établissement  de  la  Congrégation  Reformée  et  du  diffé- 
rend renouvelé  contre  elle  par  te  général  en  i65j  (B.  N.  Ld^j'-n»  a4). 


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260  l'ordre  français  des  trinitaires. 

cachet  pour  les  .engager  à  se  mettre  d'accord  avec  le  général, 
«  qui  a  été  en  bonne  intelligence  avec  eux  depuis  son  élection  ». 
On  ne  s'en  était  guère  aperçu  I 

Le  3  mai  1657,  Dominique  Séguîer,  évéque  de  Meaux  et 
grand  protecteur  des  Réformés,  proposa  le  concordat  suivant  : 
les  Réformés  ne  pourront  prétendre  à  une  maison  que  dans 
trois  cas,  s'ils  sont  appelés  par  la  pluralité,  par  le  supérieur  , 
ou  par  tous  les  religieux,  même  contre  l'avis  du  supérieur; 
alors  ce  dernier  recevra  une  pension  en  se  retirant  du  cou- 
vent. Si  les  nouveaux  Réformés  quittent  la  Réforme,  ils 
seront  déchus  du  droit  d'occuper  la  maison'. 

Tant  d'efforts  aboutirent  enfin  el,  le  21  juin  i65o,  un  con- 
cordat fut  conclu  entre  Pierre  Mercier,  qui  se  déclara  bien  aise 
de  contribuer  aux  progrès  de  ta  Réforme,  et  le  P.  Gossart, 
vicaire  général  de  ta  Congrégation  Réformée  (précédemment 
persécuté),  aux  conditions  suivantes  : 

I.  Le  général  peut  assister  aux  chapitres  des  Réformés. 

IL  Quand  il  fera  sa  visite,  il  prendra  avec  lui  son  secré- 
taire, non  Réformé,  si  cela  lui  plaît,  mais  il  aura  deux  Réfor- 
més pour  assistants  (Louis  Petit  n'en  admettait  qu'un). 

III.  La  Réforme  sera  accordée  par  le  général  pour  les  mai- 
sons anciennes,  quand  elle  y  sera  demandée,  selon  les  articles 
de  Meaux. 

IV.  Pour  obtenir  des  maisons  nouvelles,  les  Réformés  de- 
manderont la  permission  au  général,  qui  l'accordera  toujours, 
sauf  s'il  y  a  déjà  un  couvent  de  l'ordre  dans  la  même  ville. 

V.  Conformément  à  l'arrêt  du  3  mai  i634,  le  général,  ve- 


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RÉCONCILIATION   DU    GÉNÉRAL   AVEC    LES    RÉFORMÉS.         a6l 

nant  au  chapitre  réformé,  aura  deux  religieux  anciens  pour 
assesseurs. 

VI.  Les  Réformés  pourront  el  devront  loger  dans  les  mai- 
sons non  réformées. 

VII.  Des  religieux  préchant  dans  une  ville  où  il  y  a  un  cou- 
vent de  l'ordre  seront  tenus  de  s'y  présenter. 

VIII.  Les  Réformés  demanderont  la  permission  du  général 
pour  faire  imprimer  des  livres. 

IX.  L'appel  suprême  des  supérieurs  de  la  Congrégation  sera 
réservé  au  général. 

X.  Le  général  déléguera  un  religieux  de  la  Congrégation 
pour  l'instruction  de  ces  procès. 

XL  II  déléguera  deux  Réformés  pour  faire  la  visite  à  sa 
place,  s'il  en  est  empêché.  * 

XII.  La  clef  des  couvents  sera  remise  au  général,  sauf  à 
Cerfroid. 

XIII.  Le  prieur  de  Cerfroid  sera  élu,  de  trois  en  trois  ans, 
par  les  religieux  de  la  Congrégation  (le  fait  accompli  était 
accepté). 

XIV.  Le  général  confirmera  les  ministres  de  Lorgues  et  de 
Digne,  qui,  de  toute  ta  Provence,  étaient  les  seuls  non  réfor- 
més. 

XV.  Il  devra  permettre  les  quêtes  des  Réformés. 

XVI.  Les  brefs  obtenus  par  la  Congrégation  seront  exécutés. 

XVII.  Le  roi  sera  supplié  de  faire  confirmer  ce  concordat 
par  le  pape1.  On  ne  sait  si  celte  formalité  fut  exécutée. 

i.  Trinitaires  de  Marseille,  registre  i3,  p.  16.  —  Le  chapitre  général  de* 
Réformés  ne  dut  plus  se  célébrer  a  Cerfroid  (Ibid..  p.  6o). 


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262  l'ordre  français  des  TRIBUTAIRES. 

Un  arrêt  du  Conseil  confirmai  if  intervint  le  16  février  1661  ,* 
enfin,  une  déclaration  royale  de  juin  1671  ordonna  que  les 
Réformés  ne  pourraient  être  établis  dans' les  monastères  non 
réformés  sans  permission  du  roi. 

C'est  ainsi  que  les  deux  branches  françaises  de  l'ordre  se 
réconcilièrent  après  une  lutte  d'un  demi-siècle. 


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CHAPITRE  XV. 


Les  quatre  Provinces  de  1655  à  1688'. 


Cette  période  de  trente  ans,  de  même  que  la  précédente,  a 
vu  paraître  beaucoup  de  factums.  Mai»  un  changement  de  ton: 
très  notable  se  remarque  dans  les  plus  récents.  La  lutte  des; 
Trinitaires  contre  le  pape  ou  plutôt  contre  les  Trinitaires 
espagnols,  appuyés  par  la  cour  de  Rome,  est  vive,  mais  cour- 
toise; au  lieu  d'injurier  leurs  adversaires,  les  Trinitaires  citent 
des  faits  '  et  produisent  des  actes,  peu  probants 'parfois,  qu'ils 
interprètent  dans  le  sens  de  leurs  prétentions. 

Le  4  décembre  i654,  Antoine  Basire,  ministre  de  Chàlons 
et  cuatos,  avait  lancé  la  convocation  au  chapitre  général  du 
a5  avril  i655,  mandant  au  prieur  de  Cerfroid  de  préparer 
ce  qu'il  fallait  pour  les  hommes  et  pour  les  chevaux,  puis- 
qu'il y  avait  des  revenus  destinés  à  couvrir  ces  dépenses. 
Pierre  Mercier,  en  faveur  de  qui  Claude  Ralle  avait  résigné  la 


i.   Les   deux   mémoires  du  manuscrit  français   iri6g8  (fo<   io3-ia5)  delà 
Bibliothèque    Nationale  sont  écrits  en   1688,  au  moment  de  1b  cassation  à 
Rome  de  l'élection  du  P.  Teissier.  Le  premier  est  l'œuvre  d'un  esprit  pon- 
déré   sana  doute  du  P.  Joseph  Monier,  procureur  général  de  l'ordre  en  cour 
Rome,   quJ  esl  P°ur  'e*  quatre  provinces  un  ami  éclairé  et  qui  donne  bien 
des  défaite  que   le  second  auteur,  violent  gallican,  a  volontairement  passés 
tons   sîlenoe.     L'"*  liasse  des  Trinitaires  de  Marseille  raconte  en  détail  ces 
.  fyjta  et  prouve  que  la  politique  a  tout  gâté  dans  celte  affaire. 


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a64  l'ordre  français  des  tributaires. 

miDistrerie  de  Paris,  avait  été  élu  par  trente-cinq  voix  contre 
quinze  à  Antoine  Basire1.  Il  était  apte  à  terminer  les  luttes 
avec  les  Réformés,  auxquelles  il  n'avait  pas  pris  part  per- 
sonnellement, et  nous  avons  vu  qu'il  s'en  tira  fort  bien. 

Son  premier  soin  fut  de  faire  confirmer  son  élection  par  le 
pape  Alexandre  VII,  dont  il  recul  un  bref1  (2  juin  i655)  qui, 
pour  un  observateur  clairvoyant,  ne  pouvait  constituer  une 
grande  sauvegarde.  Le  pape,  en  effet,  laisse  à  l'exposant  toute 
la  responsabilité  de  ses  assertions  :  ta  qui,  ut  asseris,  cano- 
nice,  modo  et  forma  a  quadringentis  annis,  usitalis,  absque 
ulla  interrapttone,  ...  eteclus  es.  Les  quatre  provinces  eussent 
eu  tort  d'être  trop  rassurées;  la  formule  implique  que,  si  le 
pape  découvre  que  l'usage  ancien  a  été  différent  de  ce  qu'a 
exposé  Pierre  Mercier,  il  n'accordera  pas  sa  confirmation  au 
successeur  de  celui-ci. 

Tout  n'était  pas  fini,  car,  à  la  fin  de  l'année  i655,  Pierre 
Mercier  reçut  une  convocation  pour  le  chapitre  général,  qui 
devait  se  tenir  à  Rome  en  i656,  avec  la  composition  annon- 
cée dans  te  bref  de  confirmation  de  Claude  Ralle.  Outre  le  pro- 
cureur général  et  les  définiteurs,  il  ne  devait  y  avoir  dans  ce 
chapitre  que  trente-trois  membres,  dont  seulement  dix  repré- 
sentants des  quatre  provinces.  On  comprend  la  stupéfaction 
de  celles-ci  en  recevant  cette  convocation.  Elles  obtinrent 
l'arrêt  du  20  avril  i656,  interdisant  aux  Trinilaires  de  France 
de  se  rendre  à  Rome ,  «  sous  peine  d'être  punis  comme 
traîtres  à  Sa  Majesté  ».   Pareilles  défenses  furent  signifiées 

1,  Il  était  âgé  divquuraute  ans  k  peine.  En  i638,  il  demeurait  à  Chalous, 
chez  les  Trinilaires,  et  étudiait  la  philosophie  nu  collège  des  Jésuites;  le 
couveul  de  Fontainebleau,  dont  il  était  proféa,  payait  pour  lui  qusrante- 
cinq  écus  par  an.  Depuis,  il  avait  été  ministre  de  Soudé.  {Bibliothèque  Sainte- 
Ueneviève,  ma.  3i44<  f*  2o3  va.) 

3.  Gattia  ChrUtiana,  t.  VIII.  Instrumenta,  col.  566-567. 


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LES  QUATRE  PROVINCES  DE  l655  A  l688.        365 

aux  Réformés,  et  Pierre  Mercier  fut  invité  à  rappeler  tous  les 
religieux  isolés  qui,  sous  n'importe  quel  prétexte,  seraient  par- 
tis pour  l'Italie. 

Les  provinces  d'Italie  et  d'Espagne,  qui  s'étaient  réunies  à 
Rome,  ne  voulurent  pas  être  venues  en  vain.  Quand  le  pape  vit 
qu'il  n'y  avait  point  à  compter  sur  le  général  ni  sur  les  repré- 
sentants français,  il  décida  que,  nonobstant  leur  absence,  le 
chapitre  aurait  lieu  (18  juillet  i656);  il  ne  pouvait  agir  autre- 
ment. 

On  y  élabora  de  nombreuses  Constitutions  (éditées  à  Madrid 
en  1659  et  en  i';30,  revêtues  de  l'autorité  du  pape  par  le  bref 
du  2  janvier  i658.  Il  y  était  dit  notamment  que  l'élection  du 
général,  des  définiteurs  et  du  procureur  général  en  cour  de 
Rome,  serait  faîte  par  toutes  les  provinces  de  l'ordre.  Le  pro- 
vincial dans  le  district  duquel  le  général  serait  mort  aura  le 
titre  de  vicaire  général  (application  des  idées  que  Gaguin  avait 
émises  sur  le  provincial,  en  1 4 7 7 )  et  convoquera  le  nouveau 
chapitre  général,  composé  comme  devait  l'être  celui  de  1 656, 
c'est-à-dire  comprenant  le  général,  le  procureur  général,  les 
définiteurs  et  les  provinciaux  accompagnés  chacun  d'un 
socius  ou  assistant.  II  y  aura  un  chapitre  tous  les  six  ans  et 
le  lieu  en  sera  désigné  par  le  chapitre  précédent;  dès  à  pré- 
sent, il  était  fixé  a  Rome  pour  1662.  (Cette  date  fut  reculée 
de  trois  ans  par  la  suite.) 

Mais  Pierre  Mercier  eut  à  peine  le  temps  de  recevoir  ces 
mauvaises  nouvelles,  car,  dès  le  3o  mars  i658,  il  était  parti 
pour  visiter  le  Languedoc.  Il  renouvela,  dans  le  chapitre  pro- 
vincial, les  prescriptions  relatives  aux  trois  vœux  et  à  la  cou- 
leur de  l'habit,  à  la  lecture  de  la  règle  tous  les  vendredis  et 
il  ordonna  de  célébrer  le  28  janvier  comme  jour  de  l'institu- 
tion de  l'ordre.  Les  prédicateurs  ne  purent  prêcher  de  carêmes 


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200  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES   TRINITAIRES. 

sans  la  permission  du  général  ou  de  l'ordinaire.  Sans  doute,  il 
n'y  a  rien  d'extraordinaire  dans  ces  prescriptions,  mais  Pierre 
Mercier,  du  moins,  s'était  montré  dans  le  Languedoc,  où  le 
général  trinitaire  n'allait  guère.  Cette  province  n'avait  de 
commun  avec  les  Réformés  que  la  triennalité  des  offices. 

Après  avoir  fait  la  paix  avec  les  Réformés,  il  convoqua  aux 
Mathurins,  pour  le  28  février  1661,  huit  religieux  :  les  quatre 
provinciaux,  Lebel  (France),  Bordereau  (Champagne),  Del- 
saux  (Picardie),  Héron  (Normandie),  Escoffier,  procureur  des 
captifs,  Frère,  vicaire  de  Saint-Mathurin,  Chapelain,  substitut 
du  promoteur,  Barbotte,  ministre  de  Taillebourg,  pour  délibé- 
rer sur  la  question  de  l'adoption  des  constitutions  d'Alexan- 
dre VII.  Le  chapitre,  à  l'unanimité,  décida  la  négative  pour 
trois  raisons  : 

i°  Ces  constitutions  avaient  été  faites  sans  la  participation 
des  Trinitaires  de  France  ; 

■2°  Elles  étaient  contraires  à  plusieurs  statuts  de  l'ordre  et 
aux  lois  du  royaume  (?). 

3°  Elles  n'avaient  point  été  signifiées  aux  Trinitaires  de 
France. 

C'était  là  une  résistance  platonique.  Pierre  Mercier,  pour 
contrecarrer  l'effet  de  ce  séparatisme  redoutable,  fut  envoyé 
par  le  Conseil  d'Etat  à  la  visite  de  l'Espagne.  Il  était  déjà 
parti  le  a5  juin  1662,  car,  à  cette  date,  un  arrêt  du  Conseil 
ordonna  au  ministre  de  Mortagne  '  de  reconnaître  N'azare 
Anroux  pour  vicaire  général  de  l'ordre,  en  l'absence  du  gé- 
néral. Le  récit  détaillé  du  voyage  n'est  pas  connu.  Pierre 
Mercier  aurait  trouvé  en  Espagne  un  visiteur  apostolique1  et 
n'aurait  pu  exercer  son  droit  de  visite  qu'en  promettant  de 

1.  Archives  de  Metz,  H  3773,  n»  5. 

2.  Bîbl.  Nat.,  ma.  fr.  15696,  f°  118  v*. 


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LES  QUATRE  PROVINCES  DE  l655  A  ï688.        367 

faire  observer  en  France  les  constitutions  d'Alexandre  Vil.  11 
revint  au  mois  d'août  i664.  après  un  voyage  «  rude,  pénible 
et  fâcheux  '  »  ;  on  peut  deviner  ce  que  ces  termes  laissent 
soupçonner  d'humiliations  inavouées. 

Le  cardinal  Ginetti  convoqua  un  nouveau  chapitre  à  Rome 
(îo  juillet  i664);  un  arrêt  défendant1  aux  Trînitaires  de 
France  de  s'y  rendre  intervint  le  18  décembre  suivant.  Le 
chapitre  de  i665  ne  s'en  tint  pas  moins.  Les  Espagnols  firent 
une  vigoureuse  tentative  pour  obtenir  un  général  à  part; 
mais,  dans  un  mémoire  remis  à  la  Congrégation  des  Régu- 
liers, la  province  de  Portugal  s'opposa  vivement  au  schisme3. 
La  cour  de  Rome  ne  dit  pas  un  mot  contre  l'abstention 
des  Français,  pas  plus  qu'au  chapitre  général  de  167^,  pour 
lequel  le  général  avait  été  convoqué  spécialement,  le  i3  sep- 
tembre 1672,  par  le  cardinal  Camille  Maximi,  prolecteur  de 
l'ordre.  La  ténacité  de  la  cour  pontificale  est  étrange,  remar- 
que un  Trinitaire  ;  si  elle  ne  réussit  pas  du  premier  coup,  elle 
ne  croit  nullement  tout  perdu  et  finit  toujours  par  venir  a 
bout  de  ses  desseins. 

De  ifi66  à  1680,  d'ailleurs,  une  seule  grande  affaire  réunit 
fous  les  Trinitaires  sans  distinction  de  nationalité  :  là  cano- 
nisation des  saints  fondateurs  de  l'ordre,  Louis  XIV  écrivit  au 
pape  en  faveur  de  cette  négociation  le  iw  août  1677.  En  1679, 
les  Déchaussés  d'Espagne  reçurent,  les  premiers,  l'office  de 
saint  Jean  de  Matha  et  de  saint  Félix  de  Valois.  La  procé- 
dure avait  été  plus  longue  que  de  coutume,  le  culte  immémo- 


j.  Privilèges  et   indulgences   accordées  aux  confrères...,   par  Claude 
Rdb,  4»  **'*•<  1666),  p.  a76. 

1    Le  10  février  i&65,  la  défense  fut  signifiée  aux  Réformés.  (Trinitaires 
de  Msmeitte,  registre  6,  f»  58  *>.) 
3.  Pièce  ait. 


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268  l'ordre  français  des  trinitaires. 

rial,  exigé  par  une  bulle  d'Urbain  VIII,  étant  fort  difficile  à 

prouver. 

Après  la  canonisation,  Bonaventure  Baron  résuma,  dans 
ses  Annales,  la  vie  des  deux  sainls,  à  l'aide  de  traditions  sus- 
pectes, dont  le  P.  Calixte,  de  nos  jours,  ne  voulut  point  se 
défier.  Cet  ouvrage  est  rappelé  ici  pour  montrer  combien, 
même  dans  les  œuvres  qui  devraient  être  purement  his- 
toriques, perce  une  rancune  antifrançaise  des  Trinitaires 
étrangers. 

L'année  même  de  la  publication  des  Annales,  Pierre  Mer- 
cier tomba  très  malade  et  Fut  pourvu  d'un  vicaire  général, 
Guillaume  Basire'  (22  mai  i684),  qui  prit  lui-même  pour 
assistants  les  PP.  de  Launay,  provincial,  Teissier,  ministre  de 
Fontainebleau,  Petitpas,  ministre  de  Chelles1.  Pierre  Mercier 
mourut  le  26  mai  i685,  à  l'âge  de  soixante  et  onze  ans,  à 
Bièvre,  où  il  était  allé  se  reposer3. 

Les  Trinitaires  étrangers  n'attendaient  que  cette  occasion 
pour  secouer  le  joug  de  la  France.  Le  chapitre  avait  été  con- 
voqué pour  le  quatrième  dimanche  après  Pâques  par  Eustache 
Teissier4,  élu  cnstos  au  couvent  de  Paris  le  27  août  i685.  Mais 
cette  date  fut  avancée  au  20  mars  1686.  «  Le  roi,  ayant  appris 
par  son  ambassadeur  à  Rome  (le  cardinal  d'Estrées)  les 
entreprises  du  provincial  d'Italie  qui  a  osé,  de  son  autorité, 
indiquer  un  chapitre  général  en  cette  ville,  a  bien  voulu  nous 
honorer  de  sa  protection  toute  royale  pour  la  conservation  des 

1.  Archives  de  Lorraine  à  Metz,  Il  3773,  n»  6. 

2.  Bibliothèque  nationale,  manuscrit  français  15766,  fG  no. 

3.  Archives  nationales,  LL  iS5l,  f"  2  v». 

4-  C'élail  un  ancien  Déchaussé,  devenu  ministre  Chaussé  d'Avignon. 
Pierre  Mercier  l'avait  remarque  pour  la  beauté  de  sa  voix  et  amené  à  Fon- 
tainebleau; il  fui  curé  d'Avon,  puis  ministre  de.ee  couvent  (Ignace  t>B 
Saint-Antoine,  Nècrologe,  |>.  5). 


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LES    QUATRE    PROVINCES    DE    1 655    A    l6H8. 

privilèges  des  quatre  provinces  de  France  et  nous  faire  s 

ses  ordres  pour  la  célébration  de  notre  chapitre  général1.  » 

Ainsi  s'exprimait  le  custos. 

Les  Trinitaires  voulurent  faire  une  imposante  manifestation  ; 
Eustache  Teissier  fut  élu  général  par  cinquante-deux  voix. 
Parmi  les  électeurs,  —  et  c'était  là  un  acte  de  sage  politique, 
—  figurèrent  trois  réformés  :  Grégoire  de  La  Forge,  provincial; 
Philémon  de  La  Motte,  ministre  de  Lyon;  Ignace  Dilloud, 
ministre  de  Rouen,  ces  deux  derniers  fort  honorablement 
connus  dans  l'historiographie  trinitaire. 

Teissîer  notifia  son  élection  à  Rome  pour  en  demander 
la  confirmation,  «  Les  temps  étaient  bien  changés  »,  remar- 
que le  procureur  général  de  l'ordre  ;  c'était  l'époque  des 
quatre  articles  et  de  l'affaire  des  franchises;  la  cour  de 
Rome  ne  savait  aucun  gré  à  Louis  XIV  de  la  révocation  de 
l'édit  de  Nantes. 

Le  partisan  des  quatre  provinces,  auteur  du  second  mé- 
moire cité  au  début  du  chapitre,  semble  croire  que  si  Teissier 
se  fût  tenu  tranquille  le  pape  ne  lui  aurait  point  fait  d'oppo- 
sition; l'hypothèse  est  vraisemblable.  Cette  démarche  res- 
pectueuse fut,  en  effet,  interprétée  à  Rome  comme  une 
preuve  de  faiblesse.  Enhardie  par  les  sollicitations  des  Trini- 
taires  espagnols,  la  province  de  Portugal  renouvelant  d'ail- 
sa  protestation  de  i665,  la  Congrégation  des  Evèques  et  Ré- 
guliers, à  qui  Innocent  XI  confia  l'examen  de  celte  affaire, 
demanda  aux  quatre  provinces  des  preuves  de  leur  possession 
immémoriale  du  droit  d'élire  le  général. 

Teissier  recueillit  tout  ce  qu'il  put  trouver  :  des  extraits  de 
chapitres   généraux  prouvant   que    les  ministres   des  quatre 

1.  Archives  de  Metz,  H  3773,  a»  5  (6  février  1686). 


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37O  L  ORDRE    FRANÇAIS   I 

provinces  avaient  seuls,  depuis  i358,  assisté  aux  chapitres 
d'élection  du  général;  trois  fois  (i^-ji,  1001  et  i5og),  des 
Trinitaires  de  Provence  et  d'Espagne,  se  trouvant  à  Paris 
pour  les  affaires  de  leurs  provinces,  avaient  été  admis  par 
exception  à  prendre  part  au  vote,  niais  cela  ne  devait  pas 
créer  de  précédent.  Quant  aux  chapitres  «  correctifs  »  où  l'on 
dressait  les  constitutions,  des  exemples  de  1429  et  de  1601 
prouvaient  que  l'Espagne  y  était  appelée. 

Teissier  produisit  aussi  des  copies  de  bulles,  mais  elles  furent 
arguées  de  faux  par  les  Trinitaires  étrangers  ;  la  transcription 
de  la  bulle  du  36  janvier  1206  autorise  en  effet  plus  d'un 
soupçon1.  Les  Mathurins  ripostèrent  qu'ils  croyaient  bien 
aux  expéditions  de  la  cour  de  Rome  certifiées  par  des  banquiers 
étrangers. 

Tout  se  gâtait.  En  vain,  le  cardinal  d'Estrées  avait, 
avant  l'élection,  conseillé  un  moyen  terme  :  laisser  perpé- 
tuellement le  général  et  le  chapitre  général  à  la  France  et 
donner  l'autonomie  aux  provinces  étrangères,  avec  un  vicaire 
général  soumis  au  général.  Le  cardinal,  une  fois  l'élection 
acquise,  s'interposa  en  vain  pour  faire  recevoir  tout  l'ordre 
en  France;  mais  Lavardin,  alors  dans  sa  trop  fameuse  am- 
bassade de  Home,  défendit  au  procureur  général  Joseph 
Monier  de  produire  aucune  justification  (28  novembre  1687). 
La  réponse  ne  se  fit  point  attendre.  L'élection  et  le  chapitre 
lui-même  furent  cassés  par  les  cardinaux,  le  4  décembre  1687, 
et  un  nouveau  chapitre  fut  convoqué  à  Rome,  pour  le  moii 
d'avril  1688,  aux  termes  des  constitutions  d'Alexandre  VII. 

«  Les  quatre  provinces  l'ont  bien  voulu,  écrivait  Joseph 
Monier  dans  son  Mémoire;  il  n'y  a  rien  qu'elles  n'aient  fait 


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LES  QUATRE  PROVINCES  DE  l655  A  l688.        2"Jl 

pour  perdre  leur  cause.  »  Un  peu  de  souplesse  aurait  tout 
arrangé;  le  décret  même  ménageait  une  porte  de  sortie.  Pour 
que  l'ordre  ne  restât  pas  sans  chef,  le  pape  permettait  que 
Teissier  restât  vicaire  général  jusqu'au  chapitre  de  Rome.  Qui 
sait  si  une  prompte  soumission  à  la  cour  pontificale,  ainsi 
qu'un  rapide  voyage  à  Rome,  n'eussent  pas  déjoué  les  intri- 
gues des  Trinîtaires  espagnols?  Teissier  aurait  sans  doute 
pu  se  faire  confirmer  par  le  pape,  comme  Grégoire  de  La 
Forge  v  réussira  quinze  ans  plus  tard.  Le  procureur  général 
en  cour  de  Rome  conseillait  à  Teissier,  comme  dernière 
ressource,  d'obtenir  un  bref  de  général  pour  la  France  et  le 
Portugal.  H  n'était  pas  libre  de  le  faire,  car  il  était  poussé  en 
avant  par  les  quatre  provinces,  qui  même  le  trouvaient  trop 
conciliant.  Par  arrêt  du  Parlement,  le  n  février  t688,  le  roi 
fit  nouvelle  défense  aux  Trinîtaires  de  se  rendre  à  Rome  et 
leur  enjoignit  de  reconnaître  Eustache  Teissier  pour  supé- 
rieur légitime.  Les  rancunes  politiques  triomphèrent  de  la 
raison.  Par  une  riposte  fatale,  le  pape  Innocent  XI,  juste- 
ment blessé,  ordonna  aux  Trinitaires  d'Espagne  de  se  choisir 
un  général.  Dans  un  chapitre,  tenu  à  Sainte-Françoise-Romaine 
en  mai,  Antoine  Pegueroles,  provincial  de  Castilie,  fut  élu 
général  et,  le  ro  novembre  1688,'  la  cour  de  Rome  confirma 
cette  élection1.  C'est  alors  que  l'hôpital  d'Avignon  fut  usurpé 
par  le  vice-légat  qui  le  prit  à  sa  collation,  en  attendant  de  le 
séculariser  en  1 7 13  :  il  est  singulier  que  la  cour  de  Home  n'ait 
pas  dédaigné  celte  mesquine  vengeance  '. 

1.  Le  Parlement  dérendit,  te  4  décembre  1C88,  au  vicaire  général  des 
Trinitaires  Réformés,  de  recevoir  des  lettres  de  Pegueroles  (Bibl.  mit., 
manuscrit  français  i'i  766,  fo  i55). 

a.  Quitta  Christiana,  l.  VIH.col.  1752.  Bibl.  nat.,  ms.  15788,  fo  171. 


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CHAPITRE  XVI. 


Le  schisme  trinitaire  (1689-1718). 


La  rupture  entre  les  religieux  de  France  et  d'Espagne'  était 
entièrement  politique,  comme  le  prouve  suffisamment  ce  fait 
que  le  roi  de  Portugal,  toujours  hostile  à  l'Espagne,  fit  en- 
trer les  Trinitaires  de  sa  province  sous  l'obéissance  du  général 
français. 

Eustache  Teissier  ne  survécut  pas  longlemps  à  son  élection. 
On  ne  le  vit  intervenir  que  pour  exécuter  les  ordres  du  roi, 
dans  les  petites  affaires  comme  dans  les  grandes,  notamment 
contre  le  P.  Nicolas  Campaigne,  provincial  de  Languedoc.  De 
bonne  heure,  il  dut  se  choisir  comme  vicaire  général  Grégoire 
de  La  Forge1;  il  mourut  à  Fontainebleau  le  8  janvier  1693. 

1.  Source*  :  Chronique  de  Massac,  ici  document  original,  col.  1753  et 
1754  du  tome  VIII  de  GaUift  Chrùtiaaa.  Liasses  non  cotées  desl'rinilaires 
de  Marseille,  surtout  un  mémoire,  copié  aussi  en  lèle  du  nu,  1116  (P.  A. 
il)  de  la  bibliothèque  de  celte  ville.  Bibliothèque  nationale,  ms.  fr.  17661 
(plusieurs  lettres  de  Mnssac). 

Du  calé  espagnol  :  Archives  du  lloyiiume  k  Bruxelles,  carton  96  du  Con- 
seil d'Etal,  intitulé  Trinitaire»  (1607-1704),  et  Lopez  Domingo  :  Notîeia  de 
lia  tret  jlorentiatimas  provincial,  etc. 

2.  Ignace  de  Saint-Antoise,  Necrotogiam  (1707),  p.  110.  Il  était  ne 
dans  le  Forez  :  provincial  de  la  Congrégation  Réformée  et  ministre  de  La 
marche,  puis  de  Fontainebleau,  il  avait  fait,  en  ittgo,  une  rédemption  de 
captifs  à  Alger. 


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f.  ni. 

SAINT  AUGUSTIN  EXPLIQUANT  SA  RÈGLE  A  DES  TEINITAIBES. 

(BlbUothfcqne  MM»rine,  su.  1TB5,  (•  43.) 


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LE    SCHISME    TRINITAIRE    (1689-1716).  373 

Grégoire  de  La  Forge  fut  élu  cuslos  et  enfin  général,  par 
quarante-huit  voix  sur  cinquante,  le  8  novembre  i6g3.  Le 
chapitre  avait  dû  primitivement  se  tenir  le  quatrième  di- 
manche après  Pâques,  mais,  sur  des  avis  venus  de  Rome, 
il  avait  été  reculé,  dans  l'espoir  un  peu  prompt  de  trouver  un 
accommodement  avec  les  Espagnols.  Antoine  Peguerales  était 
mort  et  les  Espagnols,  réunis  en  chapitre  à  Barcelone, 
s'étaient  trouvés  six  contre  six  et  n'avaient  pu  élire  de  gé- 
néral :  l'élection  se  trouvait  dévolue  ai/  pape. 

Grégoire  de  La  Forge  essaya  donc  de  se  faire  confirmer  à 
Rome.  La  situation  politique  s'était  éclaircie  :  Avignon  avait 
été  rendu  à  Innocent  XII.  Le  cardinal  de  Forbin-Janson,  am- 
bassadeur de  France,  proposa  que  tous  les  procureurs  géné- 
raux de  l'ordre  vinssent  supplier  le  pape  de  confirmer  le  P.  de 
La  Forge.  Jean  de  Lambrana,  procureur  des  Trinitaires  espa- 
gnols, Nogueira,  procureur  des  Trinitaires  portugais,  Ferdi- 
nand de  A  lava,  ministre  de  Sainte-Françoise-Romaine,  Luc  de 
Saint-Jean,  procureur  des  Trinitaires  de  France,  s'entendirent 
enfin,  après  deux  essais  infructueux,  sur  un  compromis,  que 
Grégoire  de  La  Forge  signa  à  Fontainebleau  le  a3  septem- 
bre i6o4- 

Le  général  sera  perpétuel,  mais,  tous  les  six  ans,  on  élira 
en  chapitre  général  le  procureur  général  et  les  définiteurs. 

II  y  aura  dix  définiteurs,  cinq  pour  la  France  (le  général  les 
choisira  pour  cette  fois),  cinq  pour  les  autres  provinces. 

Le  pape  confirmera  Grégoire  de  La  Forge  et  donnera  une 
patente  de  commissaire  général  pour  l'Espagne  au  provincial 
d'Andalousie,  que  le  général  confirmera. 

Celui-ci  convoquera  à  Cerfroid  le  chapitre  général,  où  auront 
droit  de  vote  le  général,  Son  secrétaire,  le  procureur  général, 
les  commissaires  généraux,  les  définiteurs,  les  provinciaux, 


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a74  l'ordre  français  des  ïrinitaires. 

leurs  assistants  et  les  ministres  des  quatre  provinces  en  rai- 
son de  leur  droit  séculaire. 

Le  chapitre  sera  convoqué  dans  les  quinze  mois  pour  rece- 
voir les  constitutions  d'Alexandre  VII  ;  jusque  là,  le  procureur 
général  sera  Ferdinand  de  Alava,  ministre  de  Sainle-Fran- 
çoîse-Romaine  (auteur  probable  du  Mémoire  analysé  ici). 

L'affaire  semblait  en  bonne  voie,  lorsqu'une  rivalité  entre  le 
cardinal  de  Forbin-Janson  et  le  duc  de  Médina-Céli,  ambas- 
sadeur d'Espagne,  «  hrouilla  tout  ».  Le  duc  voulut  faire  jeter 
par  la  fenêtre  le  P.  Lambrana,  qui  lui  apportait  le  compromis, 
puis  il  consentit  qu'on  traitât  «  l'affaire  »  chez  le  général  des 
Dominicains,  à  condition  que  le  cardinal  ne  s'en  mêlât  pas  ! 
Les  Espagnols  demandèrent  alors  à  nouveau  un  général 
(i4  novembre  i6q4).  L'examen  de  cette  question  fut  confié 
aux  cardinaux  Altoviti,  Fanciatïcî,  Marescoti. 

Le  cardinal  Albano,  commis  pour  examiner  l'élection  de 
Grégoire  de  La  Forge,  opposa  au  cardinal  de  Forbin-Janson 
un  faclum  peu  respectueux  pour  l'autorité  du  pape,  envoyé 
de  France  par  le  nonce  Cavalerini  (c'est  le  premier  Mémoire 
de  1688).  Forbin-Janson  prouva  que  le  P.  de  La  Forge  ne 
pouvait  élre  l'auteur  de  ce  mémoire,  bien  antérieur  à  son  élec- 
tion. Le  cardinal  Albano  convint  que  le  P.  de  La  Forge  rece- 
vra un  bref  ad  oitam,  mais  déclara  que  ses  successeurs  ne 
seront  élus  que  pour  six  ans. 

Grégoire  de  La  Forge  arriva  à  Rome,  le  a8  janvier  1695,  et 
prouva  que  la  sexennalité  du  général  n'était  pas  ordonnée  par 
les  constitutions  de  i658'.  S'il  eût  été  présenté  au  pape, 
('affaire  eut  eu  une  issue  favorable,  mais  Son  Eminence 
voulut  qu'il  demeurât  incognito,  comme   un   abbé   séculier, 

1.  Guerrti  commel  aussi  celle  erreur  dans  son  analyse  de  la  bulle  de  1 658. 


di-yGoO^IC 


LE    SCHISME    TRINITAIRE    (1689-I716).  276 

dans  le  voisinage  de  Rome  :  la  diplomatie  a  de  ces  fines- 
ses. L'ambassadeur  d'Espagne,  voyant  que  le  cardinal  de 
Forbin-Janson  s'était  occupé  de  «  l'affaire  m,  s'y  déclara 
contraire,  et  «  ce  procès  quasi  fini  se  trouva  terriblement 
embrouillé  ». 

Grégoire  de  La  Forge  dut  repartir  sans  avoir  réussi.  Au 
moins,  il  avait  mieux  vu  les  desseins  de  ses  adversaires,  dit 
Massac.  C'est  se  contenter  de  peu.  Le  ig  mai  1695,  il  arriva  à 
Arles  et  y  fut  très  bien  reçu  '  ;  après  un  séjour  de  trois  jours, 
il  repartit  pour  Paris,  bien  décidé  A  faire  tous  ses  efforts 
pour  la  cessation  du  schisme. 

Cédant  aux  imporlunités  de  l'ambassadeur  d'Espagne,  le 
pape  convoqua  un  chapitre  des  Trinilaires  espagnols  à  Bar- 
celone. Le  aa  juillet  i6g5,  les  PP.  Luc  de  Saint-Jean  et  Le- 
quin,  ministre  de  Douai,  procureurs  du  général,  protestèrent 
de  la  nullité  d'une  nouvelle  élection.  Joseph  de  Tolède  fut 
élu  le  10  mai  1696.  Rodrigue,  provincial  de  Portugal,  lui 
ayant  donné  son  adhésion,  le  roi  le  déposa,  et  son  succes- 
seur, Balthazar  de  Basso,  reconnut  Grégoire  de  La  forge  J 
(26  juillet  1697). 

Celui-ci  avait  tenu,  en  1696,  un  chapitre  général  où  il  avait 
rappelé  les  Réformés,  ainsi  que  les  représentants  des  provin- 
ces de  Provence  et  de  Languedoc.  Le  P.  Gandolphe,  ministre 
de  Tarascon,  l'en  remercia 3.  Il  y  présenta  un  projet  de  convo- 
cation des  provinces  étrangères  à  l'élection  du  généra),  spéci- 
fiant d'ailleurs  que  celui-ci  serait  toujours  Français  et  qu'un 
Réformé  ne  pourrait  être  élu  qu'à  condition  d'adopter  «  l'état 
des  anciens  m. 

1.  Louis  Pic,  dons  le  Matée  d'Arles  {1873),  I,  i3. 
a.  Début  du  ma.  1216  de  la  Bibliothèque  de  Marseille. 
3.  Bibl.  Mat-,  nu.  fr.  15766,  f»  ai  1. 


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376  L'ORDRE    FRANÇAIS    DES  TRINITAIRES. 

Les  relations  entre  Réformés  '  et  «  anciens  »  étaient  alors 
excellentes,  et  rien  n'existait  plus  de  cette  défense  de  passer 
ex  stricttore,  ad  laxiorem  obtervantiam.  Un  Réformé  de 
Marseille  composa  à  ce  sujet  un  petit  mémoire  où  il  dit  : 
«  Les  religieux  de  notre  congrégation,  passant  chez  les  Ma- 
thurins,  sont  considérés  comme  apostats  1  »  Il  existait  arec 
cette  loi  des  accommodements,  puisque  les  Réformés  étaient 
admis  avec  empressement  chez  les  «  anciens  ». 

Au  temps  de  Grégoire  de  La  Forge,  le  couvent  de  Lor- 
gues*  passa  pacifiquement  aux  mains  des  Réformés.  Joseph 
Monier  reste  ministre  primitif,  garde  le  pas  sur  le  futur 
ministre  triennal  et  est  exempté  de  sa  juridiction,  ne  dépen- 
dant que  du  général.  II  aura  un  frère  convers  pour  le  servir, 
il  gardera  sa  chambre,  un  écu  par  mois,  et  la  libre  disposi- 
tion de  sa  messe  (9  déc.  1699).  C'était  une  juste  récom- 
pense pour  les  services  rendus  par  l'ancien  procureur  géné- 
ral en  cour  de  Rome3.  Ainsi  la  paix  était  parfaitement  rétablie 
à  l'intérieur  de  l'ordre  en  France. 

Grégoire  de  La  Forge  cherchait  aussi  à  se  constituer  un 
parti  chez  les  Trinitaires  des  Pays-Bas  soumis  à  l'Espagne, 
mais  il  n'y  réussit  pas  tout  d'abord.  Le  27  mars  1697,  Amé 
Tumerel,  provincial  et  ministre  d'Orival,  déclara  reconnaître 
Joseph  de  Tolède  «  maître  en  sacrée  théologie,  examinateur 
de  la  nonciature  d'Espagne,  prédicateur  de  Sa  Majesté  Catho- 

1.  Dès  1667,  on  les  voit  envoyer  de  l'argent  au  général,  qui  a  un  procé* 
avec  les  Déchaussés  (Trinitaires  de  Marseille,  reg.  6,  f°  67  v»), 

a.  Ces  actes  de  cession  ont  été  copiés  durant  une  tournée  de  visite  par 
le  P.  Uiraud,  provincial  des  Réformés  eu  1730. 

3.  Les  couvents  de  Lamarche  (34  juin  1691)  et  Tours  (17  mars  1706) 
ayant  embrassé  1h  Réforme,  comme  ceux  de  Digne  et  Lorgues,  le  roi  donna 
des  lettres  patentes  à  Versailles,  le  10  juin  1708,  pour  les  quatre  couvents. 
Avec  ceux  de  Templeux,  Rouen  et  Lyon,  les  Réformés  avaient  quinze 
couvents  en  tout. 


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LE    SCHISME    TRINtTAIllE    (1689-1716),  If] 

lique  et  général  de  tout  l'ordre  de  la  Trinité  »,  s'en  gageant  à 
prévenir  de  celte  nomination  les  ministres  de  Huy,  de  Lérines 
et  de  Lens.  Joseph  de  Tolède  avait  convoqué  un  chapitre  pro-' 
ïincial  pour  l'élection  du  provincial  de  Picardie  (8  mai  1698)  :  ' 
Augustin  de  Perry  fut  élu,  et  le  général  espagnol  le  con- 
firma1 (11  sept.). 

Après  la  mort  de  J.  de  Tolède,  le  provincial  de  Castille, 
puis  le  premier  définiteur  gouvernèrent  l'Espagne,  les  Pays- 
Bas  et  l'Italie  pendant  le  reste  des  six  ans  qui  devaient  encore 
courir  jusqu'à  la  réunion  du  prochain  chapitre1. 

En  1700,  les  Pays-Bas  passèrent,  de  par  le  testament  de 
Charles  II,  sous  la  domination  de  Philippe  V,  petit-fils  de 
Louis  XIV.  Le  provincial  de  Picardie  croyait  que  la  cause 
de  G.  de  La  Forge  élait  désespérée.  II  se  trompait.  Le  géné- 
ral français  sut  intéresser  le  nouveau  roi  d'Espagne  à  sa  situa- 
tion. Philippe  V  provoqua  des  conférences,  à  Naples3,  entre  les 
procureurs  des  deux  couronnes,  devant  le  cardinal  de  Forbin- 
Janson,  le  duc  d'Uzeda,  ambassadeurs,  le  P.  Cloche,  général 
des  Jacobins,  auxquels  le  chapitre  général  devait  rendre  hom-. 
mage.  Le  17  mai  1702,  le  roi  d'Espagne  mande  au  Conseil  de 
Castille  qu'il  faut  que  les  Espagnols  adhèrent  au  général  de 
France.  Le  confesseur  de  Sa  Majesté  écrit  aux  Trinitaires 
espagnols,  en  1703,  d'aller  cet  été  (este  verano)  reconnaître 
le  P.   de  La  Forge. 

Dès  le  1"  avril  1703,  il  mande  aux  Réformés  de  Provence 
de  surseoir  à  leur  chapitre  général  jusqu'à  la  réunion  de  celui, 
de  l'ordre  entier. 

Grégoire  de  La  Forge  ne  se  trompait  pas  sur  les  bonnes 

1.  Mention  dans  la  pièce  a5a. 

1.  Bibl.  N«t.,  ms.  fr.  16760,  .fo  ïofi. 

3.  Constitutions  imprimées  à  Madrid  en  1731  (Préface). 


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378  L'ORDRE    FRANÇAIS    DBS   TRINIT  AIRES. 

dispositions  de  la  cour  de  Rome;  elles  allaient  trouver  une 
occasion  de  se  dévoiler,  l'ordre  étant  réconcilié.  Le  i3  août 
1703,  à  la  prière  de  François  Ruiz  el  de  Clément  de  Jésus, 
procureurs  généraux  des  Trinitaires,  Clément  XI  confirma  les 
décisions  suivantes,  prises  en  divers  chapitres  et  destinées  A 
assurer  l'unité  de  l'ordre  : 

I.  Les  Frères  de  toutes  les  provinces  jureront  d'observer  tes 
constitutions  d'Alexandre  VII,  et  le  prochain  chapitre  fera  con- 
firmer par  le  Saint-Siège  les  modifications  qu'il  y  apportera. 

II.  Toutes  les  provinces  de  l'ordre  auront  le  droit  de  par- 
ticiper à  l'élection  du  ministre  général. 

III.  Les  chapitres  correctifs1  seront  soumis  aux  mêmes 
règles. 

IV.  Les  ministres  particuliers  des  quatre  provinces  n'auront 
de  suffrage  que  dans  les  conditions  où  l'exerceront  tes  minis- 
tres des  autres  provinces. 

V.  Tous  les  supérieurs  locaux  seront  triennaux1. 

VI.  Le  prochain  chapitre,  qui  se  tiendra  à  Cerfroiden  1704, 
décidera,  à  la  majorité,  si  le  chapitre  général  doit  continuer 
à  se  tenir  dans  ce  couvent  et  fixera  le  lieu  de  réunion  des 
chapitres  correctifs. 

VII.  Dans  le  chapitre  correctif,  qui  se  tiendra  de  six  en  six 
ans,  seront  élus  le  procureur  général  en  cour  de  Rome  et  les 
défini  leurs. 

VIII.  Le  général  sera  perpétuel,  comme  c'était  l'usage  jus- 
qu'à Pierre  Mercier  (le  bref  du  pape  ne  nomme  point  Eus- 
tache  Teissier). 

1.  Ce  août  ceux  où  l'on  ne  s'occupe  que  de  discipline,  de  correction  des 
statuts,  et  non  de  l'élection  du  général. 

a.  Ces  articles  IV  et  V  furent  modifiés  par  le  chapitre  en  faveur  des 
quatre  provinces. 


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LE    SCHISME    TR.~INITA.IRB   (1689-I716).  279 

IX.  II  y  aura  dix  défiriteurs  en  tout;  cinq  pour  la  France', 
un  de  Gastille,  un  d'Andalousie,  un  d'Aragon,  un  de  Portugal, 
un  d  Italie.  S'il  en  meurt  un,  le  général  le  remplacera  dans 
les  trois  mois. 

X,  Le  procureur  général  en  cour  de  Rome  sera  tiré  tantôt 
des  provinces  de  France,  tantôt  des  provinces  étrangères. 

*'•  En  cas  de  mort  du  général,  le  provincial  dans  le 
district  duquel  se  réunit  le  chapitre  sera  vicaire  général. 

*"■  Le  général  aura  un  secrétaire  français  et  un  secrétaire 
étranger. 

Le  tïifenie  jour,  le  pape  permit  a  Grégoire  de  La  Forge 
d'Hre  éligîble  au  généralat  dans  le  prochain  chapitre ,  l'au- 
torisa à  jouir  de  ce  titre  et  à  le  porter  dès  à  présent  dans  ses 
lettres,  comme  s'il  avait  été  député  par  bref  apostolique,  et 
confirma  toutes  les  élections  faites  au  temps  des  dissensions. 
Le  16  janvier  1704,  le  pape  accorda  une  indulgence  plé- 
flière  pour  le  chapitre  et,  le  i5  février,  Grégoire  de  La  Forge 
lança  les  lettres  de  convocation,  fort  arbitrairement,  nous  dit 
Massac,  car  il  n'y  invita  que  les  partisans  de  l'union1. 

1.  Joseph  Dubois  (France  et  Normandie),  Jean  Roubnud  (Champagne  et 
Picardie],  Ignace  Vignaux  (Languedoc  et  Provence),  Michel  Trossier,  pour 
les  Réformés;  Clément  de  Jésus,  pour  les  Déchaussés. 

3.  Personnages  composant  ce  chapitre  :  Vincent  Copola,  défi  ni  leur  d'Ita- 
lie; Joachim  Buenfuegos,  qualificateur  de  l'Inquisition;  Etienne  Gilbert, 
orateur;  Français  Ruiz,  procureur  général.  Provinciaux  :  Gilles  Dupron, 
(lie -de-France),  Siméon  Meslreau  (Normandie),  Nicolas  Campaigne  (Lan- 
guedoc), Joseph  Monier  (Provence),  Philémon  de  La  Moite  (Réformés  de 
France),  Augustin  Gandolphe  (Réformés  de  Provence),  Luc  de  Saint-Jean 
(Déchaussés  de  France),  André  Humana,  inquisiteur  d'Andalousie  ;  Ber- 
nard de  Salazar,  président  d'Aragon  (c'est-à-dire  ex-provincial)  ;  Augustin 
de  Barcelone,  cathedra!  de  Salemanque  ;  Alexis  de  Gunemond,  prieur  de 
Cerfroid;  Elie  Le  Beau,  secrétaire  général  de  France;  Vincent  Belmont, 
secrétaire  général  des  provinces  hors  de  France  ;  Vincent  Tabarez,  défini- 
tenr  de  Portugal-  Assistants  (tocii)  :    Sébastien  Picot  (Normandie),  Busrel 


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a8n  l'ordre  français  des  trinitaires. 

Les  quatre  provinces  furent  très  mécontentes  el  en  voulu- 
rent  à  Grégoire  de  La  Forge  de  les  avoir  laissé  frustrer  de 
leurs  droits  de  session  prétendus  immémoriaux.  Il  nous  sem- 
ble, au  contraire,  que  la  cour  de  Rome  et  le  général  français 
avaient  fait  là  un  acte  de  profonde  sagesse.  Les  quatre  pro- 
vinces étaient-elles  battues  entièrement?  Sans  doute,  les  élec- 
teurs sont  changés  et  la  forme  du  chapitre  général  est  à  la 
mode  espagnole.  Mais,  du  moins,  il  restera  à  Cerfroid,  le  pape 
l'a  bien  laissé  entendre;  il  n'aura,  en  tout  cas,  point  lieu  à 
Rome.  Le  général  sera  toujours  français,  car  Espagnols, 
Portugais  et  Italiens  ne  s'entendront  pas  pour  imposer  un 
candidat  autre  que  ie  candidat  français  ;  les  quatre  pro- 
vinces auront  bien  trouvé  un  candidat  pendant  l'année  de 
vacance  du  siège.  Leurs  plaintes  nous  paraissent  donc  exa- 
gérées. 

Beaucoup  de  discours  furent  prononcés,  du  18  au  24  mai  1704, 
par  Grégoire  de  La  Forge,  Lange,  ministre  de  Lisieux,  Clé- 
ment de  Jésus,  qui  tous  célébrèrent  le  retour  de  toutes  les 
brebis  sous  un  seul  pasteur.  Lequin,  ministre  de  Douai,  parla 
sur  la  Trinité,  l'Espagnol  Vincent  Belmont  sur  saint  Félix, 
l'Italien  Sanguineo  sur  la  sainte  Vierge,  Gilbert  sur  Saint- 
Jean  de  Matha. 

Après  l'élection,  par  acclamation,  de  Grégoire  de  La  Forge, 
Vincent  Copola  fut  nommé,  par  trente-huit  voix,  procureur 
général  à  Rome.  On  décida  que  le  chapitre  de  l'élection  du 
général  devra  se  tenir  toujours  à  Cerfroid;  le  chapitre  «  cor- 

(Picardie),  Segla  (Languedoc),  Castelan  (Provence),  Busnot  (Réformés  de 
France),  André  de  la  Nativité  (Déchaussés  de  Provence),  Levantînî  (Italie), 
Marcado  (Andalousie),  Logronn  (Castille),  Henriquez  (Aragon).  Outre  les 
cinq  défînileurs  de  France,  Louis  Lequin  et  Nicolas  Ruclea  portaient  les 
titres  de  provinciaux  d'Angleterre  et  d'Ecosse;  en  tout  trente-ueuf  vocaux. 
Parmi  les  Déchaussés,  ceux  de  France  étaient  seuls  représentes. 


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LE    SCHISME    THINITAIRE    (1689-1716).  281 

rectif  »  ou  de  discipline,  suit  à  Marseille,  soit  à  Aix.  Le  pro- 
vincial de  France  sera  cusios,  en  cas  de  mort  du  général.  Les 
ministres  des  quatre  provinces  assisteront  à  tous  les  chapitres 
généraux  pourvu  qu'ils  aient  douze  religieux,  dont  cinq  vocaux, 
c'est-à-dire  ayant  trois  ans  de  profession  ;  ceux  qui  sont  en 
fonctions  resteront  à  vie.  Le  P.  Dupron  fut  chargé  de  recueillir 
des  aumônes  pour  faire  une  rédemption  au  Maroc.  On  se 
félicita  des  progrès  de  l'ordre  au  Mexique  et  l'on  pria  le 
pape  Clément  XI  de  vouloir  bien  donner  un  dixième  des 
revenus  de  Saint-Thomas  de  Formis,  retenus  par  les  chanoines 
de  Saint-Pierre,  au  couvent  de  Sainte-Françoise-Romaine1. 
Le  chapitre  se  sépara  sans  rien  décider  sûr  les  constitutions 
d'Alexandre  VII;  leur  acceptation  par  les  Français  était  tout 
au  moins  remise,  puisque  te  général  ne  devait  les  observer,  en 
ce  qui  concernait  les  docteurs  et  tes  gradués,  qu'après  avoir 
pourvu  lui-même  à  ces  fonctions  pendant  vingt  ans. 

Malgré  la  mauvaise  volonté  des  quatre  provinces,  l'œuvre  de . 
Grégoire  de  La  Forge  demeura.  Il  fut  chargé  d'une  ambas- 
sade en  Espagne  par  Louis  XIV.  A  son  retour,  il  trouva  en 
révolte  le  couvent  des  Mathurins1,  dont  il  avait  pris  le  gou- 
vernement particulier  en  qualité  d'économe  (titre  qu'il  se 
donna)  à  la  suite  de  la  démission  du  P.  de  Launay.  Quelques 
religieux  avaient  même  porté  plainte  contre  lui  au  Parlement. 
Il  mourut,  sur  ces  entrefaites,  à  Limay,  le  27  août  1706,  et  fut 
enterré  à  Ponloise.  Les  Mathurins  de  Paris  demandèrent  aus- 
sitôt au  provincial  de  France,  le  P.  Darde,  la  permission  d'élire 
un  ministre  ;  l'élu  fut  Claude  de  Massac,  ministre  d'Etampes 
(16  septembre  1706). 

1.  Traitai  res  de  Marseille,  registre  i3,  pp. 83-89  et  Bibl.  nat-,  manuscrit 
français  15766,  i"«*an-ii4. 

3.  Bibliothèque  Suinte-Geneviève,  ms.  5io.  , 


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282  l'ordre  français  des  tbinitaires. 

Les  dix  années  suivantes  sont  remplies  par  d'obscures  intri- 
gues, que  Massai-,  a  suffisamment  résumées.  Il  n'y  eut  pas  de 
réclamation  contre  le  provincial  de  France  custos  de  plein 
droit,  le  P.  Darde,  écrivain  de  mérite.  Mais  il  avait  quatre- 
vingts  ans  et  les  définîteurs  le  surveillèrent,  pour  qu'on 
ne  tentât  pas  de  le  faire  revenir  sur  les  concessions  de  Gré- 
goire de  La  Forge1.  Il  mourut  au  mois  d'août  1708.  En  atten- 
dant qu'on  consultât  les  provinces  étrangères  sur  l'élection 
de  son  successeur,  l'ordre  fut  administré  par  un  conseil  de 
cinq  membres  (ir  septembre  1708),  composé  de  Claude  de 
Massac,  Mey  de  Valombre,  ministre  d'Etampes,  Joseph  Du- 
bois, ministre  de  Chelles,  Barthélémy  Toéry,  ministre  de 
Fontainebleau,  Nicolas  Favier,  procureur  général  de  France. 
Enfin,  le  7  décembre  1710,  Massac  fut  élu  custos  et  vicaire 
général  L'élection  eut  lieu  à  l'unanimité,  en  vertu  d'un  bref 
du  pape,  avec  l'autorisation  du  roi;  le  cardinal-protecteur 
Palavicini,  qui  avait  d'abord  réclamé  la  castodie  pour  le  pro- 
vincial de  France  réformée,  à  cause  de  sa  possession  de  Ger- 
froid,  félicita  Massac;  les  provinciaux  d'Espagne,  d'Italie,  de 
Provence  réformée  et  le  vicaire  général  de  la  réforme  le  recon- 
nurent. L'opposition  du  provincial  de  France  réformée,  le 
P.  Mariage,  fut  mise  à  néant  par  arrêt  du  Conseil  d'Etat  du 
7  juillet  171 1  %  comme  «'appuyant  sur  les  constitutions  inter- 
dites d'Alexandre  VII I 

Mais,  le  24  septembre  171 1,  Harlay,  le  P.  Tellier  et  M**  de 
Noailles,  commissaires  royaux  de  l'ordre  de  la  Trinité,  s'aper- 
çurent que  nos  religieux  n'avaient  pas  de  statuts  approuvés 
par  le  roi.  Un  arrêt  du  Conseil  d'Etat  du  2  mai  1712  obli- 
gea les  Trinitaires  à  en  faire  faire  la  revision.  Du  travail, 

1.  Archives  île  Meiz,  H  3774,  n'  '• 

a.  Bibliothèque  nationale,  manuscrit  français  15788,  f»  i85. 


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LE   SCHISME   TRINITAIRB    (1689-I716).  383 

demandé  par  Massac  à  tous  les  ministres,  sortit  l'édition 
de  1719,  qui  ne  concerne  que  les  quatre  anciennes  provinces. 

C'est  à  cette  époque  troublée  que  fut  décrétée,  par  la  Con- 
grégation d'Avignon,  la  sécularisation  du  couvent  trinitaire  de 
cette  ville  (août  1713).  Massac  tenta  de  faire  intervenir  le  roi, 
alléguant  qu'il  avait  la  souveraineté  sur  le  Comtat  ' . 

La  guerre  de  la  succession  d'Espagne  allait  enfin  se  ter- 
miner et  permettre  la  réunion,  tant  de  fois  retardée,  d'un  cha- 
pitre général;  après  une  dernière  prorogation,  obtenue  le 
12  juin  1 7 1 5 ,  il  se  tînt  à  Cerfroid  en  1716.  Nous  ne  possédons 
à  ce  sujet  aucun  détail,  si  ce  n'est  que  l'on  élut  à  l'unanimité 
Massac  comme  général  ;  son  gouvernement  allait  durer  la 
première  moitié  du  dix-huitième  siècle. 

1.   Bîbl.  Nul.,  ma.  fr.  15768,  f°  168. 


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CHAPITRE  XVII. 


Les  Trinitaires  chanoines-réguliers  (1716-1764). 


Le  nouveau  général  des  Trinitaires  (1716-1748)  était  âgé 
de  cinquante  ans.  Il  continua  la  Chronique  des  minisires  géné- 
raux, dans  un  esprit  de  sagesse  et  de  loyauté  absolue.  Voyant 
combien  les  luttes  du  dix-septième  siècle  avaient  épuisé  les 
Trinitaires  de  France,  il  voulut  arrêter  leur  décadence,  que 
la  nécessité  de  la  défense  contre  les  étrangers  avait  momen- 
tanément laissée  dans  l'ombre.  Mais  il  semble  que  les  huit 
années  de  luttes  et  la  correspondance  infatigable  qu'il  avait 
du  entretenir  avec  de  Harlay,  Ponlchartrain,  le  P.  Tellier, 
le  cardinal  Palavîcini  l'avaient  quelque  peu  usé,  et  Mas- 
sac  ne  laissa  guère  de  souvenirs  durables  que  comme  minis- 
tre des  Mathurins  de  Paris  et  auteur  du  grand  Cartulaire 
de  1731-1733. 

S'inspirant  de  la  décision  du  chapitre  de  1 704,  il  réunit  un 
chapitre  «  correctif  m  à  Marseille  (1729),  c'est  le  seul  que  nous 
connaissions  ;  sa  composition  fut  analogue  à  celle  du  chapitre 
de  1704.  Le  procureur  général  des  captifs,  le  P.  de  La  Faye, 
y  rendit  compte  de  l'administration  du  trésor  de  ta  rédemp- 
tion :  recettes 274,0591.  18  s.    8  d. 

dépenses 233, 8o3  1.    2  s.  10  d. 

II  fut  continué  dans  sa  charge  malgré  son  grand  âge.  Joseph 


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LES   TRINITAIRES    CHANOINES    RÉGULIERS.  a85 

Bernard  fut  nommé  procureur  général  en  cour  de  Home. 
On  ordonna  la  rédemption  que  devait  opérer  en  1780  à  Cons- 
tantinople  le  P.  Jehannot,  ministre  de  Beauvoir-sur-Mer  ". 

La  pauvreté  de  l'ordre  était  un  fait  acquis  devant  lequel  on 
n'avait  qu'à  s'incliner.  Dès  te  io  septembre  1733,  Inno- 
cent XIII  avait  accordé  un  bref  pour  les  réductions  de  fonda- 
lions.  Massac  choisit  des  délégués  spéciaux,  qui  recherchèrent 
dans  les  archives  des  couvents  les  obits  dont  ils  étaient  char- 
gés et  les  ramenèrent  au  prorata  des  ressources  disponibles3. 

Aucun  fait  marquant  n'est  à  relever  jusqu'à  1766.  Seule- 
ment, par  une  quantité  de  petits  actes,  nous  percevons  au  vif 
la  vie  intérieure  de  l'ordre  et  surtout  sa  médiocre  situation 
financière.  Pour  plus  d'une  affaire,  te  P.  de  Massac  et  le 
P.  Lefebvre,  son  successeur3,  rappellent  qu'ils  n'ont  pour 
vivre  que  les  revenus  de  la  maison  de  Paris  et  que,  pour  en- 
tretenir le  procureur  général  en  cour  de  Rome  ou  soutenir  un 
procès  dans  l'intérêt  de  l'ordre,  il  faut  les  cotisations  de  tou- 
tes les  provinces.  Les  Trinitaires  étaient  toujours  simplistes  : 
les  Bénédictins  de  Vilry  ayant  attaqué  le  privilège  de  l'exemp- 
tion des  dîmes  dont  jouissaient  primitivement  les  couvents 
trinitaires,  mais  qu'ils  avaient  laissé  prescrire,  le  P.  Lefebvre 
chercha  à  la   faire  confirmer  par  lettres  patentes  du  roi. 

1.  Trinitaires  de  Marseille,  reg.  i3,  pp.  i64-i65. 

2.  Voir  un  exemple  à  Ponloise  (Arch.  de  Seîne-ef-Oise  :  liasses  des  Ma- 
itmrins  de  Pod  toise). 

3.  Le  P.  de  Massac  était  mort  le  7  février  1748,  à  quatre-vingt-quatre  ans. 
Le  P.  Lefebvre,  ministre  de  Meaux  en  1730,  puis  de  Fontainebleau,  en 
faveur  de  qui  Massac  avait  résigné  la  ministrerie  de  Paris  le  10  janvier 
précédent  (Bibl.  de  Lyon,  fonds  Coste,  ms.  382,  n"  a),  ne  convoqua  le  cha- 
pitre que  pour  le  3  mai  1749.  car  ''  n'y  aurait  pas  eu  le  temps  de  réunir 
tes  vocaux  à  la  date  régulière  du  quatrième  dimanche  après  Pâques  1748. 
Li  convocation  était  adressée  :  Revercndis  Patribua  Miniatris  Prooincia- 
libni,  Diffiaitoribiu,  Sociis  Prooinciaram,  Etectoribot  RtligtosU  cima 
R  ultra  Montes. 


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280  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TR  IN  MAIRES. 

Craignant  que  ce  moyen  un  peu  hardi  n'eût  pas  de  succès,  il 
pria  les  provinciaux  de  taxer  les  maisons  de  leur  district,  en 
faisant  payer  moins  à  celles  qui  pourraient  justifier  de  l'exemp- 
tion des  dîmes1.  Le  procès  fut  perdu  par  les  Trinitaires. 

Les  frais  de  l'entretien  du  procureur  général  en  cour  de 
Rome,  pour  six  ans,  étant  fort  élevés  (4,ooo  livres  en  tout),  le 
P.  Lefebvre  proposa  de  donner  au  P.  Vacchini,  ministre  de 
Sainte-Fraaçoise-Romaine,  le  titre  de  vice-procureur,  pour 
économiser  les  frais  de  déplacement  d'un  Français1. 

Les  quatre  provinces  s'étaient  facilement  résignées  à  ne  plus 
être  seules  dans  le  gouvernement  de  l'ordre.  Elles  avaient 
d'ailleurs  trouvé  un  moyen  excellent  de  n'avoir  point  à  souf- 
ffrir  de  l'intrusion  des  étrangers,  c'était  de  ne  réunir  le  cha- 
pitre général  qu'en  cas  de  vacance  du  généralat.  Les  Espa- 
gnols, pour  qui  te  voyage  de  Cerfroid  était  onéreux,  laissèrent 
faire  sans  protester  et  le  pape  ne  dit  rien  non  plus. 

Vers  le  milieu  du  dix-huitième  siècle,  la  situation  intérieure 
des  couvents  paraît  déplorable;  quelques  enquêtes  conservées 
à  Paris  et  à  Bruxelles  le  démontrent.  Bornons-nous  à  la 
maison-mère,  que  nous  a  dépeinte  en  termes  peu  flatteurs  une 
enquête  de  1/43.  insérée  dans  les  cartons  de  la  Bastille 
(Bibl.  de  l'Arsenal,  ms.  10182).  Massac  était  alors  aveugle 
depuis  huit  ans  et  rebelle  à  toutes  les  observations,  parce  que, 
dans  son  obstination  sénile,  il  craignait  par-dessus  tout  qu'on 
ne  le  forçât  de  se  démettre.  «  Votre  maison,  lui  disait  le  curé 
de  Saint-Benoit,  aurait  bon  besoin  de  réforme.  »  —  «  Mon- 
sieur, répondit  Massac,  il  n'y  a  que  les  Chartreux  et  nous  qui 
n'ayons  jamais  été  réformés.  »  Le  «  dépensier  »    faisait   du 


.  Pièce  3i 2. 
.  Pièce  3o8. 


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LBS   TRINITAIRES    CHANOINES    RÉGULIERS.  387 

réfectoire  un  cabaret,  donnant  à  manger  à  quinze  ou  vingt 
personnes,  même  pendant  les  offices.  Un  Mathurin,  nommé 
Guillaume,  s'était  fait  peindre  avec  une  ri  fille  »  dans  un 
tableau.  Le  P.  Le  Clerc,  sacristain,  allait  presque  tous  les 
jours  voir  une  «  fille  »  qui  demeurait  rue  Boutebrie,  près  la 
petite  porte  du  couvent;  le  général,  quoique  averti,  se  faisait 
remplacer  dans  les  offices  solennels  par  cet  extraordinaire 
sacristain!  Tous  les  religieux  disaient  la  messe  avec  précipi- 
tation, dînaient  en  ville,  même  en  habit  de  choeur,  frisés, 
poudrés,  avec  des  ceintures  de  soie  et  des  collets,  en  un 
mot  semblables  à  des  petits-martres  !  Quel  remède  à  cette 
situation  déplorable  ?  «  Attendre  la  mort  du  général  '  I  »  dit 
le  lieutenant  de  police. 

Plutôt  que  de  se  réformer  intérieurement,  les  Trinitaires  ae 
songent  alors  qu'à  changer  leur  extérieur,  c'est-à-dire  leur 
habit. 

Une  «  question  nouvelle  »,  qui  a  fait  couler  beaucoup  d'encre 
au  dix-septième  et  au  dix-huitième  siècle,  était  donc  celle-ci  : 
m  Les  Trinitaires  militent-ils  sous  la  règle  de  saint  Augustin  ?  » 
Ea  d'autres  termes,  sont-ils  chanoines  réguliers  ? 

Cette  difficulté  est  débattue  contradictoirement  dans  un  ma- 
nuscrit de  Marseille,  n°  1214  (hors  page,  à  la  fin)  et  dans  un 
manuscrit  que  le  P.  Xavier  m'a  obligeamment  envoyé  de 
Rome.  Les  Triuilaires  ont  été  divisés  à  ce  sujet.  De  nos 
jours,  ie  P.  Calixte  a  protesté  contre  cette  qualification  de 
chanoines  réguliers.  «  La  règle  des  Trinitaires,  dit-il,  n'a  de 
commun  avec  celle  de  saint  Augustin  qu'un  point  sur  la  psal- 
modie ;  encore  est-il  adouci  en  faveur  des  religieux  '.  »  On 

1.  Le  Nécrologe  des  Mathurins  fait  de  Massue  un  superbe  éloge,  ainsi 
que  de  son  zèle  pour  lu  moralité  des  religieux  I 
».  Vie  de  saint  Jean  de  Malha  (1867),  p.  104. 


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a88  l'ordre  français  des  trinitaires. 

pourrait  rapprocher  aussi,  dans  les  deux  règles,  l'article  sur  la 
«  correction  fraternelle  »,  mais  il  n'est  pas  spécial  à  la  disci- 
pline trinitaire. 

Les  auteurs  non  Irinitaires  sont  également  divisés.  Claude 
Gaillardon,  curé  de  Claye  (diocèse  de  Meaux),  discuta  très 
âprement  les  prétentions  des  Trinitaires  '.  Cet  auteur,  en  sa 
qualité  de  chanoine  régulier,  n'avait  pas  l'impartialité  néces- 
saire pour  juger  ses  nouveaux  concurrents. 

Des  historiens  de  bonne  foi  comme  Pierre  det  Campo,  auteur 
de  l'Histoire  générale  des  ermites  de  Saint-Augustin7 ,  et  Le 
Paige,  auteur  de  la  Bibliotheca  Praemonstratensis  et  ami  de 
Louis  Petit,  avaient  revendiqué  les  Trinitaires  comme  leurs 
confrères,  dès  le  dix-septième  siècle.  Un  recueil  liturgique, 
sous  la  rubrique  :  Religiones  vioentes  sub  régula  Beati  Au- 
gustini,  place,  au  n°  29  :  Congregatio  Sanctae  Trinitatis 
sive  de  Bedemptione  in  HispaniaQ)  ordinata^.  La  même 
opinion  a  été  maintes  fois  exprimée  dans  des  articles  relatifs 
aux  anciennes  constitutions  monastiques4. 

Malgré  toutes  ces  citations  et  d'autres,  absolument  con- 
formes, que  le  P.  Hélyot  a  énumérées,  comme  favorables  à 
la  thèse  de  la  «  canonicité  »  de  nos  religieux,  un  fait  est  cer- 
tain :  la  règle  de  saint  Augustin  n'a  point  été  donnée  aux 
Trinitaires,  et  il  faut  avoir  foi  en  l'épitaphe  de  saint  Jean  de 
Malha ,  laquelle  dit  que  les  Trinitaires  furent  institués  sub 
régula  propria  a  Sede  Apostolica  concessa.  Si  les  Trinitaires 
ont  une  règle  propre,  ils  ne  sont  point  soumis  à  celle  de 
saint  Augustin.  H  y  a  cependant  quelques  textes  embarras- 


1.  Bihl.  Sainte-Geneviève,  ms.  1962,  f»4- 

2.  Bibl.  de  Marseille,  ms.  iai3,  pp.  97  el  98.  Ibid.,  ai 

3.  Bibl.  Nal.,  It  13683-13688. 

4.  NoUmment  Revue  du  Perche,  avril  1896,  p.  a3. 


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LES    TRINITAIHE3    CHANOINES    REGULIERS.  389 

sants.  Plusieurs  bulles  de  papes  considèrent  que  les  Trini- 
taires  vivent  soos  la  règle  de  saint  Augustin'.  Mais  si  l'on 
regarde  attentivement  ces  bulles,  on  remarquera  que  celle  de 
i35o  (que  personne  n'a  jamais  vue)  se  rapporterait  à  une 
cure,  que  celle  de  i353  concerne  l'hôpital  d'Avignon,  que  la 
transaction  du  17  mai  i468  se  réfère  à  {'hôpital  d'Arles  et  que 
la  lettre  du  vicaire  général  de  l'évêque  de  Maguelonne  (3  août 
1517)  concerne  l'hôpital  de  Montpellier3.  Or  la  règle  de 
saint  Augustin  est  spécialement  observée  dans  les  hôpitaux. 

Les  manuscrits 3  des  statuts  des  Trinitaires,  les  obituaires 
de  Châleaubriant  et  de  Fontainebleau,  les  statuts  de  171g 
contiennent  la  règle  de  saint  Augustin ,  avec  l'Exposition 
d'Hugues  de  Saint- Victor ,  et  le  plus  ancien  bréviaire  trini- 
laire*  solennîse  spécialement  le  28  Février,  fête  de  saint  Au- 
gustin. Nos  rituels ,  répondent  les  opposants ,  viennent  de 
Saint-Victor  et  les  Viclorins  sont  chanoines  réguliers  de 
saint  Augustin.  La  règle  de  saint  Jérôme  se  trouve  bien  aussi 
dans  les  manuscrits  trinitaires,  et  pourtant  ils  ne  la  suivaient 
pas. 

II  faut  avouer  qu'il  y  a  une  bulle,  celle  du  i5  mars  1578, 
adressée  aux  Trinitaires  de  Pontoise,  où  les  raisons  précé-  ' 
déminent  alléguées  paraissent  inadmissibles.  Un  annotateur 
de  celte  bulle  a  écrit  que  le  pape  a  été  trompé  par  un  faux 
exposé.  Cela  semble  probable,  si  l'on  se  rappelle  que  les 
bulles  des  papes  sont  faites  plus  souvent  à  la  demande  des 
parties  que  motn  proprio.  Bref,  l'intérêt  de  nos  ermites  de 
Pontoise  à  se   rattacher  à  la  règle  de  saint  Augustin  nous 


1.  GaillHrdon  n'a  point  tenu  compte  de  ces  bulles. 

3.  Gerkain,  La  Charité  à  Montpellier,  i85fl,  p.  12  (B.  N.,  Lk' 

3.  Bibl.  Nat-,  ms.  lat.  9753,  9770.  Bîbl.  Mazarine,  ms.  1765, 

4.  Bibl.  Sninle-Geoeviève,  BB  i36o,  fol.  lxvi  =z  xlvi. 


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2^0  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAtRES. 

échappe;  leur  erreur,  volontaire  ou  non,  n'engage  qu'eux. 

D'autres  polémistes  ont  pris  la  thèse  contraire  et  ont  sou- 
tenu que  la  règle  tri  ni  taire  se  rapprocherait  plutôt  de  celle 
de  saint  Benoit.  François  Vaquer,  dans  son  Apologie  de  la 
règle  de  saint  Benoît  ',  relève,  ainsi  que  l'a  fait  Piqueras,  les 
articles  sur  les  vêtements,  le  vin,  les  jeunes,  l'interdiction  de 
manger  hors  du  couvent,  le  soin  des  malades  et  des  hôtes,  le 
silence.  Est-il  pour  cela  «  plus  clair  que  le  jour  »  que  l'évèque 
de  Paris  et  l'abbé  de  Saint-Victor  ont  consulté  la  règle  de 
saint  Benoit?  Toute  règle  monastique  a  nécessairement  des 
rapports  avec  celle  du  patriarche  des  moines  d'Occident. 

L'obstination  de  certains  Trinilaires  à  poursuivre  leur  rat- 
tachement à  la  règle  de  saint  Augustin  s'explique  peut-être 
par  le  désir  de  justifier  l'acquisition  de  leurs  nombreuses 
cures.  La  possession  de  fait  ne  leur  suffisait-elle  donc  pas? 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  discussions  théoriques,  en  1727, 
Pierre-Jacques  Brillon,  auteur -du  Dictionnaire  des  arrêts  de 
jurisprudence3,  mentionne  que  les  Mathurins  ont  adopté  le 
costume  des  Chanoines  Réguliers3.  L'habitude  en  passa  aux 
Réformés  ;  on  voit  en  1 7^6  un  religieux  de  Pontoise  signer  : 
chanoine  régulier  de  la  Trinité*.  En  1749,  le  chapitre  géné- 
ral de  cette  congrégation  tenu  à  Cerfroid,  sous  la  présidence 
du  P.  Lefebvre,  général,  ordonna  la  conformité  en  habits  de 
chœur  et  du  dehors  à  la  province  de  France.  Chaque  reli- 
gieux reçut  5o  livres  pour  se  procurer  le  nouveau  costume 5, 
au  Midi  comme  au  Nord.  En  somme  le  changement  d'habit 

1.  Bibl.  de  Marseille,  ma.  1214,  dernière  page, 
a.  T.  IV,  p.  33o. 

3.  Eu  1684,  les  chanoines  de  Péroone  leur  eu  faisaieot  déjà  un  grief. 
Bibl.  N'ai-,  factum  a553g. 

4.  Registre  capitulaire  des  Trinilaires  de  Pantoite,  fl>  60  v°. 

5.  Regittre  a"  i3  de»  Trinitaire*  de  Marseille,  p.  lia. 


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LES    TRIMTAlRlîS    CHANOINES   RÉGULIERS,  'ïgr 

était  généralement  accepté  par  toute  la  France ,  quand  les 
Trinilaires  portèrent  enfin  la  question  devant  la  cour  de  Rome, 
en  1766. 

A  ce  même  moment,  l'affaire  des  Jésuites  avait  ramené  l'at- 
lemio.il  sur  tous  les  instituts  religieux.  Cédant  au  vœu  des 
philos  ophes  l,  Louis  XV  avait  désigné  une  grande  commission 
pour  «examiner  les  statuts  de  tous  les  ordres  monastiques. 
C'était  le  cas,  pour  les  Trinilaires,  de  faire  consacrer  légale- 
ment leur  nouvel  état  de  chanoines  réguliers. 


1.  11  La  guerre  qu'il  {La  ChalotaisJ  a  faite  avec  tant  de  Succès  à  la  Société 
n'est  que  le  signal  de  l'examen  auquel  il  paraît  désirer  qu'un  soumette  les 
constitutions  des  autres  ordres,  sauf  à  conserver  ceux  qui  par  cet  examen 
seraient  jugés  utiles  »  (D'Alembert,  De  la  destraclion  des  jitatteë,  éd. 
,889,  p.  ..o). 


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CHAPITRE  'XVIII. 


Les  Trinitaires  et  la  Commission  des  Réguliers 
(1766-1771). 


La  Commission  instituée  en  vertu  des  édits  des  a3  mai  et 
3i  juillet  1766  avait,  en  ce  qui  concerne  les  Trinitaires,  plu- 
sieurs questions  à  résoudre  : 

i"  La  suppression  des  couvenls  trop  pauvres; 

a"  La  réunion  des  Trinitaires  de  France  avec  les  Réformés, 
les  Déchaussés,  peut-être  même  tes  Pères  de  la  Merci  '  j 

3°  La  refonte  des  constitutions  de  l'ordre,  qui  voulait, 
comme  nous  l'avons  vu,  se  faire  rattacher  aux  chanoines 
réguliers. 

La  Commission  vint  assez  facilement  à  bout  de  la  solu- 
tion de  ces  trois  ordres  de  questions,  sauf  en  ce  qui  concerne 
les  Pères  de  la  Merci.  Hue  certaine  résistance  se  produisit  à 
propos  du  premier  point,  les  suppressions  de  couvents,  de  la 
part  du  P.  Maurice  Pichault,  élu  géuéral  en  17659.  Il  était 
forcé  de  présenter  dans  les  deux  mois,  à  la  Commission,  un 

1.  Plusieurs  détails  intéressants  sur  le  projet  de  réunion  avec  l'ordre  de 
lu  Merci  sont  donnés  dans  l'ouvrage  de  M.  Emile  Ledermiinn,  Les  Frire* 
île  Xotre-Dnnie  de  la  Merci,  Paris,  1898. 

2.  Le  P.  Lefebvrc  était  mort  d 'apoplexie,  le  11  avril  1764,  â  soixante- 
dix-neuf  ans.  Nicolas  Poiiisignon  avilit  été,  pendant  un  nn,  vicaire-général 
et  COStot.  Le   P.  Pichault  était  pré  cède  ni  ment  ministre  d'Etampes. 


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LA   COMMISSION    DES    RÉGULIERS    {1766-I771).  2t)3 

état  circonstancié  des  maisons  de  l'ordre,  de  leurs  biens,  du 
nombre  des  religieux.  Dans  une  circulaire,  du  18  septembre 
1766  ',  it  demanda  aux  ministres  la  copié,  collationnée  par  lea 
juges  du  lieu,  du  titre  de  fondation  de  leur  maison  ;  beaucoup 
de  ses  correspondants  durent  être  assez  embarrassés  pour  le 
lui  envoyer.  De  ce  questionnaire  sortit  la  première  partie  du 
Mémoire  très  soigné2  que  le  P.  Pichatilt  présenta  à  la  Com- 
mission, contenant  le  catalogue  complet  des  couvents3,  dont 
les  dates  de  fondation  auraient  parfois  pu  être  données  plus 
exactement.  11  y  joignit  des  considérations  intéressantes  sur 
l'expansion  de  l'ordre.  Ce  Mémoire  tient  avantageusement  lieu 
des  sources  narratives ,  dont  nous  manquons  sur  le  dix- 
huiiième  siècle.  La  tentative  de  la  cour  d'Espagne  pour  faire 
donner  un  vicaire  général  autonome  aux  Trinitaires  espa- 
gnols, la  dispense  sollicitée  par  les  Déchaussés  en  vue  de  ne 
plus  assister  au  chapitre  général,  enfin  l'extension  considéra- 
ble (jusqu'aux  Antilles)  des  quêtes  pour  le  rachat  des  captifs, 
ne  sont  signalées  nulle  part  ailleurs. 

On  peut  voir  aussi  dans  ce  Mémoire  l'état  de  ta  discipline 
de  l'ordre  en  1765,  avant  les  nouvelles  Constitutions.  La  plu- 
part des  couvents  sur  lesquels  le  général  a  autorité  ne  sont 
çtière  que  des  squelettes,  mais  les  Trinitaires  sont  fortement 
centralisés,  les  ministres  des  provinces  anciennes,  sauf  à  Pa- 
ris et  à  Rieux,  sont  à  la  nomination  du  général  qui  tient,  par 
conséquent,  à  conserver  tous  ces  couvents,  pour  ne  rien  per- 
dre de  ses  droits. 

Le  P.  Pichault  prédisait  encore,  et  à  tort,  le  mauvais  effet 


1.  Pièce  319. 
3.   Pièce  3>3. 

3.   La    atatislique  '  a    été    recueillie    aussi   dons  les  manuscrits  français 
i3857,  i3  858  de  la  Bibliothèque  nationale. 


3„l;eciDv  Google 


294  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRtNIT  AIRES. 

que  produiraient  des  suppressions  de  couvents  aux  yeux  des 
provinces  étrangères,  comme  si  celles-ci  ne  savaient  pas  de- 
puis longtemps  à  quoi  s'en  tenir  sur  la  situation  réelle  des 
provinces  de  France!  L'argument  patriotique  retardait  d'un 
siècle.  Le  but  essentiel  de  l'ordre,  le  rachat  des  captifs,  n'exi- 
geait pas  tant  de  couvents  ;  la  confrérie  suffisait  en  cas  d'ab- 
sence de  couvent  et  une  amputation  consciencieuse  pouvait 
seule  sauver  l'ordre.  Au  lieu  de  quatre-vingts  maisons,  la 
plupart  «  destituées  »  de  revenus,  on  n'en  eût  eu  que  le  tiers, 
bien  rentées,  avec  une  population  monastique  suffisante,  tout 
aurait  été  pour  le  mieux.  La  population  totale  de  l'ordre  n'ex- 
cédait pas  trois  cents  religieux.  Seuls,  dans  le  Nord,  les  cou- 
vents de  Paris,  de  Fontainebleau,  d'Arras  et  de  Douai  avaient 
plus  de  huit  religieux'.  Dans  le  Midi,  un  plus  grand  nombre 
de  couvents  réformés  parvenaient  à  ce  total,  mais  sans  le 
dépasser.  L'acquittement  des  fondations  était  la  seule  objec- 
tion valable  contre  ta  suppression  de  beaucoup  de  maisons. 

Les  préliminaires  de  la  réunion  des  religieux  anciens  avec 
les  Réformés  furent  assez  longs  ;  le  chapitre  de  la  province  de 
France,  à  Gisors,  s'était  montré  d'accord  pour  la  réunion. 
Mais  il  fallait  obtenir  un  vote  de  tous  les  Réformés;  aussi 
leur  chapitre  général,  que  Du  Caste],  vicaire  général,  avai 
convoqué  à  Arles,  se  tint-il  à  Cerfroid*,  par  ordre  du  roi 


igés  (mai  1767).  L'évéque  de 
issaire  royal.  La  réunion  ne 
té  ;  on  compte  des  opposants 


pour  étudier  l'union  avec  les  mitig 

Meaux  fut  désigné  comme  commis 

fut  d'ailleurs  votée  qu'à  la  majoriti 

parmi  les  députés  de  Provence  et  de  Cerfroid.  Finalement,  un 

chapitre  national  fut  convoqué,  pour  le  mois  de  février  1768, 

au  couvent  des  Mathurins  de  Paris. 

1.  Un  très  grand  nombre  de  couvcnls  étaient  réduits  a  an  seul  habitant. 
3.  Bibliothèque  de  Lyon,  ms.  382  (fonds  Coste),  pièce  a  bit. 


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LA    COMMISSION    DES    RÉGULIERS    (1766-I771).  2o5 

Le  P.  Pichault  proposait  les  moyens  de  conciliation  sui- 
vants :  le  vicaire  général  de  la  Réforme  sera  supprimé;  les 
ministres  seront  nommés  par  lui-même,  pour  trois  ans,  mais 
pourront  être  confirmés  pour  une  nouvelle  période  triennale; 
la  Provence  aura  une  maison  de  noviciat  ;  le  maître  des  novi- 
ces sera  élu  par  le  chapitre  provincial  ;  le  général  élira  un 
prieur  et  un  procureur  à  Cerfroid,  qui  deviendra  le  noviciat 
de  la  province  de  France. 

Selon  les  ordres  du  roi,  du  25  juillet  1767,  deux  députés 
avaient  été  élus  pour  chaque  province,  sauf  pour  la  Picardis 
qui  n'en  eut  qu'un,  à  cause  du  grand  nombre  de  couvents  de 
cette  province  situés  hors  de  France.  Parmi  les  députés  mar- 
quants ,  on  relève  les  noms  de  Lamanière ,  rédempteur  en 
1700,  et  de  Dorvaux,  pour  la  Champagne  ;  de  Forestz,  rédemp- 
teur de  1765,  pour  la  Normandie;  de  Darailh,  pour  le  Lan- 
guedoc ;  de  Gairoard,  pour  la  Provence  ancienne  ;  de  Soumeire 
et  de  Malachane,  pour  la  Provence  réformée.  L'évêque  de 
Meaux,  Jean  Marthonie  de  la  Caussade,  présida  le  chapitre. 

La  question  la  plus  délicate  fut  celle  de  l'élection  des  mi- 
nistres locaux,  et  le  chapitre  changea  d'avis  plusieurs  fois  à 
ce  sujet.  Le  9  mars  1768,  le  général  consentit  que  l'élection 
eût  lieu  en  sa  présence  ou  devant  un  commissaire  ;  le  mi- 
nistre sera  nommé  à  vie,  mais  pourra  être  déposé.  Ce  texte 
est  voté,  malgré  l'opposition  de  la  province  de  Languedoc, 
qui  ne  veut  point  de  ministres  perpétuels. 

Le  surlendemain,  le  chapitre  décida,  par  sept  voix  contre 
une,  que  les  couvents  auront  droit  d'élection  quand  il  y  aura 
cinq  vocaux  (c'est-à-dire  ayant  trois  ans  de  profession),  sinon 
le  général  parfera  le  nombre  de  cinq  en  envoyant  des  reli- 
gieux d'un  couvent  voisin  ;  les  électeurs  présenteront  une  liste 
de  trois  sujets,  parmi  lesquels  sera  choisi  le  ministre. 


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396  l'ordre  français  des  trinitaires. 

Le  8  juin,  il  fut  décidé  que  le  président  de  l'élection  pour- 
rait faire  venir  d'autres  profès  et  u'aurait  voix  active  que  s'il 
était  lui-même  profésde  la  maison. 

Le  6  août,  les  ministres  furent  déclarés  sexennaux,  mais 
aussi  «  perpétuantes  »  ;  ceux  de  l'ancienne  province  seront 
élus  à  vie.  Tel  fut  le  dernier  état  de  la  question. 

Quant  à  la  conventualitë,  le  chapitre  réclama  l'exception 
prévue  par  l'article  7  de  l'édil  du  26  mars  1 768,  par  lequel  le 
roi  se  réservait,  après  l'avis  des  diocésains,  de  confirmer  par 
lettres  patentes  les  couvents  où  il  y  aurait  moins  de  huit  reli- 
gieux; le  chapitre  se  déclarait,  d'ailleurs,  prêt  à  supprimer 
ceux  qui  ne  peuvent  nourrir  qu'un  ou  deux  religieux. 

Le  23  août,  l'archevêque  de  Toulouse  écrivit  qu'il  serait  bon 
de  supprimer,  dès  à  présent,  un  certain  nombre  de  couvents 
(la  liste  en  est  donnée  plus  bas).  Le  chapitre  demanda,  néan- 
moins, que  Sa  Majesté  se  contentât  de  six  ou  sept  religieux 
par  couvent,  et  même  de  quatre  ou  cinq  pour  la  maison  de 
Bar-sur-Seine,  dont  la  conservation  était  demandée  par  Les 
habitants. 

Pour  les  cures,  la  déclaration  de  1703  n'étant  enregistrée 
qu'au  grand  conseil,  il  fut  trouvé  bon  de  la  faire  enregistrer  de 
nouveau. 

Le  procureur  général  à  Rome,  Charles  Malachane,  devra 
demander  l'approbation  du  pape  pour  les  nouvelles  constitu- 
tions. Lorsqu'elles  auront  été  enregistrées,  elles  seront  la  com- 
mune loi  de  l'ordre  :  chaque  religieux  aura  un  exemplaire 
imprimé. 

La  bulle  du  pape  Clément  XIV  (17  novembre,  1769),  re- 
connut les  Trinitaires  comme  chanoines  réguliers  et  les  lettres 
patentes  furent  publiées  à  Fontainebleau  en  novembre  1770; 
le  tout  fut  imprimé  en  1773. 


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LA    COMMISSION    DBS    RÉGULIERS    (1766-1771).  297 

Une  seule  suppression  dut  avoir  un  effet  immédiat,  celle 
de  La  Gloire- Dieu,  couvent  dont  les  revenus  avaient  été  réunis 
au  généralat  de  l'ordre  dès  le  17  février  17661.  Si  les  inten- 
tions du  chapitre  national  avaient  été  sincèrement  exprimées 
et  sincèrement  exécutées ,  sur  soixante-quatorze  couvents 
français  (sans  citer  ceux  des  Déchaussés),  trente  devaient 
être  réunis  à  d'autres.  Ces  quarante-quatre  couvents  devaient 
former  huit  provinces3. 

France  (8  couvents)  :  Cerfroid,  Paris,  Fontainebleau, 
Meaux,  Clermont,  Verberie,  Etampes,  Montmorency. 

Champagne  (6  couvents)  :  .Troyes,  Lamarche,  Chàlons, 
Bar-sur-Seine,  Metz,  Bourmont. 

Picardie  (6  couvents)  :  Arras,  Hondschoote,  Douai,  Préavin, 
Templeux,  Péronne. 

Bretagne  (4  couvents)  :  Rîeu.v,  Châteaubriant,  Sarzeau, 
Tours. 

Languedoc  (7  couvents)  :  Toulouse,  Orthez,  Mirepoix,  Cas- 
tres, Cordes,  Narbonne  ou  Montpellier3,  Saint-Laurent-de- 
Médoc 

Normandie  (4  couvents)  :  Mortagne,  Lisieux,  Gisors, 
Houen. 

Lyonnais  (5  couvents)  :  Arles,  Avignon,  Tarascon,  Lyon, 
Saint-Remy. 

Provence  (4  couvents)  :  Marseille,  fjimbesc,  Largues, 
La  Cadière. 

Sur  quarante-quatre  couvents,  vingt  et  un  étaient  aux 
Réformés.  Quand  la  réunion  serait  accomplie  avec  la  Congré- 
gation Déchaussée,  il  y  aurait  à  régler  la  question  d'Aix  et 

1.  Archives  de  Lorraine  A  Metz,  H  3774.  n°  10. 

2.  Les  noms  en  italique  sont  ceux  des  couvents  réformés. 

3.  Ce  dernier  couvent  existait  encore  en  1790. 


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298  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRIBUTAIRES. 

de  Marseille,  où,  sur  deux  couvents,  un  seul  devait  subsister 
dans  chaque  ville. 

Aussitôt  les  constitutions  approuvées,  le  général  dut 
s'adresser  aux  Trinitaires  Déchaussés.  Il  était  plein  de  bonnes 
intentions  à  leur  égard,  voulant  faire  de  leur  couvent  de  Saint- 
Denis  de  Rome  le  centre  de  l'ordre  et  en  nommer  le  mi- 
nistre procureur  général. 

Les  Déchaussés  n'entendaient  point  d'abord  être  réunis  au 
reste  dé  l'ordre  '.  Le  défînitoire  assemblé  à  Marseille,  le 
32  juin  1767,  faisait  la  déclaration  suivante  :  «  L'habit  des 
Mathurins  est  si  dispendieux  qu'ils  n'y  peuvent  suffire  qu'à 
l'aide  des  pensions  des  particuliers;  et  nous,  nous  n'avons  pas 
de  pensions.  Plutôt  que  de  nous  forcer  à  la  réunion,  nous 
trouverions  moins  dur  qu'on  nous  défendit  de  recevoir  des 
novices,  pourvu  qu'on  nous  laissât  terminer  nos  jours  en  paix 
dans  nos  maisons  et  avec  notre  habit.  » 

L'archevêque  d'Aix  ,  qui  correspondait  avec  Loménie  de 
Brienne,  président  de  la  Commission  des  Réguliers,  ne  souhai- 
tait pas  la  réunion  des  Déchaussés  aux  anciens,  «  mitigés  et 
relâchés  ». 

Jacques  Soumeire,  de  Marseille,  conseillait  à  l'archevêque 
de  Toulouse  de  leur  promettre  des  revenus  suffisants  pour 
vivre  (18  novembre  1768).  Une  lettre  particulière  du  P.  André 
Perrin  (ou  André  de  la  Croix),  l'un  des  signataires  de  la  pro- 
testation du  22  juin  1767,  prouvait  en  effet  que,  si  on  assu- 
rait leur  subsistance,  les  Déchaussés  ne  feraient  point  d'ob- 
jection contre  la  réunion.  Au  point  de  vue  des  suppressions, 
faisait-il  remarquer,  leur  église  d'Aix  appartenait  à  la  ville  et 

1 .  lis  avaient  obteau  en  1764  une  bulle  du  pape  pour  se  dispenser  d'assis- 
ter aux  chapitres  généraux  el  fait  récemment  enregistrer  de  nouvelles 
constitutions  au  Parlement  de  Provence  (Mémoire  du  P.  Pickaalt). 


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LA    COMMISSION    DBS    RÉGULIERS    (1766-I771).  aQÛ 

celle  de  Marseille  à  l'hôpital.  Leur  chapitre  devait  se  réunir  à 
Aix  au  mois  de  mai  1770. 

Jérôme  de  Suffren,  évêque  de  Sisteron,  choisi  pour  commis- 
saire général  au  chapitre  des  Déchaussés,  nous  a  laissé  une 
bien  curieuse  liste  de  ces  religieux'.  Pourvu  qu'on  ne  chan- 
geât rien  aux  constitutions ,  dit-il,  généralement  bornés  et 
grossiers,  peut-être  mauvais  sujets,  ils  ne  faisaient  aucune 
objection  à  la  suppression  de  leur  autonomie.  Le  13  mai, 
l'évèque  leur  interdit  de  recevoir  des  novices  et  confirma 
André  Perrin  comme  provincial.  Il  écrivit  à  ce  sujet  à  l'ar- 
chevêque de  Toulouse  :  «  J'ai  dit  à  ces  religieux  que  ma  com- 
mission n'était  pas  finie  et  qu'ils  ne  pouvaient  rien  faire  sans 
ma  participation;  c'est  un  tour  de  moine  que  le  bon  Père 
(André  Perrin)  a  cru  valoir  dans  ces  circonstances  u  (19  mai 
1770). 

Au  mois  d'août  1771,  le  «  régime  »  des  Déchaussés  avait 
été  aboli  en  France*  par  une  bulle  du  pape;  les  couvents 
réformés  de  Digne  et  de  La  Verdière,  les  couvents  déchaussés 
de  Seyne  et  de  Saint-Quitus,  quelques  regrets  qu'inspirassent 
les  religieux,  avaient  été  supprimés.  Voici  comment  fut  aban- 
donné Saint-Quinis.  Le  i3  novembre  1778,  Michel  Taillac, 
économe,  suppléant  le  P.  Godde,  provincial,  remit  à  la  muni- 
cipalité de  Camps  les  ornements  de  la  chapelle,  qui  furent 
trouvés  en  bon-  état.  Joseph  Gassier,  «  homme  de  bonnes 
mœurs  »,  promit  de  travailler  les  terres  labourables  et,  en 
cas  qu'il  se  trouvât  un  prêtre  pour  desservir  la  chapelle,  il 
s'engagea  à  lui  obéir. 

La  suppression  de  l'un  des  deux  couvents  trinitaires  de 

(.  Pièce  3a8. 

»■  On  ne  toucha  point  aux  Déchaussés  d'Espagne,  qui  conservèrent  leur 
■uUmomie. 


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3od  l'ordre  français  des  tributaires. 

Marseille,  l'un  situé  derrière  PEvêché,  l'autre  dans  le  nouveau 
quartier  de  Saint-Ferréol,  rue  de  la  Palu,  ne  fut  point  aussi 
simple.  Réunirait-on  la  première  maison  à  la  seconde  ou  la 
seconde  à  la  première?  Les  partisans  du  maintien  du  vieux 
couvent  faisaient  valoir,  par  la  bouche  du  P.  Jacques  Sou- 
meire,  ex-provincial,  leur  ancienneté  et  l'avis  conforme  du 
P.  Pichaull.  Les  amis  des  Déchaussés  alléguaient  la  beauté,  la 
propreté  de  leur  quartier,  qui  se  développait  de  jour  en  jour, 
et  l'étendue  de  leurs  bâtiments.  Le  P.  Soumeire  ayant  menace, 
en  cas  de  départ,  d'ameuter  les  harengères  du  vieux  quartier, 
l'évêque  de  Marseille  l'envoya  pour  quelque  temps  à  la  cam- 
pagne. Finalement,  des  lettres  patentes  d'avril  1777  sup- 
primèrent les  Trinilaires  de  la  Palu,  en  les  incorporant  à  la 
première  maison,  qui  fut  transférée  rue  de  la  Palu.  Les  «  Pa- 
lunaires  »  y  gagnaient  beaucoup,  disait  l'évêque  de  Mar* 
seille;  «  vieux  et  pauvres,  ils  reçoivent  des  gens  qui  leur 
apportent  quelque  chose  et  qui  vont  faire  leur  besogne  ».  On 
ne  s'était  point  entendu  sur  la  préséance  entre  les  deux  minis- 
tres; on  décida  la  latéralité  (ao  août  1777)  :  ils  marchèrent 
côte  à  côte  lors  de  la  réunion.  L'hôpital  Saint-Eutrope  et 
le  Bureau  de  la  Rédemption  furent  aussi  transférés  dans  le 
quartier  neuf. 

C'est  dans  cette  région  du  Midi  que  l'on  peut  le  mieux 
saisir  l'effet  des  prescriptions  de  la  Commission  des  Réguliers, 
ailleurs  elles  paraissent  être  restées  à  peu  près  à  l'état  de  lettre 
morte. 


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CHAPITRE  XIX. 


Les  dernières  années  des  Trlnitalres 
(1775-1792). 


Le  P.  Pichault,  qui  avait  eu  tant  à  travailler  pour  l'unifica- 
tion de  l'ordre,  mourut  en  1780.  Ses  dernières  années  avaient 
été  attristées  par  ses  démêlés  avec  Delarue  ' ,  mauvais  religieux, 
qui  le  blâmait  d'avoir  fait  mettre  ses  armoiries  dans  le  sanc- 
tuaire, d'avoir  changé  l'orgue  des  Mathurins,  de  n'avoir  pas 
voulu,  sur  quatre-vingt-treize  maisons,  en  supprimer  cin- 
quante (chiffre  exagéré)  que  le  chapitre  national  avait  condam- 
nées, et  l'accusait  de  ne  donner  aux  religieux  ni  vêtements,  ni 
couvert,  ni  draps.  Pour  ses  critiques,  il  avait  été  mis  aux  arrêts 
par  le  P.  Pichault. 

Au  dernier  chapitre  général  de  l'ordre  de  la  Trinité,  qui 
se  tint  à  Cerfroid  au  mois  de  mai  1781  *,  il  n'y  eut  que  quatre 
représentants  de  l'Espagne.  Pierre  Chauvier,  piofès  de  la 
Gloire-Dieu,  en  Champagne,  fut  élu  par  trente  voix  contre  une 


1.  Mémoire  instructif  pour  le  sieur  Delarue...  (Bibl.  Nat.,  coll.  Joly  de 
Pleury,  i6o4.  f°  "36),  Le  Parlement  déclara  ses  Mémoires  infâmes  et  ca- 
lomnieux. Il  fil  encore  parler  de  lui,  ayant  commis  une  escroquerie  à 
l'égard  de  dame  Marie  Béatrix,  née  comtesse  de  Eleinach,  douairière  de 
M.  le  marquis  de  Staël,  el  fut  l'objet  d'un  pamphlet  r  La  Vérité  rétablie 
(BesaoeoD,  1786). 

3.  Bibl.  de  la  ville  de  Paris,  recueil  283a4,  in-4». 


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3  02  l'ordre  français  des  trinitairbs. 

à  Audibert;  le  provincial  de  Champagne  le  confirma,  sans  faire 
tort  à  la  province  de  France,  qui  avait  ce  privilège  '  de  con- 
firmation du  nouvel  élu. 

On  décida  que  celui  qui  aurait  été  deux  fois  visiteur  et  pré- 
sident du  chapitre  provincial  aurait  les  honneurs  des  Père»  dt 
province  (c'est-à-dire  d'ex-provincial),  et  que  le  ministre  rem- 
plaçant un  provincial  devrait  quitter  ses  fonctions  de  ministre 
pour  ne  conserver  que  celles  de  provincial.    . 

Un  religieux  pourra  désormais  devenir  profit  d'un  couvent 
auquel  il  a  rendu  des  services. 

Nul  ne  sera  élu  visiteur  provincial  avant  l'âge  de  trente-six 
ans. 

Le  général  choisira  pour  six  ans  les  ministres,  quand  il  y 
aura  eu  deux  élections  nulles  ou  en  cas  de  refus  de  l'élu. 

Dans  une  élection  particulière,  les  curés-profès  doivent  être 
appelés  à  voter  s'ils  ne  sont  pas  éloignés  de  plus  de  ao  lieues. 

Le  couvent  de  Naples  est  désormais  rattaché  à  l'Aragon,  et 
le  visiteur  provincial  en  nommera  le  ministre. 

Le  procureur  général  en  cour  de  Rome  recevra  a,  100  livres 
par  an. 

Cerfroid  fut  déclaré  noviciat  pour  les  quatre  provinces,  et 
l'on  décida  d'honorer  à  perpétuité  la  sainte  Vierge,  comme 
patronne  de  l'ordre,  sous  le  nom  de  Notre-Dame-du-Remède. 
Emmanuel  Rovira,  provincial  d'Aragon,  fut  institué  chronc- 
graphe  de  l'ordre. 

Deux  ans  après  ce  chapitre  général,  dont  les  décisions  ne 
manquent  ni  d'intérêt,  ni  de  variété,  les  couvents  des  Pays- 
Bas  furent  supprimés.  Déjà,  en  octobre  1771,  Marie-Thérèse 
avait  interdit  aux  Trinttaîres  d'Orival  de  communiquer  avec 

1 .  Pane  que  Cerfroid  était  daos  la  province  de  France. 


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LES   DERNIÈRES    ANNÉES    (  I  775-1  7Q:j).  3o3 

le  général,  qui  avait  refusé  de  nommer  un  vicaire  général  des 
Pays-Bas.  En  1774»  le  Conseil  de  Bradant,  véritable  initiateur 
du  mouvement,  disait  :  «  L'obstination  du  général  ajoute . 
aux  raisons  de  le  dépouiller  de  sa  supériorité  sur  les  religieux 
sujets  de  Sa  Majesté1.  »  Le  8  novembre  1776,  le  ministre 
d'Orival  avait  reçu  du  général  une  commission  pour  lever 
dans  les  Pays-Bas  les  deniers  des  confréries  et  les  lui  en- 
voyer. Le  Conseil  lui  interdit  celte  levée,  déclarant  que  l'or- 
dre était  totalement  dégénéré,  tombait  de  lai-même  et  ten- 
dait à  sa  fin.  Les  commissaires  imposés,  pour  les  élections 
de  ministre,  par  les  nouvelles  constitutions  exaspéraient  sur- 
tout le  Conseil;  il  était  peu  au  courant,  d'ailleurs,  de  la 
discipline  monastique,  puisqu'il  déduisait  du  fait  qu'un  mi- 
nistre était  chargé  de  visiter  un  couvent  une  preuve  que  ce 
couvent  était  mal  administré  I  Pendant  quelque  temps  cepen- 
dant, tout  alla  bien,  puisqu'un  édit  du  28  novembre  «78k 
ordonna  la  tenue,  de  quatre  en  quatre  ans,  d'une  assemblée 
générale  des  Trinitaires  des  Pays-Bas.  La  première  (et  la 
seule)  eut  lieu  à  Orival  le  2")  avril  1783. 

Le  17  mars  1783,  un  édit  de  Joseph  II  supprima  les  Trini- 
taires, tant  en  Autriche  qu'aux  Pays-Bas.  Des  instructions 
détaillées  furent  données  au  commissaire  chargé  de  veiller  à 
la  suppression  du  couvent  de  Bastogne  (3  juillet  1783)  que  je 
prends  pour  exemple. 

Arrivé  au  couvent,  il  fera  sonner  la  cloche,  assemblera  la 
comunauté  et  lira  le  décret  de  suppression.  11  demandera  aux 
religieux  de  déclarer,  dans  les  huit  jours,  si  leur  projet  est 
de  se  retirer  dans  un  autre  couvent  de  l'ordre  ou  de  vivre  en 
prêtres  séculiers.  Il  les  préviendra  que  l'intention  de  Sa  Ma- 

1.  Arcb.  du  royaume  à  Bruxelles,  nouveau  Conseil  privé,  11°  \\-t-t. 


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3o4  L'ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRIMTAJRES. 

jesté  est  de  favoriser  l'instruction  de  la  jeunesse  et  que  ceux 
qui  s'y  adonneront  peuvent  compter  sur  toute  sa  bienveil- 
'  lance.  Le  commissaire  prendra  les  inventaires  généraux  de  ta 
maison  et  laissera  à  chaque  religieux  ce  qui  lui  revient  en 
particulier.  Il  enverra  au  Conseil  la  liste  de  ces  individus. 

La  pension,  de  210  florins  pour  ceux  qui  se  retireront 
dans  un  couvent  d'un  autre  ordre,  de  4ao  pour  ceux  qui 
s'adonneront  à  l'éducation  de  la  jeunesse,  s'élèvera  à  700  flo- 
rins pour  le  supérieur  inamovible,  à  800  même  s'il  a  dé- 
passé Page  de  soixante  ans.  Tout  pensionné  recevra,  de 
plus,  100  florins,  afin  de  se  pourvoir  du  nécessaire  jusqu'à 
l'échéance  du  premier  trimestre  de  sa  pension,  plus  un  ha- 
billement complet  et  décent.  Les  profès  qui  désireraient  être 
relevés  de  leurs  vœux  s'adresseront  à  leurs  évèqucs  diocé- 
sains. Un  laïque  intelligent,  d'un  caractère  «  doux  et  hu- 
main »,  sera  économe  provisoire  dans  chaque  maison,'. 

Les  cures  desservies  par  les  religieux  de  l'ordre  resteront 
à  leurs  desservants,  mais,  au  fur  et  à  mesure  de  l'extinction, 
seront  conférées  à  des  prêtres  séculiers  désignés  par  la  voie 
du  concours. 

Les  couvents  des  Pays-Bas  ayant  été  ainsi  supprimés,  on 
liquida  les  pensions  des  religieux  et  on  nomma  des  adminis- 
trateurs de  ces  biens,  souvent  le  curé  du  pays.  De  1784 
à  1790,  la  plupart  des  pièces  relatives  à  ces  couvents  ont  été 
recueillies  dans  des  dossiers  formés  par  province1.  Il  ne 
s'agit  souvent  que  de  baux  dont  le  renouvellement  est  accordé 

1.  A  la  suite  de  ces  suppressions,  les  biens  que  possédaient  CD  France 
ces  couvents  des  Pays-Bas  furent  confisqués  par  le  gouvernement  de 
Louis  XVI.  Cela  permit  au  moins  aux  économes  de  refuser  aux  couvents 
français  le  paiement  des  cens  qu'ils  percevaient  aux  Pays-Bas. 

2-  En  France,  les  temps  troubles  de  la  Révolution  empêchèrent  de  for- 
mer une  semblable  collection. 


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LE  P.  CHAUVIER,  DERNIER  GÉNÉRAL  DE  L'ORDRE  EN  FRANCE. 
(BIW.  nrtlottle,  «oïl.  Flenrj  [déport.  Aima],  C  M.) 


(igUizeciDv  G00gle 


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LES    DERNIÈRES   ANNÉES    (177D-I792).  3o,î 

ou  refusé,  de  secours,  réclamés  soit  par  les  «  individus  » 
dispersés,  soit  par  des  particuliers  qui  les  ont  recueillis  et 
soignés  pendant  leurs  maladies.  Les  pièces  les  plus  curieu- 
ses se  rapportent  aux  ornements  d'église  et  aux  reliques  ; 
l'autorité  ecclésiastique  ne  permettant  point  de  les  mettre  en 
vente,  elles  sont  cédées  aux  églises  paroissiales,  avec  des 
tableaux  trinitaires  ;  à  Audregnies,  se  rencontre  une  relique 
de  saint  Roch. 

Le  sort  de  ces  couvents  dut  émouvoir  le  P,  Chauvier  et  lui 
donner  de  tristes  pressentiments.  De  l'édit  de  Joseph  II  a  la 
réunion  des  Etats  Généraux,  il  ne  s'écoula  que  six  ans.  L'or- 
dre militaire  jeta  alors  un  vif  éclat,  grâce  à  la  rédemption 
de  1785,  opérée  de  concert  avec  l'ordre  de  la  Merci,  une  des 
plus  nombreuses  qu'on  eut  vues,  en  France  du  moins,  car 
il  y  eut  trois  cent  treize  esclaves  rachetés.  Le  général  ne  pou- 
vait cependant  se  faire  beaucoup  d'illusions,  le  changement 
de  constitutions  n'ayant  pu  modifier  l'esprit  des  religieux  : 
le  P.  Delarue  n'était  pas  isolé,  et  un  Trinitaire  de  Douai, 
Henry-Joseph  Laurens,  auteur  d'ouvrages  légers,  avait  mis 
le  comble  au  scandale  en  s'enfuyant  avec  une  religieuse  '. 

Le  20  février  1 790,  l'Assemblée  nationale  avait  décidé  d'en- 
voyer des  commissaires  dans  les  différents  couvents  de  Paris, 
pour  y  recevoir  les  déclarations  des  revenus  et  demander  aux 
religieux  quelles  étaient  leurs  intentions. 

Le  2  avril  suivant,  les  Mathurins  de  Paris  reçurent  la  visite 
des  deux  commissaires,  Etienne  de  Larivière  et  de  Jussieu. 
Le  P.  Chauvier  leur  remit  sa  déclaration.  Les  revenus  de  la 
maison  montaient  à  g  1 , 1 54  livres  et  les  dépenses  à  37,939  li- 
vres. Le  récolement  des  Archives  des  Mathurins  suffit  à  nous 

1.  Taillinr,  Annales...  de  Douai,  t.  III,  p.  a5g. 


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3o6  l'ordre   FRANÇAIS   DES    mlNITAIRES. 

convaincre  que  les  plus  importantes  pièces  ont  disparu  à  Paris 
comme  à  Cerfroid.  L'Œuvre  des  Captifs,  qui  avait  9,278  livres 
de  revenus  et  1,037  de  charges,  fut  l'objet  d'une  déclara- 
tion particulière,  où  furent  consignes  des  faits  intéressants1, 
avec  le  souhait,  bien  platonique,  que  l'Assemblée  nationale, 
«  dont  tous  les  actes  tendaient  à  l'établissement  de  la  liberté,  » 
n'oubliât  pas  les  Français  esclaves  en  Afrique. 

Les  déclarations  particulières  des  Mathurins  ont  été  copiées 
à  part.  Ils  sont  dix-huit,  non  compris  le  général,  son  secré- 
taire et  deux  frères  convers.  Le  P.  Chauvier  et  son  secré- 
taire, le  P.  Hue,  âgé  de  trente-trois  ans,  déclarent  qu'ils 
veulent  vivre  et  mourir  dans  l'état  où  ils  sont  ;  deux  autres 
religieux  seulement,  un  jeune  et  un  vieux,  les  imitent.  Les 
autres  disent,  soit  nettement  qu'ils  quitteront  la  maison  si 
l'Assemblée  nationale  la  supprime,  soit,  tout  simplement, 
qu'ils  ne  s'expliquent  pas  pour  l'instant.  Le  sacristain,  âgé 
de  soixante  ans,  se  retirera  «  en  »  Avignon,  auprès  de  sa 
sœur.  D'après  la  statistique  dressée  par  M.  ttabeau2,  les 
Mathurins  sont  dans  une  bonne  moyenne  (10  restés,  9  sortis, 
3  absents). 

Les  religieux  de  Cerfroid  annoncèrent,  le  3  juillet  1790,  à 
l'Assemblée  nationale  que,  «  le  19  du  mois  précédent,  ils 
avaient  fait  disparaître  de  leur  temple  des  marbres  et  armoi- 
ries qu'un  despotisme  aveugle  et  présomptueux  y  avait  pla- 
cés3 »,  sans  doute  ces  Heurs  de  lis  qu'ils  étaient  si  fiers 
autrefois  de  rattacher  à  l'origine  légendaire  de  Saint-Félix  de 
Valois.  Le  P.  Calixte  a  relevé  la  liste  des  pensions  données 
aux  religieux;  elles  varient  de  1,200  à  900  livres. 

i.  Pièce  348. 

a.  Bulletin  de  la  Société  (te  ChUtoire  de  Pari»,  l.  XXII,  p.  aoi . 

3.   Table  des  procès-oerbaiix  de  l'Assemblée  nationale,  n°  338,  p.  31. 


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LES    DERNIÈRES    ANNEES    (1775-1792).  3c>7 

C'est  la  même  proportion  à  Tarascon1.  Seul  le  provincial, 
âgé  de  soixante-treize  ans,  déclare  vouloir  vivre  en  particu- 
lier, puisque  l'ordre  où  il  est  entré  pour  y  vivre  et  mourir 
est  détruit.  Le  ministre,  Accurse  Manche,  «  ne  retient  que  la 
qualité  de  citoyen  ». 

La  transition  entre  l'ancien  et  le  nouveau  régime  est  diffi- 
cile à  saisir.  Pour  Metz  cependant,  nous  avons  la  négociation 
du  ministre  d'Ancerville  avec  les  administrateurs  du  district 
pour  se  faire  payer  la  pension  de  ses  religieux.  Fixée  à 
a, 4oo  livres,  en  tout,  elle  fui  diminuée  de  leur  déficit  (224  li- 
vres), et  de  leurs  impositions  (a35  livres),  aux  termes  de  la 
loi  du  a3  février  1791.  Le  reste,  soit  1,941  livres,  fut  délivré 
par  te  Directoire  du  district  pour  être  partagé  entre  les 
religieux3. 

Comme  on  pouvait  s'y  attendre,  plus  d'un  ancien  supérieur 
se  vit  en  butte  aux  exigences  de  religieux  mécontents.  Le 
P.  Tourneforl  dut  demander  la  protection  du  maire  de 
Montpellier  contre  ses  anciens  moines,  qui  lui  réclament  des 
sommes  qu'il  ne  doit  pas,  alors  qu'il  a  déjà  comblé  de  sa 
bourse  le  déficit  de  sa  maison.  Le  P.  Jacquesson,  de  Châlons- 
sur-Marne,  fut  l'objet  d'une  dénonciation  de  la  part  d'un  de 
ses  religieux,  se  plaignant  à  l'Assemblée  nationale  que  le  mi- 
nistre ait  mal  entretenu  le  couvent,  au  point  d'avoir  fait  courir 
au  suppliant  le  péril  de  se  casser  la  caisse  dans  un  escalier3. 

Ce  que  devinrent  isolément  les  Trinitaires,  il  est  assez  diffi- 
cile de  le  dire,  faute  de  documents.  Le  P.  Chauvier,  dernier 
général,  mourut  de  douleur  en  1792%  après  s'être  vu  enlever 

1.  Pièce  35o. 
a.  Pièce  35a. 

3.  Bibliothèque  nationale,  F1  1602g. 

4-  On  a  la  lettre  de  faire  part  de  son  enterrement  (i5  mars).  (Recueil  pré- 
cédemmeoL  cite  de  la  Bibliothèque  de  la  ville  de  Paris.) 


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3o8  l'ordre  français  des  tributaires. 

la  caisse  des  captifs.  Son  secrétaire,  le  P.  Hue,  émigra  et 
devint  plus  lard  aumônier  de  Louis  XVIII.  Une  tradition, 
conservée  dans  sa  famille,  veut  qu'il  ait  sauvé  une  partie  des 
archives  de  l'ordre.  Le  bibliographe  du  Serapeum  émet  l'hypo- 
thèse qu'elles  ont  pu  être  transportées  dans  des  couvents  de 
l'Amérique  du  Sud;  peut-être  sont-elles  tout  simplement  en 
Espagne,  où,  en  1791,  le  P.  Calvo  publiait  à  Pampelune  le 
Résumé  des  privilèges  de  l'ordre. 

Les  Trinitaires  ne  prirent  pas  une  grande  part  au  mouve- 
ment révolutionnaire.  A  peine  peut-on  citer,  à  Cerfroid,  l'adhé- 
sion au  nouveau  régime  (3  juillet  1790)  et  la  proposition,  faite 
par  les  religieux,  de  verser  les  produits  de  leurs  quéles  dans 
la  caisse  de  la  Marine  (24  décembre  1791)'.  A  Paris,  un  reli- 
gieux nommé  Baudart  prononça,  dans  l'église  des  Mathurins, 
un  discours  sur  la  restauration  de  la  liberté  française1 
(a4  septembre  1789). 

A  Châteaubriant,  Maréchal,  procureur,  et  Bâlé,  seuls  reli- 
gieux habitant  encore  le  couvent,  étaient  venus  déposer  à  la 
mairie  quatre  chandeliers  d'argent,  comme  don  patriotique,  et 
une  croix  d'argent  pour  les  pauvres  dès  le  20  novembre  1789. 
Ils  eurent  une  vive  altercation  avec  le  doyen  pour  la  proces- 
sion du  Saint-Sacrement  :  Moines,  que  venez-vous  faire  ici? 
leur  dit-il.  La  verge  dont  vous  nous  fouettez,  vous  en  serez 
bientôt  fouettés  vous-mêmes.  Dorvaux,  ministre,  était  retiré  à 
Metz.  Bâlé,  âgé  de  soixante  ans,  se  réfugia  à  Senones,  où 
des  soldats  le  mirent  à  mort3,  et  vérifia  ainsi  cette  pro- 
phétie. 

Ce  n'est  pas  le  seul  Trinitaire  qui  ait  eu  un  sort  tragique. 

r.   Table  des  procès-verbaiij:  de  l'.lfsei/ibtée  nationale,  pp.  ai  et  112. 

2.  Bibliothèque  nationale,  Lb*n  286. 

3.  Goudé,  Histoire  de  ChAteuubriant,  pp.  234,  4^7  e'  4^8  (note). 


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LES    DERNIÈRES    ANNÉES    (1775-1792).  3cK) 

j  -  Tournefort,  ex-ministre  de  Montpellier  ' ,  était  revenu 
bre  s  Son  pays,  à  Vénasque,  près  de  Carpentras  ;  le  i  a  novem- 
stii^  792,  nommé  assesseur  du  juge  de  paix,  il  jura  la  con- 
îi)l\i  tr*n  civile  du  clergé;  puis  il  reçut  et  signa  la  plainte 
^  les  «  patriotes  »  ;  poursuivi  comme  fédéraliste,  il  fut 
y*$fe  par  la  commission  d'Orange,  autorisée  le  10  mai  1794 
par  la  Convention,  et  exécuté  dans  cette  ville  le  3  juillet2. 

En  1793,  se  passa  un  fait  scandaleux  :  Ride,  ex-Trinilaire 
de  la  maison  de  Troyes,  marié  à  une  ancienne  religieuse  du 
Paraclel,  prononça  un  discours  abominable  dans  l'église  de 
Bar-sur-Seine  et  ouvrit  le  bal  avec  celte  religieuse.  Il  quitta 
Bar-sur-Seine,  le  10  décembre  1793,  avec  le  commissaire,  de 
la  Convention  Rondot  fils,  après  y  avoir  mené  très  joyeuse  vie 
et  fait  arrêter  plusieurs  citoyens,  notamment  un  de  ses 
parents,  nommé  Le  François3. 

Quelques  religieux  survécurent  honorablement  à  la  tour- 
mente. Un  Trinilaire  de  La  Perrine,  près  Saint-Lô,  Mariolle, 
resta  caché  dans  le  pays,  et  mourut  aveugle  le  19  juin  r84a, 
à  l'âge  de  quatre-vingt-onze  ans,  faisant  par  sa  douceur  «  les 
délices  de  ses  amis»4. 

Hurlrel,  ancien  procureur  du  couvent  d'Arras,  résida  à 
Hesdin,  puis  à  Béthune.  Un  autre  Trinilaire,  Claude  Duriez, 
âgé  de  quarante  et  un  ans,  non  «  sermenté  »,  demeurant  chez 
Philippine  Dufresnoy,  blanchisseuse,  rue  des  Fours,  «  malade 

I.  Siens,,  Le  département  de  i'fféraull  pendant  la  Révolution,  l.  II, 
p-  xxix,  nomme,  parmi  les  ci-devani  reliçîeux  n'ayant  pas  prêté  le  serment 
(4  mai  179?],  Gros,  ci-devant  TriiiifFÙrc,  pensionné  de  1,000  livres,  et  Souiria, 
résidant»  Héziers  (3oo  livres). 

a.  Salhel,  Le  déparlement  de  l'Hérault  pendant  la  Révolution,  t.  IN, 
p.  1 19,  et  l'abbé  Bonkbl,  Les  33a  victimes  de  la  commission  d'Orange. 

3.  Pbtel,  Essoyes  pendant  la  Révolution,  pp.  8i-8ï  {communiqué  par 
M.  l'abbé  Niort,  de  Troyes). 
4-  Dubohc,  Etudes  sur  le  département  de  la  Manche,  t.  I,  p.  i3i, 


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dlO  L ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES. 

de  nerfs  »,  comparait  à  Arras  devant  une  commission  et  est 
incarcéré,  on  ne  sait  pourquoi;  on  le  retrouve  en  i8o4  à 
Saint-Gérv  ' . 

Le  P.  Calixte  cite  le  P.  de  Buire,  ancien  discret  des  Ma- 
thurins  de  Paris,  prieur  de  Verberîe  en  1789,  syndic  et  maire 
durant  la  Révolution  et  redevenu  curé,  lors  du  rétablissement 
du  culte  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  en  i833.  Un  religieux  de 
Cerfroid,  le  P.  Nicolas  Fortcombat,  était  en  1817  curé  dans 
les  Vosges1. 

Quelque  résistance  particulière  qu'aient  pu  opposer  certains 
sujets  à  ces  causes  de  destruction,  l'ordre  n'avait  plus  assez 
de  vitalité  pour  être  réintroduit  avec  succès  en  France  dans 
notre  siècle.  Les  tentatives  du  P.  Calixte,  dont  il  sera  question 
à  propos  de  Cerfroid  et  de  Faucon,  causèrent  plus  d'étonne- 
nement  qu'elles  ne  trouvèrent  de  sympathie. 

Tous  les  Trinitaires  ne  furent  pas  supprimés.  Il  en  sub- 
sista en  Espagne  jusqu'à  1 835;  ils  existent  encore  en  Italie 
(voir  l'appendice  sur  Rome).  Lorsqu'en  1799  le  pape  Pie  VI 
vint  mourir  à  Valence,  son  chapelain,  qui  l'exhorta  à  par- 
donner à  ses  ennemis,  était  un  Trinitaire  de  Livourne,  Jac- 
ques Fantini3. 

i .  L'abbA  Deraneqourt,  L'église  d'Arra»  pendant  la  Révolution,  t.  111, 
p.  5oa  ;  t.  IV,  pp.  80,  448 

2.  P.  Calixte,  Vie  de  Saint-Félix  de  Valois  {1878),  pp.  181,  3i2. 

3.  Bulletin  de  l'ordre  de  In  Trinité,  octobre  1899. 


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TROISIEME    PARTIE 


Le  Rachat  des  Captifs. 


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BIBLIOGRAPHIE 


Les  documents  inédits  sont  moins  nombreux  qu'on  ne  serait  porté 
à  le  croire.  Le  sujet  du  rachat  des  captifs  avant  eu.  au  cours  du  dîx- 
seplième  et  du  dix-huitième  siècle,  un  intérêt  que  la  disparition  de  la 
piraterie  ne  permet  plus  de  comprendre,  presque  tout  ce  qui  en  était 
digne  a  eu  aussitôt  les  honneurs  de  l'impression.  11  faut  citer  cepen- 
dant, à  Paris,  les  Archives  du  Ministère  des  affaires  étrangères  (Ma- 
roc, Alger,  Tunis),  les  Archives  de  la  Marine  (séries  B1,  B\  B'); 
à  Marseille,  les  Archives  de  la  Marine,  et  surtout  celles  de  la 
Chambre  de  commerce,  qui  contiennent  de  nombreux  dossiers  de 
rachats  de  captifs,  comme  les  cartons  des  Archives  du  royaume  de 
Bruxelles  consacrés  aux  confréries'  de  la  Rédemption.  Le  manuscrit 
français  6a36  des  nouvelles  acquisitions  de  la  Bibliothèque  Nationale 
renferme  le  récit  d'une  rédemption  opérée  au  Maroc  en  1765;  quel- 
ques autres  manuscrits  seront  cités  en  note  à  l'occasion  des  détails 
qu'ils  m'ont  fournis. 

Parmi  les  ouvrages  imprimés,  je  ne  vais  signaler  que  ceux  qui 
soot  d'un  intérêt  capital,  les  récits  des  voyages  de  rédemption  ayant 
été  tellement  feuilletés  qu'il  n'y  a  presque  plus  rien  à  y  relever. 

/.  1,'Epitome  omnium  redemplionum...,  du  Portugais  Bernardin 
de  Saint-Antoine  (1624),  écrit  d'une  manière  consciencieuse  et  digne 
d'éloares,  nous  renseigne  sur  une  époque  dont  ou  n'a  pas  conservé 
beaucoup  Je  documents  originaux. 

r-      TY/uïtaire  Déchaussé,  Raphaël  de  San  Juan,  a  publié  en  1686 

Voir  a»8»*  **  ms"  l075  de  la  Bibliothèque  de  Vateacienues. 


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3l4  LE    HACHAT    DES    CAPTIFS. 

un  grand  trait)'-  :  De  la  redencion  de  cautivos.  Le  titre  permet- 
trait d'espérer  une  source  fondamentale  ;  malheureusement,  l'auteur 
cédant  à  son  goût  pour  la  polémique  contre  les  Frères  de  la  Merci, 
ne  peut  être  cru  que  sur  les  points  où  l'ordre  rival  n'est  point  eu 
cause'. 

C'est  également  te  seul  reproche  qu'on  puisse  adresser  au  très  inté- 
ressant Triumphus  misericordiae ,  publié  à  Vienne,  en  1706,  par 
Jean  de  Saint-Félix,  qui  consacre  un  chapitre  très  curieux  aux  ras 
de  conscience  des  captifs. 

Nous  n'avons  pas  en  France  l'équivalent  de  ce  que  nous  a  fourni 
l'étranger,  à  part  l'Histoire  de  Barbarie,  du  P.  Dan,  qu'il  suffit  de 
citer.  Le  savant  Trinitairc  avait  laissé  en  manuscrit  ses  Plus  illustres 
captifs,  que  le  P.  Calixte  a  publiés  en  deux  volumes,  à  Lyon  (189a). 
De  nos  jours,  l'œuvre  de  la  rédemption  des  captifs  a  été  étudiée,  à 
Montpellier,  par  A.  Germain,  et  à  Toulon,  par  le  Dr  Gustave  Lambert. 

Notre  pays  n'a  guère  publié,  avant  la  seconde  moitié  du  dix-sep* 
tième  siècle,  que  de  petites  plaquettes,  analogues  au  Tractado  de  la 
redencion  de  caulioos,  de  Hieronimo  Graciai»  (Borne,  i5p,7).  Encore 
avons-nous  été  devancés  par  l'Espagne  :  le  plus  ancien  de  ces  livrets 
est  VInstitucion  o  fundacion  de  la  orden  de  la  Sm<*  e  individus 
Trinidad  de  la  redempdon  de  captivas  (Aleala de  Hénarés,  1567)'. 
Un  autre  recueil  d'indulgences  a  été  publié  k  Rome  en  1 588. 

Ces  petits  ouvrages,  ces  traités  édifiants  sur  l'Institution  de  l'ordre, 
qui  se  vendaient  au  profit  des  captifs,  étaient  d'un  plan  uniforme,  plus 
ou  moins  bien  suivi.  Au  frontispice,  une  gravure  représente  l'appa- 
rition de  l'ange  entre  les  deux  captifs,  avec  un  tercet  affirmant  que 
l'ordre  a  Dieu  lui-même  pour  auteur.  Suivent  tes  vies  de  saint  Jean 
de  Matha  et  de  saint  Félix  de  Valois,  tout  à  fait  légendaires,  l'expli- 
cation mystique  des  trois  couleurs  de  l'ordre,  la  liste  des  indulgences 
accordées  aux  Trinitaires  et  aux  confrères,  la  plus  importante  partie 
du  livret,  aux  yeux  des  religieux,  puis  les  qualifications  élogieuses 
dont  l'ordre  a  été  comblé.  L'opuscule  se  termine  par  un  bref  dis- 
cours sur  la  rédemption  des  pauvres  esclaves  captifs  et  les  tourments 
qu'ils  éprouvent  en  Barbarie.  Quelques  auteurs  ont  relevé  leur  sujet 

1.  Ces  deux  livres  se  trouvent  k  la  Bibliothèque  de  l'Arsenal,  bous  les 
cotes  H  i3oa3  el  H  i3888. 
3.  N»  10  de  la  Bibliographie  du  Serapeum. 


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BIBLIOGRAPHIE.  3l5 

par  le  récit  d'aventures  récentes  de  captifs1  ;  ainsi  fit  Jean  Thiéry,  qui 
avait  lui-même  opéré  une  rédemption  eu  Hongrie,  dans  son  livret 
paru  en  161a  ;  le  même  mérite  se  remarque  dans  celui  de  Barthélémy 
de  Puille,  publie  m  Douai  en  i635.  Certaines  villes  où  se  trouvait  un 
couvent  de  l'ordre,  Rouen,  Troyes.  Douai,  Avignon,  Marseille,  devin- 
rent  des  foyers  d'impressions  trinitaires.  Dans  ces  livrets  d'indul- 
gences, plus  importants  qu'on  ne  serait  disposé  à  le  croire,  la  Préface 
et  le  dernier  chapitre  contiennent  parfois  des  renseignements  histori- 
ques fort  importants  :  il  en  est  ainsi  dans  la  5*  édition  des  Privilèges 
et  indulgences  du  P.  Ralle,  publiée  en  i665".  Ces  auteurs  étaient 
presque  toujours  des  personnages  distingués,  a3'ant  joué  un  rôle  im- 
portant dans  leur  ordre,  comme  le  P.  Raymond  de  Pallas,  qui  publia 
sa  Confrérie  à  Marseille  en  1677. 

Pour  piquer  l'attention  du  public,  on  donnait  aux  récits  des 
rédemptions  des  titres  allégoriques,  comme  les  Victoires  de  la  cha- 
rité (relation  des  voyages  du  P.  Lucien  Hérault)  et  le  Tableau  de 
piété  (Châlons,  1668).  Les  Pères  de  la  Merci  écrivirent  de  leur  côté 
la  Vive  foi  (1644)  et  le  Miroir  de  la  charité  {i663},  dont  les  titres 
étaient  d'ailleurs  pleinement  justifiés  par  les  qualités  que  les  reli- 
gieux avaient  eu  à  déployer  au  cours  de  ces  voyages.  Par  modestie, 
un  grand  nombre  d'entre  eux  n'ont  pas  signé  leurs  récits  de  voyages, 
et  ce  n'est  que  par  conjecture  que  nous  en  pouvons  déterminer  l'au- 
teur :  l'Etat  présent  des  royaumes  de  Tripoli,  Tunis  et  Alger, 
publié  à  Rouen  en  1703,  doit  être  l'œuvre  du  P.  de  La  Faye,  procu- 
reur général  des  captifs;  à  ce  livre  est  souvent  jointe  la  Tradition 
de  l'Eglise  pour  le  rachat  des  captifs,  récit  agréable,  sous  forme 
d'entretiens,  de  ce  qu'ont  fait  les- saints  en  faveur  de  cette  œuvre  de 
miséricorde.  De  même,  le  Voyage  à  Constantinople,  du  P.  Jehan- 
nol  (1732),  est  souvent  reb'é  avec  les  Mandements  des  évêques  pour 
la  rédemption  des  captifs,  imprimés  à  Tours  en  1734. 

Il  semble  qu'après  cette  date  les  Trinitaires  se  soient  refroidis  pour 
la  composition  de  leurs  ouvrages.  La  plupart  des  rédemptions 
suivantes  ne   sont  connues  que  par  des  listes  d'esclaves  ramenés, 

:.  Le  Tableau  de  Piété  du  P.  Michelin  contient  eu  appendice  la  relation 
du  martyre  de  Pierre  de  la  Conception  (juin  1667). 

2.  Bibl.  Nat.,  H  17671.  La  \t  édition  avait  paru  eu  i654,  avec  une  dédi- 
cace de  Pierre  Mercier  au  général,  qui  avait  avait  gardé  l'anonyme. 


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3l6  LE    RACHAT    DES    CAPTIFS. 

des  placards  annonçant  leurs  processions,  ou  une  correspondance 
soi-disant  recueillie  avec  exactitude  '.  Peut-être  l'attention  du  public 
était-elle  lassée  à  la  fin  de  ces  incidents  sans  cesse  renouvelés. 

II.  Un  second  groupe  de  documents,  pouvant  nous  renseigner  sur 
la  difficulté  de  la  tâche  des  rédempteurs,  est  formé  par  les  relations  des 
esclaves  écrites  par  eux-mêmes.  La  plus  connue  est  celle  d'Emmanuel 
d'Aranda,  qui  mérita  d'avoir  plusieurs  éditions  a  partir  de  i645.  Ce 
Flamand  rapporte  naïvement  toutes  ses  aventuras  et  celles  de  ses 
compagnons  d'infortune,  en  y  joignant  des  relations  particulières  de 
toutes  ses  observations.  La  condition  des  esclaves  est  bien  plus  douce 
alors  que  cinquante  ans  auparavant,  lorsque  le  bénédictin  Diego  de 
Haedo  rassemblait  patiemment,  trop  lentement  même,  les  matériaux 
de  sa  Topoyraphia  de  Argel  (1612).  Les  Aventures  du  sitar 
Mouette  {1684)  sont  déjà  presque  un  roman  et  annoncent  la  Proven- 
çale deRegnard. 

Pour  les  soins  qui  étaient  donnés  aux  esclaves  dans  les  hôpitaux, 
le  livre  d'Antonio  Silvestre,  Fundacion  historiés  de  los  hospitales, 
que  la  religion  de  la  S.  Trinidad  liene  en  Argel  (1690),  ren- 
seigne a  merveille.  Leur  vie  quotidienne  est  souvent  dépeinte  dans  les 
Annale»  de  la  Congrégation  de  la  Mission  ;  deux  volumes  publies 
à  Paris  en  i865  concernent  Alger,  et  un  troisième  se  rapporte  à 
Tunis. 

III.  Enfin,  pour  bien  apprécier  les  relations  diplomatiques  entre 
les  Français  et  les  Algériens,  qui  pouvaient  influer  sur  l'accueil  fait 
aux  rédempteurs,  il  faut  se  référer  "aux.  études  de  M.  de  Mas-Latrie  : 
Relations de  l'Afrique  septentrionale  avec  les  nations  chré- 
tiennes, jusqu'au  seizième  siècle,  et  ensuit*  aux  différentes  histoires 
d'Algérie. 

Fondée  à  Alger  il  y  a  cinquante  ans,  la  Revue  africaine  s'est  im- 
posé comme  lâche  de  prouver  que,  dans  les  relations  franco-algérien- 
nes, tous  les  torts  n'avaient  pas  été  du  côté  des  Algériens.  Devoulx 


1 .  Par  exemple  les  Lettres  d'un  des  captifs  qui  viennent  d'être  rachetés 
en  tj8j.  —  Le  P.  Calixte,  dans  ses  Corsaires  et  rédempteurs,  a  analysé 
la  plupart  de  ces  relations. 


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BIBLIOGRAPHIE.  .'i  (  7 

et  Berbrugger,  et,  de  nos  jours,  H.-D.  de  Grammont  el  M.  Ernest 
Mercier,  nous  ont  donne,  sur  les  consuls  de  France  et  sur  les 
esclaves  chrétiens,  les  détails  les  plus  intéressants.  Le  sujet  a  tente 
même  la  magistrature,  car  des  discours  de  rentrée,  prononces  à  la 
Cour  d'Alger  en  1900  et  en  iqoï,  ont  clairement  résumé  les  notions 
acquises  sur  la  condition  des  chrétiens  libres  et  celle  des  chrétiens 
esclaves. 

H.  D.  de  Grammont,  en  publiant  la  Correspondance  des  consuls 
de  France,  Alger  de  i5/5  à  178g,  quatre  brochures  sur  les  rela- 
tions franco-algériennes  au  dix-septième  siècle,  et  ses  trois  études  si 
neuves  sur  La  course,  l'esclavage  et  la  rédemption,  mérite  toute 
notre  reconnaissance.  Il  a  frayé  la  voie  à  M.  Eugène  Plantet,  qui  a 
recueilli  la  Correspondance  des  deys  d'Alger  et  des  beys  de  Tunis 
aoec  la  cour  de  France.  Ces  cinq  volumes  resteront  parmi  les  plus 
précieux,  pour  l'histoire  de  cette  époque  curieuse;  des  introductions 
très  développées  et  des  notes  abondantes  ne  laissent  aucune  question 
en  suspens.  Tous  ces  ouvrages  mentionnent  très  souvent  nos  Pères 
de  la  Trinité  et  permettent  de  contrôler  le  récit  de  leurs  voyages  de 
rédemption. 


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CHAPITRE  PREMIER. 


Les  plus  anciens  rachats  de  captifs  effectués 
par  les  Trinitaires. 


Les  religieux  de  la  Trinité  n'ont  jamais  prétendu  qu'on  n'ait 
point  racheté  de  captifs  avant  eux  ;  bien  au  contraire,  un  pro- 
cureur général  de  la  rédemption,  le  P.  Jean-Baptiste  de  La 
Faye,  a  savamment  énuméré  les  empereurs  et  les  saints  qui 
se  sont  le  plus  occupés  de  cette  œuvre  de  miséricorde,  parmi 
lesquels  se  distinguent  saint  Césaire  d'Arles  et  le  pape  Gré- 
goire le  Grand  ' . 

Les  Trinitaires  peuvent  à  peine  se  glorifier  d'avoir  été  le 
premier  ordre  religieux  fondé  expressément  dans  le  but  du 
rachat  des  captifs.  L'Espagne,  en  effet,  encore  à  demi  occupée 
par  les  musulmans,  avait  fait  plusieurs  essais  d'ordres  mili- 
taires ou  hospitaliers,  antérieurement  à  la  fondation  de  l'ordre 
de  la  Trinité  par  saint  Jean  de  Matha,  dont  cela  ne  diminue 
d'ailleurs  pas  la  gloire. 

Au  dire  de  Baron,  il  aurait  existé  en  Italie,  vers  n5o,  des 
religieux  de  la  Sainte-Trinité,  qui  furent  l'objet  de  décrétâtes 
du  pape  Eugène  III.  Cette  fondation  est  très  douteuse,  et 


i.   Voir,  pour  plus  de  deuils,  mon  opuscule  :  L'Eglise  et  le  rachat  des 
captifs.  Paris,  190a. 


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3ao  l'ordre  français  des  trinitairgs. 

peul-êlre  cet  ordre  militaire1  de  chevalerie,  déjà  voué  à  la 
rédemption  des  captifs,  n'esl-il  imaginé  que  pour  expliquer  le 
nom  d'ordre  de  la  Trinité  donné  aux  premiers  religieux 
rédempteurs. 

En  n  56  (ère  d'Espagne,  c'esl-à-dire  iiq4)  paraissent  à 
Tolède  des  religieux  de  Saint-Geniès,  de  l'ordre  de  la  rédemp- 
tion, qui  reçoivent  une  donation  d'Alphonse,  «  empereur  de 
toute  l'Espagne1.  »  On  voit  à  Balaguer,  en  Catalogne,  des 
chevaliers  de  la  Sainte-Croix  pour  le  rachat  des  captifs  (i  iC3). 
Mais  ce  ne  sont  encore  là  que  des  mentions  trop  rares,  sur 
lesquelles  il  est  permis  de  ne  pas  s'arrêter. 

L'ordre  de  Montjoie  est  le  premier  ordre  rédempteur  qui 
ait  une  existence  connue,  retracée,  en  i8o3,  par  M.  Delavilie 
le  Roulx,  dans  \a  fteoue  de  COrient  latin3.  Le  comte  Rodri- 
gue, son  fondateur,  avait  imposé  un  prélèvement  du  tiers  des 
revenus  pour  le  rachat  des  captifs4.  Mais  le  recrutement  de 
l'ordre  né  s'opéra  pas  bien  et  ses  possessions  furent  réunies 
à  celles  des  Templiers. 

Si,  dès  1198,  nous  constatons  l'existence  des  Trinitaires, 
nous  sommes  fort  peu  renseignés  sur  leurs  rédemptions  de 
captifs  antérieures  au  seizième  siècle.  C'est  pourquoi,  jusqu'à 
cette  date,  il  faut  se  contenter  d'énumérer  les  voyages  les 
plus  connus,  réservant  l'étude  des  ressources  de  la  rédemption 
pour  ta  période  où  les  documents  abondent. 

Ces  voyages  ne  devaient  pas  être  aussi  pénibles  qu'où  le 

1.  Il  devancerait  celui  de  la  Merci,  qui  a  porte  ce  litre  d'ordre  militaire. 
3.  Alphonse  IX  de  Caalille  (u56-iai4). 

3.  P.  4«. 

4.  Alphonse  II,  roi  d'Aragon  f  1 162- r  ig(3),  avait  fondé  k  Teruel  l'hôpital 
de  la  Rédemption,  dont  les  revenus  étaient  attribués  au  rachat  des  captifs 
et  à  l'entretien  de  combattants  contre  les  musulmans  (Le  Grand,  Renne 
des  questions  historiques,  juillet  1896,  p.  109). 


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SAINT  JEAN   DE  MATHA. 
(A  gauche,  In  procession.)  {A  droite,  le  rachat  des  captifs.) 

(Ciblnet  de.  Bitampes  :  Portnlti  dn  SulnU,  ferla  ltd  13,  fol.  14.) 


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LES    PLUS    ANCIENS    RACHATS    HE    CAPTIFS.  3a  I 

pense  d'ordinaire,  sinon  en  Espagne  où  les  haines  religieuses 
avaient  laissé  des  traces  vivaces,  attestées,  en  1275,  par  la 
mort  de  Sanche,  archevêque  de  Tolède,  et,  en  i3oo,  par  celle 
de  saint  Pierre  Paschal,  évéque  de  Jaen,  tous  deux  tués  par  les 
Maures,  au  moins  en  Afrique-  Les  relations  ordinaires  entre 
les  musulmans  et  les  chrétiens,  depuis  la  an  des  croisades  jus- 
qu'à la  prise  de  Constantinople,  étaient  empreintes  sinon  de 
cordialité,  au  moins  de  tolérance,  comme  l'a  montré  l'historien 
de  saint  Raymond  de  Pennaforl,  le  P.  Danzas,  commentant 
les  très  libérales  théories  de  saint  Thomas  d'Aquin.  L'Eglise 
veille  simplement  à  sa  propre  sécurité,  mais  n'interdit  pas  aux 
musulmans,  vivant  en  pays  chrétien,  la  pratique  de  leur  reli- 
gion. Des  exemples  de  tous  les  siècles  prouveraient  que  les 
musulmans  faisaient  de  même  chez  eux.  Les  récits,  quoique 
un  peu  tardifs,  des  historiens  trinitaires  et  mercédaires  témoi- 
gnent de  l'accueil  qu'on  fit  aux  religieux;  certes  ils  ne  peuvent 
être  suspectés  d'avoir  exagéré  de  parti  pris  la  facilité  de  la 
rédemption. 

Le  premier  connu  de  ces  voyages  des  Trinitaires  date  de 
1199;  nous  avons  son  acte  de  naissance,  la  lettre  du  pape  à 
l'émir  de  Maroc  '  (8  mars  1199).  Les  rédempteurs,  dont  on 
ignore  le  nom,  démontrèrent  à  ce  prince,  selon  les  idées  du 
pape,  que  l'échange  était  aussi  avantageux  pour  les  musul- 
mans que  pour  les  chrétiens  :  ils  rachetèrent  cent  quatre- 
vingt-six  captifs.  A  leur  retour  à  Alméria,  le  gouverneur 
maure  les  reçut  fort  bien. 

Les  Pères  de  la  Merci  ont  encore  enchéri  sur  ces  traditions. 
Saint  Pierre  Nolasque,  leur  fondateur,  s'offre  en  otage,  selon 
le  vœu  spécial  de  son  ordre,  pour  le  rachat  anticipé  de  trois 

1.  Mas-Lathib,  ouvr.  cité  (édit.  de  1886),  pp.  :3o,  i3i. 


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3aa  l'ordre  français  des  trinitaires. 

cents  femmes  et  jeunes  filles  '  ;  le  roi  maure  de  Valence, 
acceptant  celte  offre  généreuse,  lui  donne  pour  prison  la  capi- 
tale de  son  royaume.  Dans  une  autre  circonstance,  le  roi  le 
laisse  partir  sans  qu'il  ait  payé  la  rançon  de  deux  cents 
esclaves,  gardant  seulement  en  gage  le  bâton  de  pèlerin  du 
saint  I  Ce  sont  là  des  récits  édifiants  qu'il  ne  faudrait  pas 
prendre  à  ia  lettre ,  mais  qui  prouvent  l'estime  inspirée  aux 
musulmans  par  la  loyauté  des  rédempteurs. 

Dès  le  principe,  les  Trinitaires  français  ont  poursuivi  réso- 
lument le  but  de  leur  ordre.  Il  est  malheureux  que  leurs  chro- 
niqueurs n'aient  pas  donné  plus  de  renseignements  sur 
leurs  plus  anciennes  rédemptions;  elles  ne  furent  peut-être 
pas  très  nombreuses.  11  vaut  donc  mieux  pécher  par  excès 
de  prudence  et  considérer  que  les  quinze  mentions  de  rédemp- 
tion, antérieures  &  1600,  que  renferme  la  Chronique  des  mi- 
nistres généraux  doivent  donner  à  peu  près  le  total  des  voya- 
ges effectués  par  les  rédempteurs  français  dans  les  quatre 
premiers  siècles.  Sur  ces  quinze  rédemptions,  cinq  au  moins 
sont  uniquement  faites  en  Espagne,  dans  le  royaume  de  Gre- 
nade; ce  sont  celles  de  1323,  de  i33o,  l'une  de  celles  d'Etienne 
du  Mesnil,  et  celles  de  i£5i  et  de  1466,  dont  parle  Gaguin. 
Encore  faut-il  dire  que,  dans  toutes  les  rédemptions,  même 
au  dix-huitième  siècle,  les  Trinitaires  français  rachetèrent 
beaucoup  de  captifs  étrangers,  à  défaut  de  Français. 

D'ailleurs,  les  ressources  de  la  France  pour  le  rachat  des 
captifs  étaient  originairement  peu  considérables;  un  grand 
nombre  de  maisons  étaient  des  hôpitaux  où  ne  s'effectuait 
jamais  (sauf  à  Dinard)  la  mise  à  part  du  «  tiers  des  captifs  ». 
D'autres  couvents,  comme  Troyes,  avaient  été  formellement 

1.  Abrégé  de  l'Histoire  de  l'ordre  de  la  Merci,  1691,  pp.  4-5,  28-30. 


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LES   PLUS  ANCIENS   RACHATS   DE   CAPTIFS.  3a3 

déchargés  de  l'obligation  de  séparer  le  tiers  en  tout  ou  en 
partie;  un  grand  nombre  avaient  à  peine  de  quoi  se  suffire. 
De  plus,  aucune  surveillance  extérieure  ne  s'exerçait  sur  les 
Trinitaires  du  Nord,  tandis  que  ceux  d'Espagne  trouvaient  - 
des  censeurs  impitoyables  dans  les  Pères  de  la  Merci,  fondés 
en  1238  à  Barcelone  par  saint  Pierre  Nolasque.  Leurs  nom- 
breuses disputes  avec  les  Trinitaires  contrarièrent  bien  des 
rédemptions  :  tout  l'argent  dépensé  à  ces  regrettables  procès 
eût  été  mieux  employé  à  des  rachats  de  captifs. 

On  peut  affirmer  que,  dès  le  treizième  siècle,  les  Mathurins 
de  Paris  avaient  la  direction  et  la  caisse  des  rachats  de  captifs. 
Jean  Lyssoart,  faisant  une  rente  à  un  clerc,  stipule  qu'après 
la  mort  de  celui-ci,  cette  rente  reviendra  aux  captifs  de  Sainte 
Mathurin  de  Paris1.  Un  évêque  de  Beauvais  leur  lègue 
ao  sous  «  pour  le  tiers  des  captifs  ».  Hugues,  archidiacre  de 
Cardigan  au  pays  de  Galles,  leur  donne  10  livres  dans  le 
même  but,  legs  précieux  de  la  part  d'un  étranger,  bien 
informé  sans  doute  de  l'efficace  charité  de  ces  religieux1. 
Théaud,  archidiacre  de  Liège,  qui  devint  pape  sous  le  nom  de 
Grégoire  X,  consent  qu'une  somme  qu'il  doit  au  roi  Louis  IX 
soit  employée  en  partie  au  rachat  des  captifs3. 

Les  motifs  assignés  à  la  fondation  d'un  certain  nombre  de 
couvents  trinitaires  (Lérinnes,  la  Poullière,  Estaires)  par  des 
seigneurs  captifs  rachetés,  eux  ou  leur  fils ,  ne  sont  peut-être 
pas  simplement  légendaires.  Geoffroy  de  Châteaubriant ,  ra- 
cheté par  les  Trinitaires  et  revenu  dans  son  pays  d'une  façon 
'  inespérée  (sa  femme  Sibylle  en  mourut  de  saisissement),  té- 
moigna sa  reconnaissance  envers  ses  libérateurs  en  leur  don- 

1.  Cartalaire  de  Notre-Dame  de  Part»,  t.  Il,  p.  467. 
3.  Obilaaire  des  Mathurins,  p.  685. 
3.  Pièce  4o. 


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3a4  l'ordre  français  des  trinjtaires. 

nant  un  couvent  à  Châteaubriant'.  De  même,  Robert  de 
Cassel  et  sa  femme  Yolande,  ayant  appris  le  triste  sort  de 
leur  fils,  captif  après  la  bataille  de  Nicopolis,  fondèrent  dans 
la  forêt  de  Nieppe  le  couvent  de  Préavin1  (i3q6).  Le  souvenir 
de  sa  captivité  explique  les  libéralités  de  Geoffroy  le  Meingre, 
frère  de  Jean  Boucicaut 3 ,  à  l'égard  des  Trinitaires  d'Arles. 

Pour  trouver  des  mentions  de  rédemption  plus  explicites 
que  celles  de  la  Chronique  de  Gaguin,  il  faut  attendre  le  quin- 
zième siècle.  Entre  1397  *  et  i4o3  (on  ne  peut  préciser  davan- 
tage), Etienne  du  Mesnil  fil,  avec  d'autres  Mathurins,  un 
voyage  au  royaume  de  Grenade  et  ramena  cent  cinq  captifs  s; 
il  alla  en  Maroc  dans  la  suite. 

Une  autre  rédemption  est  datée  avec  précision  par  Gaguin. 
m  Je  vis,  dit-il,  le  retour  des  captifs,  lorsqu'adolescent  j'étu- 
diais la  philosophie  à  Paris.  »  Ces  rédempteurs  étaient  partis 
à  la  fin  de  juillet  i448  :  à  cette  date  s'était  tenue  une  assem- 
blée à  Saint-Germain-PAuxei'i'ois,  après  le  sacre  de  l'évêque 
de  Paris,  Guillaume  Chartier.  «  Et  là  fut  ordonné  qu'on  irait 
rachepter  des  chrétiens  qui  étaient  es  mains  du  soldan ,  aux- 
quels on  faisait  souffrir  moult  de  martyres;  et  le  deuxième 
ou  troisième  jour  après  ce  (22  juillet)  partirent  de  Paris  aucuns 
frères  de  Saint-Mathurins  et  autres  pour  aller  audit  voyage 
piteux6.  »  Le  Bourgeois  de  Paris  veut  dire  sans  doute  que, 
dans  un  sermon,  les  futurs  rédempteurs  furent  recommandés 


1.  Le  P.  Dan,  Hittoire  de  Barbarie  (1637),  p.  488. 

a.  Aubbatus  Mihaeus,  Opéra  Diplomatica,  t.  IV,  p.  3g i. 

3.  Le  P.  Dan,  Les  plus  illustres  captifs,  t.  I,  p.  357. 

4.  C'est  vers  cette  date  (t3qi)  que  se  place  le  plus  ancien  rachat  des 
captifs  coddu  par  le  Dr  Lambert,  celui  de  Thomas  Ëlie,  de  Berre,  par  Gal- 
bert,  de  la  Merci  [L'Œaore  de  la  rédemption  des  captifs  à  Toulon,  p.  65). 

5.  Chartalariam  L'niversitatis...,  t.  IV,  pp.  75-76. 

6.  Le  Bourgeois  de  Paris,  édit.  Tuotey,  p.  446- 


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LES    PLUS   ANCIENS    RACHATS   DE   CAPTIFS.  3a5 

à  la  charité  des  fidèles.  Le  terme  de  soldait,  qu'on  emploie 
généralement  pour  désigner  le  soudan  d'Egypte,  doit  signifier 
un  souverain  musulman  quelconque.  Rien  n'empêche  donc 
d'admettre,  avec  Figueras',  que  les  Mathurins  et  les  «  au- 
tres »,  c'est-à-dire  des  Trinitaires  d'un  couvent  différent  de 
celui  de  Paris,  allèrent  à  Grenade.  L'un  des  rédempteurs 
devait  être  Raoul  Duvivier,  qui  fut  élevé  ensuite  à  la  dignité 
suprême  de  l'ordre.  A  leur  retour,  le  16  mai  i45r,  dit 
Guillaume  Cuisselet,  chroniqueur  de  Saint-Victor,  «  on  ran- 
gea les  captifs  devant  le  porche,  pour  qu'on  les  vît  en  entrant 
et  en  sortant  de  l'église.  »  Cette  visite  au  couvent  avec  qui 
l'ordre  de  la  Trinité  avait  tant  d'affinités  était  un  acte  de  cour- 
toisie traditionnelle.  Gaguin,  dont  les  dix-huit  ans  s'étaient 
enthousiasmés  à  ce  spectacle,  en  devint  lui-même  acteur 
quinze  ans  plus  tard,  en  ramenant  des  captifs  de  Grenade. 

Il  faut  sauter  près  d'un  siècle  pour  arriver  à  des  détails 
inédits  et  au  récit  de  i54o,  signalé  par  M.  d'Arbois  de  Jubain- 
ville  {Voyage  paléographique  dans  les  archives  du  départe- 
ment de  l'Aabe)\  quoique  fragmentaire,  il  nous  fait  vivement 
regretter  la  perte  du  reste,  ainsi  que  la  rareté  des  récits 
analogues.  Quel  attrait  n'auraient  pas  de  simples  impres- 
sions de  voyage  à  travers  la  France  du  seizième  siècle! 
quelles  dates  précises  ne  fourniraient-elles  pas  à  l'archéo- 
logue 1 

Les  quatre  minisires  élus  par  le  chapitre  général  de  i53o 
sont  partis  au  printemps  suivant,  après  avoir  reçu  la  béné- 
diction du  général.  Ils  chevauchent,  avec  de  l'argent  el  des 
marchandises,  accompagnés  d'un  seul  serviteur;  passant  à 
Lyon,  où  ils  ne  comptaient  pas  s'arrêter,  ils  y  sont  retenus 

i.  Chronicon,  p.  iBa. 


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326  l'ordre  français  des  trinitaires. 

les  7  et  8  mai,  et  fouillés  par  les  sergents  préposés  à  la 
garde  de  la  Porte  du  Rhône  :  il  était  défendu,  en  effet,  de 
faire  sortir  de  l'argent  du  royaume,  sans  la  permission  du  roi, 
et  le  religieux  qui  portait  la  sauvegarde  royale  était  parti  en 
avant  :  on  fit  courir  après  lui.  A  la  suite  de  cette  singulière 
aventure,  les  trois  rédempteurs  restants  sont  emprisonnés 
et  leur  argent  est  confisqué.  Heureusement,  un  négociant  de 
Lyon,  nommé  Garni.,  leur  apporte  une  riche  offrande;  c'est 
toujours  une  consolation,  en  attendant  le  retour  du  porteur 
de  la  sauvegarde.  Les  sergents  furent  «  ébahis  »  à  la  vue  de 
la  lettre  royale  et  ne  surent  que  faire.  Pour  justifier  leur  pro- 
■  cédé  arbitraire ,  ils  convinrent  avec  les  rédempteurs  que 
ceux-ci  rapporteraient,  au  retour,  leurs  comptes  en  règle, 
à  peine  de  confiscation  de  l'argent  qui  n'aurait  pas  servi  à  la 
rédemption.  Cette  obligation  de  compte  rendu  serait  donc 
née  d'un  incident  absolument  fortuit. 

Profitant  de  ce  séjour  à  Lyon,  les  rédempteurs  passèrent, 
-  le  9  mai  i5&o,  une  convention  '  avec  Garin,  leur  bienfaiteur 
de  la  veille.  Sur  r,56o  écus  d'argent,  ils  lui  en  donnèrent  1,000 
pour  le  transport  maritime  et  les  dépenses  à  effectuer  en 
Barbarie,  gardant  le  reste  pour  leurs  frais  d'aller  et  de  re- 
tour en  France.  Le  voyage  de  retour  des  esclaves  était  fort 
'  long  et  comportait,  par  conséquent,  des  dépenses  assez 
fortes.  Garin  fera  savoir,  quinze  jours  à  l'avance,  au  couvent 
trinitaire  d'A\ignon,  quand  le  navire  sera  prêt  pour  trans- 
*  porter  les  rédempteurs  à  Alger,  à  Bougie  ou  à  Collo  ;  deux 
mois  seulement  de  station  en  Barbarie  sont  stipulés. 
Enfin,  nos  religieux  sortent  définitivement  de  Lyon.  Vers 


1 .  Elle  est  mentionnée  par  plusieurs  arrêts  du  Parlement  de  Parie  rendus 
en  faveur  des  Trinitaires. 


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LES    PLUS    ANCIENS    RACHATS    DE    CAPTIFS.  3s7 

SainL-Symphorien  d'Ozon,  ils  voient  venir  au-devant  d'eux  le 
ministre  de  Limon,  hameau  qui  avait  une  église  trinitaire 
dédiée  à  Notre-Dame.  N'entrant  point  à  Vienne,  ils  pénè- 
trent dans  la  vallée  de  la  Gère,  bordée  de  moulins  «  d'une 
saulvaige  sorte  ».  A  Moirans,  ils  approchent  des  monta- 
gnes du  Dauphiné,  si  hautes  qu'ils  croyaient  que  c'étaient 
des  nuées.  Au  passage  du  Drac,  dont  il  note  la  rapidité,  le 
journal  s'interrompt,  et  nous  ne  connaissons  ni  la  suite  de 
l'itinéraire  des  rédempteurs,  ni  la  raison  de  ce  détour  en 
Dauphïné. 

En  1578,  Bernard  Dominici,  récemment  élu  général,  opéra 
lui-même  sa  visite  en  Espagne.  Il  demanda  combien  il  y  avait 
d'argent  en  chaque  couvent  pour  la  rédemption  des  captifs  ; 
îl  trouva  quelques  deniers  «  divertis  0  de  leur  but,  les  fit  res- 
tituer et  mettre  en  lieu  sûr,  défendant  d'y  toucher  à  l'avenir. 
Le  chapitre  provincial  se  tint  au  mois  de  novembre  a  Gre- 
nade;' beaucoup  de  discours  y  furent  prononcés,  il  y  eut  de 
nombreuses  argumentations,  l'Espagne  étant  remplie  de  reli- 
gieux très  instruits.  Le  chapitre  décréta  que  l'argent  de  la 
rédemption  fut  rassemblé  avant  le  -24  juin  1679.  Bernard 
Dominici  alla  présenter  ses  respects  au  roi  catholique,  au 
Pardô,  et  celui-ci  approuva  l'ordonnance  du  chapitre.  Jean 
Gil,  que  le  supérieur  de  l'ordre  avait  nommé  procureur  géné- 
ral, et  Antonio  de  la  Bella,  ministre  de  Baeça,  furent  char- 
gés de  la  rédemption.  Ils  ramenèrent,  en  i58o,  cent  quatre- 
vingt-six  «  tant  chrétiens  que  chrétiennes  »,  plus  quelques 
saintes  reliques.  Le  sixième  sur  la  liste  des  chrétiens  rachetés 
est  Michel  de  Cervantes,  âgé  de  trente-huit  ans,  natif  de 
Alcala  de  Hénarès'. 

1.   Discours  du  rachapl...  effectué  par  l'ordonnance  du  R.  P.  frire 


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3  38  L'ORDRE    FRANÇAIS    DBS    TRINITAIRES. 

C'est  encore  en  Espagne,  à  Alicunte,  que  mourut  de  la 
fièvre,  au  retour  du  voyage  de  rédemption,  un  profès  de 
Saint-Mathurin,  nommé  Noël  Payebien  '  (7  novembre  i5oa). 

En  1602,  le  P.  Thiéry,  minisire  d'Arras,  ramena  soixante- 
douze  captifs  de  Gran,  en  Hongrie.  Ce  voyage  resta  célèbre 
par  la  venue  en  France  de  quatre  Turcs,  qui  se  firent  baptiser. 
L'un  d'eux  vivait  encore  cinquante  ans  après,  comme  curé 
aux  environs  de  Metz1. 

Il  n'y  eut  pas  d'autre  rachat  effectué  par  les  Français 
avant  i635.  Le  défaut  d'argent,  déjà  allégué  comme  excuse 
par  François  Bouchet,  procureur  général  de  l'ordre,  dans  son 
discours  au  pape  Grégoire  XIII  en  1575,  et  les  divisions  de 
l'ordre  trinitaire  en  sont  la  cause.  Désormais  les  rédemp- 
tions sont  parvenues  à  l'état  adulte,  pour  ainsi  dire,  et  les 
ressources  que  l'on  pouvait  y  consacrer  sont  parfaitement 
connues. 


Bernard,   général  de  l'ordre...  Paris,  chez   Guillaume  Chaudière,   i58i. 
Bibliothèque  Mazarinc,  37218,  pièce  i5, 

1.  Obitnaire  des  Matharins,  au  7  novembre.  C'est  tout  ce  que  nous 
savons  de  ce  voyage. 

2.  Le  P.  Cauxte,  Corsaires  et  Rédempteurs,  p.  3ifi. 


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CHAPITRE  II. 


Ressources  des  Trinitaires  pour  la  rédemption. 


i°  Prélèvement  sur  les  biens  de  l'ordre. 

Le  tiers  des  revenus  de  chacun  de  leurs  couvents,  obligatoi- 
rement affecté  au  rachat  des  captifs,  était  recueilli  primitive- 
ment par  des  taxatores  envoyés  tous  les  ans  '.  De  plus,  lors- 
qu'ils étaient  en  voyage  de  rédemption,  les  religieux  devaient 
consacrer  à  cette  œuvre  pieuse  la  totalité  de  ce  qui  leur  était 
donné.  Chaque  couvent  eut  un  tronc  des  captifs,  qui  recevait 
cette  taxe  du  tiers  et  des  legs  particuliers  faits  pour  la  rédemp- 
tion. Conformément  aux  statuts  de  i3ia,  Pierre  de  Bourry, 
général  de  i357  à  1373,  voulant  faire  un  rachat  de  captifs, 
se  fit  remettre  les  sommes  recueillies  par  tous  les  ministres 
de  l'ordre. 

On  pensa  ensuite  à  désigner,  dans  chaque  province,  un 
couvent  qui  centraliserait  les  aumônes  faites  pour  la  rédemp- 
tion et  les  taxes  du  tiers  des  petits  couvents  :  ce  tronc  aurait 
trois  clefs,  l'une  pour  le  provincial,  l'autre  pour  le  ministre 

i.  Statuts  anonymes,  n°  3i.  Rutebeuf  semble  y  faire  allusion  dans  ces 
vers  relatifs  aux  Trinitaires  : 

«  De  quanqu'il  ont  l'année  pris 

«  Envoient  outre  mer  membre  les  pris.  » 


■doyGoo^Ic 


33o  l'ordre  français  des  trinitaires. 

particulier,  la  troisième  pour  un  religieux  du  couvent  (statuts 
de  1429).  Le  couvent  des  Mathurins  de  Paris  demeura  le 
trésor  central  de  la  rédemption. 

La  quotité  du  prélèvement,  malgré  toutes  les  affirmations 
produites  dans  les  polémiques  du  dix-septième  siècle,  est  tou- 
jours restée  fixée  au  tiers  :  ces  statuts  de  i429i  imprimés 
en  r586,  avec  les  annotations  de  Jacques  Bourgeois,  portent 
expressément  (page  45)  :  praecipimus  diclam  taxations* 
tertiae  partis  anno  quolibet  de  cetero  in  generali  capitula 
illi  qui  super  hoc  commissus  fiierit  totaliter  et  intègre 
persolvi*.  La  stricte  perception  du  tiers  était  déjà  hors 
d'usage,  mais  les  religieux  ne  l'avouaient  pas  publiquement. 
En  voici  deux  exemples. 

Le  i5  septembre  i534,  une  taxation  avait  été  faite  par 
Nicolas  Musnier,  général,  pour  la  Provence  :  Tarascon  devait 
payer  9  écus  ;  Marseille  et  Avignon,  8  ;  Lorgues,  6  ;  La  Motte 
du  Caire,  4  ;  Digne,  Lambesc  et  Arles,  3.  Les  couvents  de 
Saint-Etienne  sur  Tinée  et  de  Notre-Dame  de  Limon  ne  figu- 
raient pas  sur  cette  liste1. 

En  1601,  François  Petit  permit  aux  provinces  d'Espagne 
de  prélever  pour  le  rachat  des  captifs,  sinon  le  tiers,  au  moins 
une  quotité  la  plus  voisine  possible  du  tiers3. 

Un  des  résultats  de  l'enquête  du  cardinal  de  La  Rochefou- 
cauld (i638)  est  d'avoir  fuit  constater  que,  sur  33,544  livres 
de  revenus,  les  quatre  provinces  payaient  seulement  199  livres 


1.  Cette  disposition  est  approuvée  le  19  avril  i5?3  et  le  17  mars  1S70; 
le  chapitre  décide  que  l'on  rachètera  des  captifs  cum  pingaior  forluna  loti 
ordini  saccetterit. 

a.  Trinitaires  d'Arles,  registre  AA  (début). 

3.  Pièce  i46.  Jean  de  Saint-Félix  reconnaît  aussi  que,  pendant  un  certain 
nombre  d'années,  la  province  de  Castille  fut  dispensée  du  prélèvement  total 


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RESSOURCES    POUR    LA    RÉDEMPTION.  33l 

de  taxes.  Le  procureur  général  des  captifs1  Claude  Ralle, 
secrétaire  de  Louis  Petit,  critiqué"  sur  cette  expresse  déroga- 
tion à  la  règle,  ripostait  à  la  fois  en  se  défendant  et  en  atta- 
quant; la  défense  était  bien  plus  faible  que  ['attaque. 

Les  taxes  ne  sont  pas  nouvelles,  disait-il  ;  elles  ont  été 
fixées  par  les  chapitres  généraux  —  or  nous  avons  vu  les 
prescriptions  édictées  par  ceux  de  i^ao  et  de  i5y3  —  et  auto- 
risées par  les  bulles  des  papes  (il  se  gardait  bien  d'en  citer 
aucune).  Que  dire  encore  de  cet  argument  :  On  a  renoncé  à 
prélever  le  tiers,  parce  que,  dans  certains  couvents,  les  reve- 
nus étaient  insignifiants? 

Où  Claude  Ralle  semble  reprendre  son  avantage,  c'est 
quand  il  avance  que,  si  les  Réformés  avaient  mis  réellement 
de  côté  le  tiers  des  captifs,  comme  ils  prétendent  y  être 
obligés,  on  aurait  eu,  en  trente  ans,  20,000  livres  de  plus. 
Sans  doute,  ce  n'est  pas  là  une  excuse  pour  les  mitigés,  mais 
il  était  vrai  de  dire  que  les  Réformés,  tant  de  Provence  que 
du  Nord,  n'avaient  pas  non  plus  leurs  comptes  en  règle;  au- 
cune taxe  n'y  figurait  pour  les  captifs.  Plus  d'une  fois  même, 
Us  empruntèrent  les  biens  de  cette  œuvre5,  sans  doute  avec 
l'intention  de  les  restituer,  pour  payer  une  dette  urgente. 

A  ce  point  de  vue,  les  deux  branches  mitigée  et  réformée 
se  valaient,  il  était  donc  à  prévoir  que  rien  ne  serait  changé 
à  cette  déplorable  situation.  Maigre  les  ordonnances  du  car- 
dinal de  La  Rochefoucauld,  les  «  odieuses  »  taxes  persistè- 
rent; le  chapitre  général  de  i65i  décida  de  les  doubler,  ce 


.    t.  Ce  dignitaire,  à  la  nomination  du  chapitre  général,  était  le  plus  sou- 
vent â  vie. 

î.  Ainsi,  en  1790,  les  Trinilaires  de  Tarascon  devaient  à  l'œuvre  des  cap- 
tifs 888  livres,  empruntées  pour  acheter  le  fer  nécessaire  à-  la  réparation  de 
la  façade  de  leur  église! 


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33a  l'ordre  français  des  trinitaires. 

qui  était  peu  de  chose  encore.  Au  dix-huitième  siècle,  la  taxe 
annuelle  subsistait  ;  elle  était  de  27  livres  à  Metz,  de  i3  à  Mor- 
tagne,  de  12  à  Beauvoir,  de  g  à  Soudé. 

L'année  où  se  faisait  un  rachat,  il  y  avait  des  contributions 
exceptionnelles  :  au  moment  de  la  rédemption  du  Maroc,  en 
1763,  nous  voyons  les  religieux  de  Toulouse  retirer  les  fonds 
nécessaires  pour  participer  à  cette  œuvre.  Ils  avaient  précisé- 
ment reçu  un  legs  de  2,000  livres  ;  l'exécuteur  testamentaire 
se  déclara  prêt  a  les  verser,  «  pourvu  que  le  chapitre  lui 
donnât  les  assurances  convenables  et  un  pouvoir  spécial  à 
quelqu'un  d'eux,  pour  recevoir  et  faire  quittance  des  dites 
2,000  livres  et  par  là  canceller  le  testament  '  m.  Cette  année-là, 
le  couvent  de  Mortagne  dut  payer  100  livres  pour  les  captifs1. 

D'ailleurs,  la  centralisation  des  fonds  ne  se  faisait  pas  tou- 
jours à  cette  date  ;  avec  le  temps,  le  système  de  rachat  s'était 
modifié,  la  rédemption  générale  se  changeant  en  rédemptions 
particulières  et  beaucoup  de  couvents,  comme  ceux  des  Pays- 
Bas,  gardant  à  leur  disposition  leurs  propres  ressources. 

Les  Trînitaires  Déchaussés  du  Midi  n'imitèrent  pas  le  relâ- 
chement de  leurs  confrères  du  Nord.  Le  3o  août  1775,  le  visi- 
teur provincial  trouvait,  dans  le  tronc  du  pauvre  couvent  de 
Faucon,  232  livres  10  sous  qu'il  envoya  dans  la  caisse  géné- 
rale de  Paris  (à  ce  moment,  la  province  déchaussée  n'avait 
plus  d'existence  autonome);  il  ajouta  avec  raison  :  «  Nous 
avons  admiré  le  zèle  de  la  communauté  pour  cette  œuvre.  » 
On  mettait  dans  le  tronc  le  produit  de  la  vente  des  scapulaïres 
distribués  aux  confrères,  les  dons  provenant  de  la  charité  des 
fidèles,  le  tiers  du  luminaire  du  jour  de  la  Trinité;  le  coffre 


1.  Trinilnires  de  Toulouse,  Registre  des  rentes,  pp.  a8-ag. 
a.  Archives  de  l'Orne  {Inventaire),  H  3i83. 


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HESSOURCES   POUR    LA    RÉDEMPTION.  333 

à  trois  clefs  recevait  le  produit  du  tronc  des  captifs.  En 
juillet  1780,  le  provincial  trouva  encore  3o  livres  12  sous  et 
exhorta  les  religieux  «  à  ne  point  négliger  une  oeuvre  qui  fera 
toujours  la  gloire  et  le  bonheur  de  l'ordre  '  ». 

2°  Les  tournées  de  quête  des  religieux. 

Les  taxes  de  l'ordre  étaient  complétées  par  les  tournées  de 
quête,  très  nécessaires,  attendu  que  les  Trinitaires  n'avaient 
pas  de  couvents  partout.  Le  ministre  eut  d'abord  seul  le  droit 
de  quêter,  et  seulement  dans  son  district1;  comme  il  ne 
pouvait  sans  inconvénient  s'absenter  trop  fréquemment  de 
son  couvent,  on  imagina  les  tournées  de  quêteurs  Trinitaires. 

De  faux  quêteurs  prenaient  abusivement  l'habit  trinitaire 
pour  se  faire  remettre  des  aumônes.  Une  bulle  de  1228  per-  ' 
mit  aux  Trinitaires  d'emprisonner  ces  escrocs.  En  i46i,  Pie  II 
chargea  des  évéques  d'excommunier  Louis  Hurtado,  laïque  de 
Tolède,  qui  se  prétendait  faussement  Trinitaire  et  quêteur3. 
Gagtiin,  voulant  présenter  sous  un  mauvais  jour  les  Pères  de 
la  Merci,  rivaux  des  Trinitaires,  les  compare  à  ces  mendiants 
valides,  échappés  de  la  cour  des  miracles. 

Toute  quête  devait  être  autorisée  par  l'évêque.  Les  curés 
étaient  tenus  de  bien  recevoir  les  quêteurs  trinitaires  munis 
de  la  permission  épiscopale  ;  ils  devaient  leur  délivrer  les  legs 
faits  pour  la  rédemption,  sans  qu'eux  ou  les  héritiers  eussent 
le  droit  d'en  rien  retenir  (voir  la  bulle  du  1"  avril  i343, 
que  je  prends  pour  type,  commençant  par  Querelam  gravem). 


1.  Archives  des  Basses-Alpes,  Registre  des  Trinitaires  de  Faucon,  H  17, 
p.  9- 

ï.  Statuts  anonymes,  n"  29. 

3.  Bekhaiu>ih  de  Saikt-Antoink,  Bullaire,  pp.  i83-i86. 


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334  l'ordre  français  DBS  triwtaires. 

Il  était  permis  par  les  bulles  Gratum  Deo,  si  les  quêteurs  tri- 
mt  aires  arrivaient  dans  un  lieu  où  régnait  l'interdit,  d'ouvrir, 
une  fois,  les  portes  de  l'église  en  leur  honneur,  et  d'assister 
à  leur  prédication  ;  s'ils  se  trouvaient  en  concurrence  avec 
d'autres  religieux,  ils  recevaient  la  préférence. 

Ces  tournées  de  quête  étaient  fort  caractéristiques  en  Espa- 
gne, ou  la  publication  de  la  rédemption  se  faisait  d'une  façon 
solennelle.  Les  religieux,  à  dos  de  mulet,  s'avancent  deux  à 
deux,  précédés  par  des  joueurs  de  trompette,  de  cymbale  el 
de  flûte  :  ce  privilège  est  spécialement  confirmé  aux:  Trini- 
taïres  par  Philippe  II,  le  22  mai  155g1.  Un  des  futurs  rédemp- 
teurs porte  la  bannière  qui  sera  appendue  au  mât  du  vais- 
seau rédempteur;  il  est  accompagné  d'un  héraut  qui  demande 
aux  administrateurs  de  chaque  localité  s'il  y  a  des  captifs  à 
racheter  et  s'il  y  a  des  aumônes.  Alors,  on  montre  aux  reli- 
gieux les  testaments  des  défunts  ;  les  rédempteurs  ont  droit, 
en  effet,  aux  quintos,  aux  mostrencos  et  aux  algaribos.  Lors- 
qu'un homme  était  mort  intestat,  la  cinquième  partie  {quinto) 
de  ses  biens  appartenait  de  droit  aux  rédempteurs.  Sur  les 
biens  de  ceux  qui  étaient  morts  sans  insérer  dans  leur  testa- 
ment un  legs  pour  la  rédemption,  on  donnait  aux  rédempteurs 
une  somme  équivalente  au  legs  le  plus  élevé1  fait  par  le  dé- 
funt. Les  detamparentados  étaient  ce  qui  restait  des  biens  du 
testateur,  après  le  paiement  de  tous  les  legs  faits  à  des  per- 
sonnes déterminées.  Les  algaribos  ou  mostrencos  étaient  les 
biens  dont  le  maître  était  inconnu,  comme  les  objets  trouvés 


1.  Pièce  i23  :  «  Con  pendones  y  trompetas.  »  Cf.  Bbanardin  u  Saikt- 
Antoine,  f°«  i3S-i4o  *•. 

a.  De  même,  Julien  de  lu  Rovére,  voulant  enrichir  l'hôpital  Irîoitaire 
d'Avignon,  ordonna  que  toute  personne  fût  lenue  de  loi  léguer  au  moins 
5  bous  {novembre  1481). 


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RESSOURCES    FOUR    LA    RÉDEMPTION.  335 

non  réclamés  ou  les  épaves'.  Ces  testaments  étaient  affichés 
dans  les  églises,  ainsi  que  l'annonce  de  la  rédemption. 

Les  rédempteurs  prennent  l'indication  du  nom  des  captifs, 
de  leurs  parents,  de  leur  âge,  de  l'aumône  spéciale  pour  leur 
rachat,  s'il  y  a  Heu. 

En  France,  les  quêtes  doivent  être  autorisées  par  le  roi  ou 
par  le  Parlement.  Louis  XI,  le  3  juin  i464,  donne  aux  Trini- 
t aires  des  lettres  dans  ce  but3  ;  le  Parlement  d'Aix  enregistre 
leurs  bulles  le  16  décembre  i5288.  Les  cours  souveraines  se 
montrèrent  parfois  rebelles  à  la  volonté  royale,  pour  les 
quêtes  trinitaires  :  le  Parlement  de  Toulouse,  notamment, 
au  temps  d'Henri  IV,  voulut  réserver  aux  Pères  de  la  Merci  - 
le  droit  de  quêter  dans  son  ressort. 

Le  P.  Lucien  Hérault  s'adressa  directement  en  i645  à 
Anne  d'Autriche,  pour  quêter  dans  tout  le  royaume,  en  vue 
de  son  second  et  dernier  voyage  de  rédemption  ♦.  Sa  re- 
quête fut  favorablement  accueillie.  De  même,  lors  de  la 
visite  de  la  reine  Marie-Thérèse  à  Tournai  en  1667,  les  Trini- 
taires prirent  prétexte  de  la  fête  pour  lui  recommander  leur 
prochaine  rédemptions- 
La  permission  générale  du  roi  n'excluait  pas  celle  de  l'évê- 
que  diocésain.  Quand  Pierre  Mercier  donna  pouvoir  au 
P.  Etienne  Doyneau  de  faire  des  quêtes  par  tout  le  royaume 
(3  juillet  i665)6,  il  avait  dû  préalablement  s'entendre  avec 

1.  Exemples  :  Analecta  jaris  pontijicii,  XIV,  8a5;  Bullaire  des  Trini' 
taires  (i3  novembre  ifao),  pp.  156-157.  Ces  deux  ouvrages  ne  sont  pas 
d'accord  sur  le  sens  respectif  tfalgaribo  et  de  moslrenco.  L'interprétation 
de  l'auteur  trinilaire  paraît  préférable,  à  cause  de  sa  compétence  spéciale. 

a.  Trinitaires  d'Arles  (pièce  171  des  liasses). 

3.  Pièce  112. 

I\.  Pièce  190. 

5.  Les  continaateart  de  Luret,  t.  Il,  col.  961. 

6.  Mention  dans  le  catalogue  de  Yflist.  de  France  (Bibl.  mit.),  art.  Ld«. 


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336  l'ordre  français  des  trinitaires. 

les  ordinaires.  C'est  aux  évèques  que  s'adressent  les  pauvres 
esclaves  dont  le  P.  Hérault  recueillit  les  plaintes,  afin  qu'ils 
ordonnent  des  quêtes  eu  leur  faveur.  Les  Statuts  de  171g 
mentionnent  qu'un  frère  par  province  devra  être  désigné  par 
le  général  pour  prêcher  sans  cesse  dans  les  diverses  villes  et 
y  recueillir  des  aumônes  (p.  43).  Un  Recueil  de  mandements 
fut  publié  à  Tours,  en  1734,  en  faveur  de  l'œuvre  du  rachat. 
En  général,  l'évêque  s'adresse  au  religieux  Trinitaire  qui  re- 
çoit le  privilège  de  quêter,  après  en  avoir  été  chargé  par  le 
chef  de  son  ordre;  du  moins,  il  est  souvent  fait  mention  de 
ce  religieux.  Le  droit  de  quête  lui  est  accordé  pour  un  an  ou 
pour  deux  ans.  Les  quêtes  sont  centralisées  chez  un  tréso- 
rier, tantôt  laïque,  tantôt  ecclésiastique,  surtout  un  cha- 
noine. Dans  le  recueil  de  1734  ne  figurent  que  des  prélats 
des  bassins  de  la  Seine  et  de  la  Loire,  car,  par  un  arrêt  du 
6  août  i638,  analysé  plus  loin,  les  provinces  de  France  avaient 
été  tirées  au  sort  entre  les  Trinitaires  et  les  Pères  de  la  Merci. 
Un  mandement  de  l'évêque  de  Poitiers  (i5  avril  1727)  est 
à  signaler,  car  U  mentionne  une  lettre  du  ministre  Pont- 
chartrain,  informé  par  l'ambassadeur  Desalleurs  qu'il  y  a 
cent  cinquante  esclaves  à  Gonstantinople,  désespérés  parce 
que  le  fonds  de  la  rédemption  est  uniquement  destiné  à  la 
Barbarie  et  même  y  suffît  à  peine.  Dans  le  rôle  envoyé  par 
Desalleurs,  il  y  a  des  Poitevins,  et  l'évêque  intervient  pour 
ces  malheureux,  ordonnant  à  chaque  curé  de  faire  la  quête 
lui-même  ou  par  un  préposé,  et  de  centraliser  les  fonds  chez 
Mathieu  Cytoys,  chanoine  et  chantre  de  la  cathédrale'.  Le 
P.  Jehannot  alla  racheter  ces  captifs  en  i-j3i. 

1.  Recueil  de*  mandement t,  p.  12.  —  L'évêque  de  Sées  stipule  aussi 
que  l'argent  récolté  servira  à  racheter  un  captif  du  diocèse.  La  rédemption 
était  encore  purement  locale. 


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RESSOURCES    POUR    LA    RÉDEMPTION.  337 

Les  colonies  françaises,  qui  ne  paraissaient  pas  directement 
intéressées  dans  l'œuvre  des  rachats,  y  prenaient  cependant 
part.  En  1768,  mourut  à  Saint-Domingue,  au  Cap  Français, 
Romain  Joseph  Bois',  profès  de  Rieux  et  député  dans  les 
colonies  françaises  de  l'Amérique  pour  la  collecte  des  aumô- 
nes en  faveur  des  captifs.  Le  religieux  marseillais  Delon  ' 
est,  en  1780,  commissaire  désigné  pour  recevoir  les  aumônes 
des  fidèles  de  l'Amérique. 

Les  Trinitaires  quêtaient  aussi  dans  les  pays  étrangers. 
Le  20  février  idS-j,  Charles-Quint  leur  en  accorda  la  permis- 
sion, «  attendu  la  ruine,  désolation  et  diminution  de  leurs  ren- 
tes et  maisons  de  leur  dit  ordre,  en  noslre  dict  conté  ». 
Cependant  les  Trinitaires  n'avaient  jamais  eu  de  couvent  en 
Franche-Comté 3.  Le  a3  août  1 576 ,  Antoine  Lullier ,  de 
Besançon,  adressa  à  la  ville  de  Dole  un  mandement  pour 
faire  délivrer  aux  procureurs  de  l'ordre  le  montant  des  au- 
mônes déposées  dans  les  troncs  de  Noire-Dame  de  Dole  pen- 
dant le  jubilé,  soit  io3  francs  n  sols,  monnaie  de  Bour- 
gogne4. 

De  même,  en  Lorraine,  la  duchesse  douairière  et  le  comte 
de  Vaudemont,  tuteurs  de  Charles  III,  permirent  aux  Trini- 
taires de  quêter  dans  leurs  états 5  (8  octobre  i55i). 

Jusqu'ici,  nous  n'avons  vu  que  des  quêteurs  religieux  ou 
députés  par  les  religieux.    Un  exemple  de  quêteurs  voton- 


1.  Archives  nationales,  IX  iSfii,  f°  29  v°. 

2.  Trinitaires  de  Marseille,  registre  11,  p.  i5. 

3.  Claude  Delesme,  Recueil  des  édits  el  ordonnances  de  Franche' 
Comté,  Dole,  t5-jo,  p.  325. 

4-  Archives  municipales  de  DOIe,  n°  io3o  (communiqué  par  M.  André 
Pidoux). 

5.  Mention  :  Trinitaires  de  Montmorency  (Archives  de  Seinc-et-Oise, 
1  n  liasse). 

22 


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338  l'ordre  français  des  trinitaihes. 

t aires  mérite  d'être  recueilli.  Les  Trinitaires  Déchaussés 
venaient  de  s'établir  à  Vienne,  en  Autriche,  où  ta  rédemp- 
tion des  captifs  était  une  œuvre  très  appréciée,  à  cause  des 
fréquentes  guerres  contre  les  Turcs.  En  1690,  la  comtesse 
Jeanne  de  Harrach  écrivit,  sur  un  album,  les  noms  des  plus 
riches  membres  de  la  noblesse  viennoise,  s'inscrivit  en  tête 
pour  une  somme  fort  considérable,  et  alla  de  palais  en  palais 
pour  rassembler  des  aumônes1.  La  pieuse  tradition  se  per- 
pétua; car  sur  soixante-trois  captifs  délivrés  en  1776,  vingt- 
quatre  durent  leur  liberté  aux  générosités  de  l'illustre  maison 
de  Liechtenstein.  En  Espagne,  la  noblesse  prenait  aussi  une 
pari  active  à  la  fondation  et  à  l'entretien  des  hôpitaux  des- 
tinés aux  captifs. 

En  regard  de  ces  régions  si  généreuses,  il  y  avait  des  pays 
spécialement  interdits  à  nos  religieux  ;  plusieurs  fois,  en  Cata- 
logne, les  Pères  de  la  Merci  eurent  le  crédit  d'empêcher  les 
Trinitaires  de  quêter,  argument  dont  le  Conseil  d'Etat  se  ser- 
vit en  1610  pour  refuser  l'extension  du  droit  de  quête  aux 
Pères  de  la  Merci.  Mais  ces  empêchements  ne  furent  jamais 
qu'accidentels. 

Au  contraire,  dans  les  Etats  de  l'Eglise,  l'interdiction  de  la 
quête  aux  ordres  rédempteurs  dura  près  de  deux  siècles. 
Il  existait  à  Rome,  depuis  1 264»  une  confrérie  de  Sainte-Lucie 
du  Gonfalon,  qui  n'avait  pas  de  but  bien  déterminé;  au  sei- 
zième siècle,  le  pape  Grégoire  XIII  la  chargea  du  rachat  des 
captifs  et  lui  donna  le  monopole  *  de  la  quête  dans  Les  Etats 
Romains.  Sixte-Quint  lui  permit  même  de  quêter  en  dehors 
de  ces  limites.  Les  Trinitaires  établis  à  Rome,  où  ils  ne  pou- 


1.  Bulletin  Trinilaire  de  décembre  1900. 

a.  C'est  ce  que  les  historiens  trinitaires  d'Espagne  appellent  la  privative. 


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RESSOURCES    POUR    LA    RÉDEMPTION.  339 

vaienl  avoir  que  ce  qu'il  leur  fallait  pour  vivre,  soutinrent 
en  ijo3  contre  cette  confrérie  un  grand  procès,  dont  l'issue 
est  inconnue.  Le  21  janvier  1749  seulement,  Benoît  XIV  per- 
mit aux  Trinitaires  de  quêter  dans  les  Etats  de  l'Eglise. 

3°  Les  rentes. 

Au  dix-huitième  siècle,  une  très  grande  partie  des  res- 
sources trinitaires  consistaient  en  rentes  ou  en  immeubles. 
Bunel,  avocat  au  Havre,  fut  chargé  par  le  procureur  général 
Gâche  de  vendre  une  maison,  possédée  en  cette  ville  par 
l'Œuvre  des  captifs  de  Paris,  moyennant  une  rente  foncière 
et  non  rachetable  de  3oo  livres  (i4  février  1778);  cette  oeu- 
vre avait  un  budget  distinct  de  celui  du  couvent. 

Certains  legs  étaient  versés  une  fois  pour  toutes,  comme 
les  600  livres  de  Pastourel  de  Montpellier  (1706)'  et  les 
5oo  livres  d'Etienne  Genève,  huissier  en  la  Cour  des  comptes 
de  cette  ville  (i653). 

Guillaume  Belin,  prêtre  et  ex-chancelier  de  l'église  d'Amiens, 
léjrua  4<w  livres  de  rente  pour  le  rachat  des  captifs  d'Abbe- 
ville,  de  Saint-Valéry  sur  Somme,  des  bourgs  de  Criel,  du 
Tréport  et  d'Ault  par  préférence  ;  les  religieux  devaient  s'en- 
tendre avec  les  échevins  de  ces  villes  et  les  marguilliers  de  ces 
bourgs1. 

Jean  Baudart,  vicomte  de  Caen,  avait  laissé  aux  captifs  une 
rente  de  10  écus  (i636).  Elle  ne  fut  pas  payée  régulière- 
ment, d'où  un  procès  où  le  célèbre  Patru  plaida  pour  les 
Mathurins  le  9  janvier  16483. 

1.  Pièce  a53. 

t.  Archives  nationales,  registre  LL  i545i  p-  ?3. 

3.  Bibliothèque  de  Marseille,  ms.  iîi6,  p.  190.  Autre  legs,  par  Elisabeth 
Bérsude,  aux  Trinitaires  d'Arles  en  1637.  Registre  AA,  p.  ig3. 


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34o  l'ordre  français  des  trinitaires. 

Une  renie  spéciale  était  constituée  par  la  Caisse  des  Rayon- 
nais. Denis  Dusault,  célèbre  par  ses  négociations  en  Bar- 
barie, avait  par  son  testament,  le  34  mai  1721,  destiné  aux 
captifs  une  rente  de  t,5oo  livres  :  la  somme  devait  être  dé- 
posée dans  un  coffre  à  deux  clefs,  dont  l'une  appartiendrait 
au  chef  de  la  famille,  l'autre  au  trésorier  des  captifs  à  Bayonne. 
S'il  ne  se  trouvait  pas  de  Bayonnais  à  racheter,  les  i,5oo  livres 
devaient  être  annuellement  partagées  entre  les  deux  ordres 
de  la  Trinité  et  de  la  Merci.  Le  petit-neveu  du  testateur, 
Noël  Dusault  d'Onzac,  ayant  assigné  cette  rente  sur  l'hôtel 
de  ville  de  Bayonne,  devenu  insolvable,  dut  se  reporter  à  la 
lettre  du  lesLament  de  son  grand-oncle  et  délivrer  aux  deux 
ordres  la  jouissance  du  legs,  alors  réduit  à  1,200  livres1 
(3i  décembre  1746). 

Il  faut  mentionner  ici  quelques  libéralités  extraordinaires, 
comme  celle  du  pape  Innocent  XII  :  il  légua  ^0,000  écus 
pour  la  rédemption  des  captifs,  qui  fut  opérée  en  1701  par  les 
Trinitaires  Déchaussés  et  donna  la  liberté  à  cent  quarante  et 
un  chrétiens3. 

i.  Archives  nationales,  S  4*4  ■• 

a.  Trinmphu*  mi*ericonliae,p.  128. 


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CHAPITRE  III. 


Les  marguilliers,  auxiliaires  laïques 
des  Trluitaires. 


Quoique  l'organisation  complète  des  marguilliers  n'appa- 
raisse qu'au  dix-septième  siècle,  il  est  à  présumer  qu'ils  exis- 
taient depuis  longtemps.  Dès  t36o,  un  ministre  de  Marseille 
afferme  le  produit  des  quêtes  pour  les  captifs  à  deux  négociants 
de  Toulouse;  à  Tarascon,  en  1429  et  en  i44o,  Rolet,  maître- 
précepteur  de  Saint-Antoine,  achète  à  Jean  Téte-d'Or,  prieur 
de  la  maison  de  la  Sainte-Trinité  de  Tarascon,  le  droit  de 
quêter  pour  les  captifs,  à  raison  de  3  florins  par  an1.  Cela 
paraît  tout  à  fait  analogue  aux  commissions  de  quêteur  qui 
seront  délivrées  au  dix-septième  siècle.  Des  projets,  dressés 
au  seizième  siècle  en  vue  de  la  rédemption,  mentionnent  for- 
mellement ces  marguilliers1. 

Au  cours  d'un  procès  entre  Trinitaires  et  Pères  de  la  Merci, 
un  certain  Canton  publia  (8  février  i638)  un  opuscule  ou  il 
ne  se  prononce  ni  pour  l'un  ni  pour  l'autre  ordre,  puisque 
l'essentiel  des  ressources  rédemptrices  doit  être  l'argent  déposé 
dans  les  «  bassins  »  de  toutes  les  paroisses  du  royaume.  Dans 


1.  Ces  indications,  tirées  des  archives  notariales  de  Tarascon  (Bouches- 
dn-Rhûne),  m'ont  été  fournies  par  Ma  Charles  Mmirret  (1429,  Chapati; 
i44o,  Mura  tari). 

a.  Bibliothèque  nationale,  manuscrit  français  15721. 


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342  L'ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAJRES. 

chacune,  dit  cet  auteur,  il  doit  y  avoir  des  marguiliiers  laï- 
ques :  ce  n'est  pas  le  devoir  des  religieux  de  faire  ces  quêtes; 
de  plus,  ils  ne  sont  pas  assez  nombreux  pour  les  faire  dans 
toutes  les  paroisses.  Le  marguillier  fera  a  courir  les  bassins  » 
chaque  dimanche,  sans  préjudice  d'une  quête  générale  une 
fois  l'an  ;  pour  le  prix  de  cette  charge,  il  donnera  4°  sous,  le 
commissaire  qui  investira  le  marguillier  ne  les  exigera  pas  s'il 
ne  les  veut  donner  de  bonne  grâce  ;  mais  alors,  il  ne  jouira  pas 
des  exemptions  du  logement  des  gens  de  guerre  et  ne  sera 
pas  dispensé  d'être  séquestre,  consul,  tuteur  et  curateur  '.  Les 
divers  habitants  seront  annuellement  marguiliiers  chacun  à 
leur  tour.  Par  contre,  le  commissaire  établi  dans  chaque  dio- 
cèse sera  perpétuel3.  Canton  exagère  le  rendement  probable 
des  bassins,  puisqu'il  compte  cent  vingt  mille  bourgs  en 
France  devant  donner  20  sous  pour  la  quête  des  moissons3 
et  20  sous  le  reste  de  l'année,  ce  qui  ferait  2^0,000  livres 
par  an. 

Un  seul  quêteur  à  la  fois  pouvait  convenir,  mais  l'évêque 
d'Uzès  prétendit,  à  la  session  de  1647  des  Etats  de  Langue- 
doc4, que  les  Pères  de  la  Merci 5  établissaient  parfois  plusieurs 
bassiniers  dans  la  même  ville,  ce  qui  augmentait  les  impôts 
pesant  sur  les  autres  habitants. 


1.  Voir  lettre»  du  roi  (18  janvier  1527)  dans  Germain,  /.'œuvre  de  la  ré- 
demption de*  captif»  o  Montpellier,  p.  35,  et  celles  du  5  janvier  i643den» 
Crédot,  Bulletin  de  tu  Société  hittoritjuc  de  Pirigord,  t.  VI,  p.  5oi.  Voit 

encore  Chamiand,   Quitta  dans  le  Briançonnait  pour  la  rédemption 

(Bulletin  de  la  Société  d'étude*  de*  Haatet-Alpe»,  iS84,  pp.  t\i  i-4i8). 

2.  Bibliothèque  de  l'Arsenal,  ms.  6828,  foi  383-387. 

3.  Cf.  Archives  départementales  de  l'Ariège,  Inv.  B  137,  p.  89,  «  quête 
es  temps  des  moissons  et  vendanges  ». 

4.  Histoire  de  Languedoc,  t.  XIII,  col.  264. 

5.  Les  prieurs-quêteurs  de  la  Merci  étaient  remplacés  chaque  année  le 
3o  août,  fêle  de  saint  Raymond  Nouât  (Dr  G.  Lambert,  oaor.  cité,  p.  $3). 


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LES    MARGUILLIERS.  343 

Il  pouvait  arriver,  en  effet,  que  l'on  demandât  une  commis- 
sion de  quêteur  uniquement  pour  s'exempter  de  charges  pen- 
dant un  an;  le  procureur  général  des  captifs  avait  donc  fort 
à  faire  pour  ne  point  commettre  de  double  emploi  et  bien 
.spécifier  les  avantages  assurés  au  bénéficiaire. 

Les  lettres  délivrées  aux  marguilliers  des  paroisses,  ainsi 
que  le  P.  Gâche,  procureur  des  captifs  à  la  fin  du  dix-huitième 
siècle,  le  fait  sans  cesse  remarquer,  comportent  «  l'exemption 
du  logement  des  gens  de  guerre,  la  dispense  de  toutes  gardes 
et  séquestration  de  biens  meubles  et  immeubles,  de  curatelles 
et  tutelles,  de  la  charge  de  consul  ».  Mais  elles  ne  compren- 
nent pas  l'exemption  de  la  corvée  pour  les  grands  chemins, 
ni  de  la  garde  bourgeoise  (lettre  du  ro  septembre  1 778),  ni  de 
la  milice  (17  avril  1780)'. 

A  la  fin  du  dix-huitième  siècle,  cette  organisation  des  mar- 
guilliers est  portée  à  son  plus  haut  point  de  perfection. 
Dans  un  certain  rayon,  un  commissaire  général  des  quêtes  a 
le  droit  d'en  nommer  dans  chaque  ville.  L'étendue  des 
fonctions  des  commissaires  dépend  de  leur  zèle  et  de  leur 
capacité.  Arlhial,  négociant  à  Marsac,  près  Ambert,  a  pour 
six  ans  les  diocèses  d'Autun,  Dijon,  Saint-Fiour,  Ciermout, 
Langres,  Chalon,  Nevers,  Auxerre  (26  mai  1779)  :  le  Puy  lui 
fut  retiré  parce  que  les  privilèges  des  Trinitaires  n'étaient  point 
enregistrés  au  Parlement  de  Toulouse(2!  février  1780). 

A  Bourges,  il  n'est  point  nécessaire  de  choisir  des  quêteurs 

spéciaux,  l'abbé  Pinturel  se  chargeant  de  tout;  en  1770,  il 

envoie  916  livres  le  ?4  mars  et  a,4oo  autres  le  1 1  mai  suivant. 

Rien  n'est  plus  variable  que  la  profession  de  ces  commis- 

1.  Cette  correspondance,  la  plus  ancienne  qui  ait  été  conservée  sur  cette 
matière,  étant  classée  par  ordre  chronologique  dans  le  registre  H  3989  des 
Archives  nationales,  je  me  contente  d'indiquer  la  date  des  lettres. 


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344  l'ordre  français  des  tributaires. 

saires.  A  Agen,  c'est  un  teinturier,  Lausun,  qui  est  chargé  de 

s'occuper  des  quêtes  (20  janvier  1779). 

La  commission  de  quêteur  devait  être  enregistrée  gratis  au 
greffe  de  la  sénéchaussée  et  devant  le  lieutenant  particulier1. 
En  1721,  les  Trinitaires  se  plaignant  qu'en  Rouergue  l'enre- 
gistrement n'eût  point  été  gratuit1.,  une  déclaration  royale  lit 
droit  à  leurs  réclamations  et  ordonna  aussi  que  chaque  quêteur 
fût  porteur  de  la  lettre  patente  et  de  l'homologation  du  Parle- 
ment et  de  la  Cour  des  aides. 

Les  commissions  expiraient  avec  le  général  :  en  mai  1780, 
à  la  mort  du  P.  Pichault,  il  fallut  les  renouveler  toutes. 

Le  commissaire  avait  le  droit  d'exiger  du  nouveau  mar- 
guillier  12  livres  pour  sa  promotion  (c'était  le  taux  à  Agen). 
Mais  à  Grenoble,  l'abbé  Champ,  curé  de  Saint-Laurent3,  exi- 
geait a4  livres.  «  Nous  craignons,  écrivit  Gâche,  qu'on  ne 
nous  soupçonne  de  faire  un  commerce  d'une  œuvre  de  charité 
et  que  ceux  qui  fournissent  cette  somme  croient  avoir  acheté 
le  droit  de  jouir  des  privilèges  attachés  à  leur  commission 
sans  en  exercer  les  fonctions  h  (i3  janvier  1778).  Il  conseille 
donc  de  délivrer  gratuitement  ces  commissions. 

Les  commissaires  recevaient  pour  les  quêteurs  les  homolo- 
gations du  Parlement  el  de  la  Cour  des  aides  (ai  février  1783), 
des  livres  de  confrérie  à  5  sols  pièce,  des  {scapulaîres  à 
110  sols  les  cent,  d'autres  scapulaires  brodés  avec  or  et  ar- 


1 .  Aux  Pays-Bas,  on  appelait  ces  quêteurs  des  placelé*,  à  cause  du  plactt 
a  donner  par  le  Conseil  de  Brabant. 

a.  Cf.  Bibliothèque  nationale,  F*  85o3,  On  se  réfère  aux  lettres  données 
pour  les  Pères  de  la  Merci  en  1716.  Les  officiers  de  la  généralité  demandaient 
35  ou  4o  livres  pour  l'enregistrement. 

3.  En  1774,  il  établit,  pour  quêter  à  Saint-Martin  de  Queyrières,  diocèse 
d'Embrun,  Pierre  Fauve,  qui  recueillait  annuellement  0  a  7  livres.  (Cua- 
bhand,  loc.  Ct't.) 


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LES    MAHGUILMERS.  345 

cent  à  ro  écus  les  trente  (ou  à  20  sous  pièce).  «  Au  reste, 
pour  le  prix,  nous  ie  laissons  à  la  volonté  des  personnes  qui 
en  demandent,  a  écrit  Gachc  à  Arlhiat  (5  août  1778). 

Ce  dernier  commissaire  éprouva  un  sérieux  ennui.  Deux 
faux  quêteurs  s'étant  dits  ses  mandataires,  M.  du  DefTaut, 
lieutenant-colonel  de  la  maréchaussée  à  Clermont-Ferrand, 
donna  ordre  un  peu  légèrement  d'arrêter  Arlhiat.  Le  P.  Gâ- 
che s'en  plaignit,  le  27  juin  1781,  à  M.  de  Castries,  ministre 
de  la  marine.  Il  fut  remis  en  liberté,  car  on  a  encore  des 
lettres  à  lui  adressées  en  1782  et  1783. 

Le  procureur  des  captifs  s'oppose,  en  principe,  à  ce  qu'il  y 
ait  plus  d'un  quêteur  et  d'une  paroisse  par  ville;  la  quête 
étant  faite  tous  les  dimanches,  la  multiplicité  des  quêteurs  et 
des  paroisses  eût  diminué  les  offrandes.  C'est  donc  avec  peine 
qu'il  consent  à  établir  une  seconde  caisse  à  Notre-Dame  de 
Beaune,  alors  qu'il  y  en  a  déjà  une  à  l'Hôtel-Dieu. 

Bien  souvent,  de  vives  compétitions  s'élevaient  entre  ceux 
qui  voulaient  se  faire  investir  des  fonctions  de  quêteurs. 
Gâche  propose  à  Arlhiat  de  lui  soumettre  à  lui-même  ces  no- 
minations, en  cas  d'embarras,  aimant  mieux  s'exposer  per- 
sonnellement à  la  rancune  de  l'éconduit.  Ecrivant,  le  19  juin 
1780,  au  baron  de  Lanlhonnye,  à  Tulle,  Gâche  propose  aussi 
de  nommer  les  quêteurs  sur  sa  présentation,  quitte  à  les 
refuser  dès  qu'il  y  en  aura  assez.  Le  commissaire  Lausun, 
d'Agen,  délivrait  les  brevets  de  quêteur  pour  trois  ans;  il 
préférait  donner  plusieurs  paroisses  à  un  seul  qu'en  nommer 
dans  chaque  paroisse.  11  devait  les  astreindre  à  faire  la  quête 
aux  jours  marqués,  à  rendre  compte  chaque  année  et  révo- 
quer les  négligents. 

Les  quêteurs  rencontrèrent  quelques  difficultés  dans  l'Est  : 
les  lettres  royales  du  24  février  1776  furent  enregistrées  par 


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346  l'ordre  français  des  trinitaires. 

le  Parlement  de  Nancy  le  25  novembre  1777,  avec  des  restric- 
tions fâcheuses  :  les  religieux,  disait-on,  feront  la  quête  par 
eux-mêmes  le  plus  possible  ou  par  des  délégués  qui  ne  pour- 
ront jouir  d'aucun  privilège,  et  l'emploi  de  tout  l'argent  sera 
contrôlé.  Le  P.  Gâche,  écrivant  à  Huem,  Trinitaire  de  Metz, 
exprime  la  crainte  qu'on  ne  puisse  trouver  des  quêteurs  assez 
désintéressés  (28  mai  1778).  Ces  restrictions  étaient  le  prélude 
de  la  suppression  générale  des  privilèges  des  quêteurs ,  le 
28  septembre  1782,  par  arrêt  du  Conseil  d'Etat  '.  C'était  la 
mort  des  quêtes  :  beaucoup  de  préposés  «  remercièrent  m  et 
il  ne  se  présenta  personne  pour  les  remplacer.  A  partir  de 
cette  date,  la  correspondance  du  procureur  des  captifs  se 
réduit  à  l'accusé  de  réception  des  sommes  envoyées  par  les 
couvents. 

La  clause  d'un  traité  conclu  en  1663  à  Tunis,  par  Biaise  de 
Bricard1,  nous  donne  à  entendre  que  l'argent  recueilli  par  les 
marguilliers  avait  pour  destination  spéciale  le  rachat  des 
Français  pris  sous  pavillon  étranger  et  non  déserteurs. 


1.  IsAHBsnT,  au  mol  qiiMe. 

a.   Plantkt,  Correspondance...  de  Tunis,  t.  I,  p.  169. 


■doyGoo^Ie 


CHAPITRE  IV. 


Les  Confréries  de  la  Rédemption, 


Dans  un  ouvrage  imprimé  à  Lyon  en  1667,  le  P.  Caignet 
définit  la  confrérie  «  une  société  de  plusieurs  fidèles  qui ,  de 
l'autorité -du  supérieur  ecclésiastique,  sont  unis  en  la  partici- 
pation de  quelques  spéciales  faveurs  spirituelles1  ».  Primiti- 
vement, les  confrères  s'entendent  simplement  pour  célébrer  un 
office  annuel  ou  «  luminaire  »  à  certains  jours,  comme  le 
dimanche  de  la  Trinité  ou  le  jour  de  Sainl-Roch,  pour  prendre 
des  dévotions  trinitaires.  En  1 36g,  Gassenetle  Duplessis  lègue 
une  terre  près  de  l'église  de  la  Trinité  d'Arles,  afin  d'y  faire 
construire  une  maison  pour  les  prieurs  et  les  confrères1.  A 
cette  date,  le  but  assigné  à  la  confrérie  d'Arles  est  aussi  bien 
l'entretien  de  l'église  et  la  restauration  de  l'hôpital  que  la 
rédemption  des  captifs3.  En  i586,  François  Bouchet,  commis- 
saire et  réformateur  général  de  l'ordre  en  Italie,  permet  au 
ministre  de  Naples  l'établissement  de  confréries  destinées  à 
faciliter  la  construction  de  ce  nouveau  couvent4. 


1.  La  sainte  Confrérie  sous  le  titre  du  Rédempteur,  p.  1, 

2.  L'acte  est  passé  en  présence  du  ministre  et  des  deux  prieu 
confrérie  (Bibl.  Nat„  n.  acq.  lat.  i3i5,  p.  458). 

3.  Bibl.  d'Arles,  ras.  iyy,  p.  106. 

4.  Pièce  [38. 


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348  L'ORDRE    FRANÇAIS    DBS   TRINITAIRES. 

Ce  n'est  donc  que  relativement  tard  que  se  spécialisèrent  les 
confréries  trinitaires.  La  tentative  de  nos  religieux  pour  leur 
donner  une  antiquité  reculée  est  vaine.  Calvo  '  le  reconnaît 
(p.  37)  :  <i  La  bula  en  que  fnocencio  III  concedio  facaldad  a 
los  ghriosos  patriarcas  para  fundar  cofradias  no  se  en- 
cuentra.  »  De  même,  la  bulle  de  1219,  permettant  d'admettre 
comme  confrères  ceux  qui  donnent  une  partie  de  leurs  biens, 
n'est  pas  très  probante.  Raymond  de  Pallas,  qui  publia  en 
i685,  à  Marseille,  une  Institution  de  la  sainte  Confrérie', 
rapporte  à  i584  l'institution  du  tiers  ordre,  que  la  définition 
de  Michel  Caisrnel  semble  assimiler  à  la  confrérie;  la  plupart 
des  confréries  que  nous  connaissons  datent  d'ailleurs  du  dix- 
septième  siècle. 

Ce  n'est  pas  à  dire  qu'antérieurement  les  Trinitaires  ne  se 
soient  pas  adressés  aux  fidèles  pour  leur  recommander  la  ré- 
demption des  captifs  et  leur  apporter  des  indulgences,  que 
chaque  p,ape  à  son  tour  renouvelait.  Au  seizième  siècle,  on  en 
composait  déjà  de  vrais  recueils.  1-e  plus  ancien  que  j'aie  ren- 
contré est  intitulé  le  Pardon  général  de,  la  sainte  Trinité  et 
Rédemption  des  captifs  (i5ii).  Il  a  été  publié  par  M.  Rouver, 
dans  le  Bulletin  de  la  Société  de  l'histoire  de  Paris,  en  i8o3, 
et  peut  être  résumé  ainsi  : 

Les  infidèles  ont  mis  à  feu  et  à  sang  des  terres  chré- 
tiennes (sans  doute  allusion  au  sac  d'Otrante  par  Bajazet  II, 
en  1496).  Les  «  nobles  seigneurs  »  de  l'ordre  de  la  Sainte- 
Trinité,  «  ordonnés  de  Dieu  »  pour  passer  outre-mer,  ont 
racheté  beaucoup  de  chrétiens  (en  i5o5);  afin  de  se  procurer 
d'autres  ressources,   ils  sont  allés  trouver  le   pape  Jules  II, 

1.  Calvo  est  le  plus  impartial  des  historiens  trinitaires  et  ce  détail  moutir 
sa  franchise. 

a.  Bibliothèque  de  Marseille,  CK  80  26. 


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LES    CONFRÉRIES    DE    LA    REDEMPTION.  349 

qui  leur  a  ouvert  les  trésors  de  l'église,  c'est-à-dire  les  indul- 
gences :  car,  même  dans  les  années  de  jubilé  {aux  termes 
d'une  bulle  de  M74),  elles  ne  sont  point  suspendues  pour  les 
T militaires.  Le  pape  accorde  aux  bienfaiteurs  la  permission 
«  d'élire  »  un  confesseur  '  qui  puisse  les  absoudre  tous  les 
ans,  sauf  des  cas  réservés  au  Saint-Siège,  et,  une  fois  en  leur 
vie,  leur  conférer  l'absolution  générale,  sans  remise  des  peines 
du  purgatoire.  II  donne  cette  absolution  générale  à  tous  les 
bienfaiteurs  qui  mourraient  dans  l'année.  L'entrée  dans  la 
confrérie  coûte  3o  deniers  par  personne2  et  la  cotisation  est 
de  5  deniers  par  an.  Pour  l'Espagne,  Diego  de  Gayangos  de- 
manda des  équivalents  en  monnaie  du  pays  ;  l'entrée  fut 
taxée  à  un  réal  d'argent,  la  cotisation  annuelle  étant  d'un 
demi-réai. 

Ces  confrères  recevaient,  au  dix-huitième  siècle,  un  diplôme 
du  général  des  Trinitaires,  qui  les  faisait  participants  des 
indulgences  accordées  par  le  Saint-Siège  «  en  prodigieuse 
multitude3  »,  comme  s'exprime  Claude  de  Massac,  qui  spécifie 
que  son  ordre  est  établi  pour  le  rachat  des  esclaves  catholi- 
ques4. «  L'habit  de  ces  confrères,  dit  M.  Veuclin,  était  une 
casaque  blanche,  marquée  de  croix  rouges  et  bleues  »,  autre- 
ment dit  un  scapulaire,  qui  ressemblait  à  ceux  des  religieux. 

En  i554,  le  provincial  de  Caslille  demanda  que  le  scapu- 
laire de  Un  avec  croix  bleue  el  rouge  des  confrères  comportât 


1.  Le  concile  de  Trente  et  Clément  VIII  (7  décembre  i6o4)  exigent  que  ce 
confesseur  soit  approuvé  par  l'ordinaire  (Ballairc,  p.  108), 

a.  Ce  droit  était  de  2  francs  à  Paris  en  i4o3  (Charlalariarn  CnioertilaiU, 
t.  IV,  p.  76). 

3.  Ballaire,  pp.  307-209  (13  mai  1492). 

4-  Les  nominations  de  confrère  de  l'ordre  de  la  Merci  sont  à  peu  près 
semblables.  La  Bibliothèque  de  l'Arsenal  en  possède  une  formule,  imprimée 
pour  Cloud  Cheviilard,  vicaire  générai  de  la  Congrégation  à  Paria. 


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35o  l'ordre  français  des  TIUMTAIRES. 

les  mêmes  privilèges  que  le  scapulaire  de  laine  porté  par  les 
Frères  de  l'ordre  '.  Le  pape  y  consentit,  le  g  janvier  i555'. 
Ce  scapulaire  est  un  morceau  carré  de  laine  blanche,  avec 
deux  petites  bandes,  l'une  bleue,  l'autre  rouge;  outre  la  taxe, 
les  fidèles  doivent  envoyer  à  Home,  au  couvent  de  Saint- 
Charles-des-Qualre-Fontaines,  des  aumônes  pour  le  rachat  des 
captifs 3. 

On  pouvait  encore  aider  à  cette  bonne  œuvre  par  l'achat  de 
livrets  d'indulgences.  Un  recueil  de  1602  est  taxé  â  trois  ma- 
ravedis  la  feuille  au  profit  des  captifs*.  Il  est  fait  mention 
aussi  de  cette  destination  dans  le  Livre  des  privilèges  et  in- 
dulgences, publié  par  Claude  Ralle. 

Indépendamment  de  la  grande  confrérie  où  tous  les  fidèles 
pouvaient  entrer,  il  y  avait,  en  divers  lieux,  des  réunions 
plus  restreintes  à  recrutement  local  portant  ce  même  nom. 

Toute  confrérie  de  la  rédemption  des  captifs  devait  être 
confirmée  par  l'évêque  ou  son  vicaire  général.  En  1686,  un 
Trinitaire  Réformé,  procureur  des  Captifs,  Bruno  le  Clerc, 
ayant  demandé  à  l'archevêque  de  Vienne  l'autorisation  d'éri- 
ger lui-même  des  confréries  partout  où  il  serait  nécessaire,  le 
prélat  lui  permit  seulement  de  recueillir  les  quêtes  dans  les 
lieux  où  les  confréries  ont  été  établies  et  non  d'en  ériger  de 
nouvelles5  (11  mai  1686) 


1.  Le  port  (le  ce  scapulaire  était  pour  les  confrères  la  condition  néces- 
saire du  gain  des  indulgences  (bulle  du  ag  août  1716). 
a.  Bullaïre,  pp.  257-208. 

3.  GninALDi,  Les  Congrégations  romaines,  p.  53g.  —  La  taxe  est  de 
3  5  centimes. 

4.  Lu  institution  y  Jandac.ion  y  snmario  de  indidgencias  del  orden  de 
lu  S.  T.  Salamancn,  1602  (Bibl.  Nul.,  H  i5388). 

5.  Manuscrit  de  Lyon  282  (ronds  Conte),  pièce  226.  I/ëvêquc  donnait  son 
mandement  pour  faire  publier  les  indulgences  (Annuaire  de  l'Yonne,  1898, 


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LBS    CONFRERIES    DE   LA    RÉDEMPTION.  35 1 

Dans  les  villes  où  les  Trinitaircs  n'avaient  pas  de  couvent, 
ces  confréries  sont  érigées  dans  des  églises  d'autres  religieux 
ou  dans  des  paroisses.  On  en  voit  à  Vienne  (Isère),  à  Dole, 
à  Besançon,  à  Dijon,  à  Amiens  ',  à  Saint-Omer 3,  aux  Sables- 
d'Olomie,  à  Saînt-Àubin-le-Guichard  (Eure),  etc. 

Cette  dernière,  étudiée  par  M.  Veuclin3  en  1886,  s'occupa 
depuis  j64g  de  la  rédemption  des  captifs;  elle  était  présidée 
par  des  chefs  qu'on  appelait  rois  (ce  terme  existait  aussi  à 
Douai,  au  dire  du  P.  Ignace);  ses  membres,  au  nombre  de 
treize,  étaient  alternativement  rois.  Le  rot  venait,  chaque 
année,  rendre  compte  de  sa  gestion  au  général  de  l'ordre,  à 
Paris. 

11  y  avait  aussi  des  confréries  de  la  rédemption  dans  les 
Pays-Bas*.  Celles  de  Saint-Eloi  de  Dunkerque  5  et  de  Gand 
furent  particulièrement  célèbres  :  Tournai  en  avait  même 
deux,  une  à  Saint-Quentin  et  une  à  Saint-Brice.  Deux  exis- 
taient aussi  à  Bruxelles;  celle  de  Notre-Dame-de-ia-Chapelle 


pp.  îjï-îth).   (1  entendait  les  comptes  de  la  Confrérie  des  captifs  de  Mar- 
seille, d'après  un  arrêt  du  Parlement  d'Aix  du  13  février  i6gi. 

i.  Elle  existait  encore  le  3o  avril  1791.  Un  chanoine  de  la  cathédrale,  offi- 
ciai du  diocèse,  en  était  administrateur  (Arch.  nat.,  S  4278,  n*>  22). 

2.  [44  livres  furent  données  pour  honoraires  d'un  mémoire  pour  les  cap- 
tifs eontre  les  confrères  de  la  Saiate-Trinilé  à  Saint-Omer  (5  sept.  1781). 
fbid. 

3.  Le  même  auteur  a  publié  aussi  :  Docame/tts  concernant  /es  Confré- 
rie» de  charité  normande»;  Evreux,  1892. 

4-  Voici  la  liste  des  plus  connues  :  Anvers,  Ath,  Binche,  Braine-Ie- 
Comle,  Bruxelles,  Ecaussine-Sainle-Aldegonde,  Louvain,  Malines,  Gram- 
mont,  Lodelinsart,  Eghesée,  Spontin,  Mouslier-sur-Sambre,  Namur  (Notre- 
Dame  et  Sainte-Croix),  Lierre,  Soigniea,  Perwez,  Tiriemont.  La  plupart 
avaient  été  érigées  par  le  P.  Bernard  Paradis,  ministre  d'Orival,  vers  1750. 

5.  Voir  dans  les  publications  du  Comité  Flamand  :  Annales,  t.  II,  pp.  i3i, 
319,  3&7;  Bulletin,  t.  II,  p.   357,  avec  l 'indication  de  manuels  d'indul- 


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352  l'ordre  français  des  trinjtaires. 

remontait  à  i3o.o,  mais  les  Trinitaires  ne  s'y  étaient  implan- 
tés qu'en  1 644-  II  n'est  presque  aucune  ville  belge  qui  n'en 
ait  eu-  Le  3o  octobre  1771,  par  suite  d'une  dépêche  du 
37  juillet  précédent,  leurs  recteurs  reçurent  du  gouvernement 
impérial  le  questionnaire  suivant  :  Y  a-t-il,  dans  votre  ville, 
des  confréries  de  la  rédemption?  Quelles  sont  leurs  ressour- 
ces? Rendent-elles  des  services?  En  cas  de  suppression,  que 
faudrait-il  faire  de  leurs  biens?  Les  réponses,  nombreuses  et 
intéressantes,  constatent  que  la  plupart  des  confréries  son! 
riches.  Celle  de  Gand,  de  trois  en  trois  ans,  distribue,  comme 
dividende,  des  deniers  qui  excèdent  le  fonds  fixe  des  captifs. 
Elle  a  un  fonds  de  réserve  de  6,000  florins,  qui  pourrait  suf- 
fire à  la  rédemption  de  sept  ou  huit  captifs;  or  elle  n'en  a 
racheté  que  trois  ou  quatre  depuis  trente  ans  (avril  1773). 

Celle  de  Mons  n'a  pas  de  revenus  fixes  ;  elle  dépense  beau- 
coup en  argenterie  et  en  ornements;  les  quêtes  du  jour  de 
la  Sainte-Trinité  et  de  l'octave  de  Sainte-Agnès  sont  réservées 
au  rachat  des  captifs;  les  «  mainbours  »  remettent  ce  qu'ils 
ont  au  supérieur  de  Lens  (ou  à  celui  d'Audregnies)  sans  don- 
ner de  compte  (18  novembre  177 1). 

Les  confréries  de  Namur,  écrit  le  curé  Dupaix,  sont  «  des- 
tituées de  revenus  fixes  »  et  n'ont  aucuns  biens-fonds.  La  col- 
légiale n'a  qu'une  rente  «  rédimable  »  de  5o  ou  60  florins  et 
les  quêtes.  Les  petites  confréries  de  la  campagne  (Lodelin- 
sart,  Eghesée,  etc.)  remettent  leurs  recettes  au  ministre 
d'Orival,  établi  comme  receveur  par  le  général'  (i4  sep- 
tembre 1771)- 

Sur  l'utilité  de  ces  confréries,  les  réponses  sont  généra- 


1 .  Bernard  Paradis  avait  recollé  a5,ooo  livres  e 
déjà  reçu  9,000  autres  en  1763. 


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LES    CONFRÉRIES    DE    LA    REDEMPTION.  353 

lement  négatives.  Il  y  avait  très  peu  de  captifs  à  racheter 
dans  les  Pays-Bas.  Pourtant  la  confrérie  d'Anvers,  qui  avait 
en  dépôt  ïï5,ooo  florins  confiés  par  des  Hollandais  qu'on  ne 
nomme  pas,  pour  ne  pas  les  compromettre,  a  racheté  un  capi- 
taine et  son  équipage.  Mais  elle  ne  s'est  pas  servie  du  canal 
des  Trinilaires  et  a  envoyé  des  lettres  de  change  à  Marseille. 
On  a  recours  aussi  à  des  banquiers  qui  font  tenir  l'argent 
au  procureur  général  de  l'ordre,  à  Paris. 

Parfois  se  manifeste  la  défiance  contre  les  religieux.  On 
demande  qu'aucun  argent  ne  leur  soit  donné  ',  on  exprime  le 
souhait  que  tous  les  potentats  de  la  catholicité  s'unissent  pour 
mettre  fin  à  la  piraterie,  car  ces  rançons  atteignent  un  prix 
exagéré  qui  excite  la  cupidité  des  pirates. 

Quant  aux  biens  de  ces  confréries,  quelques  curés  vou- 
draient bien  les  voir  dévolus  à  leurs  œuvres.  La  Table  des 
pauvres  de  Gand  demanderait,  en  cas  de  suppression  de 
celle-ci,  l'excédent  de  la  confrérie  Saint-Nicolas",  car  «  ces 
pauvres  sont  une  espèce  de  captifs  ».  A  Tournai,  on  propo- 
sait de  soutenir  a  les  familles  honnêtes  dont  les  affaires  se- 
raient dérangées  »  et  les  prisonniers  pour  dettes,  ou  même 
de  secourir  les  veuves  des  militaires,  etc. 


i .  a  Nous  avons  remarqué  que  des  sommes  nolables  des  fonds  des  confré- 
ries se  dissipent  en  aumônes  à  des  Trinilaires  ou  de  soi-disant  tels,  ou  à 
d'autres  mendiants  pour  la  rédemption  de  leurs  parents  ou  amis,  qui  tous  le 
plus  souvent  ne  sont  que  des  vagabonds  et  coureurs  de  pais  qui  emprun- 
tent ce  dehors  pour  d'autant  mieux  réussir  dans  le  fainèantùme  et  la  men- 
dicité; du  moins  est-il  moralement  certain  qu'ils  dépensent  les  argens  qu'ils 
reçoivent  peadaot  leurs  courses  et  qu'il  n'en  oient  aucune  partie  â  ta 
destination,  i  U  P.  Daumerie  répondit  point  par  point  à  cette  diatribe. 
Pièce  329. 

2.  La  confrérie  était  encore  en  178g  en  relations  avec  MM.  Gimon  frè- 
res, à  Marseille,  et  leur  donnait  des  ordres  pour  racheter  à  proportion  de 
leurs  fonds. 


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354  l'ordre  français  des  trinitairgs. 

A  part  ces  exceptions,  tous  les  correspondants  des  conseil- 
lers enquêteurs  Huvlen  et  Lîmpens  disent  qu'on  tarirait  les 
charités  du  peuple  en  changeant  la  destination  des  fonds. 

Un  curé  de  Namur  propose  comme  remèdes  aux  abus  d'as- 
signer un  district  aux  quêteurs,  de  leur  donner  gratuitement 
un  placet  tous  les  trois  ans,  d'autoriser  le  placeté  à  se  faire 
rendre  compte  par  les  mainbours  des  confréries,  qui  rece- 
vraient une  quittance.  Le  doyen  de  la  collégiale  de  Namur, 
homme  très  capable,  centraliserait  le  produit  des  confréries; 
chaque  année,  il  transmettrait  le  produit  au  gouvernement, 
qui  statuerait  sur  sa  destination.  Il  serait  interdit  aux  main- 
bours de  remettre  les  aumônes  à  d'autres  qu'aux  placetés. 
Les  collecteurs  contrevenants  seraient  punis  comme  voleurs. 

En  même  temps  que  les  couvents  trinitaires  furent  suppri- 
més, tous  leurs  biens  sans  exception  et  tous  les  produits  des 
confréries  durent  entrer  dans  la  Caisse  de  Religion,  Jo- 
seph II  avant  déclaré  que  les  deniers  seraient  employés  au 
rachat  de  ses  sujets  des  Pays-Bas  qui,  sans  être  au  service 
d'une  puissance  étrangère,  auraient  eu  le  malheur  de  tomber 
dans  la  captivité  des  Barbaresques. 

Par  un  hommage  rendu  à  nos  religieux,  le  Comité  de 
la  Caisse  de  Religion  s'informa  de  quelle  manière  ceux-ci 
procédaient  au  rachat.  Pour  quelques  années,  on  possède  le 
tableau  des  enquêtes  faites  par  ordre  du  Comité.  Brandel, 
agent  du  commerce  de  Sa  Majesté  l'empereur  et  roi  à  Alger, 
envoie  une  liste  de  douze  esclaves  ;  une  enquête  est  faite 
dans  le  pays  d'où  ils  prétendent  être  :  dans  le  nombre,  trois 
sont  Flamands,  deux  Luxembourgeois,  un  des  pays  rétro- 
cédés '  ;  les  autres  sont  ou  déserteurs  ou  étrangers. 

i.  Archives  de  la  Caisse  de  religion,  carton  z4>- 


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LES    CONFRERIES    DE    LA    REDEMPTION.  355 

Après  les  confréries  des  Pays-Bas,  les  plus  importantes  se 
fondèrent  dans  la  Provence,  où  elles  étaient  bien  plus  néces- 
saires. Le  25  juin  1637,  dès  l'établissement  des  Trinitaires  à 
La  Cadière,  il  est  spécifié  qu'ils  érigeront  une  confrérie  et 
que  les  deniers  qui  leur  seront  «  aumônes  »  seront  employés 
au  rachat  des  captifs,  de  préférence  à  ceux  de  la  Cadière. 
En  i645,  Raymond  de  Pallas  érigea  une  confrérie  à  Salon, 
où  les  Trinitaires  n'ont  jamais  eu  de  couvent'. 

Les  confréries  d'Arles1  et  de  Marseille  méritent  une  men- 
tion particulière,  à  cause  de  leur  caractère  spécial  de  Com- 
pagnie de  Pénitents.  A  Arles ,  les  Pénitents  noirs ,  fondés 
d'abord  dans  l'église  des  Carmes,  vinrent  en  i54o,  afin  de 
concourir  à  la  réception  des  captifs,  s'agréger  à  l'ordre  de 
la  Trinité. 

La  confrérie  des  Pénitents  blancs  de  la  Trinité  de  Mar- 
seille est  liée  trop  intimement  à  ce  couvent  pour  être  étudiée 
ici  en  détail.  Un  de  ses  membres  lui  a  d'ailleurs  consacré, 
en  i853  3,  un  rapport  qui  nous  renseigne  suffisamment.  Les 
démêlés  nombreux  de  ces  Pénitents  avec  nos  religieux  n'au- 
raient point  dû  faire  oublier  à  ces  derniers  que,  grâce  à 
l'existence  du  Bureau  de  la  rédemption  à  Marseille,  les  Tri- 
nitaires ne  souffrirent  pas  de  la  concurrence  des  Pères  de  la 
Merci.  Un  religieux  de  cet  ordre  avoue  de  bonne  grâce,  dans 
une  lettre  écrite  en  1708,  que  les  Trinitaires  recueillent 
m  écus  à  Marseille,  pendant  que  les  Mercédaires  en  ramas- 
sent péniblement  un  dans  le  reste  de  la  Provence. 

1.  Pièce  ig3. 

2.  Je  ne  parle  que  de  celles  de  la  rédemption  des  captifs,  car  il  y  avait 
aussi  à  Arles  une  célèbre  confrérie  de  Saint-Roch,  dont  les  reliques  se  trou- 
vaient dans  l'église  des  Trinilaires. 

3.  Je  dois  celte  brochure  à  la  haute  bienveillance  de  M.  l'abbé  Ollivier, 
vicaire  général  de  Marseille. 


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356  l'ordre  français  des  tri.\«taires. 

Le  Bureau  de  la  Rédemption  suivit,  en  1776,  le  couvent  Iri- 
ni  taire  dans  sa  descente  au  quartier  Saint-Ferréol.  Il  confia 
maintes  fois  ses  fonds  aux  religieux  pour  le  rachat  de  captifs 
marseillais  déterminés,  sans  préjudice  de  nombreuses  avan- 
ces. En  1791,  les  Trinitaires  étaient  encore  redevables  au 
Bureau  de  21,400  livres,  du  fait  de  leur  dernière  rédemption. 

La  Chambre  de  commerce  de  Marseille  peut  être  rangée 
parmi  les  plus  utiles  auxiliaires  des  Trinitaires.  C'est  au 
député  du  commerce  que  nos  religieux  envoient  l'argent  des- 
tiné à  un  rachat  particulier.  Les  membres  de  la  Chambre, 
mettant  leur  zèle  au  service  des  Trinitaires,  s'inscrivirent 
maintes  fois  dans  les  quêtes  générales1  et  s'occupèrent, 
notamment  en  1785,  de  faire  le  change  très  difficile  de  la 
forte  somme  nécessitée  par  le  rachat  de  trois  cent  quinze 
captifs. 

les  pièces  33i,  335,  336. 


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CHAPITRE  IV. 


Conllits  entre  Trinitaires  et  Pères  de  la  Merci. 


L'ordre  de  la  Merci,  souvent  confondu  avec  l'ordre  des  Tri- 
nitaires ou  considéré  à  tort  comme  une  simple  «  réforme  »  de 
celui-ci,  resta,  on  ne  sait  pourquoi,  plus  populaire.  Le  Bré- 
viaire romain  de  i685  appelant  saint  Jean  de  Matha  et  Saint 
Félix  de  Valois  premiers  fondateurs  des  Pères  de  la  Merci, 
ceux-ci  protestèrent  très  vivement.  Bossuet,  prononçant  le 
panégyrique  de  saint  Pierre  Nolasque  dans  l'église  des  Pères 
de  la  Merci  de  Paris,  a  retracé  brillamment  la  vie  légendaire 
du  saint  et  la  beauté  de  l'oeuvre  de  la  rédemption,  mais  il 
ne  semble  pas  se  douter  que  la  première  idée  de  l'institution 
d'un  ordre  rédempteur  n'appartient  point  à  son  héros. 

La  date  de  l'institution  de  l'ordre  de  la  Merci,  fixée  au 
10  août  1218  par  ses  historiens,  a  été  ramenée  à  mi  et 
même  à  1228,  en  raison  des  concordances  fournies  par  les 
dates  bien  établies  de  la  vie  du  dominicain  saint  Raymond 
de  Pennafort.  Donc,  vingt-cinq  a  trente  ans  après  la  fonda- 
tion de  l'ordre  de  Saint-Jean  de  Matha,  un  gentilhomme  de 
Languedoc,  Pierre  Nolasque,  piqué  d'émulation,  fonda  à  Bar- 
celone une  congrégation  mi-laïque,  mi-religieuse,  qui  fut  mise 
sous  le  vocable  de  Notre-Dame  de  la  Merci  et  reçut  de  l'évê- 
que  Bérenger  de  la  Palu  (assez  singulièrement  revendiqué 


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358  l'ordre  français  des  trimtaires. 

comme  Trinitaire  par  le  P.  Calvo)  l'hôpital  de  Sainte-Eulalîe, 

ce  qui  fait  que  les  Pères  de  la  Merci  sont  parfois  appelés  de 

Sainte-Eulalie.    Les  bulles   des  papes,    notamment  celle  de 

Grégoire  IX,  du  mois  de  janvier  i23.'i,  sont  adressées  :  Petro 

Nolasco  magistro  ho&pitalis  Sancle  Eulalie  apud  Barchi- 

nonem. 

Jusqu'en  i3 17,  le  maître  général  de  la  Merci  fut  laïque;  au 
dix-huitième  siècle  encore,  cet  ordre,  semblable  à  d'autres 
corps  religieux  espagnols,  aimait  à  se  dire  ordre  militaire. 
Il  fut  honoré  d'une  protection  spéciale  par  le  roi  d'Aragon, 
qui  lui  donna  pour  armes  l'écu  d'or  timbré  de  sa  couronne'. 

Les  Pères  de  la  Merci  sont  très  fiera  du  vœu  spécial,  imposé 
-'par  leurs  constitutions,  de  rester -en  otages  pour  faciliter  la 
rédemption,  mais  il  est  juste  de  remarquer  que  les  Trini- 
taires,  sans  être  obligés  par  un  semblable  vœu,  ont  su  faire 
à  l'occasion  preuve  de  dévouement  :  quelques-uns  sont  même 
morts  en  captivité,  comme  le  P.  de  Monroy  en  162a,  et  le 
P.  Hérault  en  16^6.  Ce  «  quatrième  voeu3  »  a  magnifiquement 
inspiré  Bossuel  :  «  S'il  manque  quelque  chose  au  prix  [de  la 
rançon],  dit  l'orateur,  il  offre  un  supplément  admirable  :  il 
est  prêt  è  donner  sa  propre  personne;  il  consent  d'entrer 
dans  la  même  prison,  de  se  charger  des  mêmes  fers,  de  subir 
les  mêmes  travaux.  » 

Les  Trinitaires  virent  d'un  mauvais  œil  cette  fondation  des 
Pères  de  la  Merci.  Est-il  vrai  de  dire  qu'ils  avaient  négligé3 
la  rédemption  des  captifs  en  Espagne?  Tout  nous  fait  croire 


1.  Elle  portait  quatre  pain  rouçes,  appelés  d'ordinaire  la*  enatro  barrât 
sangrientts  de  Aragon. 

2.  Il  s'ajoute  auv  trois  vœnœ  ordinaire*  (pauvreté,  chasteté,  obéissance). 

3.  Penia,  biographe  de  saiut  Raymond  de  l'ennafort  en  1601,  le  croit  : 

captt'i'Oram  redimendi  considerabal  negligentiam. 


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CONFLITS    AVEC    LES    PÈRES    DE    LA    MERCI.  359 

le  contraire.  Il  y  avait  assez  de  captifs  à  racheter  en  Espagne 
pour  qu'il  ne  fût  pas  trop  de  deux  ordres  pour  s'en  occuper. 
Sans  parler  ici  de  la  lutte  littéraire  où  chaque  ordre  écrivit,  de 
son  côté,  l'histoire  religieuse  espagnole  du  treizième  siècle,  il 
y  eut,  dès  le  quatorzième  siècle,  dans  ces  royaumes,  des  con- 
flits à  l'occasion  des  quêtes  entre  les  deux  ordres  rédemp- 
teurs. Les  religieux  de  l'ordre  de  la  Merci,  plus  spécialement 
espagnols  (le  chapitre  général  se  tenait  deux  fois  de  suite  en 
Aragon,  la  troisième  fois  en  Castille  ou  en  Navarre),  eurent 
plutôt  l'avantage  en  Espagne.  A  la  fin  du  dix-huitième  siècle, 
les  Trimtaires  combattaient  encore  juridiquement  le  prétendu 
patronage  royal  et  la  «  privative  »  de  racheter,  soi-disant 
donnée  aux  Mercédaires. 

Sur  ces  premiers  conflits,  les  Trinitaïres  ont  été  peu  expli- 
cites. Gaguin  a  parlé,  dans  une  phrase  d'ailleurs  peu  claire, 
d'une  lutte  avec  les  Frères  de  Sainte-Eulalie  vers  i36o,  au 
sujet  du  couvent  de  Burgos.  Dès  cette  époque ,  les  deux 
ordres  étaient  tous  deux  en  possession  des  mostrencos  et  des 
quintos1,  en  vertu  de  privilèges  communs.  Mais  il  y  en  avait 
de  spéciaux,  à  l'occasion  desquels  s'exerçait  l'ingénieuse  riva- 
lité des  concurrents.  Les  Trinitaires  venaient,  par  exemple, 
trouver  le  roi  de  Castille  ou  même  le  pape,  qui  aimablement 
leur  accordait  un  privilège.  Les  Pères  de  la  Merci  venaient  se 
plaindre  de  cette  concession  aux  Trinitaires  comme  leur  por- 
tant préjudice.  Alors,  le  roi  trouvait  un  motif  de  «  subreplion  », 
fondé  sur  l'omission  de  quelque  clause  dans  la  requête  des 
Trinitaires  pour  révoquer  le  privilège  de  ceux-ci,  et  en  con- 
férait aux  Pères  de  la  Merci,  etc.  Ce  jeu  de  bascule  dura 
deux    siècles;   chacun    des   ordres   rivaux,   «  par  une  hahi- 

l.  Voir  l 'avant-dernier  chapitre: 


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36o  l'ordre  français  des  tributaires. 

tude  ordinaire  aux  quêteurs,  mit  la  faux  dans  la  moisson 
d'autrui'  ».  Enfin,  l'Espagne  fut  unifiée;  l'Aragon  et  la 
Castille  n'eurent  plus  qu'un  maître.  En  i5a7,  Charles-Quint 
fit  une  louable  tentative  pour  réconcilier  les  deux  ordres.  Le 
3o  juillet*  fut  signé  à  Valladolid,  entre  trois  Trinilairea 
et  trois  Mercédaires,  un  traité  en  dix-sept  articles  «  pour  la 
paix  et  la  tranquillité  entre  les  parties  »  ;  il  contenait  les  sti- 
pulations suivantes  : 

Il  y  aura  fraternité  entre  les  deux  ordres.  Les  bassins 
h  mostrencos  »  et  «  algaribos  m  seront  également  répartis  et 
l'Espagne  sera  partagée  entre  eux. 

Pour  les  biens  communs,  lorsqu'un  des  deux  ordres  ne  fera 
pas  de  rédemption,  il  sera  fait  un  compte  spécial. 

On  ne  pourra  prêcher  deux  tournées  de  suite  avec  les  mêmes 
bulles. 

Si  les  deux  ordres  font  simultanément  un  rachat,  les  quê- 
teurs respectifs  seront  au  moins  à  80  lieues  de  distance. 

Chaque  ordre  invitera  son  concurrent  aux  processions  qu'il 
fera. 

Les  deux  ordres  se  communiqueront  leurs  privilèges. 

Chacun  aura  deux  prédicateurs  généraux  de  la  rédemption, 
qui  feront  un  sermon  sur  la  bulle  commune. 

Aucun  ne  dissipera  à  son  profit  l'argent  de  la  rédemption. 

Chacun  aura  des  troncs  dans  ses  couvents;  les  dons  de 
moins  de  100  maravédis  ne  seront  point  partagés. 

Les  frais  des  privilèges  apostoliques  seront  payés  en 
commun. 


1.  Bibliothèque  de  Marseille,  ms.  I3i3,  pp.  s43-î46  et  2^-161  (extraits 
d'auteurs  de  l'ordre  de  la  Merci). 

3.  Diego  de  Turrani,  Jean  de  Hcrrcra,  Antonio  de  Zarita,  Trinilairea; 
lnigo  Portai,  Francisco  de  Villa  Garcia,  Alonso  de  Zarita,  Mercédaires. 


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CONFLITS    AVEC    LES    PÈRES    DE   LA    MERCI.  36 1 

Tout  privilège  particulier  sera  nul. 

Les  procureurs  des  deux  ordres  jureront  d'observer  la  trans- 
action. 

C'est  à  cette  solution  de  l'égalité  que  la  France  allait  s'ar- 
rêter, un  siècle  plus  tard,  car  l'ordre  français  était  natu- 
rellement en  excellente  situation  dans  son  propre  pays. 

La  France  avait  vu,  dès  le  quinzième  siècle,  des  conflits 
entre  Trinitaires  et  Pères  de  la  Merci.  En  i4i8,  la  commu- 
nauté de  Marseille  donnait  un  ancien  couvent  de  Béguines  ' 
â  Pierre  Guillaume,  commandeur  de  Narbonne  et  procureur 
généra)  de  la  Merci,  qui  s'engage.i  à  racheter  de  préférence  des 
Marseillais'.  En  r4-74>  ces  religieux  sont  encore  dans  ce  cou- 
vent1, mais  c'est  la  dernière  date  où  ils  y  paraissent.  Peut-être 
ont-ils  quitté  Marseille  à  cause  de  l'hostilité  des  Trinitaires. 

A  Avignon,  où  les  Trinitaires  étaient  établis  depuis  i354à 
l'hôpital  Sainte-Marthe3,  les  Pères  de  la  Merci  reçurent  l'église 
de  Notre-Dame  des  Miracles;  le  cardinal  Julien  de  La  Rovère, 
vice-légat  d'Avignon  (le  futur  Jules  II),  réunit  les  deux  mai- 
sons en  une  seule  pour  desservir  l'hôpital  de  Sainte-Marthe4 
(perpetuo  unimus,  annectimus  et  incorpora/nus,  protectores- 
que  et  redores  in  dicto  hospitali  depatamus  et  ordinamus). 
On  ne  sait  quel  fut  l'effet  de  cette  mesure. 

Les  Trinitaires  avaient  alors  pour  grand-ministre  Robert 
Gaguin,  qui  entama  contre  les  Pères  de  la  Merci  une  lutte 
acharnée,  dont  témoigne  un  petit  poème,  intitulé  :  De  vali- 
darum  per  Franciam  mendicantiam  astutia  rtsus.  Ce  nom  de 


1.  Belzunce,  Antiquité  de  l'église  de  Marseille,  t.  III,  pp.  43i-43a. 
1.  Bibliothèque  de  Marseille,  ras.  1216,  p.  381. 

3.  Voir  la  monographie  de  ce  couvent. 

4.  Noi;<ïL-iER,  Histoire  de  l'église  d'Avignon,  p.  118,  et  Inventaire  des 
Archives  hospitalières  (pièce  communiquée  par  M.  de  Loye). 


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3f>2  l'ordre  français  des  trimtajres. 

mendiants  valides  est  une  assimilation  des  Frères  de  Sainte- 

Eulalie  aux  faux  estropiés  de  la  cour  des  Miracles. 

Gaguin  constate  que  les  Pères  de  la  Merci  réussissent  parce 
que  les  Français  aiment  à  donner  leur  argent  à  des  étrangers. 
Il  se  plaint  que  ses  rivaux  quittent  leur  costume  sombre,  orné 
des  armes  du  roi  d'Aragon,  pour  prendre  un  habit  semblable 
à  celui  des  Carmes.  II  conseille  aux  évêques  d'écarter  de  leur 
troupeau  ces  loups,  ces  «  mercenaires  »  (c'était  le  nom  latin 
des  Pères  de  la  Merci,  plus  souvent  appelés  Mercédaires  pour 
éviter  un  trop  facile  jeu  de  mots),  qui  transportent  hors  de 
France  l'argent  drainé  en  France,  et  le  dépensent  pour  le 
rachat  de  captifs  étrangers,  ou  le  dissipent  en  débauches. 
_  Il  rappelle  aux  Français  que  ce  sont  là  des  Barcelonais,  des 
protégés  du  roi  d'Aragon,  l'un  de  nos  pires  ennemis'. 

Gaguin,  qui  usait  avec  verve  de  l'argument  patriotique, 
ayant  vu  que  les  Pères  de  la  Merci  étaient  en  instance  à  Paris 
pour  le  partage  des  quêtes,  accusa  de  faux  certaines  de  leurs 
bulles,  insinuation  que  les  ordres  religieux  se  rejetaient  assez 
volontiers  de  l'un  à  l'autre  (6  septembre  i/|88).  Des  lettres 
d'état  (c'esl-à-dire  de  sursis)  lui  furent  accordées  en  décem- 
bre i48q  à  cause  de  son  ambassade  en  Angleterre1.  Il  dut  ga- 
gner ce  procès,  sans  doute,  car,  en  i5qq,  les  Pères  de  la 
Merci  n'avaient  pas  encore  reçu  la  permission  de  quêter. 

Peut-être  faut-il  attribuer  à  Gaguin  une  tracasserie  faîte  auz 
Pères  de  la  Merci  de  Bordeaux.  Sarransol  de  Dado,  profes- 
seur de  théologie,  demanda,  en  i4q,3,  au  sergent  ordinaire  du 
roi  en  la  sénéchaussée  d'Aquitaine  et  au  procureur  du  Parle- 
ment, acte  des  défenses  que  le  vicaire  général  de  l'archevê- 


.  Bîbl.  nat.,  ros.  lai.  8772,  f°»  1-6. 
.  Arch.  Nat.,  X»»  i4g7,  ft  34  r«. 


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CONFLITS    AVEC    LES    PÈRES    DE    LA    MERCI.  363 

que  avait  faites  aux  recteurs  de  Saint-Seurin,  de  Sainte- 
Colombe,  et-.,  d'admettre  à  la  communion  les  pénitents  des 
Frères  de  la  Merci  avant  qu'Us  se  fussent  confessés  à  d'autres 
prêtres;  de  plus,  le  recteur  de  Saint-Michel  de  Bordeaux  leur 
avait  intimé  la  défense  de  prêcher'.  Sortis  victorieux  de  cette 
épreuve,  les  Mercédaires  gardèrent  leur  couvent  de  Bordeaux, 
devenu  très  important  et  dont  la  bibliothèque  était  très  consi- 
dérable. 

On  ne  sait  ce  qu'il  faut  croire  d'une  étrange  histoire  racontée 
par  Figueras  (pp.  546-55o),  à  savoir  la  tentative  infructueuse 
d'union  entre  les  Trinitaires  et  les  Pères  de  la  Merci  en  r<46i. 
Devant  Jean  Cluchunf?),  notaire  de  Toulouse,  auraient  com- 
paru Gaguin  et  deux  autres  Trinitaires,  qui  avaient  donné 
rendez-vous  à  des  Pères  de  la  Merci  pour  travailler  à  la  réu- 
nion des  deux  ordres,  sous  peine  de  1,000  livres  d'amende  à 
payer  par  les  défaillants.  Les  Mercédaires  ne  se  seraient  pas 
présentés!  François  Macedo  donne  ainsi  la  raison  de  cette 
abstention:.  On  aurait  tiré  au  sort,  en  présence  de  religieux 
des  deux  ordres,  le  nom  de  l'ordre  nouveau  qui  serait  fondé 
tous  la  dénomination  de  Trinitaires  de  la  Merci  ou  Mercé- 
daires de  la  Trinité;  le  sort  serait  tombé  sept  fois  de  suite1 
sur  Trinitaires  de  la  Merci,  et,  malgré  cela,  les  Mercédaires 
n'auraient  point  voulu  accepter  cette  décision  ! 

Les  Pères  de  la  Merci  ambitionnèrent  bientôt  le  droit  de 
quêter  dans  le  Nord.  Des  lettres  patentes  du  19  avril  i547 
détournèrent   encore   ce    péril   qui   menaçait   les   Trinitaires. 

1.  Arckioes  hi$torique  de  la  Gironde,  t.  XIII,  pp.  96-99. 

2.  Le  2  octobre  i663,  le  secrétaire  de  la  Congrégation  îles  Rites,  sur  la 
plainte  des  Pires  de  la  Merci,  défendit  de  réimprimer  les  pages  i55-i58  du 
livre  de  Macedo,  à  moins  de  les  conformer  à  la  bulle  du  i"r  mai  1601,  sur 
la  canonisation  de  saint  Raymond  de  Peanaforl  (Anulecta  /un*  poritijicii, 

t.  vm,  coi.  1140). 


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364  l'ordre  français  des  trinitaires. 

a  Et  pour  ce  qu'il  y  a  aucuns  Relligieux  de  la  Sainle-Eulalie 
de  la  Mercede  en  Cathalogne  qui...  s'efforcent  et  entremettent 
de  nouvel  de  faire  semblables  questes  en  nostre  dit  royaume, 
soubz  couleur  et  tillre  de  la  Rédemption  des  dits  prisonniers, 
se  disans  estre  fondés  de  la  dite  Rédemption  par  les  rois 
d'Aragon,  en  entreprenant  sur  les  dits  supplians  et  leur  dite 
fondation...  nous  mandons  et  commettons  à  vous  nos  baïltiz, 
senechaulx  et  justiciers  ou  voz  lieutenants  que  vous  faictes  ou 
fairez  faire  inhibitions  et  défenses  de  par  nous...  aus  dits 
Relligieux  de  la  Mercede,  leurs  procureurs,  facteurs  et  entre- 
metteurs... que  doresnavant  ilz  ne  se  entremettent  de  faire 
telles  questes  en  notre  dit  royaulme  '...  » 

Par  contre,  le  Parlement  de  Toulouse,  soixante  ans  plus 
tard,  maintint  le  syndic  des  religieux  de  la  Merci  en  la  faculté 
de  quêter  et  de  recevoir  les  legs,  n'empêchant  cependant  pas 
les  Trinitaires  de  quêter  et  de  recevoir  les  legs,  A  condition 
d'observer  la  division  de  leurs  biens  en  trois  parties  selon 
leur  règle3  (12  janvier  1606). 

En  vain,  le  27  février  1604,  François  Petit  avait  présenté 
une  requête  au  Parlement  de  Toulouse  pour  évoquer  le  procès 
au  Conseil.  Il  avait  été  passé  outre.  Le  18  avril  1608,  cet 
arrêt  de  Toulouse  fut  cassé  au  Conseil  d'Etat  pour  ce  motif 
qu'il  n'avait  pas  été  fait  droit  à  la  requête  de  François  Petit- 

Si  l'on  se  rappelle  à  quel  point  était  tombée  en  désuétude 
la  séparation  du  tiers  des  revenus  pour  le  rachat  des  captifs, 
on  comprendra  que  la  mercuriale  du  Parlement  de  Toulouse 
avait  paru  aux  Trinitaires  quelque  peu  menaçante.  Le  1 1  sep- 
tembre  1610,  le  Conseil  d'Etat   rendit   un  arrêt  contradic- 

I.  Arch.  Nal.,  S  Ml. 

ï.  Bmllon,  Dictionnaire,  de»  arrêt»,  I.  V,  p.  644-  —  Le  î8  avril,  les  Tri- 
nitaires avaient  en  effet  requis  le  Parlement  de  Toulouse  de  quêter  seul*. 


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CONFLITS    AVEC    LES    PÈRES    DE    LA    MERCI.  365 

toire  maintenant  aux  Trinitaires  le  droit  de  quêter  partout 
en  France,  d'autant  plus  qu'en  1609  on  leur  avait  interdit, 
comme  Français,  de  quêter  en  Aragon.  Pourtant,  les  Pères 
de  la  Merci  purent  continuer  à  quêter  dans  les  endroits  de 
France  oà  ils  auraient  des  couvents  (ils  n'en  avaient  point  a 
Paris),  à  la  condition  de  racheter  de  préférence  des  captifs 
français  et  à  ne  pas  transporter,  a  divertir,  ni  mêler  »  cet 
argent  avec  celui  des  rachats  d'Espagne'. 

Marie  de  Médîcîs  régente  appela  les  Pères  de  la  Merci  à 
Paris1  (i6)3)  leur  conférant  le  patronage,  puis  la  propriété  de 
la  chapelle  de  Braque,  en  face  du  vieil  hôtel  de  Clisson;  le 
2  février  i6i4,  elle  alla  visiter  ce  couvent.  Déjà  ces  religieux 
avaient  à  Paris  un  collège,  légué  en  i5i5  par  Alain  d'Al- 
bret,  rue  des  Sept-Voies  (aujourd'hui  rue  Valette),  collège  qui 
n'avait  eu  jusque-là  qu'une  misérable  existence3.  Cette  seconde 
fondation  parisienne  fortifiait  beaucoup  leur  position.  En  1617 
les  Trinitaires  Réformés  se  voient  refuser  par  leur  général  la 
fondation  d'un  couvent  à  Paris  qui  eût  rétabli  la  situation. 
Avec  les  fautes  que  les  Trinitaires  commirent  au  début  du 
dix-septième  siècle,  on  ne  peut  s'étonner  de  la  faveur  crois- 
sante des  Pères  de  la  Merci.  En  vain  Louis  Petit  opposa  l'or- 
dre de  la  Trinité,  fondé  en  France,  à  celui  de  la  Merci,  fondé 
en  Aragon.  Le  a4  juillet  i636,  un  arrêt  du  Conseil  chargea 
les  Mercédaires  du  rachat  des  captifs  de  Salé,  en  Maroc.  Il 
s'ensuivit  une  campagne  littéraire  où  les  récits  hyperboliques 
de  Gîl  Gonzalez  d'Avila4  sur  les  Trinitaires  furent  vivement 

1.  Bibl.  Mazariue,  recueil  37218,  16"  pièce,  et  factum  Ld*1,  n«  9,  ra, 
i3(Bibl.  Nat.),  passim. 

a.  Bibl.  Nal.,  ma.  lai.  17054,  f"  z3  :  récil  de  la  fondation  du  couvent  de 
Paria,  par  le  P.  Jean  Latomy. 

3.  Ledehuann,  Les  Frères  de  Noire-Dame  de  la  Merci,  p.  37. 

4.  Requête  de  Le  Meunier,  elc.  Ld43,  n°  ta. 


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366  l'ordre  français  des  trinitaires. 

critiqués  par  leurs  adversaires.  Enfin,  le  6  août  i638,  par 
arrêt  du  Grand  Conseil,  les  Pères  de  la  Merci  furent  admis  au 
partage  des  quêtes  avec  les  Trinitaires  :  Paris  et  ses  faubourgs 
restèrent  indivis1;  les  provinces  furent  partagées  par  la  voie 
du  sort.  Les  Trinitaires  reçurent  l'Ile-de-France,  le  Gâlinais, 
l'Orléanais,  la  Beauce,  le  Perche,  le  Maine,  l'Anjou,  la  Picar- 
die, la  Normandie,  la  Champagne,  le  Dauphiné,  la  Bour- 
gogne, le  Nivernais,  le  Lyonnais,  le  Forez,  le  Beaujolais,  le 
Poitou,  la  Touraine,  le  Berry,  le  Bourbonnais,  l'Auvergne, 
le  Limousin,  la  Marche,  le  Périgord,  l'Agenais1.  Le  i4  mai 
1778,  Louis  XVI  y  joignit  la  Lorraine  et  les  Trois  Évêchés, 
l'Alsace,  la  Franche-Comté  et  la  Corse. 

Les  Trinitaires  se  plaignirent  en  vain  de  ce  juste  châtiment 
de  leur  négligence  dans  l'œuvre  du  rachat.  L'arrêt  fatal  fut 
confirmé  le  5  août  i644  et  en  juin  16S0.  En  somme,  les 
quatre  Provinces  leur  restaient,  plus  le  centre,  dans  lequel 
aucun  des  deux  ordres  n'avait  de  couvent,  ce  qui  développa 
l'institution  des  marguilliers.  En  Bretagne,  en  Provence' 
et  en  Languedoc4,  ils  étaient  annihilés  par  leurs  concurrents. 

Durant  les  premières  années  qui  suivirent  l'arrêt,  l'animo- 
silé  entre  les  deux  ordres  fut  extrêmement  vive.  Les  Trini- 
taires Réformés  et  les  Pères  de  la  Merci  firent  presque  simul- 
tanément une  rédemption  en  r  644  ï  les  seconds  avaient  laissé 
en  otage,  pour  dettes,  le  P.  Brugière.  Le  dfvan  d'Alger  voulut 
faire  payer  au  P.  Lucien  Hérault,  Trinilaire,  les  sommes  dues 


1.  Dans  un   rachat  commun,  chacun  des  deux  ordres  devait  en  consé- 
quence payer  la  moitié  du  prix  d'un  esclave  parisien. 

a.  Le  P.  Cauxte,   Vie  de  saint  Jean  de  Matha,  ïp  éd il-,  [>-  38i. 

3.  Voir  liasses  de  Marseille,  pièce  61. 

4.  Dés  1496,  ils  avaient  renonce  à  quêter  dans  le  diocèse  de  Nîmes.  Les 
autres  circonscriptions  avaient  été  partagées  avec  les  Pères  de  la  Merci. 

Mknaud,  Histoire  de  la  aille  de  Ntme»,  1.  IV,  pp.  48-49-) 


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CONFLITS    AVEC    LES    PÈRES  DE    LA   MERCI.  367 

par  le  P.  Brugière.  Sur  son  refus1,  il  fui  jeté  en  prison  el  y 
mourut  le  28  janvier  i646.  Ses  confrères  rendirent  l'ordre  de 
la  Merci  responsable  de  cette  mort.  La  mésintelligence  née  de 
ces  incidents  perce  dans  la  Vive  foi,  écrite  par  un  Mercédaire, 
le  P.  d'Egreville1.  Tout  ce  qui  arrive  de  fâcheux  à  ce  dernier 
lui  paraît  l'œuvre  des  Trinitaires,  attachés  à  sa  perte  ;  s'il 
met  longtemps  à  trouver  un  bateau  à  Marseille,  si  à  l'arrivée 
en  Barbarie  on  dte  à  son  navire  les  voiles  et  le  gouvernail, 
c'est  la  faute  «  d'un  adversaire  de  l'ordre  à  Alger  »  ou  de 
religieux  «  que  la  charité  chrétienne  défend  de  nommer  I  »  " 

Les  Pères  de  la  Merci  songèrent  à  profiter  des  avantages  '. 

qu'ils  avaient  reçus  en  Provence,  où  ils  possédaient  déjà  un  ; 

couvent  à  Toulon.  II  leur  fallait  s'établir  à  Marseille,  centre  de  i 

la  Rédemption,  où  les  Trinitaires  étaient  fortement  installés  • 

avec  leurs  auxiliaires,  les  Pénitents  Blancs.  Les  Pères  de  la  J 

Merci,  regrettant  ce  «  séjour  indispensable  »  autrefois  quitté, 
adressèrent  à  la  municipalité  un  très  habile  mémoire,  où  ils  i 

rappelèrent  leurs  services,  leur  récente  rédemption  de  i644j  et  * 

s'efforcèrent  de  désarmer  toutes  les  préventions.  Que  deman-  \ 

dent-ils?  «  Un  petit  lieu  de  refuge  pour  pouvoir...  trafiquer  1 

tainctement  avec  les  Turcqs  et  négotier  au  proffit  des  Esclaves  J 

toutes  les  sommes  qui  se  recueillent  des  questes  de  la  moitié 
du  royaume,  a  Mais  il  y  a  déjà  les  Trinitaires  :  «  Il  n'y  a  < 

point  d'inconvénient  que  les  deux  ordres  de  la  Rédemption  ; 

soient  établis...  dans  Marseille,  aussi  bien  que  dans  plusieurs 
autres  villes  du  royaume,  comme  Paris  et  Toulouse,  où  ils 
vivent  paisibles  de  temps  immémorial  ;  ils  éviterotent  ainsi  les 
cabarets  et  autres  lieux  profanes,  où  ils  sont  obligés  de  loger 


.  La  victoires  de  la  charité,  Paria,  1646,  p.  i4>- 
-..  La  Vit*  foi,  Bibi.  Nat-,  Lk*  181. 


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368  l'ordre  français  des  trinitaires. 

par  l'opposition  des  Pères  de  la  Trinité,  ce  que  leur  zèle  el 
leur  charité  ne  debvroît  jamais  souffrir  pour  l'honneur  du 
caractère  et  pour  ne  pas  donner  lieu  eux  mesmes  à  une  éter- 
nelle ir  réconciliât  ion.  »  Comme  preuve  de  «  candeur  et  d'in- 
génuité »,  ils  donneront  une  clef  du  dépôt  aux  Pénitents.  S'ils 
s'entendaient  tous  les  trois,  on  ne  verrait  pas  des  enfants  de 
Marseille  rester  longtemps  captifs;  entouré  de  surveillants, 
chacun  mettrait  plus  de  conscience  dans  l'accomplissement  de 
son  devoir1  (i652). 

Ces  bonnes  dispositions  portèrent  leurs  fruits.  Le  10  octo- 
bre 1657,  les  consuls  réunissent,  dans  la  salle  de  la  maison 
commune,  Philippe  Maurel,  ministre  de  Marseille,  Antoine 
Audoire,  commandeur  de  la  Merci,  Maurice  Nègre,  sous- 
prieur  de  la  chapelle  des  Pénitents.  Il  est  décidé  que  les 
Pères  de  la  Merci  auront  un  tronc  et  des  bassins,  maïs  qu'aux 
processions  des  esclaves1,  ils  ne  pourront  amener  que  des  Pé- 
nitents de  la  Trinité.  Ils  sont  déchargés  de  l'obligation,  impo- 
sée en  i/|i8  et  en  i65s,  de  racheter  annuellement  deux  Mar- 
seillais. Le  tronc,  réservé  tout  entier  au  rachat;  fermera 
à  trois  clefs,  gardées,  une  par  les  consuls,  une  autre  par  les 
Pères  de  la  Merci,  la  troisième  par  les  prieurs  des  Pénitents. 
Les  religieux  de  la  Merci  pourront  ériger  une  confrérie  dans 
leur  église.  Le  16  octobre,  le  Parlement  d'Aix  homologua 
cette  transaction3. 

Il  y  eut  encore  des  discussions  entre  les  ordres  rivaux, 
comme  en  témoigne  un  mémoire  au  sujet  du    rachat  des 

1 .  Archives  communales  de  Marseille,  série  GG. 

2.  De  même,  le  2  juin  1684,  les  Déchaussés,  représentés  par  leur  provin- 
cial Luc  de  Saint-Jean,  se  virent  imposer  de  ne  quêter  que  dans  leur  église 
et  de  11'avoir  de  bassins  que  pour  les  processions  de  leurs  esclaves  rachetés 
(Trinitaires  de  Marseille,  reg.  4,  p.  70)' 

3.  md.,  reg.3,  p.  86. 


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CONFLITS    AVEC    LES    PERES    DE    LA    MERCI.  36g 

esclaves  à  Tunis  conclu  le  20  mars  1666.  Le  P.  Audoire, 
de  l'ordre  de  la  Merci,  donne  avis  qu'un  «  vicaire  général  » 
des  Mathurins  apportait  un  fonds  de  5o,ooo  livres  par  le 
P.  Héron,  ministre  de  «  Cerceau  »  (Sarzeau).  «  ïl  y  aura 
beaucoup  à  faire  envers  les  Mathurins,  qui  sont  obligés  par 
leurs  constitutions  d'employer  le  tiers  de  leurs  revenus  pour 
le  rachat  des  captifs  '.  0 

En  i683,  Pierre  de  l'Assomption,  procureur  général  des 
Déchaussés,  obtint  la  suppression  d'un  folio  d'indulgences  de 
l'ordre  de  la  Merci,  parce  que  celles-ci  étaient  fausses1  (sup- 
posîtitiae). 

Le  28  avril  1688,  un  arrêt  du  Conseil  privé  modifia  la  trans- 
action de  1657  relative  à  Marseille.  Les  Mercédaîres  s'étaient 
entendus  avec  le  ministre  des  Trinitaires,  Philippe  Maurel, 
pour  le  partage  des  legs  généraux  et  la  faculté  de  quêter  le 
samedi  assistés  des  Pénitents  bleus. 

Les  adoucissements  de  l'arrêt  du  6  août  i638  en  faveur 
des  Trinitaires  ne  s'appliquent  bien  entendu  qu'à  Marseille3. 
Partout  ailleurs  dans  le  Midi,  ainsi  qu'en  Bretagne,  il  fut 
interdit  aux  Trinitaires  de  quêter.  L'arrêt  n'avait  rien  décidé 
sur  les  processions  d'esclaves.  En  1732,  les  Trinitaires 
de  Toulouse  ayant  obtenu  de  l'archevêque  la  permission  de 
quêter  dans  la  procession  des  captifs  ramenés  de  Conslanti- 
nople,  le  Parlement  leur  interdit  de  faire  paraître  ces  esclaves 
en  public  et  de  quêter  dans  tout  le  ressort4.  Le  i5  octo- 

1.  Archives  du  ministère  des  affaires  étrangères,  Afrique,  n«  8  (Tunis), 
Fm  128-129. 

2.  Bullaire  de  1692,  treizième  bulle  d'Innocent  Xf. 

3.  Par  exception,  l'assiette  générale  du  diocèse  de  Nlines  accorde  3oo  li- 
vres aux  Trinitaires  Réformés  le  27  avril  1C4O. 

4.  pièce  281.  Le  P.  Jebannot  n'a  pas  mentionné  cet  incident  dans  sa 
Relation.  Il  ne  s'agit  ici  que  des  quêtes  au  moment  des  processions. 


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3^0  l'ordre  français  des  trinitaires. 

bre  1736,  l'intendant  intima  pareille  défense  aux  Trinitaires 
de  Montpellier.  Il  semble  cependant  qu'en  certaines  occa- 
sions, comme  dans  des  rédemptions  communes,  il  y  avait 
une  tolérance  réciproque. 

Sans  doute,  les  religieux  logeaient  à  leurs  couvents  respec- 
tifs, dans  une  ville  où  chaque  ordre  en  avait,  mais  il  régnait 
entre  eux,  pendant  le  voyage  même,  une  véritable  fraternité. 
Le  nombre  des  rachats  faits  ainsi  en  commun  (1704-1708- 
171a  au  Maroc,  1760  à  Alger,  1765  au  Maroc,  1779  et  1785 
à  Alger)  prouve  que  les  deux  ordres  pouvaient  arriver  à  s'en- 
tendre. Le  voyage  de  1 765,  précédé  d'un  an  de  discussions 
avec  les  Pères  de  la  Merci  de  Guyenne  pour  le  paiement  du 
tiers  des  frais  du  voyage,  fut  une  exception.  Je  n'en  veux 
pour  preuve  qu'une  très  belle  lettre  écrite  de  Cadix,  en  1708, 
par  le  P.  Forton,  commandeur  de  Carcassonne  :  il  donne  aux 
Trinitaires  de  Marseille  et  à  leurs  Pénitents  un  éloge  mérité; 
reconnaissant  de  bonne  grâce  qu'ils  ont  en  Provence  beau- 
coup plus  de  ressources  que  les  Mercédaires  pour  le  rachat 
des  captifs,  il  leur  demande  d'augmenter  leurs  charités,  le 
rachat  de  chaque  esclave  ayant  été  porté  par  l'empereur  de 
Maroc  Mouley-Ismaël  à  un  prix  exorbitant  '. 

En  1751  seulement,  le  37  avril,  fut  signée  la  transaction 
au  sujet  des  processions.  Le  P.  Gairoard,  commissaire  au 
voyage  d'Alger,  procureur  des  Réformés  et  des  Déchaussés, 
y  eut  une  grande  part  et  en  fut  félicité  par  sa  province  au 
chapitre  de  Lambesc,  le  6  mai  1752'. 

Les  deux  ordres,  comprenant  que  de  pareilles  contesta- 
tions leur  étaient  respectivement  préjudiciables,  établissent 


1.  Pièce  357. 

3.  Trinitaires  de  Marseille,  registre  i3,  p.  a35. 


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CONFLITS   AVEC    LES    PÈRES   DE    LA    MERCI.  3yi 

qu'il  c'y  a  que  deux  routes  par  lesquelles  les  esclaves 
débarqués  se  rendent  en  général  à  Paris  :  la  Provence  et  le 
Daupfainé,  ou  le  Languedoc  et  le  Poitou.  Les  religieux,  en 
accompagnant  les  esclaves,  ne  s'écarteront  point  de  la  route 
ordinaire,  quel  que  soit  l'itinéraire  suivi.  Ils  useront  des  quê- 
tes manuelles  sans  tronc  ni  marguilliers  ;  ils  n'afficheront 
leur  départ  que  dans  leur  district.  Les  deux  ordres  feront 
leurs  processions  ensemble,  même  si  leurs  rédemptions  sont 
seulement  contemporaines  et  non  conjointes;  ou  bien  elles 
seront  séparées  dans  l'ordre  fixé  par  le  supérieur  ecclésias- 
tique. Si  les  esclaves  rachetés  par  t'un  des  deux  ordres  visi- 
tent le  couvent  de  l'autre,  les  religieux  ainsi  visités  ne  pré- 
tendront rien  aux  aumônes  qui  seront  faites  à  cette  occasion. 
Les  Mercédaires  Héraut  et  Gobin  signèrent  cette  convention 
avec  le  P.  Lefebvre,  général  des  Trînitaires. 

Quelques  religieux  de  la  Merci  regrettèrent  d'avoir  renoncé 
au  bénéfice  des  arrêts  du  Parlement  d'Aix,  leur  permettant  de 
quêter  seuls'.  Craignant  que  l'on  ne  réservât  les  charités  en 
Provence  pour  les  processions  des  Trinitaires,  plus  fréquentes 
que  les  leurs,  ils  chicanèrent  sur  l'itinéraire  court,  et  dirent 
que  la  transaction  ne  profitait  qu'à  leurs  rivaux,  puisque 
eux-mêmes  n'envoyaient  pas  leurs  captifs  à  Paris.  Faites-le, 
répondirent  les  Trinitaires.  Les  Mercédaires  voulaient  obliger 
leurs  rivaux,  dès  l'arrivée  en  quarantaine  à  Marseille,  à 
demander  aux  commandeurs  de  cette  ville  et  d'Aix  la  per- 
mission  de  faire   la  procession,  qui   pouvait  être  refusée  ! 


i.  Les  Trinitaires  d'Aï*  ayant  annoncé  qu'ils  quêteraient  pour  les  captifs, 
le  27  août  1750,  le  Parlement  d'Aix  avait  ordonné  la  lacération  de  leurs 
affiches,  et  le  i4  novembre  l'itinéraire  le  plus  court  leur  avait  été  prescrit. 
Même  prescription  pour  Arles  (24  février  1 756).  Bîbl.  d'Arles,  manuscrit  159, 
p.  65i. 


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373  l'ordre  français  des  tributaires. 

D'autre  part,  les  Trinitaires  déclaraient  ne  vouloir  pas  se  sou- 
mettre à  l'obligation  de  l'itinéraire  direct,  pour  ne  pas  frustrer 
de  leur  légitime  attente  les  maisons  de  l'ordre  habituées  à 
ces  processions  depuis  des  siècles. 

Une  nouvelle  transaction,  conçue  dans  un  esprit  un  peu 
plus  large,  fut  signée  à  Paris,  le  17  mai  1757,  par  les  PP.  Le- 
febvre,  général  de  la  Trinité,  et  Mandavy,  procureur  général 
de  la  Merci.  Il  n'est  plus  question  des  arrêts  d'Aix,  cause  de 
discorde  entre  les  contractants.  Chaque  ordre  pourra  faire 
processions  et  quêtes,  même  dans  les  districts  de  l'autre 
ordre,  mais  sans  visiter  les  troncs  des  églises  ni  faire  rendre 
compte  aux  marguilliers  '  ;  les  processions  d'une  rédemption 
commune  seront  à  frais  communs.  Néanmoins  les  Pères  de 
la  Merci  gardaient  la  quête  ordinaire  en  Provence  ;  les 
Déchaussés  de  Faucon  furent  donc  déchargés  de  la  quête  pour 
les  captifs1,  mais  non  de  la  séparation  du  tiers  de  leurs 
revenus. 

Quelque  améliorés  que  fussent  les  rapports  entre  les  deux 
ordres,  il  ne  fut  pas  possible,  en  1765,  de  faire  porter  aux 
captifs  rachetés  en  commun  un  scapulaire  avec  les  deux 
écussons3,  ni  de  ranger  les  Trinitaires  et  les  Pères  de  la 
Merci,  après  qu'ils  se  seraient  réunis,  en  provinces  portant 
simplement  le  nom  de  leurs  saints  les  plus  célèbres  et  non 
plus  des  dénominations  topographiques.  Une  conférence  fut 
convoquée,  en  1771,  dans  le  couvent  trinitaire  de  Montpellier, 
entre  les  Trinitaires  et  tes  Pères  de  la  Merci,  sous  la  prési- 

1.  Archives  nationales,  S  4281. 

2.  Archives  des  Basses-Alpes,  registre  H  16. 

3.  Le  P.  Pichault  déclara,  en  1766,  qu'il  ne  voulait  point  adopter  ces 
écussons  auxarmes  des  deux  ordres  (Bib).  nat.,  ma.  nouv.  acq.  fr.  6a36, 
îina  partie,  p.  198).  Les  délivrés  portèrent,  eu  1785,  des  rubans  rouges,  s'ils 
étaieot  des  Malhurins;  des  rubans  bleus,  s'ils  étaient  de  la  Merci. 


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CONFLITS    AVEC    LES    PÈRES    DE    LA    MERCI.  373 

dence  de  l'évêque  de  Mirepoix.  Le  couvent  de  Bordeaux 
demandait  à  s'unir  aux  Trinilaires,  mais  ceux  de  Marseille, 
Toulon,  Montpellier  et  Perpignan  s'y  opposaient.  Jaubert  et 
Puel,  Pères  de  province,  désavouent  d'avance  tout  ce  qui  se 
fera,  alors  que  deux  autres  Mercédaires,  Mandavy  et  Mège, 
veulent  rejeter  cette  opposition.  L'assemblée  dut  alors  se 
séparer,  sans  avoir  rien  fait,  le  i5  novembre  1771  \ 

Voyant  cette  obstination,  le  roi  ordonna  de  supprimer  les 
couvents  de  la  Merci  en  Guyenne  (29  juillet  1774);  l'ordre  de 
la  Trinité  dut  recevoir  les  fonds  affectés  à  l'œuvre  des 
captifs,  mais  les  caisses  étaient  vides3.  La  suppression  fut 
accomplie  en  1783. 

Jetant  un  regard  en  arrière  sur  ces  longs  démêlés,  Audi- 
bert,  procureur  des  Mathurins  de  Paris,  dans  un  compte 
rendu  adressé  à  l'Assemblée  nationale  en  1790,  au  sujet  de 
l'Œuvre  des  captifs,  observait  «  que  la  concurrence  des  deux 
ordres  pour  le  même  but  leur  fît  ressentir  les  effets  attachés 
aux  misères  humaines  ».  Tout  en  déplorant  ces  stériles  polé- 
miques, on  ne  peut  regretter  que  les  Trinilaires  aient  trouvé, 
dans  cette  rivalité,  un  utile  stimulant  pour  l'œuvre  de  la 
rédemption. 

1.  Liasse  des  Trinilaires  de  Toulouse,  11°  88. 

2.  Le  chapitre  provincial  de  Toulouse,  en  1775,  décida  de  oe  garder  que 
six  couvents  sur  quinze  (E.  Ledermann,  oavr.  cité,  p.  Go). 


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CHAPITRE  VI. 


La  rédemption  et  la  roi  de  France. 


L'intervention  royale  devint  peu  à  peu  fort  importante 
dans  la  rédemption.  Les  Trinitaires  ont  besoin  de  l'autorisa- 
tion du  roi  pour  emporter  outre-mer  l'argent  ou  les  mar- 
chandises destinées  à  servir  de  présent  aux  souverains  bar- 
baresques  ou  d'appoint  à  la  rançon  des  esclaves.  Quand  ils 
se  rendent  en  Maroc,  ils  passent  par  l'Espagne  et  doivent 
se  munir,  auprès  de  l'ambassadeur  de  France,  d'une  carte 
de  franchise;  en  Espagne,  on  est  encore  plus  sévère  qu'en 
France  pour  la  sortie  de  l'argent.  Le  roi  donne  aux  religieux 
une  sauvegarde,  qui  n'empêche  pas  les  pirates  de  leur  courir 
sus  (par  un  heureux  hasard  cependant,  ils  purent  toujours 
échapper  à  ces  agressions).  En  Espagne,  la  sauvegarde  royale 
est  portée  par  un  notaire,  approuvé  par  le  conseil  du  roi, 
qui  tiendra  registre  de  toutes  les  dépenses,  fixera  la  date  du 
départ  et  le  port  d'embarquement'.  C'est  un  peu  le  rôle  que 
nous  avons  vu  remplir  par  un  officieux  marchand  lyonnais, 
en  i54o,  exemple  unique  pour  les  rédemptions  de  France. 

La  rédemption  étant  une  œuvre  privée,  c'est  à  cette  sau- 


i.  Philippe  H  adjoint  un  laïque  aux  deux  religieux  qui  vont,  en   i 
racheter  les  Portugais  {Pièce  i36). 


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LA    RÉDEMPTION    ET    LA    ROYAUTÉ.  375 

regarde  que  se  bornait  primitivement  l'intervention  du  roi, 
très  grand  avantage  pour  les  religieux.  En  effet,  si  le  roi 
marquait  un  désir  de  voir  racheter  spécialement  certains 
captifs,  ce  fait  était  de  nature  à  rendre  les  Barbaresques  plus 
exigeants  quant  au  prix  de  la  rançon  de  ces  malheureux, 
dont  le  sort  se  trouvait  ainsi  compromis.  Le  P.  Hérault 
chargé,  par  une  lettre  d'Anne  d'Autriche,  de  racheter  trois 
Capucins,  éprouva  plus  d'embarras  que  de  satisfaction  par 
suite  de  cette  honorable  commission  '. 

Un  prince  voulut  cependant  prendre  à  la  rédemption  une 
pari  plus  active  ;  c'est  le  roi  de  Portugal,  Alphonse  V  le  Brave. 
Contraints  et  forcés,  les  Trinitaires  se  dessaisirent  en  sa 
faveur  du  droit  de  la  rédemption,  pour  sa  vie  seulement,  et 
moyennant  une  pension  annuelle  de  8o,ooo  reaies.  Alphonse 
la  paya  pendant  sept  on  huit  ans,  mais  ses  successeurs  se  dis- 
pensèrent entièrement  de  l'acquitter.  Le  16  mars  ï  499  ? 
Alexandre  VI  intervint  auprès  d'Emmanuel  le  Fortuné  pour 
faire  payer  aux  Trinitaires  la  somme  convenue;  le  roi  se 
contenta  de  leur  léguer  2,5oo  douros.  Jean  III  rendit  la 
rédemption  aux  religieux  et  mourut  en  i552.  Sous  la  minorité 
de  Sébastien,  Roch  du  Saint-Esprit,  provincial,  accepta  le 
concordat  suivant. 

Les  religieux  seront  déchargés  des  tournées  de  quête  ;  te 
roi  établira  des  collecteurs  spéciaux  el  infligera  des  amendes 
au  profit  de  la  rédemption,  mais  l'exécution  du  rachat  appar- 
tiendra aux  religieux,  avec  toutes  les  aumônes.  La  reine  Cathe- 
rine et  le  pape  Pie  V  ratifièrent  en  i56i  el  en  i566  cette 
transaction,  encore  observée  au  début  du  dix-huitième  siècle3. 

i.  P.  Calixte,  Corsaire»  et  Rédempteurs,  pp.  3oa-356. 
z.  Jean  de  Saint-Félix,   Triomphas  misericordiae,  pp.  i38  à  i4°.  — 
Baltaire,  p.  26t. 


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376  l'ordre  français  des  trinitaires. 

Ce  n'est  pas  seulement  au  départ  que  le  roi  intervenait. 
Il  pouvait  exercer  une  influence  sur  la  marche  du  voyage, 
en  autorisant  ou  en  refusant  l'échange  avec  les  musulman!) 
détenus  en  France. 

L'échange  était  un  moyen  efficace  d'intéresser  les  musul- 
mans à  l'œuvre  des  rédempteurs;  le  pape  Innocent  III,  dans 
sa  lettre  au  Miramolin,  avait  très  judicieusement,  nous  l'avons 
vu  ',  fait  remarquer  l'avantage  pour  les  deux  races  de  cet  ar- 
ticle de  la  règle  trinitaire.  Le  roi  Jacques  d'Aragon  permet 
aussi  aux  rédempteurs  «  d'emmener  des  captifs  sarrasins  de 
son  royaume  et  de  les  conduire  librement  en  terre  sarra- 

De  leur  côté,  les  Turcs  entraient  fort  bien  dans  ces  idées, 
comme  en  témoigne  encore  le  P.  Dan  au  dix-septième  siècle, 
les  parents  des  captifs  musulmans  étant,  pour  les  Rédemp- 
teurs, des  auxiliaires  tout  trouvés.  C'est  par  la  certitude  de 
l'échange  avec  le  petit-fils  de  sa  patronne  que  le  Flamand 
Caloen,  dont  d'Aranda  a  narré  les  pittoresques  aventures, 
triompha  des  rigueurs  de  cette  vieille  Mauresse.  Une  fois,  les 
rédempteurs  étant  venus  d'Espagne,  avec  les  Maures  destinés 
à  l'échange,  et  le  dey  d'Alger  n'ayant  point  voulu  vendre  à 
un  prix  raisonnable  les  officiers  espagnols  qu'il  détenait,  les 
religieux  repartirent  sans  avoir  débarqué  les  Maures.  Il  y  eut 
dans  la  population  algérienne  un  tel  mécontentement  que, 
l'année  suivante,  le  dey  se  montra  plus  traitante.  A  la  même 
époque,  un  envoyé  du  dey  demande  aux  esclaves  du  bagne 
de  Toulon  leur  nom,  leur  âge,  leur  patrie,  sans  doute  dans 
un  espoir  d'échange3  (1760). 

1.  Baron,  p.  i47>  et  chapitre  1  de  cette  3me  partie. 

2.  Histoire  de  Barbarie,  p.  5oi. 

3.  Pièce  Î97. 


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LA    RÉDEMPTION    ET    LA    ROYAUTÉ.  377 

Au  début  du  dix-septième  siècle,  une  singulière  affaire 
d'échange  est  à  signaler.  Vers  1620,  vïngl-trois  Turcs  furent 
jetés  par  la  tempête  sur  les  côtes  de  Normandie  ;  laissés  sans 
ressources  par  les  habitants,  au  bout  de  quelque  temps  ils 
commirent  des  méfaits  qui  les  tirent  appréhender  par  la  maré- 
chaussée. Leur  chef,  condamné  à  mort  par  le  tribunal  de 
l'amirauté,  dit  en  espagnol  qu'il  en  appellerait  au  Parle- 
ment de  Rouen.  Mais  «  Dieu,  de  la  méchanceté  des  infidèles, 
sait  tirer  le  bien  et  la  délivrance  des  chrétiens  qui  le  loueront 
éternellement'  »,  et  des  Trinilaires  vinrent  à  Valognes  deman- 
der qu'on  les  leur  remit  en  vue  d'un  échange  :  leur  chef 
promit  de  rendre  vingt  chrétiens  pour  lui  seul.  Cet  expédient 
fut  goûté  el  les  Turcs  reçurent  leur  liberté3. 

L'échange  devint  malheureusement,  de  la  part  des  Turcs, 
un  moyen  de  duper  les  chrétiens.  D'Alger,  ils  promirent  au 
P.  Hérault,  en  i645,  autant  de  Français  qu'il  amènerait  de 
Turcs;  puis,  lorsqu'il  arriva  avec  les  captifs,  ils  ne  voulurent 
plus  lui  donner  qu'un  chrétien  contre  deux  ou  trois  Maures. 
Cette  proportion  fut  adoptée  en  1 704  par  l'empereur  de  Maroc. 

L'échange  échouait  parfois,  en  totalité  ou  en  partie,  sans 
qu'il  y  eût  de  la  faute  des  rédempteurs.  En  1 644,  dix  Turcs, 
évadés  des  vaisseaux  du  roi  d'Espagne,  furent  donnés  par  le 
duc  de  Grammont,  gouverneur  de  Béarn,  au  ministre  des 
Trinitaires  d'Orthez,  pour  qu'il  les  emmenât  à  Marseille  en 
vue  d'un  échange  contre  un  nombre  égal  de  chrétiens  captifs 
à  Tunis;  mais  deux  se  firent  baptiser3.  De  même,  en  i645, 


1.  Revue  africaine,  t.  XXIX.  pp.  437-442. 

3.  Le  passage  d'autres  Turcs  a  Arles,  le  12  avril  1637,  causa  une  épou- 
vantable catastrophe,  par  suite  de  l'écroulement  d'un  pont  sous  la  foule  des 
curieux  (Le  Musée  d'Arles,  t.  I,  p.  139). 

3.  P.  Calixte,  Corsaire*  et  Rédempteurs,  p.  3i6  (note). 


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378  L'ORDRE    FRANÇAIS    DBS   TRIMTAIRES. 

un  échange  de  vingt-deux  Turcs  pour  vingt-deux  chrétiens  ne 
put  être  effectué  parce  qu'à  [Toulon  ces  Turcs  furent  trouvés 
«  chrétiens,  ou  morts,  ou  enfuis'  ». 

Dans  la  seconde  moitié  du  dix-septième  siècle,  l'échange 
fut  le  plus  laborieux,  surtout  par  la  faute  des  Français. 
Charles  IX  avait  donné,  en  i56a,  des  lettres  patentes  pour 
faire  relâcher  quelques  Maures  des  galères1;  mais  les  mar- 
chands marseillais  faisaient  souvent  la  sourde  oreille,  ne 
voulant  pas  se  priver  de  ces  excellents  rameurs.  Sous  le  mi- 
nistère de  Colbcrt,  le  gouvernement  finit  par  se  ranger  à 
l'avis  des  Marseillais.  Le  célèbre  ministre,  amusant  les  Algé- 
riens par  des  réponses  dilatoires,  approuva  ['expédient  de  ne 
renvoyer  que  des  Turcs  vieux  et  invalides.  Cette  insidieuse 
substitution  fut  une  des  causes  de  ces  bombardements  d'Alger 
si  funestes  aux  chrétiens. 

Les  rédempteurs  eurent  à  souffrir  de  cette  politique.  Mal- 
gré leurs  dénégations,  toujours  considérés  par  les  souverains 
musulmans  comme  des  ambassadeurs  officiels,  ils  étaient  ex- 
posés à  ne  se  voir  rendre  les  esclaves  français  que  s'ils  pro- 
mettaient le  renvoi  des  Maures  retenus  sur  les  galères,  ce  qui 
n'était  pas  en  leur  pouvoir.  Après  une  période  de  crise  aiguë, 
quelques  échanges  réussirent  de  nouveau.  Pour  ne  citer  que 
les  plus  connus,  Dusault,  envoyé  à  Alger  en  1691,  échangea 
deux  cent  cinquante-sept  Turcs  contre  quatre  cent  cinquante- 
deux  Français.  Il  ne  restait  plus  alors  aucun  de  nos  compa- 
triotes pris  pendant  la  paix3. 


1.  Reoae  africaine,  l.  XXXV,  p.  99. 

a.  Pièce  iM-  —  Le  16  septembre  :644>  le  duc  de  Richelieu  ordonna  de 
détacher  de  la  chatue  deux  Turcs  pour  les  échanger  avec  deux  esclaves  fran- 
çais détenus  à  Tunis  (Aff.  clr.,  Afrique,  no  8,  fol.  go). 

3.  Plantet,  Correspondance  de»  dey»  d'Alger,  I,  aoO. 


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LA   RÉDEMPTION    ET    LA   ROYAUTÉ.  ^79 

En  1721,  treize  Turcs  avaient  été  promis  par  Dusaull1, 
contre  douze  Français;  or,  sept  de  ceux  qui  furent  conduits  à 
Alger  étaient  invalides  et  Maures.  Si  Dusault  (mort  au  mois 
de  mai  1731)  n'avait  pas  promis  les  treize  Turcs,  jamais  les 
Algériens  n'auraient  rendu  les  douze  Français  arrivés  à  Alger 
sur  les  galères  de  Salé,  ce  qui  était  une  gracieuseté  particu- 
lière. Aussi,  pour  apaiser  le  dey,  ordre  fut-il  donné  aux  con- 
suls de  Gibraltar  et  de  Cadix  de  racheter  vingt-sept  Turcs  et 
Maures  pris  par  les  Hollandais  et  vendus  aux  Espagnols1. 
A  la  suite  du  voyage  du  P.  de  La  Faye,  Maurepas,  ministre 
de  la  marine,  fit  libérer  six  Turcs  des  galères,  récemment 
achetés  à  Cadix  (16  janvier  1726)3. 

En  1737,  des  Maures  ayant  été  jetés  à  Collioure  par  ta  tem- 
pête, l'amirauté  voulut  s'en  saisir  à  Marseille,  pour  les  faire 
jeter  sur  les  galères  ;  mais  les  échevins  les  renvoyèrent  à 
Alger  *. 

De  semblables  procédés  facilitèrent  les  échanges;  en  1755, 
sur  trois  cent  quarante-huit  captifs,  les  Trinitaires  Déchaus- 
sés en  eurent  cent  quatre-vingt-onze  par  échange  5. 

On  voit  combien  il  était  important  pour  les  rédempteurs 
d'avoir  d'avance  l'agrément  royal  pour  l'échange  des  Turcs 
des  galères.  L'amirauté ,  après  avoir  rendu  ceux  d'Alger, 
n'avait  qu'à  faire  acheter  d'autres  Turcs  à  Livourne  ou  à 
Malte6. 


1.  Dusault  était  très  considéré  en  Barbarie;  le  bey  de  Tripoli  lui  avai 
donné  une  statue  antique  de  la  Padenr,  qu'il  offrit  à  Louis  XIV  pour  Ver- 
sailles. Revue  africaine,  l.  XXXII,  p.  60. 

2.  Ibid.,  p.  i3i. 

3.  Ibid.,  pp.  i37-i38. 

4.  Ibid.,,  p.  128. 

5.  Arbor  ckronotogica  ordinis  S.  Trinilatù,p.  i3£. 

6.  Voïci  encore  quelques   exemples  d'échange.    1621    :   un  pirate    ee 


■doyGoo^Ie 


38o  l'ordre  français  des  trinitaires. 

Quand  il  n'y  avait  pas  échange,  il  fallait  bien  payer  la  ran- 
çon des  captifs.  Il  ne  pouvait  convenir  au  roi  de  prendre 
officiellement  cette  dépense  à  sa  charge,  considérant  «  qu'il 
n'était  de  sa  dignité  de  traiter  avec  la  canaille  ou  de  payer 
une  somme  pour  rançon  de  ses  sujets  »,  mais  il  priait  le  sou- 
verain du  pays  d'agréer  cette  somme  en  présent,  «  comme 
témoignage  de  son  amitié  singulière1  ».  Ainsi  le  traité  con- 
clu à  Alger  en  1666  par  le  duc  de  Beaufort  contient  une 
clause  secrète  sur  le  prix  des  esclaves  délivrés  ;  mais  dans  le 
traité  public,  ils  sont  censés  avoir  été  libérés  sans  rançon. 

Parfois,  le  rachat  était  mis  à  la  charge  des  villes.  En  1628, 
les  communautés  de  Provence  trouvant  déjà  onéreux  de  payer  - 
les  300  livres  obligatoires  par  esclave,  d'après  la  liste  remise 
à  Samson  Napollon,  refusent  d'accorder  une  gratification 
à  ce  marin'.  A  mesure  que  le  dix-septième  siècle  s'avance, 
nous  voyons  croître  les  charges  pesant  sur  les  villes,  du  fait  de 
leurs  enfants  esclaves.  Un  arrêt  du  Conseil  d'État,  du  b\  jan- 
vier 1666,  contraignit  les  communautés  à  donner  175  écus  par 
captif,  mais  sauf  remboursement  par  les  parents  qui  auraient 
du  bien3. 


échangé  pour  un  esclave  marseillais  de  bonne  famille  détenu  à   Alger. 
(P.   Calixte,  ouvr.   cité,  p.   11g).  —  1648  :  de  Cocquicl  échange   trente-six 
Turcs  des   galères  contre  deux    cents  captifs  français  (Corr.  d'Alger, 
I,  55).  —  1666  :  sepl  forçais  sont  échangés  au  moment  de  la  mission  de 
Dumoulin  (Aff.  étr.,  Afrique,  n°  8,  fol.  129  v°).  —  L'échange  est  plaisam- 
ment mentionné  dans  la  célèbre  scène  du  Pédant  joui  :  «  Va-t-en  leur  dire 
que,  le  premier  Tare  qui  me  tombera  entre  les  mains,  je  te  leur  renooye- 
rai  pour  rien.  »  —  Il  existait  aussi  en  Orient.  Les  Déchaussés  de  Vienne 
se  louèrent  beaucoup  de  la  conduite  des  Turcs  d'échange  qu'ils  amenèrent 
avec  eux  en  1700  (Triumphas  misericordiœ,  p.  80). 
1.  Mission  des  Capucins  à  Maroc.  Rome,  1888,  p.  63, 
3.   Pièce  des  Archives  communales  de  Cassis  (i4  mars  1628). 
3.  Plantbt,  Correspondance  des  beys  de  Tunis,  I,  ivm.  —  Le  roi  fit 
d'ailleurs  en  secret  une  aumône  de  4°,°°o  livres  pour  les  nécessiteux. 


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LA    RÉDEMPTION    ET    LA    ROYAUTE.  38l 

L'influence  du  roi  s'exerça  de  tout  temps,  dans  le  cours  de 
la  rédemption,  en  limitant  le  choix  des  esclaves.  La  cour  de 
France  interdisait,  en  principe,  le  rachat  des  déserteurs  fran- 
çais pris  sous  pavillon  étranger,  bien  moins  intéressants  que  les 
chrétiens  victimes  d'un  malheur  immérité.  C'était  d'ailleurs  une 
idée  commune  à  tous  les  souverains  européens.  Cependant, 
lorsque  l'enquête  demandée  d'avance  au  consul  de  France 
n'avait  pas  été  conduite  avec  assez  de  sagacité,  les  déserteurs, 
réussissant  parfois  à  cacher  leur  identité,  étaient  rachetés  à 
la  faveur  de  cette  méprise  '  ;  lors  du  retour  des  rédempteurs 
en  1731  et  en  1700,  la  cour  de  France  ordonna  formellement 
de  ne  pas  inquiéter  ces  déserteurs3.  Maurepas  en  avait  parlé 
à  son  collègue  le  comte  d'Argenson,  qui  leur  donna  des 
saufs-conduits  pour  la  durée  des  processions  solennelles  mar- 
quant le  retour  des  captifs,  quitte  à  obtenir  du  roi  leur  grâce 
pendant  ce  temps  ou  à  les  faire  passer  ensuite  aux  colonies. 

Il  était  toujours  interdit  aux  Trinitaires  de  racheter  les 
déserteurs  en  connaissance  de  cause  :  le  P.  Gâche  avait 
répondu  par  un  refus  à  la  princesse  Louise  de  France,  qui 
intercédait  pour  obtenir  le  rachat  d'un  déserteur  (14  jan- 

™  1778). 

En  résumé,  à  celte  époque,  la  rédemption  était  la  plupart 
du  temps  générale,  parce  qu'on  rachetait  un  certain  nombre 
de  captifs,  à  la  fois  et  indistinctement,  à  part  quelques  res- 
trictions apportées  par  les  prescriptions  de  la  cour  de  France  ; 
c'était  une  œuvre  absolument  privée,  où  les  religieux  inter- 
venaient en  leur  nom  et  avec  leurs  propres  ressources. 

1.  Cf.  la  grâce  accordée  à  Jean-Pierre  Congy,  déserteur  corse,  racheté 
pu-  le  P.  Gâche  (Corr.  citée,  3  mars  1780). 
9.  Pièce  3o4- 


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CHAPITRE  VII. 


Le  voyage  de  rédemption  à  Alger  ou  à  Tunis. 


La  règle  trinitaire  ne  fixe  pas  les  conditions  du  choix  des 
rédempteurs'.  «  Ils  doivent  être,  disent  les  statuts,  éminents 
sous  tous  les  rapports,  d'une  forte  santé,  d'une  vertu  éprou- 
vée, d'une  charité  inépuisable.  »  D'ordinaire,  ceux  qui  avaient 
été  jugés  dignes  de  l'administration  d'un  couvent  pouvaient 
seuls  prétendre  à  l'honneur  de  faire  une  rédemption  ;  les  sta- 
tuls  de  1429  n'en  excluent  pourtant  pas  les  simples  frères. 
Depuis  le  quinzième  siècle,  nous  n'y  voyons  guère  employés 
d'autres  religieux  que  des  ministres,  au  nombre  de  trois  ou 
quatre,  surtout  et  presque  exclusivement  tirés  des  provinces 
du  nord  de  la  France.  Ils  sont  élus  par  le  chapitre  général, 
tous  les  trois  ans,  nous  dit  François  Bouchel;  en  Espagne, 
ils  sont  choisis  par  le  Défini toire. 

En  i5o5  figure  parmi  les  rédempteurs  un  ministre  de  Cor- 
des; en  1723,  un  ministre  de  Montpellier;  en  1720,  un  reli- 
gieux d'Avignon.  D'ailleurs,  quand  une  rédemption  avait 
pour  but  spécial  le  rachat  des  captifs  d'une  région,  l'envoi 
d'un  rédempteur  de  celte  région  est  tout  indiqué.  Pierre  Mer- 


1.  Il  eal  seulement  ordonné  aux  rédempteurs  de  porter  la  barbe,  car  en 
Barbarie  ceux  qui  ne  la  portent  pas  sont  regardés  comme  des  gens  dis- 
solus (Hihl.  nal.,  n.  acq.  lat.  1788,  f°  4  v4)-  D'où  les  barbes  vénérables 
des  rédempteurs  qui  faisaient  un  si  bel  effet  a 


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LB    VOYAGE    A    ALGER.  OU    A    TUNIS.  383 

cier,  voulant  en  i665  racheter  (es  captifs  d'Ostende,  pour  ins- 
pirer confiance  aux  Flamands,  charge  de  leur  rachat  le 
P.  Dachier',  ministre  de  Lens,  avec  Félix  Boucher,  religieux 
corners  du  couvent  de  Douai. 

Le  lieu  du  voyage  est  fixé  par  le  chapitre  général  ou  le 
grand-ministre,  d'après  les  lettres  que  l'on  reçoit  sur  l'état 
du  pays  ou  les  souffrances  des  esclaves.  La  destination  ordi- 
naire est  Alger,  Tunis  ou  le  Maroc,  bref  l'Afrique  du  Nord. 
Comme  rédemption  exceptionnelle,  on  peut  citer  celles  de 
Hongrie  en  1602,  de  Tripoli  en  1700,  et  de  Constantinople 
en  1732. 

Le  départ  est  précédé  d'un  certain  nombre  de  formalités, 
dont  la  première  était  l'obtention  du  passeport  royal.  Le  nom 
du  roi  de  France  est  si  respecté  en  Barbarie  que  même  les 
religieux  de  la  Merci  d'Andalousie  ne  dédaignent  pas,  en 
1715,  de  lui  demander  un  sauf-conduit1. 

Le  passeport  du  roi  de  France  a  comme  corollaire  celui  du 
dey  d'Alger,  de  l'aga  des  Janissaires  ou  de  quelque  autre. 
Des  i58i,  Djafer,  vice-roi  d'Alger,  écrit  aux  rédempteurs 
que  cela  ne  se  passerait  plus  comme  sous  son  prédécesseur 
Hassan,  et  que  les  chrétiens  pourraient  venir  librement  en 
Barbarie,  tant  pour  le  négoce  que  pour  la  rédemption.  En 
1645,  le  P.  Lucien  Hérault  reçut  un  pareil  passeport  avec 
des  promesses  d'excellents  traitements,  mais  elles  ne  furent 
guère  tenues.  Le  19  janvier  174°)  'e  dey  Mehemmed  envoya 
aux  Trinitaires  de  la  province  de  Castîlle  un  passeport  solli- 
cité par  le  Père  administrateur  de  l'hôpital  d'Espagne3. 


■  ■  Archives  du  royaume  de  Belgique  à  Mons.  Les  captifs   rachetés  à 
Alger,  en  novembre  1729,  sorti  aussi  tous  des  Flamands. 
1.  Hlintet,  Correspondance  de*  beys  de  Tunis,  l.  Il,  p.  1 54. 
3.  Plantbt,  Correspondance  des  deys  d'Alger,  H,  308  n. 


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004  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES. 

L'essentiel  était  d'emporter  de  l'argent.  Le  change  causait 
un  grand  ennui  aux  rédempteurs,  d'autant  que  les  seules  piè- 
ces admises  étaient  les  piastres  mexicaines  ou  sévillanes,  el 
que,  vu  l'importance  de  la  somme,  on  trouvait  difficilement  à 
la  changer,  même  à  Marseille1. 

Les  Trinitaires  emportent  aussi  des  marchandises.  Le 
4  août  i63o  «  fut  accordé  que,  pour  le  rachat  des  esclaves 
français  qui  se  trouveraient  au  lieu  de  Salé  el  terre  de  sa 
juridiction,  on  payerait  à  leurs  patrons  l'argent  qu'ils  auraient 
coûté,  avec  4o  °/0  de  profit,  en  toile  de  Rouen  à  prix  raison- 
nable1 ».  Quant  aux  présents  officiels,  on  sait  que,  de  tous 
temps,  on  en  offrit  aux  Musulmans.  Raynaldi  mentionne  ceux 
que  le  pape  envoya  en  i344  au  soudan  de  Babylone  pour 
l'adoucir  {ad  emulcendum  soldanum)  et  l'amener  à  traiter 
mieux  les  chrétiens.  Les  archives  de  la  Chambre  de  commerce 
de  Marseille  et  les  lettres  des  consuls  d'Alger  mentionnent,  à 
chaque  instant,  les  présents  qu'il  faut  faire,  au  dey  à  l'occasion 
de  la  naissance,  de  la  circoncision,  du  mariage  de  ses  fils.  Dés 
qu'un  consul  d'Angleterre  ou  de  Hollande  a  fait  un  riche  ca- 
deau, il  faut  que  la  France  en  fasse  un  encore  plus  considéra- 
ble, puisque  c'est  la  richesse  des  présents  qui  donne  l'in- 
fluence et  la  considération.  Les  rédempteurs  n'étaient  pas 
exempts  de  cette  cause  de  préoccupation  ;  leurs  présents 
auraient  été  refusés  s'ils  n'avaient  pas  été  assez  beaux,  el  la 
rédemption  se  serait  trouvée  compromise.  Aussi  voit-on,  à  la 
fin  du  dix-huitième  siècle,  les  Trinitaires  s'entendre  d'avance 
avec  le  souverain  musulman  au  sujet  du  présent  qui  lui  serait 
agréable.    L'empereur  du  Maroc   réclame  aux    rédempteurs 


.  Archives  de  la  Chambre  de  commerce  de  Marseille,  panim. 

.  Mixtion  de»  Capucins  à  Maroc,  p.   1 58. 


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LE  VOYAGE  A  ALGER  OU  A  TUNIS.  385 

de  1765  de  la  cochenille,  à  ce  moment  hors  de  prix  à  Cadix; 
ils  ont  toutes  les  peines  du  monde  à  faire  revenir  le  souverain 
sur  cette  idée.  Finalement,  les  religieux  en  furent  quittes 
pour  apporter  à  la  piace  une  certaine  quantité  de  thé  ;  mais 
quand  il  l'eut  reçu,  l'empereur  déclara  qu'il  ne  valait  rien! 

Ce  n'est  pas  le  souverain  seul  qu'il  faut  gagner;  il  y  a, 
au-dessous  de  lui,  ses  fonctionnaires,  surtout  les  officieux, 
comme  les  Juifs,  qui  sont  souvent  les  intermédiaires  de  la 
rédemption.  L'un  d'entre  eux  intervint  très  opportunément, 
en  1765,  pour  les  religieux  qui  refusaient  de  payer  une  trop 
forte  commission  au  vice-roi  Mouley-Idris,  à  Mogador,  en 
Maroc.  Toutes  ces  dépenses  devaient  être  prévues  dans  le 
budget  de  la  rédemption,  sous  peine  de  voir  le  déficit  s'ac- 
croître dans  des  proportions  gigantesques;  le  seul  remède, 
l'emprunt,  auquel  les  rédempteurs  de  1 765  songèrent,  est  une 
source  de  difficultés  pour  l'avenir.  La  prudence  devait  con- 
traindre les  religieux  à  ne  pas  trop  se  laisser  aller  au  senti- 
ment en  rachetant  au  delà  de  leurs  ressources. 

Les  rédempteurs,  ayant  reçu  la  bénédiction  du  général, 
s'embarquent  à  Marseille  ou  à  Toulon  pour  se  rendre  à 
Alger  ou  à  Tunis.  Leur  traversée  n'est  pas  exempte  de  dangers  ; 
car,  s'ils  vont  faire  un  rachat  à  Alger,  ils  ne  sont  pas  pour 
cela  protégés  contre  les  pirates  de  Salé  ou  de  Tunis1.  Natu- 
rellement, Us  s'embarquent  sur  des  bateaux  très  simples,  car 
il  faut  être  économe  du  trésor  des  captifs,  à  moins  que, 
comme  en  1719,  ils  n'aient  la  bonne  fortune  de  se  trouver  sur 
le  navire  qui  porte  l'heureux  négociateur  Dusault. 

Arrivés  au  port  de  Barbarie,  ils  font  avertir  le  souverain; 
deux  barques  viennent  à  leur  rencontre,  l'une  porte  le  consul 

1.  P.  Dan,  Hiitoirt  de  Barbarie,  p.  48g- 


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ÔHb  L  ORDRE  .FRANÇAIS    DES    TRIMTAIRE5. 

de  France,  l'autre  le  secrétaire  du  dey';  l'un  vient  les  com- 
plimenter et  se  mettre  à  leur  disposition  pendant  tout  le  temps 
de  leur  séjour,  l'autre  leur  demande  combien  d'argent  ils 
apportent;  ils  tâchent  toujours  de  n'en  déclarer  que  la  moitié. 
On  déduit  5  ",/„  de  tout  l'argent  et  de  la  valeur  des  marchan- 
dises. On  ôte  le  gouvernail  et  les  voiles1  du  navire;  cette  for- 
malité, dont  seuls  les  Vénitiens1  surent  se  faire  dispenser  au 
Moyen-âge,  s'explique  par  la  crainte  des  Algériens  de  voir 
un  esclave  se  sauver  subrepticement  à  bord  du  bateau  sans 
payer  de  rançon.  Dans  le  voyage  du  P.  Michelin,  en  1666,  le 
capitaine  Pierre  Chabal  demanda  en  vain4  qu'on  n'enlevât  pas 
les  voiles  au  navire  royal,  et  les  rédempteurs  eux-mêmes  le 
blâmèrent  de  son  insistance. 

Des  gravures,  qui  enveloppent  les  liasses  des  Mathurins  de 
Paris,  nous  montrent  les  rédempteurs  sortant  de  leur  canot; 
l'uo  porte  un  petit  sac,  les  captifs  se  jettent  à  leurs  genoux. 
A  côté  sont  représentés,  pour  inspirer  de  la  compassion  aux 
chrétiens  libres,  quelques-uns  des  supplices  parfois  infligés  aux 
malheureux  esclaves;  un  captif  est  suspendu  la  tête  en  bas,  un 
autre  empalé,  un  troisième  tiré  par  les  cheveux  par  un  captif, 
sur  l'ordre  d'un  Maure.  En  fait,  la  première  impression  des  reli- 
gieux n'est  pas  si  sombre.  Le  canon  a  été  tiré  pour  l'arrivée 
des  rédempteurs  et,  durant  vingt-quatre  heures,  les  chaînes5 

1.  L'Oukil,  comme  l'appelle  H.-D.  de  Gbammont  dans  son  étude  sur  la 
Rédemption. 

2.  On  les  rendait  au  départ.  D'après  une  légende,  saint  Jean  de  Mali» 
fut  abandonne  avec  ses  captifs  sur  une  nef  sans  gouvernail  ni  voiles,  comme 
les  saintes  Maries  de  la  Mer,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  d'arriver  au  port  sain 
et  sauf  (P.  Calixte,  Corsaires  et  rédempteurs,  p.  78}. 

3.  M  as- Latrie,  ouor.  cité,  p.  387. 

4.  Le  Tableau  lie  piété  envers  les  captifs,  p.  105. 

5.  Le  P.  Hérault  parait  avoir  exagéré  en  parlant  de  chaînes  de  100  livra 
(Larmes  et  clameurs  des  chrétiens,  i643,  p.  i4). 


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LE    VOYAGE    A   ALGER   OU    A    TUNIS.  38'/ 

sont  enlevées  à  tous  les  captifs  (du  moins  l'anneau  que  les 
esclaves  du  Bevlic  portent  à  la  jambe).  Durant  le  temps  de 
la  rédemption,  les  religieux  donnent  aux  esclaves  de  leur 
nation  une  piastre  par  mois;  cette  gratification,  qui  s'ap- 
pelle la  lune,  a  pour  but  de  les  dispenser  du  travail  el  de 
leur  laisser  plus  de  loisir  pour  faire  des  démarches  auprès 
des  rédempteurs. 

Les  Pères  doivent  aller  présenter  leurs  civilités  au  dey;  le 
consul  les  y  accompagne.  Le  souverain  désire  voir  racheter 
d'abord  ses  esclaves,  en  impose  cinq,  qu'il  prend  toujours 
parmi  les  plus  inutiles  et  vend  très  cher;  dans  ce  nombre,  il 
en  glisse  parfois  qui  n'appartiennent  ni  à  la  naiion  ni  a  la 
religion  des  rédempteurs;  ceux-ci  sont  obligés  d'accepter 
quand  même  ces  cinq  esclaves,  sans  quoi  la  rédemption  serait 
compromise. 

Cette  visite  officielle  une  fois  faite,  les  Pères  demandent 
quels  sont  les  captifs  les  plus  anciens  et  les  plus  méritants  et 
recherchent  ceux  pour  lesquels  ils  ont  un  fonds  spécial.  Cette 
enquête,  déjà  préparée  dans  les  divers  diocèses  de  France,  est 
fort  difficile  à  cause  du  secret  qu'il  faut  garder  et  de  la  néces- 
sité de  se  servir  des  intermédiaires  ;  ceux-ci  font  parfois  rache- 
ter d'abord  les  captifs  les  plus  fortunés  ou  ceux  qui  leur  ont 
donné  quelque  argent.  Les  religieux  sont  dans  celte  situation 
embarrassée,  par  suite  de  leur  ignorance  de  la  langue  arabe  ; 
ce  n'était  donc  pas  sans  quelque  fondement  qu'un  anonyme 
du  seizième  siècle,  écrivant  des  «  Articles  »  pour  la  rédemp- 
tion des  captifs,  proposait  que  les  religieux  fussent  toujours 
accompagnés  de  personnes  connaissant  «  la  langue  et  manière 
de  trafiquer  »  du  pays  '. 

i.  Bibliothèque  nationale,  manuscrit  Français  17284,  F"»  a6-3o.  Je  dois 
celle  indication,  avec  bien  d'autres,  à  mon  excellent  confrère  A.  Vidicr. 


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388  l'ordre  français  des  trinitairbs. 

Tous  les  esclaves  cherchaient  naturellement  à  se  faire 
racheter  les  premiers.  L'un  contrefit  le  furieux  avec  tant 
d'art,  menaçant  son  patron  de  le  tuer,  que  celui-ci  prit  peur 
et  s'en  défit  pour  une  somme  peu  élevée.  Parfois,  le  patron 
vient  menacer  le  rédempteur  de  toutes  sortes  de  maux,  s'il  ne 
rachète  pas  son  esclave.  La  fourberie  des  captifs  met  les  reli- 
gieux dans  l'embarras.  Ils  apportent,  raconte  le  P.  Héron 
qui  alla  à  Alger  en  1639,  des  fausses  lettres  de  leurs  parents, 
affirmant  que  ceux-ci  ont  confié  des  fonds  aux  rédempteurs, 
et  ils  prétendent  ainsi  être  rachetés.  Les  religieux,  sachant 
bien  n'être  jamais  allés  en  ces  pays,  ont  de  la  peine  à  mon- 
trer aux  patrons,  qui  veulent  se  faire  donner  l'argent  soi- 
disant  confié  par  la  famille,  la  fausseté  de  ces  prétentions 
et  courent  grand  risque  d'être  maltraités  par  ceux  dont  la 
fraude  a  échoué. 

En  général,  les  Trinitaires  ne  rachètent  que  leurs  compa- 
triotes catholiques.  Quand  il  y  a  des  captifs  «  de  la  religion  », 
les  protestants  leur  confient  parfois  des  fonds  pour  leurs 
coreligionnaires,  ou  ils  s'occupent  eux-mêmes  de  ce  rachat. 
Ce  n'est  que  dans  le  cas  où  il  n'y  aurait  pas  assez  de  natio- 
naux qu'ils  pouvaient  délivrer  des  étrangers,  à  moins  d'avoir 
reçu  pour  ceux-ci  des  fonds  spéciaux1. 

Le  roi  de  France  prétendait  qu'on  devait  remettre  en  liberté 
même  les  étrangers  pris  sous  pavillon  français1.  D'autre  part, 
on  ne  pouvait  accorder  la  même  faveur  aux  Français  pris  sous 
un  pavillon  ennemi  des  Barbaresques. 

1.  En  1703,  le  conseil  de  Hambourg  envoie  3oo  marks  aux  Triuiiaïres. 
B* Ascii,  Die  Uanxeslâdte  and  die  Barbareaken. 

2.  Le  Danemark  se  plaignit,  au  dix-huitième  siècle,  à  la  ville  de  Ham- 
bourg,  qu'elle  ne  rachetât  point  les  Danois  pris  sous  pavillon  hambour- 
geois.  La  célèbre  ville  hanséatique  déclara  qu'elle  ne  faisait  point  de  diffé- 
rence entre  ses  matelots. 


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LE    VOYAGE  *    ALGER    OU   A    TUNIS.  0OO, 

Les  religieux  eurent  pitié  d'une  pauvre  famille  de  Sardai- 
gnefiyao),  de  Grecs  et  du  père  d'un  comédien  italien.  Dans 
la  liste  des  esclaves  ramenés  de  Constantinople  en  i  j3  t  ,  un 
est  de  Saint-Gall  '. 

En  principe,  les  subventions  locales  ne  devaient  être  em- 
ployées que  pour  les  captifs  locaux,  avec  faculté  de  s'en 
servir  pour  les  esclaves  français  en  général,  si  la  somme  dis- 
ponible n'était  point  épuisée.  Le  partage  des  quêtes  entre 
les  Trinitaires  et  les  Pères  de  la  Merci  amena  nos  religieux  à 
racheter  des  gens  du  Nord  plutôt  que  des  gens  du  Midi. 
En  1708,  le  P.  Forton,  Mercédaire,  priait,  avec  raison,  les 
Trîntlaires  de  contribuer  au  rachat  des  Provençaux  autres 
que  les  Marseillais,  les  villes  de  Martîgues,  de  La  Ciotal,  de 
Toulon,  ne  fournissant  pas  des  fonds  suffisants  pour  le  rachat 
de  tous  leurs  compatriotes1.  Les  Marseillais  étaient  fort 
nombreux;  mais,  comme  nous  l'avons  vu,  le  Bureau  de  Ré- 
demption s'occupait  souvent  de  leur  rachat  particulier.  La 
rédemption  avait  donc  un  caractère  local  assez  prononcé. 

Les  captifs  rachetés  sont  de  tout  âge  et  de  tout  sexe.  Dans 
un  dénombrement  de  i58o,  figurent  deux  prêtres,  deux  Fran- 
ciscains, un  Dominicain,  une  Clarisse,  vingt-deux  enfants, 
vingt-quatre  femmes3.  D'après  des  listes  contenues  dans  un 
manuscrit,  les  Pères  de  la  Merci,  par  courtoisie,  rachetèrent 
plus  d'un  Trinitaire4,  à  charge  de  revanche.  On  retirait  même 
de  Barbarie  des  statues,  des  images  de  saints,  des  ornements 
sacrés  tombés  aux  mains  des  musulmans5. 

1.    Voyage  da  P.  Jehannot,  p.  33g. 
a.  Pièce  257. 

3.   Bernardin  de  Saint-Antoine,  Epitome,  F°  86. 

4-  Manuscrit  7700  de  la  Bibliothèque  du  Vatican. 

5.  Arbor  chronologica,  p.  i35.  —  A  la  page  174  du  Triumphas  miseri- 
cordiai:  se  trouve  la  reproduction  d'une  image  du  Christ  rachetée  en  168s 
et  placée  dans  le  couvent  de  Madrid. 


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3gO  LORDRE    FRANÇAIS    DES    TRIHITAIRES. 

Quant  aux  prix  de  la  rédemption  des  captifs,  il  est  bien  dif- 
ficile d'en  donner  une  idée  exacte.  En  1 5 4 r ,  rapporte  H.  de 
Grammont,  on  eût  pu  échanger  un  chrétien  contre  un  oignon  I 
Ce  prix  augmenta  rapidement,  sans  doute  plus  vite  que  la 
valeur  de  l'argent  ne  décroissait-  Les  cotisations  imposées  par 
Louis  XIV,  en  1666,  étaient  de  175  écus,  somme  presque 
équivalente  aux  600  livres  que  fournissaient  les  prieurs  de 
la  rédemption  de  Marseille.  En  i685,  ceux-ci  décidèrent  de 
faire  un  «  augment  de  charité  »  et  de  porter  cette  quotité  à 
800  livres1.  Le  prix  variait  d'ailleurs  selon  le  rang  présumé 
de  l'esclave  et  aussi  selon  le  pava  où  il  était  détenu.  Ainsi,  au 
Maroc,  les  esclaves  coûtaient  deux  à  trois  fois  plus  cher  qu'à 
Alger. 

Le  dey  faisait  trois  catégories,  selon  les  professions  que 
les  esclaves  pouvaient  exercer  :  minstrances,  gens  de  main- 
d'œuvre  (forgerons,  tonneliers,  charpentiers),  caravaniers, 
qui  portaient  les  fardeaux,  et  passebarres,  les  moins  esti- 
més de  tous,  qui  charriaient  des  pierres  à  la  mer  pour  cons- 
truire le  môle1. 

En  1737,  le  dey  exigeait  des  Mercédaires  1,000  piastres3 
pour  un  captif  ordinaire,  5, 000  pour  un  officier  et  100,000 
pour  chacun  des  deux  chevaliers  de  Malte,  Saldecagne  et 
d'Aregger.  Ce  dernier  chiffre  s'explique  par  l'hostilité  per- 
sistante entre  Maltais  et  Barbaresques.   Plutôt  que  de  subir 


it  de  hausse  continua  pendant  tout  le  dix-huitième  siècle. 
M.  Baasch,  qui  a  étudie  la  caisse  des  esclaves  à  Hambourg,  montre  que  la 
contribution  pour  le  rachat  de  chaque  esclave,  d'abord  de  3oo  marks,  monta 
à  5oo,  600,  700  même. 

2,  Mémoires  de  la  Congrégation  de  la  Mixtion,  t.  III,  pp.  36-17.  Ces 
dénominations  venaient  de  l'espagnol. 

3.  En  1720,  la  piastre  sévillane  valait  6  livres  10  sols;  en  1765,  elle  est 
comptée  pour  5. 


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LE   VOYAGE    A    ALGER    OU    A    TUNIS.  ,1f}I 

ces  exigences,  les  religieux  se  retirèrent.  L'année  suivante,  ils 
eurent  des  officiers  pour  8bo  et  niême  600  piastres  sévîllanes 
par  tête;  des  deux  chevaliers,  l'un  revint  à  22,000  piastres, 
l-'autre  à  10,000'.  Les  comptes  de  rachats  particuliers  d'escla- 
ves liégeois  dont  les  Trinîtaires  sont  chargés  vers  1780  foiit 
ressortir  leur  prix  moyen  à  3,ooo  livres.  '■  ' 

Dana  les  fortes  rançons,  la  famille  devait  intervenir  pour 
la  plus  grande  part,  mais  il  est  impossible  de  savoir  la  con- 
tribution des  religieux  pour  chaque  rachat.  Le  docteur  Gus- 
tave Lambert3  mentionne  100  livres  remises  par  Honoré  Mège 
pour  le  rachat  d'un  de  ses  parents,  ou  même  1 55  et  175  pias- 
tres que  des  captifs  s'engagent  à  payer,  une  fois  rentrés  en 
France,  mais  que  les  religieux  ne  purent  pas  toujours  tou- 
cher. I!  est  donc  permis  de  dire  que  la  contribution-  dés 
familles  était  facultative,  et  que  la  charité,  tant  du  roi  que 
des  religieux,  libérait  en  totalité  les  pauvres  captifs. 

Au  prix  net  s'ajoutaient  des  droits  innombrables,  dont 
1'énumération  tiendrait  une  page;  le  principal  était  celui  des 
portes  fixé  à  10  °/03.  Au  traité  si  avantageux  conclu  par 'le 
P.  Hérault,  le  ier  mars  i643,  figurent  i5  piastres  à  verser 
au -dey,  l\  au  secrétaire  d'État,  7  au  capitaine  du  port,  17  au 
gardien  du  bagne. 

A  mesure  que  les  Trinitaires  rachetaient  les  esclaves,  ils  les 
Taisaient  pourvoir  de  leur  carte  de  franchise  et  recueillir  dans 
quelque  maison  hospitalière,  la  plupart  du   temps  celle  du 

-  1.  Le  rachat  de  M"«  de  Bourck,  de  son  oncle 'et  de  son" domestique  coûta 
75,ooo  livres. 

».  L'Œaore  de  la  rédemption  des  captifs  à  Toulon,  pp.  69,  73,  79. 

î.  L'empereur  de  Maroc  en  avait  positivement  dispensé  les  Trinitaires 
en  1716,  mais  un  ministre  prévaricateur  ne  voulut  pas  en  prévenir  le  vice- 
roi  de  Mcquinez,  et  les  religieux,  contre  leur  attente,  se  virent  contraints 
par  celui-ci  de  le  payer. 


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3o2  L'ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRJNITAtRES. 

consul;  en  1720,  leur  rançon  fut  payée  dans  l'hôtel  du  pléni- 
potentiaire Dusault.  La  négociation  finie,  les  libérés  étaient 
passés  en  revue  par  le  dey  ;  c'est  à  ce  moment  que  les  ré- 
dempteurs ont  le  plus  à  redouter  les  insultes  de  la  populace. 
Le  navire  est  bien  inspecté  pour  que  l'on  soit  sûr  qu'aucun 
esclave  ne  s'y  est  caché  en  contrebande.  Après  cette  inspec- 
tion, le  gouvernail  et  les  voiles  sont  rendus,  et  le  bateau 
procuré  par  le  consul  peut  partir'. 

En  i645,  raconte  le  Mercédaire  d'Egreville,  dans  sa  Vive 
Foi,  des  esclaves  s'étaient  glissés  dans  le  vaisseau  en  par- 
tance; de  peur  d'être  poursuivi  par  les  Algériens,  et  malgré 
toutes  les  supplications  de  ces  malheureux,  l'équipage  les 
débarqua.  Un  esclave  de  Tunis  trouva  le  moyen  de  se  sauver, 
en  1730,  en  se  plongeant  jusqu'au  cou  dans  un  tonneau 
d'eau.  On  ne  le  signala  au  P.  Bernard  que  quand  le  navire 
fut  bien  loin  de  la  terre. 

Ne  reste-t-il  plus  d'esclaves  de  notre  pays  lors  du  départ 
des  religieux?  Certains  rédempteurs  l'ont  prétendu.  Le  P.  de 
La  Faye  affirme  qu'en  1725,  il  ne  reste  plus  à  Alger  que 
deux  a  catholiques  français  que  leurs  patrons  veulent  garder 
parce  qu'ils  leur  sont  utiles,  et  qui  d'ailleurs  ne  sont  pas 
malheureux.  En  admettant  que  cette  affirmation  fût  vraie 
pour  ce  moment  précis  et  lors  des  restitutions  imposées 
par  les  traités,  la  course  allait  rapidement  fournir  des  escla- 
ves en  plus  grand  nombre  qu'on  n'en  avait  racheté,  et  tout 
le  travail  devait  être  à  recommencer.  Les  rédemptions  fran- 
çaises étant  d'ailleurs  moins   fréquentes  que  celles  opérées 

1.  Ed  1720,  le  consul  Delane  somma  les  rédempteurs  partant  pour  Mar- 
seille de  continuer  leur  voyage  sur  un  pinque  de  construction  hollandaise 
qu'il  avait  acheté  pour  eux.  Revue  africaine,  XV,  36o. 

3.   Voyage  de  ija3-ij»5,  p.  357. 


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LE    VOYAGE  A   ALGER   OU   A    TUNIS.  3û.3 

par  les  Espagnols,  il  pouvait  rester  relativement  plus  de 
Français  que  d'Espagnols  en  captivité. 

Le  voyage  de  retour  était  parfois  accidenté.  A  deux  repri- 
ses, une  tempête  ramena  à  Alger  les  rédempteurs  de  1730. 
Au  passage  des  îles  Baléares,  en  1659,  lors  du  retour  du 
P.  Héron,  on  menaça  de  tirer  le  canon  contre  leur  vaisseau, 
mais  les  Trinitaires  de  Palma,  plus  généreux  que  le  gouver- 
neur, apportèrent  des  provisions  à  leurs  confrères;  en  1725, 
à  Port-Mahon,  on  leur  refusa  la  permission  de  prendre  de 
l'eau.  Après  une  traversée  plus  ou  moins  longue,  les  rédemp- 
teurs arrivaient  au  port  de  Marseille.  Les  Pères  de  la 
Merci  '  débarquaient  plutôt  à  Toulon,  où  ils  avaient  un  cou- 
vent. 

Gomme  Alger  était  presque  constamment  en  proie  à  la 
peste,  les  esclaves  rachetés  devaient  faire  la  quarantaine. 
Cependant,  le  ministre  de  Marseille  était  prévenu  et  la  popu- 
lation s'apprêtait  à  faire  fête  au  pieux  cortège. 

1.  En  1661,  ils  débarquèrent  à  Barcelone  et  durent  venir  à  pied  en 
France,  vivant  de  la  charité  publique  (Dr  Gustàvs  1 


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CHAPITRE  VIII. 
Les  processions  de  captifs. 


Dès  que  la  quarantaine  était  terminée,  les  processions  de 
captifs  commençaient.  C'était  une  fête  éminemment  populaire; 
la  dernière,  qui  eut  lieu  en  1785,  laissa  un  très  grand  sou- 
venir :  quarante  ans  après,  Bérenger  la  décrivait  encore  dans 
ses  Soirées  provençales1.  Ces  processions  avaient  un  double 
but  :  l'édification  et  l'utilité.  C'était  un  beau  spectacle,  pour 
les  populations,  que  de  voir  les  captifs  délivrés,  accompagnés 
de  leurs  libérateurs,  dont  la  charité  était  ainsi  peinte  au  vif  : 
quel  meilleur  moyen  eût-on  pu  trouver  pour  engager  les  chré- 
tiens à  se  montrer  généreux  pour  les  captifs,  bénéficiaires 
des  quêtes  faites  pendant  les  processions,  et  à  fournir  de 
nouvelles  ressources  aux  rédempteurs  I 

La  procession,  en  usage  au  moins  depuis  le  quinzième  siè- 
cle, au  témoignage  de  Gaguin,  visitait  de  préférence  les  cou- 
vents de  l'ordre.  De -Marseille1,  elle  gagnait,  en  général, 
Aix,  Arles,  Tarascon,  Avignon,  Lyon,  Troyes,  d'où  elle  se 
rendait  à  Paris,  soit  par  Fontainebleau,  soit  par  Châlons, 
Cerfroid  et  Meaux.  Le  voyage  n'était  pas  toujours  terminé 


1.  Lettre  i8«  du  I«r  volume,  pp.  3o6-3oç,  (Paris,  1819). 

a.  En  1666,  les  Pères  de  la  Merci  avaient  voulu  empêcher  les  Trinilaîres 
de  faire  une  procession  à  Toulon  (Gazette  du  12  novembre;  Le*  continua- 
teur* de  Loret,  tome  II,  col.  470)- 


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LES    PROCESSIONS    DE    CAPTIFS.  3()5 

par  la  capitale,  car  on  allait  souvent  montrer  les  captifs 
libérés  aux  villes  de  Flandre  '  et  de  Normandie,  dont  quel- 
ques-uns élaient  originaires. 

Il  y  avait  aussi  un  itinéraire  allongé,  traversant  le  Langue- 
doc et  le  Poitou,  que  le  Père  Hérault  avait  suivi  en  i643;  dans 
la  première  de  ces  provinces,  les  Tri  ni  (aires  possédaient  un 
certain  nombre  de  couvents.  Lors  de  la  rédemption  commune 
de  1785,  les  Trinitaires  prirent  l'itinéraire  direct,  et  les  Pères 
de  la  Merci  passèrent  par  Toulouse  et  Bordeaux. 

Les  processions  existaient  aussi  hors  de  France.  Celle  de 
i559  à  Lisbonne  est  ainsi  relatée  par  Jean  Nicot,  ambassa- 
deur de  France  en  Portugal.  «  Arrivèrent  environ  200  captifz 
qui  ont  esté  achetez  à  Algie  par  la  Miséricorde  de  ceste 
ville...;  chacun  d'eulx  portait  au  bout  d'un  baston  ung  petit 
pain  bis  en  extrémité  de  la  grosseur  d'un  orange,  dont  les 
trois  estoient  ce  qui  leur  estoit  distribué  par  chacun  jour  pour 
vivre3  »  (21  sept.  i55q). 

La  procession  des  Pères  de  la  Merci  rapportée  dans  le 
Diable  boiteux  de  Lesage  est  sombre  et  triste,  comme  le  génie 
espagnol  ;  un  trait  surtout  est  bien  observé  :  le  rédempteur, 
«  sur  un  cheval  caparaçonné  de  noir,  portait  sur  sa  figure  la 
joie  profonde  d'avoir  ramené  tant  de  chrétiens  dans  leur 
patrie  ». 

Il  semble  qu'on  ait  parfois  exagéré  la  mise  en  scène.  Lau- 
gier  de  Tassv,  un  peu  sceptique  à  l'endroit  des  malheurs  des 
esclaves,  prétend  qu'à  ces  processions  ils  ont  des  chaînes 
qu'ils  n'ont  jamais  portées  dans  leur  captivité  et  qu'on  leur 

1.  Le  P.  Ignace-  a  cilé  dans  ses  Mémoires  plusieurs  processions  de 
captifs  qui  eurent  lïeu  à  Àrras  et  à  Douai. 

2.  Bibl.  nat. ,  nouvelles  acquisitions  françaises,  6638,  fa  i63  (commu- 
nication de  M.  de  La  Roncière). 


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396  L'ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRIBUTAIRES. 

fait  à  dessein  pousser  la  barbe  et  les  cheveux  pour  les  rendre 
plus  horribles. 

L'assistance  à  la  procession  était  obligatoire,  tout  au  moins 
moralement,  pour  chaque  esclave.  Certains  contrats,  passés 
devant  notaire  pour  une  rédemption,  spécifient  que  l'esclave 
une  fois  racheté  assistera  à  la  procession  ',  Parmi  ces  captifs, 
ce  furent  parfois  les  mieux  nés  qui  se  refusèrent  à  respecter 
cet  engagement  d'honneur.  Devant  la  résistance  du  chevalier 
Louis  de  Castellane  d'Esparron,  en  1717,  les  Trinitaires  et 
les  Pères  de  la  Merci  qui  avaient  versé  ensemble  23,000  livres 
pour  son  rachat,  après  sommation  faite  par  huissier  se  rési- 
gnèrent à  laisser  de  côté  ce  fier  personnage,  qui  avait  trouvé 
fort  bon  qu'on  le  rachetât,  mais  ne  se  souciait  pas  de  s'ex- 
poser aux  regards  curieux  du  peuple  *. 

Les  religieux  tenaient  à  montrer  tous  leurs  captifs  ensem- 
ble, pour  faire  voir  qu'ils  avaient  bien  dépensé  tout  l'argent 
qui  leur  avait  été  confié.  Mais,  en  1731,  le  P.  Jehannot  dut 
envoyer  de  Constantinople  ses  esclaves  par  petits  groupes; 
ceux-ci  furent  laissés  libres  dès  leur  arrivée  à  Marseille,  mais 
invités  à  se  trouver  à  la  procession  lors  du  retour  de  leur 
rédempteur  3. 

Les  habitants  prenaient  une  grande  part  à  la  réception  des 
captifs  +.  Si  le  couvent  n'est  pas  assez  vaste,  les  personnes  les 
plus  distinguées  de  la  ville  se  disputent  l'honneur  de  les  loger. 

1 .  Pièce  aoo. 

3.  D'  Gustave  Lambert,  ouvt.  cité,  pp.  8a-83. 

3.  Pièce  380. 

4.  Les  Trinitaires  ne  se  louent  pas  moins  des  Français  qu'ils  rencontrent 
à  l'étranger.  En  1735,  un  négociant  languedocien,  Berlye,  établi  à  Gibral- 
tar, voyant  les  rédempteurs  embarrassés  de  loger  leurs  captifs,  vu  l'insufE- 
sance  des  auberges,  fit  vider  un  de  ses  magasins  pour  leur  donner  de  la 
place.  Le  lendemain,  d'ailleurs,  le  gouverneur  anglais  vint  les  inviter  à  loger 
au  château,  mais  il  était  trop  tard  (  Voyage  de  ija5,  p.  3aa). 


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LES    PROCESSIONS    DE    CAPTIFS.  3q7 

Une  pieuse  dame,  à  Châlons,  en  1732,  en  prend  douze  chez 
elle,  en  l'honneur  des  douze  apôtres. 

Les  captifs  trouvaient  parfois  ce  voyage  un  peu  long,  et  non 
à  tort;  celui  de  1732,  dirigé  par  le  P.  Jehannot,  dura  du 
20  octobre  au  i5  janvier,  par  suite  de  nombreux  détours. 
La  procession  avait  été  faite  &  Tarascon  où  il  y  avait  un  cou- 
vent de  l'ordre;  les  habitants  de  Beaucaire,  qui  n'est  séparé 
de  Tarascon  que  par  un  pont,  demandèrent  à  voir  la  proces- 
sion, n'en  ayant  jamais  vu.  Celle  d'Avignon  avait  excité  un 
tel  enthousiasme  que  des  habitants  d'Orange  la  firent  recom- 
mencer dans  leur  ville.  Les  captifs  récriminaient  contre  le 
froid  et  murmuraient  contre  leur  sauveur  lui-même,  ce  qui 
fit  dire  au  P.  Jehannot  qu'il  songeait  aux  plaintes  des  Israé- 
lites dans  le  désert,  et  que  s'il  avait  racheté  les  captifs,  ce 
n'était  pas  pour  s'attirer  leur  reconnaissance  1  Dans  le  petit 
village  de  Cintré,  entre  Vesoul  et  Langres,  les  habitants 
épouvantés,  prenant  les  captifs  pour  des  brigands,  se  barri- 
cadèrent, et  ce  ne  fut  qu'après  avoir  beaucoup  parlementé 
que  le  P.  Jehannot  parvint  à  les  loger.  De  là,  ils  descendirent 
la  vallée  de  la  Marne.  A  Joinville,  le  maire  avait  fait  nettoyer 
d'avance  les  rues  où  ils  devaient  passer  ;  le  corps  de  ville  les 
combla  de  libéralités,  et  le  maire  leur  donna  une  charrette 
pour  porter  les  infirmes  jusqu'à  Saint-Dizier.  A  Vitry,  «  le 
peuple  est  affable,  poli  et  de  bon  commerce  et  les  tribunaux 
sont  remplis  par  des  gens  de  mérite  et  d'érudition  m.  Les 
échevins  de  Châlons-sur-Marne  avaient  fait  sonner  les  cloches 
dès  qu'on  aperçut  le  cortège;  on  fit  aux  captifs  une  distri- 
bution de  souliers.  Après  Reims,  Soissons  et  Cerfroid,  ils 
arrivèrent  à  Meaux  '.    Les   manuscrits  de  Claude  Rochard 


1.    Voyage  du  P.  Jehannot,  pp.  365  à  385. 


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i()B  L  ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITAIRES. 

donnent  beaucoup  de  détails  sur  les  processions  de  captifs 
qui  eurent  lieu  dans  cette  ville,  sur  la  grande  affluence 
du  peuple.  In  durée  extrême  de  la  cérémonie  qui  dépassa 
huit  heures  et  comporta  des  stations  à  dix-huit  églises  ou 
couvents.  Tout  le  monde  d'ailleurs  faisait  preuve  de  dévoue- 
ment :  les  fusiliers  se  contentèrent  d'un  maigre  repas1. 

Naturellement,  les  captifs,  interrogés  par  tous,  disent  qu'il 
reste  encore  plusieurs  milliers  de  leurs  compatriotes  à  rache- 
ter; une  telle  déclaration  entrait  parfaitement  dans  les  vues 
des  rédempteurs,  dont  le  but  était  de  faire  croire  qu'il  exis- 
tait encore  "en  Barbarie  un  très  grand  nombre  de  captifs, 
dont  les  générosités  de  tous  les  chrétiens  pouvaient  seules 
briser  les  fers.  Captifs  et  rédempteurs  étaient  salués  par  des 
poètes  locaux,  comme  Jacques  de  La  Fosse  à  Troyes  (f Heu- 
reux paranymphe  de  1667),  enfin  à  Paris  par  Charles  Pilhou, 
profès  d'Arras  (i64a)  (Triumphus  Jraternae  pietatis),  et  en 
1785  par  un  motet.  C'est  à  Paris  que  l'accueil  fut  de  tous 
temps  le  plus  enthousiaste,  «  En  1466,  raconte  Gaguin  dans 
une  lettre,  il  y  eut  à  noire  entrée  une  telle  joie,  une  telle 
gaieté,  un  tel  concert  d'acclamations  a  toutes  les  rues,  à  tous 
les  carrefours,  que,  je  puis  l'affirmer,  aucun  roi  ne  fut  jamais 
reçu  comme  nous1.  » 

Des  stations  avaient  lieu  aux  couvents  en  bonnes  relations 
avec  les  Mathurins.  L'abbaye  de  Saint-Victor  reçut,  en  16^2 
comme  en    i^oi,    la  visite   des  captifs.    Louis  Petit    avait 

1 .  Rochurd  continue  ainsi  :  u  Le  lendemain ,  un  religieux  conduisit 
vingt-deux  des  soixante-trois  captifs  au  couvent  des  religieuses  de  Noéfort, 
pour  contenter  la  curiosité  ordinaire  des  religieuses,  qui  désiraient  avec 
ardeur  voir  ceux  qui  avaient  ainsi  soutenu  l'honneur  du  christianisme,  en 
préférant  l'esclavage  aux  honneurs  qui  leur  avaient  été  offerts  en  quittant 
leur  religion  et  avaient  souffert  les  tourments  et  travaux  a 
pour  Dieu  seul.  » 

2.  Db  Vaissiêhe,  De  Robtrli  Gaguini  vita  et  scriptis,  p. 


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LES    PROCESSIONS    DE    CAPTIFS.  3gg 

demandé  au  prieur  «  d'accommoder  quelque  petit  lieu  dans 
leur  basse-cour  pour  retirer  iceux  captifs  avec  leur  père 
rédempteur,  en  attendant  que  les  Malhurins  allassent  proces- 
sîonnellement  les  recevoir  ».  Les  religieux  de  Saint-Victor 
leur  avaient  donné  du  pain  et  du  vin  pour  «  se  repaître  '   ». 

Au  retour  des  captifs  rachetés  à  Alger  par  le  P.  Dan,  qui 
fut  peut-être  l'heureux  initiateur  de  cette  fête  (iG35),  on  leur 
donna  pour  escorte  des  enfants ,  vêtus  de  rochets  de  fine 
toile,  avec  une  branche  de  laurier  en  main  et  une  couronne 
en  tête,  qui  enlaçaient  les  captifs  des  liens  les  plus  gracieux  ; 
l'un  d'eux  portait  un  guidon  de  taffetas  blanc  où  étaient 
peints  deux  anges.  Depuis,  les  jeunes  enfants  figurèrent  tou- 
jours à  la  procession  des  captifs,  sous  le  nom  d'anges1. 

Cette  mode  se  communiqua  bientôt  à  la  province;  Troyes 
la  connut  dès  16603.  Lorsque  Subligny  décrit  une  procession 
de  1666,  sa  prose  rimée  en  devient  presque  poétique  : 

Ils  [les  captifs]  n'avaient  lors,  au  lieu  des  chaînes 

Qui  faisaient  leurs  honteuses  peines, 

Que  de  migoards  liens  dorés 

Desquels  ils  n'étaient  que  parés 

Et  que  tenaient  de  petits  anges, 

Dignes  d'amour  et  de  louanges 

Pour  leur  grâce  et  pour  leur  beauté, 

Et  loua  enfants  de  qualité. 

«  La  gentillesse  de  leurs  habits  était  à  admirer,  mais  aussi 
bien  à  plaindre,  à  cause  de  la  salleté  des  rues  ordinaires  dans 
Paris  »,  dit  le  chroniqueur  de  iôqa. 

Les  programmes  de  ces  processions  furent  imprimés  en 

t.  Bibl.  Mazarine,  recueil  37218,  17'  pièce. 
1.  Corsaires  et  Rédempteurs,  pp.  375-1176. 
3.  BouTiOT,  Histoire  de  Troye»,  IV,  46*489. 


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4<x>  l'ordre  français  des  trinitaires. 

grand  nombre  au  dix-huitième  siècle1.  La  cérémonie  se  com- 
posait essentiellement  de  stations  dans  les  églises  (la  première 
était  en  général  dans  l'abbaye  de  Saint-Antoine)  avec  ser- 
mons et  quêtes  '  pour  permettre  aux  libérés  de  revenir  chez 
eux.  Dans  un  rachat  commun,  les  Mathurins  et  les  Mercé- 
daires  ont  chacun  leur  jour.  A  la  fin,  un  «  ange  »  harangue  le 
général  au  nom  des  captifs,  et  celui-ci  sert  lui-même  au  ré- 
fectoire les  plus  anciens  d'entre  eux3. 

Les  rédempteurs  présentent  parfois  leurs  captifs  au  roi.  Le 
P.  Lucien  Hérault  rappelle  à  Anne  d'Autriche  qu'il  les  lui  a 
amenés  dans  la  galerie  du  Louvre,  le  20  septembre  i643,  et 
que  le  jeune  roi  les  a  longuement  regardés,  comme  pour  se 
rappeler  qu'il  devait  un  jour  venger  les  injures  faites  à  ses 
sujets4.  Un  compte  rendu  était  dressé  au  sujet  du  prix  du 
rachat.  Enfin,  chacun  des  captifs  recevait  du  général  un 
certificat  de  rédemption,  valable  pour  six  mois,  et  de  l'argent 
pour  ses  frais  de  route.  Après  ces  mois  ou  ces  années  d'ab- 
sence, les  rédempteurs  n'avaient  plus  qu'à  prendre  un  repos 
bien  gagné,  avant  de  repartir  pour  de  nouveaux  voyages5. 

1 .  Un  recueil  factice  de  ces  programmes  existe  à  la  Bibliothèque  natio- 
nale, Ld«,  no  3. 


Jagn  a  tallo  damofulte 

(Sublion  y,  Les  continuateur»  de  Loret,  l.  II,  col.  49°-) 

3.  Le  tableau  de  piété,  p.  i4ï  (i3  novembre  1666). 

4.  Larmes  et  clameurs  des  chrétiens,  Paris,  1643,  p.  5. 

5.  Autres  exemples  de  procession.  Montpellier  :  «  Un  enfant  velu  en 
Turc,  muni  du  turban  et  du  sceptre,  escorté  d'une  jeune  fille  costumée  en 
sullane  »  {l'abbé  Azaïs,  d'après  Germain,  L'œuvre  de  la  rédemption  des 
captifs  à  Montpellier).  —  Douai  :  «  Venait  ensuite  une  galère  équipée, 
voguant  sur  le  dos  de  plus  d'un  Neptune  d'emprunt.  Elle  était  chargée  d'es- 
claves chrétiens  que  conduisait  un  Jésuite  habillé  en  Mathurin  a  (lors  de 
l'entrée  de  Louis  XIV,  a3  juillet  1667  ;  Tailliah,  ouor.  cité,  t.  111,  p.  7,  et 
Les  continuateurs  de  Loret,  t.  II,  col.  901). 


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CHAPITRE  IX. 
Les  plus  célèbres  rédemptions. 


Le  voyage  pris  pour  type  au  chapitre  vu  est  le  plus  simple 
et  le  plus  rapide  qui  puisse  se  rencontrer.  Les  rédempteurs 
de  i54o  ne  stipulent  avec  leur  guide  qu'un  séjour  de  trois 
mois  en  Barbarie;  ceux  de  1667,  Michelin,  Basire  et  Le  Beau, 
ne  restent  à  Alger  que  du  1 2  mai  au  1 1  septembre.  Ce  voyage 
ne  fut  pas  toujours  aussi  court.  Sans  parler  des  incidents 
qui  retinrent  deux  ans  à  Toulon  les  PP.  Basire  et  Escoffier, 
avant  leur  départ,  et  des  démêlés  du  P.  Philémon  de  la 
Motte  avec  les  prieurs  de  la  rédemption  de  Marseille,  il 
pouvait  survenir  en  Afrique  des  difficultés  graves.  Sans  doute, 
il  n'arrivait  guère  que  le  rédempteur  fut  obligé,  comme  le 
P.  Jehannot  à  Constanlinople,  en  1  y3 1 ,  d'attendre  le  retour 
des  galères  sur  lesquelles  ramaient  les  captifs,  mais  bien  d'au- 
tres causes  paralysaient  le  rachat,  surtout  le  manque  de  res- 
sources. 

Diverses  causes  pouvaient,  d'ailleurs,  amener  les  rédemp- 
teurs à  s'arrêter  en  plus  d'une  ville,  soit  qu'au  premier  point 
touché  la  rédemption  fut  empêchée,  soit,  au  contraire,  qu'il 
y  eût  assez  de  ressources  pour  y  faire  participer  plus  de 
captifs.  Cela  serait  une  justification  suffisante  de  la  pluralité 
des  rédempteurs,  qui  agissaient  chacun  d'une  manière  indé- 
pendante. Ainsi,  en  1719,  les  captifs  rachetés  à  Alger  furent 
ramenés  par  les  PP.    Comelin  et  Philémon  de  Motte,  sans 


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402  L'ORDRE    FRANÇAIS    DBS    TRINITAIRES. 

qu'on  attendit  le  P.  Bernard,  qui  s'était  rendu  à  Tunis.  En 
1725,  très  peu  de  captifs  purent  être  retirés  du  Maroc;  ils 
furent  laissés  entre  les  mains  du  P.  Le  Roy,  qui,  de  Cadix, 
les  conduisit  en  France  par  le  Havre.  Voulant  dépenser  le 
reste  de  leur  argent,  les  PP.  de  La  Faye  et  Darcisas  parti- 
rent pour  Marseille,  afin  de  repasser  de  là  en  Barbarie.  Après 
avoir  couru  un  grand  danger  qu'ils  ne  spécifient  point,  sans 
doute  la  rencontre  d'un  vaisseau  corsaire,  ils  abordèrent  au 
port  de  Bouc  et  mandèrent  au  ministre  de  Marseille  qu'il  eût 
à  faire  annoncer  par  affiche  leur  prochain  départ,  avec  la 
permission  de  l'évèque,  et  à  chercher  quelque  embarcation  se 
rendant  à  Alger1. 

Quelque  compliquées  qu'aient  été  ces  dernières  rédemp- 
tions, sans  qu'il  y  ait  eu  faute  de  la  part  des  musulmans, 
elles  peuvent  être  considérées  comme  normales  jusqu'à  un 
certain  point.  Au  contraire,  quelques-unes,  qui  vont  être 
énumérées,  offrent  un  certain  intérêt,  soit  par  leurs  circons- 
tances, soit  par  le  lieu  où  elles  se  passèrent. 

Le  voyage  de  i58o,  opéré  par  les  Trinitaires  espagnols, 
est  le  premier  sur  lequel  nous  soyons  bien  renseignés,  grâce 
à  un  témoin  oculaire,  Diego  de  Haedo,  qui  eu  donne,  dans 
ses  Dialogues  des  martyrs,  un  récit  très  vivant.  On  était  à 
l'époque  de  la  plus  grande  tension  des  rapports  entre  chré- 
tiens et  musulmans,  neuf  ans  après  Lépante,  trois  ans  après  la 
révolte  des  Maures,  deux  ans  après  la  bataille  d'Alcazarquivir, 
où  périt  dom  Sébastien  de  Portugal.  C'était  le  moment  où  la 
chrétienté  espérait  que  Philippe  II  allait  mettre  Alger  sous  sa 
domination;  le  monarque  espagnol  préféra  envahir  le  Portu- 
gal et  Alger  respira.  Jean  Gil  fut  le  rédempteur  qu'il  fallait 

1.  Pièce  373. 


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LES    PLUS    CÉLÈBRES    RÉDEMPTIONS.  4t)3- 

dans  une  pareille  situation  ;  rarement  Trinitaire  déploya  un 
plus  stoîque  courage  et,  à  l'occasion,  une  plus  rare  abnéga- 
tion. Parmi  les  nombreux  traits  de  générosité  qui  lui  sont 
attribués,  Haedo  rappelle  celui-ci.  II  avait  été  insulté  par 
un  Arabe,  qui  fut  pris  et  condamné  à  recevoir  des  coups  de 
bâton;  mais  le  rédempteur  se  mit  entre  lui  cl  les  exécu- 
teurs, leur  disant  de  le  frapper  plutôt  lui-même  !  Le  P.  Gil 
conquit  l'admiration  des  musulmans  et  ces  difficultés  qu'il 
avait  éprouvées  ne  l'empêchèrent  pas  de  revenir,  quelques 
années  plus  tard,  pour  une  autre  rédemption. 

En  1609,  trois  Trinitaires  de  Castîlle,  Aquila,  Palacios  et 
Monroy,  avaient  mené  à  bonne  fin  le  rachat,  de  cent  trente- 
six  captifs,  lorsque  la  nouvelle  de  la  conversion  au  christia- 
nisme '  d'une  jeune  musulmane  nommée  Fatime,  qui  avait  été 
conduite  à  Gênes,  exaspéra  les  Algériens.  En  guise  de  repré- 
sailles, ils  jetèrent  les  rédempteurs  dans  un  cachot,  où  les 
deux  premiers  moururent  bientôt;  le  P.  de  Monroy  ne  fut 
délivré  qu'à  la  condition  de  ne  jamais  tenter  de  revenir  en 
Espagne*.  Il  occupa  ses  loisirs  forcés,  d'une  manière  utile, 
en  fondant  un  hôpital  à  Alger  pour  les  captifs. 

Vingt-cinq  ans  après  la  mort  du  P.  de  Monroy,  un  Français 
éprouva  le  même  sort,  le  P.  Lucien  Hérault.  C'était  un  Trini- 
taire Réformé,  né  à  Saint-Paul,  près  de  Beauvais,  el  profès 
de  Montmorency,  dont  les  lettres  ont  servi  au  P.  Denis  Cas- 

1,  De  semblables  incidents  avaient  une  répercussion  fâcheuse  sur  les 
rédemptions.  Fabian  Garcia,  chirurgien  des  hôpitaux  d'Alger,  écrit  du  lazaret 
de  Livoarne,  le  3o  mars  1682,  qu'il  a  été  chassé  par  le  dey,  à  cause  de  la 
conversion  d'un  jeune  homme  d'Oran,  et  que  l'administra  leur  et  un  clerc 
ont  été  condamnés  à  êlre  brûlés  vifs.  Le  21  septembre  suivant,  Pierre 
Mercier  fit  prier  pour  eux  dans  toutes  les  provinces  de  l'ordre.  Une  pareille 
était  rarement  exécutée  (Bibl.  de  Marseille, 
>.  38o). 
.  Le  P.  Caijxte,  Corsaire*  et  Rédempteurs,  p.  >4i. 


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4o4  l'ordre  français  des  trinitaires. 

sel  pour  composer  le  petit  volume  intitulé  :  Victoires  de  la 
charité.  On  lui  avait  conseille,  à  Marseille,  de  s'habiller  en 
marchand'  ou  en  matelot,  ou  bien  encore  de  traiter  avec  des 
négociants  qui  rendraient  les  esclaves  à  cette  ville,  moyen- 
nant une  certaine  rémunération.  «  Ce  conseil  était  bon,  dit-il, 
pour  des  hommes  timides,  sans  foi  et  sans  charité.  »  Le 
P.  Hérault  prouva  bien  qu'il  n'était  pas  de  ceux-là. 

Arrivé  à  Alger  le  3o  janvier  i643,  il  ramena  une  première 
fois  des  captifs  à  Paris,  le  20  septembre  suivant,  après  avoir 
laissé  en  otage  son  confrère,  le  P.  Boniface.  Anne  d'Autriche 
ordonna  une  quête  en  sa  faveur,  et  il  revint  a  Alger  en 
mars  i645.  Après  avoir  «  dégagé  »  son  compagnon,  il  se  vit 
exposé  à  une  difficulté  imprévue  :  les  créanciers  du  P.  Bru- 
gière,  de  l'ordre  de  la  Merci,  qui,  lui  aussi,  était  en  otage, 
s'avisèrent  de  réclamer  au  P.  Hérault  les  12,000  écos  dus  par 
le  Mercédaire  et  le  divan  le  condamna  à  payer.  Malgré  ses 
protestations,  le  P.  Hérault  fut  jeté  en  prison  ;  le  a5  novem- 
bre i645,  il  était  extrêmement  malade  et  sans  cesse  en  dan- 
ger d'être  brûlé  par  les  musulmans1.  Les  captifs  furent  reven- 
dus pour  payer  ce  qu'il  ne  devait  pas,  et  lui-même  mourut 
le  28  janvier  1646,  laissant  3  écus  pour  tout  héritage.  Ce 
fut  alors  un  revirement  complet  :  les  chrétiens  esclaves  eurent 
trois  jours  de  repos  afin  de  pouvoir  prier  pour  lui;  des  Turcs 
préposés  à  la  garde  de  son  corps  furent  eux-mêmes  émus  de 
ce  'spectacle  3.  Plusieurs  milliers  de  chrétiens  (fait  inouï)  sui- 
virent ses  obsèques  solennelles  et  quelques-uns  de  ses  fami- 

1.  Ce  procédé  n'était  pas  très  sur.  Un  Père  de  la  Merci,  s'éumt  rendu  i 
Alger  sous  un  déguisement  pour  racheter  à  plus  bas  prix,  fui  puni  d'une 
amende  de  800  écus  (Mémoire»  de  la  Congrégation  de  la  Mission,  t-  I, 
p.  aoS). 

3.  Revue  africaine,  t.  XXXV,  p.  107. 

3.  Victoire*  de  la  charité,  p.  181 . 


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MAHÉMET-TOUSIRIS,    CAPITAINE    DE   SALE. 

(Cuil.  attentera,  Ob  10  a,  fol.  69.) 


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LES    PLUS    CÉLÈBRES    RÉDEMPTIONS.  U,o5 

liera  se  réunirent  devant  Constans,  chancelier  du  consulat  de 
France,  pour  attester  les  mérites  de  leur  bienfaiteur.  Cette 
déclaration  des  captifs  marque  un  peu  trop  d'hostilité  contre 
le  P.  Brugière,  qui  resta  plusieurs  années  encore  à  Alger, 
quoique,  le  i5  février  16^7,  une  quête  eût  été  ordonnée  en  sa 
faveur  dans  tous  les  diocèses  de  France1. 

Cet  incident  émouvant  est  le  dernier  de  ce  genre  qui  se  soit 
produit  à  Alger  ;  les  rédemptions  suivantes  *  ne  donnèrent 
pas  lieu  à  de  semblables  difficultés.  Une  dernière  rédemption 
à  Alger  est  à  noter,  à  cause  de  la  personnalité  de  son  auteur, 
Grégoire  de  La  Forge,  alors  vicaire  général  de  la  Congréga- 
tion réformée  (1690).  Le  P.  de  La  Faye.,  se  rendant  dans  celte 
même  ville  dix  ans  après,  s'excuse,  au  début  de  son  récit3, 
de  ne  pas  insister  sur  Alger,  par  ce  motif  que  le  général  de 
son  ordre,  auquel  il  s'adresse,  se  souvient  fort  bien  encore 
de  son  voyage. 

Le  passage  à  Tripoli  était  une  nouveauté  et  ce  n'est  pas  la 
seule  preuve  du  désir  de  changement  qu'on  peut  remarquer 
au  dix-huitième  siècle  chez  les  rédempteurs.  Cette  tendance 
était  fort  louable  en  un  sens,  car  les  chrétiens  ne  souffraient 
pas  seulement  à  Alger  et  à  Tunis.  Le  P.  de  La  Faye,  qui 
a  un  véritable  talent  d'écrivain,  présente  en  quelques  pages 
des  tableaux  achevés  :  description  très  soignée  de  Tripoli  et 
de  ses  antiquités,  du  jardin  d'un  vénérable  Turc,  qui  ressemble 


t.     Dr    Gl.'STAVE   LàHBBUT,  OIIIT.  Cité,  p.    77. 

2.  Les  rédempteurs  sont,  en  i&6i  :  Pierre  Michelin,  ministre  de  Silvelle  ; 
Guillaume  Basire,  de  Chfllons  ;  Antoine  Dachier,  de  Lena;  Victor  Le  Beau, 
de  Heaux.  —  Avec  les  quatre  rédempteurs  de  iG85  figure  le  frère  convers 
Jean  Félix,  de  Douai. 

3.  État  de*  royaumes  de  Barbarie,  Tripoli/,  Tunis  et  Alger.  Rouen, 
1708.  Ce  récit  est  accompagne  de  la  Tradition  de  TÉalite  pour  le  ra- 
chat de*  captif*. 


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4o6  l'ordre  français  des  : 

à  un  vieillard  de  Virgile,  et  narration  amusante  «  des  luttes 
courtoises  »  0(1  le  vainqueur  est  désigné  d'avance.  N'ayant 
jamais  vu  de  Trinitaires,  les  T ripolilains  les  prirent  pour  des 
chevaliers  de  Malte;  cette  erreur,  qui  eût  pu  leur  porter 
préjudice,  fut  dissipée;  le  consul,  François  de  La  Lande,  les 
présenta  à  Méhémet,  dey  et  pacha,  déclarant  qu'ils  c'étaient 
arrivés  que  par  hasard,  ce  qui  évita  les  présents  d'usage.  Le 
dey  était  d'ailleurs  un  excellent  homme  ;  il  donnait  le  nom  de 
mère  à  une  femme  de  Marseille  qui  avait  montré  de  la  charité 
pour  lui  alors  qu'il  était  captif  dans  cette  ville;  il  lui  envoyait, 
de  temps  en  temps,  des  présents  el  lui  écrivait  qu'il  serait 
parfaitement  heureux  si  elle  venait  passer  ses  jours  auprès 
de  lui.  Les  esclaves  n'étaient  pas  trop  malheureux,  étant 
pour  la  plupart  occupés  à  entretenir  les  magnifiques  maisons 
de  campagne  des  Tripolitains  et  peu  nombreux,  car  les  traités 
étaient  plus  respectés  à  Tripoli  qu'à  Tunis  ou  à  Alger.  Est-ce 
faiblesse  ou  probité?  se  demande  Laugier  de  Tassy,  l'his- 
torien des  États  barbaresques;  le  doute  est  permis. 

Si,  même  après  ce  récit,  nous  ne  savons  point  avec  préci- 
sion pour  quel  motif  le  P.  de  La  Faye  aborda  à  Tripoli,  au 
moins  nous  connaissons  la  raison  du  voyage  de  Constantino- 
ple  qu'entreprit  le  P.  Jehannot.  Dès  1730,  un  Jésuite,  le 
P.  Caschot,  avait  écrit  au  général  des  Trinitaires  qu'il  y  avait 
dans  cette  ville  beaucoup  d'esclaves  français  très  malheureux, 
dont  personne  ne  s'occupait1,  le  priant  de  faire  la  rédemp- 
tion alternativement  à  Constantinople  el  en  Barbarie.  Le  con- 
seil ne  fut  suivi  qu'en  1 730,  après  une  tentative  de  voyage  au 
Maroc.  Peut-être  pensait-on  que  tous  les  esclaves  appartenant 
au  grand  seigneur,  il  serait  très  difficile  de  les  racheter. 

1 .  Les  Trinitaires  Déchaussés  d'Autriche  venaient  de  temps  en  ucap* 
opérer  à  Constnnlinople  des  rédemptions  au  profit  de  leurs  compatriotes. 


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LES    PLUS    CÉLÈBRES    RÉDEMPTIONS.  4<>7 

Le  P.  Jehannot,  seul  rédempteur,  partit  déguisé,  sous  le 
nom  de  Duplessis,  le  capitaine  Romity  étant  l'unique  per- 
sonne qui  connût  son  identité;  quant  à  ses  effets  et  à  son 
argent,  ils  Furent  considérés  comme  envoyés  à  notre  ambassa- 
deur, M.  de  Villeneuve,  pour  plus  grande  sûreté.  Grâce  à 
l'excellent  diplomate,  le  P.  Jehannot  s'aboucha  avec  un  offi- 
cier qui,  devenu  ensuite  grand-vizir,  lui  fit  envoyer  secrète- 
ment, deux  par  deux,  les  esclaves  retirés  des  bagnes.  Ils 
étaient  aussitôt  cachés  dans  le  palais  de  l'ambassadeur  '  et  te 
prudent  rédempteur  les  renvoya  en  France  le  plus  vite  possible. 
Resté  longtemps  à  Constantinople  pour  attendre  le  retour  des 
galères  sur  lesquelles  ramaient  les  chrétiens,  il  en  racheta 
encore  un  certain  nombre. 

Mais  le  plus  important  lieu  de  rédemption  était  alors  l'em- 
pire de  Maroc,  pays  où  ces  pieux  voyages  offraient  le  plus 
de  difficultés. 


i.  Les  ambassadeurs  de  Constantinople  s'étaient  toujours  beaucoup  occu- 
pés des  esclaves.  Une  instruction  donnée  à  M.  de  Cé*y  vers  i633  porte 
même  que  «  procurer  »  l'évasion  de  ceux-ci  est  une  des  choses  les  plus 
recommandables  qu'ils  puissent  faire  en  leur  charge. 


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CHAPITRE  X. 
La  rédemption  au  Maroc. 


Il  est  fort  étonnant  que  nos  religieux  français  ne  nous  aient 
guère  renseignés  sur  ce  pays  au  dix-septième  siècle.  Ce  sont 
les  Pères  de  la  Merci  qu'un  arrêt  du  Conseil  d'État  de  i636 
avait  chargés  du  rachat  des  captifs  de  Salé,  et  c'est  à  ces 
religieux  qu'avait  été  délivré,  au  mois  de  juin  1673,  un  pas- 
seport pour  cette  même  ville.  Cependant,  les  Trinitaires 
Anroux  et  Héron  allèrent,  en  i654,  A  Salé  et  «  y  dressèrent 
une  manière  d'hôpital  ».  Tout  ce  que  l'on  a  pu  écrire  d'af- 
freux sur  le  sort  des  esclaves  se  vérifie  au  Maroc  et  confirme 
bien  cette  loi  très  simple,  que  l'esclavage  chrétien  croissait  en 
horreur  à  mesure  que  l'on  avançait  de  l'est  à  l'ouest.  Au 
Maroc,  l'empereur  Mouley-Ismaël  était  demeuré  célèbre  par 
sa  cruauté,  autant  que  par  son  avidité.  Le  rachat  des  esclaves 
coûtait  trois  fois  plus  cher  qu'en  Barbarie,  à  cette  époque, 
au  dire  d'un  Mercédaire,  le  P.  Forton,  qui  était  l'un  des 
compagnons  du  P.  Busnot,  Trinitaire  réformé  de  Rouen  '  et 
historien  du  souverain  marocain.  Les  chrétiens  étaient  parti- 
culièrement méprisés  au  Maroc;  aucune  avanie  ne  leur  est 
épargnée,  écrit  encore  l'abbé  RaynaP  à  la  fin  du  dix-huitième 


[.  Le  grand  tableau  de  Léger  sur  le  Rachat  des  captif»,  qui  fui  louç- 
lemps  à  l'église  de  Saint-Léger  du  Bourg-Denis,  près  Rouen,  est  inspire  Ar 

a.  Pièce  347.  —  On   peut  voir  ce  qu'en  dit  Estelle,  qui  était   consul  de 
France  »  Salé  en  1092;  pièce  243. 


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LA    RÉDEMPTION    EN    MAROC.  4°9 

siècle.  L'empereur,  surveillant  lui-même  ses  esclaves,  les 
employait  à  faire  des  constructions  pour  les  démolir  ensuite, 
afin  de  les  occuper  et  de  les  empêcher  de  songer  à  l'évasion. 
Si  les  travailleurs  l'ont  mécontenté  par  leur  négligence,  il  les 
tue  de  sa  propre  main  ;  il  fait  d'ailleurs  de  même  pour  ses 
sujets,  qui  estimaient  que  la  mort  donnée  par  leur  souverain 
les  conduisait  tout  droit  au  paradis  de  Mahomet;  ceux  qui 
étaient  las  de  la  vie  venaient  (au  dire  des  rédempteurs)  se 
faire  décapiter  par  l'empereur. 

Une  difficulté  particulière  se  présente  au  Maroc.  Dans  les 
pays  qui  ont  été  examinés  jusqu'à  présent,  la  plus  grande 
partie  des  captifs  réside  au  bord  de  la  mer;  la  transporlation 
A  la  campagne  ou  dans  les  montagnes  n'existe  qu'exception- 
nellement. Au  contraire,  en  Maroc,  le  séjour  sur  le  bord  de 
la  mer  est  l'exception  et  les  captifs  sont  bien  loin  dans  l'in- 
térieur des  terres.  Le  chemin  de  Fez  est  barré  par  les  vice- 
rois  de  Tetuan  et  d'Alcassave,  qu'il  faut  d'abord  fléchir  au 
moyen  de  présents,  et  qui  sont  parfois  mal  soumis  à  l'empe- 
reur, au  point  de  refuser  d'exécuter  ses  ordres1.  C'est  en 
Maroc  que  des  rédempteurs  espagnols  burent,  en  i64i,  un 
poison  lent  dont  ils  moururent  en  Espagne  ;  on  avait  espéré 
qu'ils  succomberaient  encore  en  Afrique  el  qu'ainsi  les  cap- 
tifs par  eux  délivrés  seraient  repris  sans  bourse  délier'. 

A  une  situation  exceptionnelle,  il  fallait  des  remèdes  excep- 
tionnels. Il  était  ordonné,  en  principe,  aux  rédempteurs,  de 
faire  eux-mêmes  la  rédemption.  L'animosité  particulière  des 


i.  En  '7z5,  DesUusaan,  Tri  ni  taire,  de  Montpellier,  avait  été  retenu  a 
Tetuan  par  un  pacha,  malgré  le  passeport  du  roi  de  Maroc,  sous  prétexte 
d'une  dette  contractée  par  Honoré  Mure  «  se  disant  »  consul  de  France 
(Chambre  de  commerce  de  Marseille,  AA  27). 

2.   P.  Cauxtb,  Corsaires  et  Rédempteurs,  p.  »/n. 


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4lO  L'ORDRE    FRANÇAIS    DES   TRINtTAIRES. 

Marocains  rendant  cette  tâche  difficile,  ils  étaient  autorisés  A 
se  servir  d'intermédiaires  laïques,  appelés  en  espagnol  alfa- 
qaecos  ou  rescatadores,  qui  couraient  moins  de  dangers  que 
des  religieux.  L'un  des  plus  connus  fut,  au  seizième  siècle, 
Diego  de  Torrès,  le  célèbre  auteur  de  la  Chronique  des  chéri/s. 

Là  où  il  n'y  avait  pas  de  consul  de  France,  il  fallait  se 
servir  d'un  négociant,  à  peu  près  toléré  au  Maroc,  à  cause 
des  nécessités  du  commerce  local.  Ce  fut  le  rdle  que  remplit 
Pillet  lors  des  rédemptions  de  1704,  1708  et  171a.  En  pareil 
cas,  les  religieux  attendaient  dans  une  ville  espagnole,  Cadix 
ou  même  Cerna',  l'aboutissement  des  négociations.  Ces  pré- 
liminaires duraient  parfois  un  ou  deux  ans,  mais  les  rédemp- 
teurs auraient  eu  mauvaise  grâce  à  s'en  plaindre,  puisque  ces 
précautions  n'étaient  prises  qu'en  vue  de  leur  propre  sécurité. 
Parfois  une  expédition  militaire  venait  à  la  traverse  de  la 
rédemption,  sans  que  les  religieux  paraissent  avoir  eu  trop  à 
en  souffrir. 

Le  voyage  de  1765  à  Mogador  emprunte  une  partie  de  son 
intérêt  à  l'attitude  de  la  cour  de  France  vis-à-vis  de  ces  reli- 
gieux. Les  défiances  gouvernementales  dataient  de  plus  loin, 
car  des  instructions  données  en  17Ï1  à  un  capitaine  de  vais- 
seau lui  enjoignent  de  tenir  les  rédempteurs  à  l'écart  de  sa 
négociation. 

Pendant  plus  de  deux  ans,  Claude  Forest,  ministre  de 
Mortagne,  tint  le  journal1.  Ses  compagnons  sont  deux  Trint- 
taires,  Chrysostome  Mure,  Marner,  ministre  de  Vianden  (venu 
spécialement  pour  le  rachat  des  Allemands),  et  Christophe 


1 .  La  vie  était  dure  à  Ccutn .  Pendant  le  siège  de  cette  ville,  qui  don 
neuf  ans,  les  Trioitaires  Déchaussés  y  servirent  comme  soldais  (Triam- 
phut  misertcordiae,  p.  43). 

a.  Bibliothèque  nationale,  nouv,  acquis,  franc.,  B»36, 


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LA    RÉDEMPTION    EN    MAROC.  /(  1 1 

Pays1,  Religieux  de  la  Merci.  Ils  s'étaient  mis  en  route  sans 
avoir,  je  ne  dirai  pas  l'argent  nécessaire  pour  racheter  tous 
les  captifs  (ils  en  trouvèrent  quatre  fois  plus  qu'ils  ne  s'y 
attendaient  I  mats  même  sans  avoir  reçu  la  quote-part  des 
Religieux  de  la  Merci.  La  prolongation  de  l'attente  à  Cadix 
leur  était  imposée  par  ce  retard,  autant  que  par  les  ordres 
de  la  cour,  avec  laquelle  ils  ne  s'étaient  évidemment  pas 
entendus  avant  le  départ.  Une  négociation  diplomatique  mar- 
chait, en  effet,  de  pair  avec  la  rédemption. 

L'empereur  de  Maroc  avait  envoyé,  en  1762,  un  certain 
Rey,  pour  traiter  avec  la  France  de  la  paix  et  du  rachat  des 
esclaves.  Ce  négociateur,  que  les  rédempteurs  nous  dépei- 
gnent comme  un  chevalier  d'industrie,  était  resté  de  longs 
mois  à  Marseille,  malade  et  sans  argent;  enfin,  subventionné 
par  la  Chambre  du  commerce,  il  était  venu  à  Versailles  et 
avait  reçu  de  la  cour,  bien  mal  informée  dès  réelles  disposi- 
tions de  l'empereur,  des  propositions  inacceptables,  ce  qui  ne 
l'empêcha  pas  d'écrire  faussement  à  son  maître  que  tout  allait 
bien.  Ces  propositions  françaises  consistaient  à  demander  : 
1  °  la  diminution  de  plus  des  deux  tiers  des  droits  de  douane  ; 
3°  la  remise  gratuite  des  esclaves  ou,  tout  au  moins,  moyen- 
nant 3  ou  4°°  'ivres  pour  chacun  (un  dixième  de  ce  que 
l'empereur  demandait,  au  tarif  de  la  précédente  rédemption 
portugaise)  ;  3"  la  fondation  d'un  comptoir  au  Maroc.  Le 
souverain  reçut  ces  propositions  avec  colère ,  mais,  pour 
prouver  son  désir  de  la  paix,  il  chargea  le  négociant  Salva, 
correspondant  des   Trinitaires,  d'entamer  de  nouvelles  négo- 


it  latin  17054  de  la  Bibliothèque  nationale  contient  (p.  107) 
un  chaleureux  éloge  de  ce  religieux,  qui  avait  quête  pour  les  captifs  avec  un 
très  grand  zèle  et  un  louable  désintéressement,  en  abandonnant  ses  droits 
d'auteur  à  propos  de  s 


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&I3  l'ordre  français  des  tributaires. 

dations  sur  une  base  raisonnable.  Voilà  nos  religieux  con- 
sternés; si  Salva  leur  amène  aussitôt  ies  esclaves,  avec  quoi 
vont-ils  les  payer? 

De  plus,  la  cour  de  France  n'avail  point  voulu  profiter  des 
bonnes  dispositions  de  l'Espagne  (on  était  au  temps  du  pacte 
de  famille)  pour  demander,  en  faveur  des  rédempteurs,  la 
sortie  en  franchise  de  la  somme  totale  que  ceux-ci  portaient 
sur  eux.  II  était  d'usage,  pendant  la  rédemption,  de  donner 
mensuellement  une  piastre  en  aumône  aux  captifs.  Les  Trinî- 
taires  essayèrent  bien  de  retirer  cette  largesse  aux  esclaves  du 
Midi,  que  les  Pères  de  la  Merci  étaient  spécialement  tenus 
de  secourir  comme  ressortissant  à  leurs  districts  de  quête, 
maïs  il  n'en  résulta  qu'une  économie  insignifiante. 

Les  Pères  de  la  Merci  de  Guyenne  ne  voulaient  toujours 
pas  payer  leur  quote-part,  quoique  le  P.  Pays,  commandeur 
de  Paris,  les  en  pressât.  Alors  ils  annoncèrent,  avec  grand 
fracas,  un  emprunt  de  4<J,ooo  livres  qu'on  ne  vit  jamais 
réalisé.  Les  Trinilaires  de  Paris  ne  se  pressaient  cependant 
pas  de  dénoncer  la  coupable  abstention  des  Pères  de  la  Merci. 
L'un  d'eux,  le  P.  Toustain,  finit  par  présenter  un  mémoire 
afin  de  dessiller  les  yeux  du  duc  de  Praslin,  ministre  de  la 
marine,  au  sujet  de  l'impossibilité  de  réaliser  des  économies 
sur  te  rachat.  Renoncer  à  la  rédemption  eût  été  déplorable, 
ne  faire  que  des  rachats  particuliers  eût  été  injuste,  il  fallait 
donc  recourir  à  un  emprunt  sur  les  biens  des  deux  ordres. 
Telles  sont  les  tristes  pensées  que  le  P.  Forest  roule  dans  son 
esprit  pendant  six  mois. 

Je  ne  dis  rien  des  soupçons  qu'ils  élèvent  les  uns  contre  les 
autres,  de  leur  mécontentement  trop  prompt  contre  Salva  '  ; 

i.  Il  s'était  entremis  pour  eux  avec  dévouement,  et  avait  conseillé  au  roi 


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AOHMET  SOUSSIN,   MUFTI   DE   L'AMBASSADE. 

(CoU.  OolgnWros.  Ob  10  <i,  f  «4.) 


(igUizeciDv  G00gle 


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LA    RÉDEMPTION    EN    MAROC.  4l3 

après  avoir  craint  qu'il  ne  réussît  trop  tôt,  ils  redoutent 
maintenant  qu'il  ne  fasse  rien  !  La  cour  de  France  doit  par- 
tager avec  les  Pères  de  la  Merci  la  responsabilité  du  déses- 
poir qui  étreignit  parfois  nos  malheureux  rédempteurs. 

Voyant  qu'avec  3oo,ooo  livres  on  ne  pourra  racheter  que 
la  moitié  ou  le  tiers  des  captifs,  le  P.  Forest  fait  donc  deman- 
der à  l'empereur  de  Maroc  de  n'en  racheter  qu'à  proportion  de 
ces  ressources  actuelles,  ce  qui  était  évidemment  la  meilleure 
solution.  Que  ne  fait-il  pas  pour  engager  le  souverain  à  se 
relâcher  de  son  prix  de  700  piastres  (3,5oo  livres)?  Un  strata- 
gème avait  réussi  au  P.  Bernard,  en  1720,  à  Tunis;  feignant 
de  trouver  les  esclaves  trop  chers,  il  avait  fait  des  préparatifs 
de  départ,  et  ainsi  le  prix  avait  été  diminué  des  a/5.  Le 
P.  Forest  pensait  écrire  aux  captifs  qu'en  présence  des  exi- 
gences marocaines,  il  allait  partir,  espérant  que  leurs  plaintes 
rendraient  le  souverain  plus  traitable,  mais  un  négociant  de 
Cadix  déconseilla  ce  stratagème.  Les  rédempteurs  apprennent 
enfin  que  la  négociation  limitée  de  Salva  a  réussi  et  que  les 
esclaves  leur  seront  remis  à  Mogador. 

Pendant  ce  temps,  l'escadre  française  de  Du  Chaffaut  bom- 
barde Larrache,  où  elle  essuie  un  sanglant  échec  '  par  suite 
de  l'imprudence  de  M.  de  Beauregard.  Quelle  n'est  pas  la 
terreur  des  rédempteurs  à  la  pensée  d'être  retenus  prisonniers, 
car  ce  port  de  Mogador,  de  fondation  récente,  étant  peu  pro- 
fond, ils  craignent  qu'une  fois  entrés  ils  ne  puissent  en  sortir. 

Au  moins ,  après  avoir  en  vain  demandé  d'aller  à  Salé 
(juin  1765),  nos  religieux  se  promettent  bien  de  ne  pas  des- 
cendre à  terre  :  le  vice-roi  Mouley-Idris  a  beau  leur  offrir 

de  France  de  compléter  la  somme,  dans  le  cas  où  le  roi  de  Maroc  voudrait 
le  rachat  total,  que  les  Rédempteurs  n'étaient  point  en  état  de  Taire. 
1.  Ministère  des  affaires  étrangères,  Maroc,  3,  !"  68. 


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4  «  4  l'ordre  français  des  tributaires. 

le  divertissement  des  fantasias,  ils  ne  désirent  pas  les  voir 
de  près,  et,  ne  les  apercevant  que  de  leur  navire,  les  déclarent 
peu  intéressantes.  Des  négociants  chrétiens  viennent  à  bord, 
Salva,  son  associé  Rilliet  et  un  certain  Chullz,  de  la  factorerie 
danoise.  Quoique  touchant  au  port,  les  rédempteurs  ne  sont 
pas  an  bout  de  leurs  peines.  Ils  voulaient  que  Mouley-Idris 
ne  prit  pas  une  trop  forte  commission  ;  or  le  naïf  Chultz 
laisse  celui-ci  s'attribuer  5oo  piastres  pour  treize  esclaves  des 
Pays-Bas.  Les  rédempteurs  refusent  de  payer  celte  commis- 
sion; pendant  plusieurs  jours,  ils  voient  les  esclaves  immo- 
biles au  bord  du  rivage;  tout  à  coup  une  barque  accoste  avec 
plusieurs  esclaves.  Un  brave  juif,  Sombel,  avait  écrit  à  un 
de  ses  coreligionnaires  qui  approchait  le  souverain  de  Maroc, 
au  sujet  de  l'avanie  éprouvée  par  les  rédempteurs;  l'empereur 
manda  alors  à  Mouley-Idris  de  laisser  partir  les  religieux. 
Bref,  les  rédempteurs  eurent  leurs  -]3  esclaves,  dont  20  pour 
l'ordre  de  la  Merci,  et  8  pour  le  Bureau  de  Rédemption  de 
Marseille.  Mouley-Idris  envoie  même  en  cadeau  ao  moutons, 
200  porcs  et  du  couscoussou.  Salva  reçoit  10,000  livres  de 
commission'  pour  ses  fidèles  services;  les  religieux  et  lui  se 
quittent  en  s'emhrassant.  Les  rédempteurs,  partis  de  Moga- 
dor  le  3  septembre  1765,  sortent,  le  3i  octobre,  du  lazaret 
de  Marseille  après  dix-huit  jours  de  quarantaine. 

Il  importait  de  raconter  en  détail  ce  voyage  inédit,  parce 
que  plusieurs  de  ses  incidents  eurent  des  conséquences  fâcheu- 
ses. Le  capitaine  Pellegrin,  marseillais,  auquel  avait  été  pré- 
féré le  capitaine  Dupais,  normand,  moins  ancien  en  captivité, 

1.  En  réalité,  i3t8if>  livres  pour  le  total  des  esclaves.  l.es  Pères  regar- 
daient le  prorata  payé  pour  huit  Marseillais  comme  uoe  avance  qui  leur 
serait  remboursée.  Or  Salva  demanda  au  Bureau  de  Rédemption  une  com- 
mission particulière  qui  fui  ta.\éc  a  2  1/2  p.  100. 


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LA    RÉDEMPTION    EN    MAROC.  /(  I  5 

avait  écrit  au  ministre  de  la  marine  pour  se  plaindre  de  n'avoir 
pas  été  racheté;  le  P.  Pichault,  récemment  élu  général  des 
Trinitaires,  accusa  les  rédempteurs  d'avoir  abusé  de  sa  con- 
fiance. Très  ému,  le  P.  Forest  s'excusa  sur  son  absence,  vers 
le  milieu  d'avril  1760,  lorsque  la  substitution  d'un  équipage 
normand  à  celui  de  Marseille  avait  été  décidée,  malgré  les 
durées  respectives  de  leur  captivité,  mais  en  raison  du  fait 
que  la  Normandie  était  réservée  aux  quêtes  trinitaires  et  que 
l'équipage  de  Dupuis  était  peu  nombreux. 

L'avenir  devait  apporter  au  rédempteur  '  quelques  consola- 
tions dans  ses  ennuis.  11  fut  député  de  Normandie  au  chapitre 
de  1768  et  ministre  de  Fontainebleau  en  1786. 

Le  P.  Forest  voulut  tirer  une  morale  de  ses  aventures. 
Pour  éviter  la  commission  du  négociant  chrétien,  qui  s'ajou- 
tait aux  présents  à  faire  pour  absorber  une  partie  des  fonds. 
il  déclare  qu'il  faut  faire  ses  affaires  soi-même  ;  mais  il  avait 
vu  à  quel  point  Salva  lui  avait  été  indispensable;  le  recon- 
naissant, il  effaça  finalement  les  paroles  que  la  mauvaise 
humeur  lui  avait  d'abord  dictées  contre  l'habile  et  dispen- 
dieux négociateur. 

Un  autre  incident  du  voyage  eut  une  portée  plus  grave  : 
les  religieux  avaient  été  abandonnés  à  leur  malheureux  sort 
par  la  cour  qui,  renonçant  à  comprendre  te  rachat  des  cap- 
tifs dans  la  négociation  diplomatique,  laissa  les  rédempteurs 
s'en  tirer  comme  ils  pourraient.  Les  religieux  avaient  sou- 

1.  On  voit  dans  ses  registres  de  dépenses  de  1766  : 

Dépensé  en  voyage  d'Espagne ing  livres. 

Pour  du  vin  de  Pacarel  (de  Xérès) 74      — 

Pour  10  livres  de  chocolat a5      — 

Pour  des  peaux  de  maroquin  el  des  babouches  achetées  eu 

Barbarie 65      — 

(Inventaire  de»  archives  de  l'Orne,  H  3i83). 


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4i6  l'ordre  français  des  trinitaires. 

tenu  que  leurs  aumônes  étaient  locales  et  qu'ils  devaient 
racheter  surtout  les  captifs  des  provinces  où  ils  recevaient 
des  aumônes  particulières.  La  cour  de  France  n'admit  pas 
cette  théorie;  à  la  fin  de  1765,  une  déclaration  royale  décida 
que  les  aumônes  recueillies  en  France  serviraient  pour  le 
rachat  des  captifs  français  indistinctement,  thèse  plus  vrai- 
ment nationale  que  celle  des  rédempteurs  ;  mais  ceux-ci 
n'étaient-ils  pas  dans  le  vrai  en  comptant  de  préférence  sur 
les  aumônes  locales  et  à  but  déterminé?  Après  ayoir  mis  un 
tel  poids  dans  la  balance,  il  ne  restait  plus  à  la  royauté  qu'à 
prendre  la  haute  main  sur  la  rédemption  et  à  faire  des  reli- 
gieux tes  simples  exécuteurs  de  ses  volontés. 


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ESCLAVE   CHRÉTIEN    AU    MAROC. 

(Coll.  Qulfnlira,  Ob  10  a,  f  tl.) 


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CHAPITRE  XI. 
La  rédemption  diplomatique,  * 

La  rédemption  générale  avait  subi  une  certaine  éclipse  de- 
puis te  début  du  dix-huitième  siècle.  Un  double  mouvement 
pouvait  être  constaté  :  les  ressources  baissaient  et  le  prix  des 
esclaves  augmentait;  la  belle  oeuvre  des  rédempteurs  dégéné- 
rait en  un  grand  nombre  de  rachats  particuliers,  où  la  part 
de  leur  charité  n'était  plus  prépondérante. 

En  1719,  le  P.  Philémon  de  la  Moite  ne  s'était  pas  montré 
partisan  de  celte  évolution.  Étant,  à  Marseille,  engagé  dans 
un  conflit  avec  le  Bureau  de  Rédemption,  il  avait  composé  un 
mémoire  pour  établir  la  supériorité  des  rédemptions  généra- 
les sur  les  rachats  particuliers.  Outre  l'effet  d'édification  pro- 
duit sur  le  peuple  par  une  procession  nombreuse,  il  relevait 
justement  ce  fait  qu'il  ne  fallait  pas  avoir  trop  de  confiance 
dans  les  négociants  ',  qui  n'ont  pas  le  loisir  d'être  charitables, 
et,  tout  au  moins,  n'apportent  pas  au  rachat  de  l'esclave  la 
promptitude  désirable  '. 

Mais,  lorsque  le  rédempteur,  allant  plus  loin,  déclarait  qu'il 
était  difficile  d'obtenir  à  bon  marché  un  esclave  particulier, 
on  eût  pu  lui  objecter  que  beaucoup  de  rachats  individuels 
furent  payés  au  dix-huitième  siècle  par  les  Trinitaires3,  grâce 

1 .  On  peut  cîtcr  les  démêlés  du  P.  Aloes  avec  un  marchand  nomme  Car 
bon  eau,  qui  n'exécuta  point  sa  commission  cl  à  qui  fut  fait  un  procès, 

2.  Pièce  a68. 

3.  Les  Trinitaires  durent  en  faire,  dès  le  dix-septième  siècle,  sur  la 
demande  de  particuliers.  Pièce  219. 

27 


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4*8  L'ORDRE    FRANÇAIS    DES    TRINITA1RES-' 

à  des  précautions  habiles,  à  un  prix  bien  moindre  que  celui 
auquel  on  eut  pu  s'attendre.  Dans  ce  cas,  les  Trinitaires 
s'adressaient  au  député  du  commerce  de  la  ville  de  Marseille; 
celui-ci  priait  les  directeurs  de  la  Chambre  du  commerce 
d'Afrigue  de  fournir  les  fonds  au  Consul  de  France,  qui  traite 
lui-même  de  ces  rachats.  Ainsi  s'exprime  le  P.  Gâche,  dans 
une  lettre  du  26  mars  1780. 

Un  captif  liégeois,  Jean-Joseph  d'Allemagne,  coûta  3,733  li- 
vres io  sous,  dont  r,3oo  avaient  été  promis  par  (a  confrérie 
de  Maëstricht  et  la  famille,  le  reste  devant  être  payé  par  nos 
religieux;  les  directeurs  de  la  Compagnie  d'Afrique  firent 
l'avance  des  frais  de  quarantaine,  de  séjour  à  Marseille  et  de 
retour  à  Liège.  Au  passage  du  captif  à  Paris,  Gâche  lui  remit 
3o  livres  pour  sa  route  et  4  pour  s'acheter  une  paire  de  sou- 
liers, demandant  à  son  correspondant  liégeois,  Bours, 
ex-provincial  du  tiers-ordre  de  Saint-François,  de  lui  faire 
savoir  quelle  sensation  aura  faite  la  présence  du  captif 
racheté  ' . 

Les  consuls  de  France  étaient  de  grands  rédempteurs.  Un 
rachat  des  plus  émouvants  fut  conclu  par  Raimondis,  à  Tri- 
poli, en  faveur  de  deux  captifs  réfugiés  dans  la  maison  con- 
sulaire qui  s'étaient  enveloppés  dans  un  drapeau  français.  Le 
8  avril  1778,  un  consul  de  Rhodes  racheta  (rois  Turcs  à  Malte 
pour  2,100  livres3. 

Les  consuls  étaient  les  correspondants  naturels  des  ré- 
dempteurs3; on  s'adresse  à  tous  ceux  de  Barbarie,  le  9  fé- 

1.  Lettres  des  25  septembre,  22  octobre,  4  et  10  novembre  1778  :  autres 
Liégeois  rachetés  (septembre  1767,  mai  1774,  avril  1779). 

2.  Teissieh,  Archives  anciennes  de  la  Chambre  de  commerce  de  Mai* 
seille,  pp.  108,  i38,  i.'ta. 

3.  La  Caisse  Je  religion  de  Bruxelles  s'adresse  aux  agents  consulaires 
autrichiens  pour  avoir  la  liste  des  captifs. 


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LA    RÉDEMPTION    DIPLOMATIQUE.  AlO, 

vrier  1779,  pour  savoir  si  Joseph  Ressort  était  captif  en 
Maroc,  à  Alger  ou  à  Tunis.  Nous  avons  déjà  mentionné  qu'au 
cours  de  la  rédemption  ils  étaient  pour  nos  religieux  des 
auxiliaires  précieux;  tous  les  rédempteurs  venus  à  Alger 
dans  les  vingt  premières  années  du  dis-huitième  siècle  ne 
tarissent  pas  d'éloges  sur  le  compte  du  consul  Durand. 

A  l'époque  où  nous  sommes  parvenus,  le  rôle  des  consuls 
de  France  ne  va  que  grandir.  La  cour,  mécontente  du  der- 
nier rachat  opéré  en  1765  par  les  Trinitaires  au  Maroc,  était 
disposée  à  désigner  elle-même  les  captifs  qui  seraient  rachetés. 
Les  deux  dernières  rédemptions  furent  donc  purement  natio- 
nales et  royales.  Louis  XVI  avait  promis  aux  Corses,  récem- 
ment annexés  à  la  France,  de  retirer  d'Alger  ceux  de  leurs 
compatriotes  qui  y  étaient  esclaves.  Cette  rédemption  eut 
lieu  en  1779  ;  les  PP.  Gâche  et  Dorvaux,  provincial  de  Cham- 
pagne, en  furent  les  chefs,  avec  deux  Mercédaires  :  le  vicaire 
de  la  congrégation  de  Paris  et  le  provincial  de  Guyenne. 
Les  religieux  avaient  donc  encore  été  acteurs  ;  seuls,  les 
captifs  leur  avaient  été  imposés  d'office. 

Il  semble  d'ailleurs  qu'à  cette  époque  la  piraterie  barbares- 
que  était  en  grande  décroissance.  Au  Maroc,  elle  parait  avoir 
presque  Complètement  disparu  aux  environs  de  1770.  La 
clientèle  des  bagnes  d'Alger  était  alors  spécialement  composée 
de  tristes  personnages  qui  eussent  bien  mérité  le  bagne  en 
France.  Les  déserteurs  français,  venus  en  Espagne,  embar- 
qués de  là  sur  Cran,  évadés  d'Oran  vers  Alger,  étaient  un 
perpétuel  danger  pour  tous  les  Français  libres  d'Alger.  L'un 
d'eux,  nommé  Picard,  avait  même  tenté  d'assassiner  le  vicaire 
apostolique,  le  P.  Cosson,  de  la  Mission,  qui  ne  survécut  que 
par  miracle.  Après  avoir  repoussé,  en  1779,  un  projet  de 
rachat  général  des  déserteurs  proposé  par  le  consul  Vallière, 


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4so  l'ordre  français  des  trinitaires. 
parce  que  la  somme  était  trop  élevée,  Louis  XVI  se  décida  a 
cette  mesure,  en  1785,  et  chargea  de  l'exécution  le  consul  de 
France  à  Alger,  M.  de  Kercy.  Les  religieux  ne  furent  pas  du 
voyage,  par  mesure  d'économie  ;  ils  ne  firent  que  contribuer 
au  paiement  pour  la  plus  forte  part1.  Le  Bureau  de  Ré- 
demption de  Marseille  fournit i3o,ooo  livres. 

Le  général  de  l'ordre  de  la  Trinité 240,000    — 

Le  vicaire  général  de  la  Merci  de  Paris.. . .       84,000    — 
Le  vicaire  général  de  la  Merci  de  Toulouse .     1 1 9,094    — 

Total 5y3,og4  livres. 

Ce  dernier  fut,  comme  toujours,  en  retard,  non  cependant 
sans  quelque  motif,  à  cause  de  la  suppression  de  neuf  de  ses 
couvents  sur  quinze.  Devant  celle  situation,  la  Chambre  de 
commerce  avança  4o,ooo  livres,  et  l'Œuvre  de  la  Rédemption 
80,000,  qui  durent  lui  être  remboursées  en  huit  années,  cha- 
cun des  deux  ordres  en  payant  la  moitié*. 

Au  mois  de  juin  1785,  M.  de  Charoulière,  lieutenant  de 
vaisseau,  partit  de  Toulon  sur  la  frégate  la  Minerve.  La 
négociation  avait  été  conclue  d'avance  et  M.  de  Kercy  lui 
remit  les  trois  cent  quinze  captifs.  Le  8  juillet  suivant,  ils 
étaient  en  vue  de  Marseille;  leur  âge  variait  de  dix-huit  i 
quatre-vingts  ans  ;  leur  temps  d'esclavage  de  deux  a  trente- 
cinq.  Les  députés  des  ordres  rédempteurs  étaient  Gaspard 
Perrin,  ministre  de  Marseille;  François  Camusat,  ministre 
de  Lisieux;  Cloue]  Chevillard,  vicaire  général  de  la  congré- 
gation de  la  Merci  de  Paris,  et  Joseph  Aubanel,  cornman* 

1.  Il  faut  remarquer  que  le  roi  ne  céda  point  à  l'invite  qui  lui  était  adres- 
sée depuis  1res  longtemps  de  prendre  dans  ses  coffres. 

2.  Archives  de  la  Chambre  de  commerce  de  Marieille,  AA106,  BB  îio. 


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LA    RÉDEMPTION    DIPLOMATIQUE.  fol 

deur  de  Marseille1.  Le  ro  août  seulement,  les  captifs  débar- 
quèrent, l'un  d'entre  eux  étant  décédé  au  cours  de  la  qua- 
rantaine; le  17,  eurent  lieu  les  processions  et  ceux  qui 
n'étaient  pas  de  Marseille,  au  nombre  de  deux  cents,  parti- 
rent pour  Parts.  Leur  passage  causa  une  vive  sensation, 
comme  si  l'on  se  fût  douté  qu'il  avait  lieu  pour  la  dernière 
fois.  A  Arles,  la  quête  produisit  i,55o  livres1;  l'accueil  fut 
chaleureux,  à  Paris  notamment,  «  tant  il  est  vrai  que  l'homme 
est  naturellement  bon,  et  que  la  sensibilité  de  son  cœur  ne 
paraît  jamais  mieux  que  dans  ces  grands  spectacles  3  ». 
L'abbé  Raynal  est  choqué  de  cette  admiration  que  la  foule 
prodigua  à  ces  déserteurs,  dont  chacun  eût  mérité  d'être 
condamné  à  mort*.  Il  convient  de  remarquer  que  l'on  applau- 
dissait surtout  la  charité  des  ordres  rédempteurs8.' 

La  liquidation  financière  de  cette  rédemption  fut  laborieuse. 
Le  28  septembre  1785,  Théodore  Niel,  provincial  de  la  Merci 
en  Guyenne,  écrit  que  les  généraux  des  deux  ordres  se  con- 
certent en  vue  d'un   emprunt   de   i4o,ooo  livres,   destiné  à 


1.  Dana  la  Reoae  nfricaine,  t.  XII,  p.  81,  M.  BERanucfiEn  relève  les  fan- 
taisies de  l'auteur  du  récit  intitulé  ;  Lettres  d'un  des  captifs  qui  viennent 
d'être  rachetés. 

a.  L'abbé  Tri  chaud,  Histoire  de  l'église  d'Arles,  l.  IV,  p.  ïj5, 

3.  Tableau  historique  de  tontes  les  rédemptions,  etc.  Bibl.  nat., 
Ld«,  no  5. 

4.  Pièce  345.  —  Voir  sur  l'un  de  ces  captifs  :  Veucun,  Cii  captif  nor- 
mand racheté  par  les  Trinitaires  en  ij85.  Bcrnay,  t888. 

5.  Voici  quelques  échantillons  des  dépenses  fuites  à  Paris:  «  Reçu  de 
M.  Brune!,  procureur  général  des  captifs,  3o5  livres  pour  61  paires  de  sou- 
liers pour  les  captifs.  A  Paris,  28  ocl.  1785.  Noël.  —  Pour  avoir  peint 
i5o  bannières  pour  les  Messieurs  de  la  Trinité,  cy  douze  douzaines  et  demi 
à  L.  14  '"  douzaine,  L.  175;  i5  sept.  1785,  Sarrasin.  Reçu  423  livres 
[o  sols  pour  l'excédent  des  frais  de  différentes  musiques;  Paris,  ïq  déc.  1 78S, 
Repiault.  —  Mémoire  de  la  fermière  des  chaises  de  l'abbaye  de  Saint- 
Antoine  pour  avoir  fourni  4oo  chaises  le  \!\  oct.  178Ô  :  20  livres  »  (Archi- 
ves nationales,  S  4278,  »°  10). 


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433  l'ordre  français  des  trinitaires. 

rembourser  les  caisses  auxquelles  on  avait  eu  recours.  La 
suppression  de  l'ordre  de  la  Merci  en  Guyenne  ne  facilitait 
pas  ce'règlement  :  le  26  décembre  1785  survint  un  ordre  pro- 
hibitif de  la  cour  au  sujet  de  l'admission  des  sujets  mercédaires 
à  la  vèture.  Le  P.  Niel  envoya  12,932  livres  à  Marseille, 
espérant  solder  les  6,000  livres  restantes  dans  le  courant  de 
l'année  (22  mars  1786).  Quant  aux  Trinitaires,  ils  rembour- 
sèrent péniblement  les  annuités  de  la  Chambre  de  com- 
merce, et  à  la  Révolution,  ils  n'étaient  pas  encore  quittes. 

Telle  fut  l'évolution  logique  d'une  œuvre  qui  eut  sa  gran- 
deur, et  dont  le  fil  conducteur  doit  être  la  mainmise  de  plus 
en  plus  grande  opérée  par  l'autorité  royale.  D'abord  œuvre 
privée,  religieuse  et  accomplie  principalement  à  l'aide  de 
ressources*  locales,  la  rédemption  était  devenue  laïque,  royale 
et  vraiment  nationale.  Si  le  pouvoir  royal  s'était  avisé  plus 
tôt  de  racheter  aux  frais  de  l'État  ses  propres  sujets,  il  se  fût 
bien  vite  aperçu  qu'il  pourrait  réaliser  une  économie  considé- 
rable en  mettant  fin,  une  bonne  fois,  à  la  piraterie.  Au  lieu 
de  paver  les  «  tristes  rançons  »  et  de  tourner  dans  un  cercle 
vicieux,  car  l'argent  des  rédempteurs  débarrassait  Alger  de 
son  tçop  plein  d'esclaves  et  permettait  de  faire  de  nouvelles 
captures,  le  gouvernement  français  eût  été  amené  à  faire 
réussir,  un  siècle  ou  deux  plus  loi,  l'expédition  de  i83o.  Sans 
doute,  les  religieux  ne  souhaitaient  pas  de  voir  leur  zèle  rendu 
inutile,  mais  ils  eussent  dû  s'incliner. 

Le  rachat  des  captifs  n'était  pas  la  seule  occupation  des 
Trinitaires.  L'assistance  aux  malheureux ,  qui  gémissaient 
en  attendant  le  secours  des  rédempteurs  ou  qui  ne  devaient 
jamais  voir  le  jour  de  la  liberté,  était  un  devoir  tout  aussi 
pressant.  L'histoire  de  leurs  hôpitaux  algériens  nous  fera  voir 
comment  ils  l'ont  rempli. 


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CHAPITRE  XII. 
Les  hôpitaux  trinitaires  d'Alger  et  de  Tunis. 

Il  faut  attendre  jusqu'à  la  fin  du  seizième  siècle  pour  avoir 
des  documents  précis  sur  le  séjour  des  Trinitaires  à  Alger 
dans  l'intervalle  des  rédemptions.  Il  y  a  lieu  de  croire  que, 
antérieurement  à  cette  époque,  les  musulmans  ne  permirent 
pas  aux  rédempteurs  de  séjourner  A  Alger  avec  continuité. 
Toutefois,  la  longue  durée  de  certaines  négociations  permet- 
tait aux  religieux,  même  de  passage,  d'acquérir  une  réelle 
autorité.  Pendant  son  séjour,  Jean  Gil  était  l'arbitre  des  chré- 
tiens. «  Dans  cette  ville  d'Alger,  lui  écrit  Cervantes,  il  n'y  a 
pas  d'antre  homme  chargé  d'administrer  la  justice  entre  les 
chrétiens  que  Votre  Paternité  ' .  »  Le  rédempteur  était  aussi 
délégué  pontifical,  en  attendant  la  fondation  du  vicariat  apos- 
tolique. 

Le  premier  consul  de  France  fut  un  Trinitaire  de  Marseille, 
le  P.  Bionneau,  qui,  en  avril  i586,  «  avait  fraîchement  écrit 
les  indignités  et  emprisonnements  qui  luy  ont  esté  faicts,  à 
sa  personne  même,  par  Assar  Bassa  rays  et  autres  officiers 
à  Alger1.  »  Vias,  consul  après  le  P.  Bionneau,  était  un 
laïque,  mais  cela  ne  prouve  pas  que  les  Trinitaires  se  soient 
découragés.  Quoiqu'ils  n'eussent  pas  encore  d'hôpital,  ils  des- 
servaient régulièrement  les  chapelles  des  bagnes,  au  nombre 

i.  Micbïl  Chasles,  Cervantes,  p.  118. 

■>■  CuAnniiRE,  Négociation»  de  ta  France  dans  le. Levant,  IV,  499. 


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4a4  l'ordre  français  des  trinitaires. 

de  cinq,  toutes  pourvues  d'une  confrérie  :  le  consul  de  France 
était  marguillier  de  la  première,  le  consul  de  Venise  remplis- 
sait le  même  office  pour  la  seconde.  Au  mois  de  février  i5g5, 
selon  un  texte  cité  par  Antonio  Silvestre,  l'excellent  auteur 
de  la  Fundacion  kistorica  de  los  hospitales...,  nos  religieux 
firent  gagner  à  plusieurs  centaines  de  captifs  les  indulgences 
du  jubilé.  Peu  après,  Laurent  Figueroa  y  Cordova,  domi- 
nicain, évéque  de  Siguenza,  renia,  le  5  juillet  i5g5,  deux 
Trinitaires  pour  administrer  les  sacrements  aux  fidèles  en 
Barbarie.  Il  laissait  au  couvent  de  Madrid  5,ooo  maravedis 
de  rente  sur  les  gabelles  de  Cordoue,  3oo  ducats  devant  être 
sur  cette  somme  prélevés  pour  l'entretien  de  ces  deux  reli- 
gieux. Tous  les  ans,  on  rendra  compte  de  l'emploi  du  legs 
devant  un  administrateur  nommé  par  le  roi  d'Espagne  et  le 
vicaire  de  l'archevêque  de  Tolède.  Le  pape  confirma  cette  libé- 
ralité le  3i  août  i5g6  (Guerra  donne  la  date  du  29  juillet 
1597).  Jean  Sanchez,  de  la  province  de  Castille,  et  Jean  de 
Palacios  habitèrent  cinq  ans  à  Alger  ',  selon  les  intentions  de 
Laurent  de  Figueroa. 

Les  religieux  résidant  eu  Afrique  recevaient  certains  pri- 
vilèges, énumérés  dans  une  bulle  du  8  février  1608  :  ils 
peuvent  entendre  les  confessions1,  donner  aux  captifs  les 
biens  sans  maître  (cela  rappelle  les  mostrencos  espagnols), 
pourvu  qu'une  partie  soit  consacrée  au  rachat  des  captifs, 
bénir  les  ornements  ecclésiastiques,  permettre  aux  prêtres 
captifs  l'usage  de   l'autel  portatif,  communiquer  aux  captifs 


1.  Figuerab,  Chrtmicon,  p.  3(17.  Si  Alçer  tombait  au  pouvoir  des  chré- 
tiens, les  religieux  devaient  aller  dans  une  nuire  ville  d'Afrique  encore  au 
pouvoir  des  musulmans.  L'analyse  de  la  bulle  esl  dans  Guerra. 

2.  Le   TrinmpliM  misrriçartliae.   contient,   aux  pagjs  g&-[  [5,  un  très 
e  relatifs  aux  captifs. 


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LES    HÔPITAUX    d' ALGER    ET    DE    TUNIS.  4^5 

l'indulgence  plénière,  sans  qu'ils  aient  besoin  de  se  confesser  à 
un  des  Trinitaires  résidents.  Ces  indulgences  étaient  renouve- 
lées tous  les  dix  ans. 

Au  même  moment,  un  carme  déchaussé  d'Espagne,  Hie- 
ronimo  Gracian  de  la  Madré  de  Dios,  publiait  à  Rome 
(1597)  un  ingénieux  opuscule  pour  faire  ressortir  l'avantage 
qu'il  y  aurait,  pour  les  rédempteurs,  à  s'établir  à  Ta- 
barka,  sous  la  protection  de  la  famille  Lomeilîni  de  Gênes, 
de  manière  à  pouvoir  avertir  les  chrétiens  des  courses  qui  se 
tramaient  contre  eux1.  Il  fut  lui-même  choisi  en  1600  par 
Clément  VIII  comme  visiteur  des  captifs;  ces  derniers  éprou- 
vaient assez  de  maux  pour  que  les  religieux  de  plusieurs 
ordres  pussent  facilement  trouver  l'emploi  de  leur  zèle. 

Neuf  ans  après,  trois  Trinitaires  espagnols,  retenus,  une 
fois  leur  rédemption  opérée,  comme  il  a  été  dit  plus  haut, 
construisirent  l'hôpital  d'Espagne.  Antonio  Silvestre,  doué 
d'un  véritable  esprit  critique,  a  fort  bien  réfuté  deux  opi- 
nions sur  la  fondation  de  cet  hôpital,  l'une  qui  l'attribue  à 
un  Trinitaire  d'Aragon,  Sébastien  Duport  (i546),  l'autre  à 
un  évèque  qui  aurait  préféré  dépenser  au  profit  des  captifs 
l'argent  envoyé  en  vue  de  son  propre  rachat.  Cet  hôpital, 
à  ses  débuts,  n'eut  que  six  lits.  Bernard  de  Monroy  ra- 
conte modestement  cette  fondation,  dans  une  lettre  du 
20  juin  1612  (reproduite  par  le  P.  Calixte  dans  ses  Cor- 
saires et  Rédempteurs,  pp.  243-a5i),  Il  y  parle  aussi  d'une 
procession  qu'il  reçut  la  permission  de  faire  avec  ses  escla- 
ves  pour  demander  de  la  pluie  ;  elle  tomba,  mais  les  Turcs  ne 

1.  Bibliothèque  Mazarine,  recueil  25on,  f°  67  (recopié  dans  le  manus- 
crit 1217  de  la  Bibliothèque  de  Marseille,  pp.  109-137).  Il  reproduit  la 
légende  du  rédempteur  laissant  son  bâton  en  gage  pour  8  ou  10,000  écus  et 
la  rapporte  A  Simon  de  Contreras,  Trinitaire  portugais. 


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426  L'ORDRE    FRANÇAIS    DBS   TRINITAIRES. 

s'en  montrèrent  pas  reconnaissants  envers  les  chrétiens.  Ber- 
nard de  Monroy,  resté  seul  survivant  des  trois  Trinitaires 
castillans,  mourut  à  son  tour  le  3o  août  1632,  à  l'âge  de 
soixante  ans1. 

Un  administrateur  avait  commis  des  dilapidations,  lorsque 
en  1664,  Pedro  Garrido,  qui  prit  l'habit  de  frère  convers 
sous  te  nom  de  Pierre  de  la  Conception,  répara  de  ses  de- 
niers cet  hôpital ,  ainsi  que  les  chapelles  des  bagnes3.  Mal- 
heureusement, un  excès  de  zèle  du  pieux  fondateur  com- 
promit cette  belle  œuvre.  Le  vendredi  17  juin  1667,  avant 
emporté  une  image  de  Notre-Dame,  il  entra  dans  une  mos- 
quée, oubliant  que  le  Saint-Siège  défend  de  provoquer  les 
musulmans  aux  disputes  religieuses,  et  se  mit  à  prêcher  contre 
Mahomet.  On  retrouva  le  sermon  qu'il  laissa  traîner  dans 
l'assemblée;  il  fut  arrêté  et  brûlé  vif  deux  jours  après3,  le 
19  juin  1667,  dans  le  cimetière  des  juifs.  Ses  cendres  furent 
jetées  à  la  mer;  néanmoins,  au  péril  de  leur  vie,  des  chré- 
tiens «  péchèrent*  »  ses  os,  et  le  consul  de  France  Dubour- 
dieu,  auquel  le  divan  fit  dire  qu'on  n'avait  brûlé  le  martyr 
que  pour  avoir  mal  parlé  de  Mahomet,  fit  envoyer  ses  reliques 
à  Madrid5. 

Pour  reconstituer  les  ressources  de  l'hôpital,  on  alla  quêter 
partout.  Le  22  juin  1672,  un  religieux,  Don  Cristoval  Fran- 
cisco de  Castillo,  était  autorisé  à  recueillir  des  aumônes  à 
Puebia  de  los  Angeles  (Mexique)  pendant  trois  ans6,  au  profil 
des  hôpitaux  abandonnés  depuis  cinq  ans.  II  y  avait,  en  effet, 

1.   Voyage  d'Alger  et  de  Tant*  ('720).  pp-  76-81. 

3.  Mémoires  de  ta  Congrégation  de  la  Mission,  t.  Il,  p.  ï86. 

3.  Les  Turcs,  le  croyant  fou,  lui  avaient  donné  le  temps  de  m  rétracter. 

4.  Bibl.  Mazarine,  manuscrit  3912,  p.  157. 

5.  Le  tableau  de  piété  entiers  les  captifs.  Chalons,  1668,  p.  179. 

6.  Revue  africaine'i.  VIII,  p.  i43. 


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LBS    HÔPITAUX    d'aLGER    ET    DE    TUNIS.  427 

dans  les  bagnes  des  hôpitaux  secondaires ,  dont  les  chapelles 
étaient  dédiées  à  sainte  Catherine  et  à  saint  Roch1.  On  s'ac- 
corde à  dire  que  le  service  religieux  y  était  libre,  à  pari  les 
exactions  commises  par  quelques  gardiens. 

L'hôpital  principal  fondé  par  Bernard  de  Monroy  dans  le 
Tabernat-et-Beylik  garda  le  nom  d'hôpital  d'Espagne,  parce 
qu'il  était  administré  par  des  Trinitaires  de  la  province 
de  Castille,  au  nombre  de  trois,  dont  l'un  portait  le  titre  de 
Père  administrateur.  Au  couvent  de  Madrid  résidait  un  admi- 
nistrateur général;  Antonio  Silveslre  porta  ce  titre.  Par 
jalousie  contre  le  vicaire  apostolique  et  contre  le  consul  fran- 
çais, le  Père  administrateur  réclama  parfois  la  protection  du 
consul  anglais,  comme  n'étant  pas  gênante1.  L'hôpital  com- 
prenait alors  seize  à  vingt  lits. 

La  Reoue  africaine  a  publié,  d'après  la  Fandacîon  hîsio- 
rica,  la  charte  de  fondation  ou  plutôt  le  règlement  du  budget 
de  l'hôpital  trinitaire  d'Alger  en  if>a3;  cet  acte  ne  faisait 
sans  doute  que  consacrer  des  coutumes  existantes.  Le  dey 
Hadji  Chaban  Kodja  arrêta  avec  Joseph  Queralt,  professeur 
en  l'Université  de  Barcelone,  administrateur  de  l'hôpital,  les 
clauses  suivantes  : 

i°  Quatre  pataqoes  seront  données  par  tout  matelot  de 
barque  chrétienne,  quatre  pesos3  seront  versés  par  tout  vais- 
seau, au  profit  de  l'hôpital  ;  si  ce  vaisseau  est  d'une  nation 
en  paix  avec  Alger,  la  contribution  sera  de  trois  pesos  ; 

■i"  Chaque  chrétien  libre  donnera  deux  réaux  d'aspre,  cha- 
que chrétien  racheté  deux  réaux  d'argent; 

1.  Il  y  avait  deux  autres  hôpitaux  dans  le  bagne  du  pacha,  ce  qui  com- 
plète le  nombre  de  cinq,  et  même  des  lits  au  consulat  de  France  (Gn\M- 
most,  L'Eselaoage,  pp.  ï3-a5). 

a.  Plaktkt,  Corre»pondantx...  d'Alger,!,  t^o^  (n.). 

3.  Peto  est  un.  mot  espagnol  synonyme  de  piastre. 


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4a8  l'ordre  français  des  trinitaires. 

3°  Six  outres  de  vin  exemptes  de  droits  d'octroi  seront  re- 
mises annuellement  à  l'hôpital  au  prix  de  6  pesos  (elles 
étaient  revendues  36  pesos!); 

4i  Le  divan  sera  seul  juge  des  confias  éclatant  dans  le 
personnel  de  l'hôpital  ;  le  consul  français  même  ne  pourra  s'y 
entremettre  (Berbrugger  remarque  ici  que  le  Père  adminis- 
trateur, rédacteur  du  traité,  décline  le  protectorat  français  en 
principe,  quitte  à  l'invoquer  en  certains  cas); 

5°  Le  Père  administrateur  ne  pourra  être  poursuivi  pour 
les  dettes  du  vicaire  apostolique  (clause  de  toute  justice,  mais 
la  réciproque  eût  dû  être  vraie); 

6°  L'argent  et  les  vêtements  nécessaires  à  l'hôpital  entre- 
ront francs  de  tout  droit  ; 

7°  Les  religieux  pourront  se  rendre  librement  en  Espagne; 

8°  Chaque  bagne  donnera  un  chrétien  pour  le  service  de 
l'hôpital,  sans  que  dorénavant  l'administrateur  ait  à  payer  au 
patron  une  lune  (c'est-à-dire  une  indemnité  mensuelle)1. 

Cette  fondation  devait  se  développer  jusqu'à  compter,  en 
1730,  quatre-vingts  lits  et  3,ooo  piastres  de  rente.  L'hôpital 
d'Espagne  avait  chirurgien,  apothicaire,  infirmier,  dépensier 
et  domestiques  esclaves;  ces  derniers  étaient  privilégiés,  car 
ils  devaient  être  rachetés  les  premiers  lors  de  toute  rédemp- 
tion. Deux  Trinitaires  servaient  de  chapelains.  Les  autres 
chapelles  des  bagnes  avaient  chacune  un  hôpital,  aussi  dirigé 
par  les  Trinitaires  ;  mais  des  prêtres  captifs,  dont  il  y  avait 
toujours  une  grande  quantité  à  Alger,  donnaient  aux  esclaves 
les  secours  spirituels.  Quant  au  cimetière,  il  aurait  été  l'œu- 
vre d'un  capucin  espagnol  ayant  consacré  au  service  de  ses 
frères  l'argent  venu  pour  son  propre  rachat. 

1.  Revue  africaine,  t.  VIII,  pp.  i33-i44- 


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LES    HÔPITAUX    D'ALGER    ET    DE    TUNIS.  4*9 

«  L'hôpital,  écrit  en  1720  le  P.  Philémon  de  la  Motte1,  est 
encore  trop  petit  pour  les  malades,  qu'on  y  soigne  avec  une 
attention  qui  touche  jusqu'aux  Turcs  mêmes.  »  L'intelligent 
rédempteur  se  montra  curieux  d'en  connaître  les  règlements, 
parmi  lesquels  il  releva  ceux-ci  :  on  n'y  recevait  point  d'es- 
clave sans  le  consentement  de  son  patron;  les  femmes  n'y 
étaient  point  admises,  maïs  le  chirurgien  et  l'apothicaire  leur 
rendaient  visite  chez  elles  ou  chez  leurs  patrons.  Des  remèdes 
étaient  donnés  également  aux  Turcs;  seulement,  il  était  re- 
commandé au  chirurgien  de  s'adjoindre  en  ce  cas  un  mara- 
bout, car,  si  le  malade  mourait,  la  présence  du  musulman 
déchargeait  le  chrétien  de  toute  responsabilité.  Pour  les  juifs, 
dit  Antonio  Silvestre,  on  ne  fait  pas  tant  de  façons. 

L'hôpital  était  ouvert  aux  chrétiens  de  toute  religion. 
D'abord ,  nous  dit  son  historien ,  au  chapitre  xxvn  de  la 
Fundacion,  les  musulmans  ne  font  aucune  distinction  entre 
les  chrétiens  au  point  de  vue  de  leur  religion.  Ensuite,  en 
soignant  le  corps  des  hérétiques,  on  a  souvent  occasion  de 
guérir-  leur  âme  ;  pendant  un  espace  de  sept  ans,  deux  cents 
hérétiques  se  seraient  convertis,  dont  un  Anglais,  cousin  de 
Cromwell.  —  Un  corsaire  anglais  rencontra  une  barque  sur 
laquelle  se  trouvait  le  Père  administrateur,  avec  beaucoup 
de  provisions  pour  l'hôpital,  et  allait  les  piller  quand  deux 
matelots  anglais,  qui  avaient  été  soignés  à  l'hôpital,  recon- 
nurent le  Père  administrateur  et  empêchèrent  leur  capitaine 
de  donner  suite  à  son  projet;  «  peut-être  qu'il  en  avait  coûté 
100  réaux  pour  les  soigner  tous  deux,  dit  Silvestre,  et  grâce  à 
cette  petite  dépense,  on  évita  de  perdre  6,000  pesos.  »  Aucun 
bateau  algérien  n'aurait  fait  de  tort  à  la  barque  de  l'hôpital. 

1.   Voyage  d'Alger  et  de  Tunis,  pp.  8a,  ia&-i3o. 


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430  L'ORDRE    FRANÇAIS    DES   TRIttlTAlRES. 

Les  armes  du  Roi  Catholique  étaient  gravées  sur  le  portail 
de  l'hôpital,  quoique  celui-ci  n'eût  donné  aucuns  revenus 
pour  son  entretien.  Des  grands  d'Espagne  s'en  constituèrent 
les  bienfaiteurs;  l'un  d'eux  envoyait  de  Barcelone  des  lan- 
cettes pour  saigner  et  autres  instruments  de  chirurgie.  Grâce 
à  ce  rattachement  à  la  couronne  d'Espagne,  l'hôpital  fui 
indemne  des  persécutions  qui  fondirent  sur  les  chrétiens, 
surtout  français,  en  i683  et  en  1688,  lors  des  bombardements 
dirigés  contre  Alger.  Ce  n'est  pas  à  dire  que  l'administrateur 
n'ait  été  menacé  parfois  d'être  brillé  vif  à  l'occasion  de  l'éva- 
sion de  quelque  esclave,  mais  cela  rentrait  pour  ainsi  dire 
dans  la  vie  quotidienne  d'Alger. 

Montmasson,  vicaire  apostolique,  avant  d'être  mis  à  la  bou- 
che d'un  canon,  avait  déposé  son  argent  entre  les  mains  du 
P.  Antoine  d'Espinosa,  administrateur  de  l'hôpital.  Jacques 
Le  Clerc,  lazariste,  s'étant  adressé,  du  fond  de  sa  prison,  au 
Père  administrateur,  celui-ci  envoya  un  Majorquin  qui  promit 
au  gardien-chef  220  piastres  pour  le  faire  évader  :  on  lui  fit 
couper  les  cheveux  et  changer  d'habit,  et  pendant  quinze  jours 
il  reçut  du  Père  «  toutes  les  caresses  et  amitiés  possibles  ». 
L'administrateur  cacha  encore  huit  ou  dix  capitaines  chré- 
tiens dans  son  jardin,  pendant  tout  le  temps  que  l'armée  du 
maréchal  d'Eslrées  resta  en  rade.  L'infirmerie  de  l'hôpital 
avait  été  peu  endommagée;  il  y  reçut  quelques  religieux  es- 
claves, les  chapelles  des  bagnes  ayant  été  détruites  par  les 
bombes  françaises. 

Tels  sont  les  services  que  rendit  à  des  Français,  en  temps 
de  crise,  le  Père  administrateur  de  l'hôpital  d'Espagne.  Il  était 
nécessaire  de  faire  ressortir  cette  infinie  charité  des  Trini- 
taires,  dont  un  grand  nombre  succombèrent  lors  des  épidé- 
mies de  peste,  continuelles  à  Alger,  avant  de  constater  quel- 


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LES    HOPITAUX    d'aLGBR    FÎT    DE    TUNIS.  43 1 

ques  regrettables  défaillances,  auxquelles  l'esprit  de  corps  ou 
la  rivalité  entre  ordres  religieux  amena  parfois  les  Pères  de 
l'hôpital-  Les  Mémoires  de  la  Congrégation  de  la  Mission, 
plus  explicites,  mais  plus  partiaux  que  la  Correspondance 
des  consuls,  nous  permettent  de  retracer  succinlement  quel- 
ques-unes de  ces  fautes. 

Au  temps  de  Jean  le  Vacher,  les  TrinUaires  de  l'hôpital 
commirent  une'grave  indélicatesse  en  donnant  une  patente 
nette  à  des  rédempteurs  espagnols;  plusieurs  esclaves,  dé- 
barqués à  Carthagène,  moururen/  de  la  peste  et  en  infec- 
tèrent cette  ville.  La  nouvelle  étant  parvenue  au  roi  d'Es- 
pagne, le  rédempteur,  plutôt  que  de  dénoncer  son  confrère, 
accusa  le  vicaire  apostolique  Le  Vacher  '. 

Après  les  deux  bombardements  français,  la  peste  de  1690, 
où  périrent  six  Trinitaires,  au  témoignage  de  Grégoire  de 
La  Forge,  et  le  rachat  intégrai  des  Français  par  Dusault, 
une  grave  affaire  fut  amenée  par  la  mauvaise  foi  du  Trini- 
taire  Gianola,  parti  le  23  juin  1602,  avec  sept  cent  cinquante- 
trois  esclaves,  et  laissant  4,5oo